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jeudi 15 septembre 2022

Errata

Erratum

Le billet précédent contient un chiffre erroné du nombre des décès imputés aux épidémies de covid. Vérification faite, l'ordre de grandeur des décès cumulés sur 3 ans des épidémies successives n'est pas de quelques pourcents de la population totale. Il est d'un autre ordre de grandeur : entre deux et trois DIXIEMES de pourcent sont imputés au covid au total sur 3 ans, par ailleurs sans variation importante de la mortalité toutes causes confondues à l'échelle quinquennale.

En France, nos journaux de grande diffusion ont osé titrer sur le franchissement de "la barre des 150 000 décès dus au covid" au début de l'année 2023... sans faire le rapport avec les 65 millions de notre population totale, sans faire le rapport avec le total des dépenses en dizaines de milliards d'euros pour le soutien des entreprises mises en sommeil pendant la crise et pour les achats et la distribution de traitements innovants, sans faire le rapport avec tout ce qui a été perdu dans le domaine de l’inestimable.

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Dans l'hypothèse d'un virus artificiel dont personne ne savait anticiper précisément les effets au grand large, alors, par des considérations géopolitiques immédiates, on peut expliquer l'extrême sévérité des mesures sanitaires contre la première vague épidémique, à l'imitation du pays hôte d'origine, partout dans le monde. Mais logiquement dans cette hypothèse, après quelques semaines d'apprentissage, au plus tard après le constat du remplacement du variant initial par des variants moins agressifs et le recueil de l'expérience historique de maladies similaires, toutes les mesures exceptionnelles auraient du cesser ou être adaptées en proportion du risque réel. Ce n’est pas ce que nous pouvons constater : la suite de l'histoire ne relève plus de la logique commune, et en l'absence de l'hypothèse d'artificialité, rien depuis le tout début.

Est-ce que les bourgmestres et princes italiens contemporains de Machiavel n'auraient pas géré ces épidémies dans leurs villes de meilleure manière, avec les moyens et connaissances de l'époque - soit en ne s'apercevant de rien, soit en commençant par donner un joli nom au nouveau mal ?

Comment, à cause de quoi, avons-nous perdu l'art de vivre des transitions sur lesquelles nous n'avons pas ou peu de pouvoir ?

A défaut, sommes-nous devenus dépendants de séances d’hypnose collective, au point d’accepter des accumulations monumentales d'incohérences et d'erreurs, des violences contre nous-mêmes ?

Quels niveaux de sacrifice nos dirigeants sont-ils devenus capables d'imposer aux populations pour justifier des vérités fabulées, pour maintenir des prétentions à la toute puissance, pour entretenir la croyance qu’ils sont aux manettes et que ces manettes commandent tout ?

Le dogme d'infaillibilité de la Science et de la Technique serait-il devenu assez puissant pour soumettre ses croyants les plus privilégiés aux crises de folie typiques des castes dominantes face à l'inconnu... face à l'avenir ?

Erreurs de sagesse

"Reconnaître ses erreurs est le début de la sagesse". Une image jaunie nous montre un vieillard faisant un geste de remontrance à un enfant. Dans l’instant, l’association de la promesse de sagesse à l’obligation d’une repentance passe par une humiliation. L’enfant recherchera-t-il la sagesse lorsqu’il sera grand ?

Mais à présent, il existe d’autres raisons, durables, de refuser la sagesse : dans un monde humain citadin qui change à toute allure, sur une planète qui intensifie ses manifestations d'inhospitalité à chaque saison, que sommes-nous pour prétendre à une destinée volontaire individuelle, que sommes-nous pour prétendre à une sagesse immuable de référence ?

Mais à présent, l'évidence brutale du monde fait qu'il ne sert plus à personne de reconnaître ses erreurs humaines, les erreurs dans les choix raisonnés comme celles inspirées par les passions, car depuis le moment des erreurs commises, presque tout a disparu ou changé, l'erreur d'hier appartient à une époque oubliée, définitivement hors de portée de toute réparation, sa reconnaissance ne relève plus que de l'acte mémoriel symbolique ou de la repentance maladive.

Alors, en discontinuité des mauvaises habitudes séculaires, la mobilisation de nos ressources d'arrogance, de bêtise, de fausseté pour nier nos erreurs devrait être considérée comme un exercice grotesque.

Dans notre monde actuel tel qu’il va, tout a changé définitivement et tout va changer encore plus définitivement.

Alors, en rupture de nos aspirations, la mobilisation de nos imaginations rêveuses d'un monde idéal, un monde de sagesse, ne peut plus nous créer qu'une distraction fugitive. L'illusion séculaire d'une marche perpétuelle vers le progrès a disparu, étouffée par la grande peur de la prochaine décennie, l’anticipation d’une terrible année prochaine. L'idée d'un futur maîtrisable est devenue une croyance inconfortable, sauf pour quelques personnes immensément fortunées, sauf pour les dirigeants figés dans d’anciens schémas mentaux. A horizon de vie humaine, ce qui est détruit maintenant ne reviendra plus jamais et certaines destructions en entraînent automatiquement d’autres. Un arbre sain abattu en ville est un arbre en moins, la rupture d'un contrat d'approvisionnement de ressources énergétiques rend ces dernières indisponibles pour toujours, la destruction d'une zone grise entre des espaces exploités et "la nature" fait de cette dernière la zone grise...

Donc, adieu la "sagesse" qui nous a conduits à la catastrophe ?

Ou bien, au contraire, y aurait-il une autre sagesse ?

Relisons le vieux dicton sans nous laisser influencer par sa banalité apparente, sans condescendance du haut de notre modernité, en acceptant son contenu critique par anticipation. Nos anciens savaient tout de la nature humaine.

Le "début de la sagesse" par la reconnaissance de nos erreurs, que les conséquences de ces erreurs paraissent à présent dérisoires ou au contraire irrémédiablement pesantes, ce serait un contre sens de le comprendre comme un atome d'expérience - "cela, je ne le ferai plus, je sais pourquoi, je sais comment faire la prochaine fois" - qui serait cumulable avec d'autres atomes d'expérience pour constituer un capital de sagesse. La sagesse par capitalisation est celle de nos machines, celle de nos élites programmées, celle de nos systèmes. Cette sagesse à prétention cumulative peut servir à canaliser une progression, en tant qu’intelligence d’une force vectorielle brute - qu'en reste-t-il quand le moteur du progrès fait défaut ?

La sagesse à la gonflette est condamnée à l'obsolescence faute d'énergie disponible, faute d'intégrer les imbrications des limites au progrès, et surtout faute de pertinence dans un monde qui fait plus que changer, un monde qui tremble et tangue de la cave au grenier dans toutes ses dimensions.

Fondamentalement, le début de notre sagesse selon le diction des anciens, serait donc tout simplement la conscience de notre humanité faillible. Et trompeuse d'elle même. On devrait donc considérer cette sagesse à l'ancienne comme une discipline mentale - une discipline ordinaire d'élévation de la conscience.

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Dans cette conception, la logique, le raisonnement, les valeurs, l'imagination... sont des instruments de cette discipline parmi d'autres, mis en oeuvre comme des artefacts ou respectés comme des contraintes provisoires. Cette sagesse-là pourrait définir un idéal de liberté de l'esprit, un idéal d'existence humaine. Nous savons par expérience, de par notre nature humaine, que la sagesse ne risque pas l'usure par abus d'usage. S'il existe certainement de nombreuses occasions pour un "début de la sagesse", ladite sagesse n'est pas un état qui se caractériserait par un signe ou une sensation, alors que la fin de la sagesse risque à tout moment de nous envahir corps et âme.

Donc finalement, la sagesse selon nos anciens serait une discipline personnelle d'usage au mieux ponctuel, sans garantie sur la valeur du résultat, encore moins sur la permanence dudit résultat, pour une prise de recul permettant de mobiliser "le meilleur de nous-même". Cette discipline est-elle une cousine ou une génitrice du doute scientifique ?

Individuellement, on peut vivre en société sans la moindre étincelle de sagesse, notamment comme prédateur, comme esclave, comme parasite, comme aliéné... ou tout simplement dans la répétition de tâches quotidiennes pesantes, par choix ou par fatalité. Et alors si chacun fait de même dans notre monde qui change, nos sociétés urbaines modernes vont-elles évoluer vers un modèle de société d'insectes ou vers la résurrection d’un modèle de société antique équipée de réseaux de télécommunications ?

Erreurs d'avenir

On commence à comprendre depuis quelques dizaines d'années, comment a évolué l'être humain dans sa préhistoire lointaine et quelles capacités spécifiquement humaines ont permis cette évolution étalée sur des millénaires, mais on peine encore à comprendre, malgré des indices convergents dans plusieurs régions géographiques sur l'évolution des techniques et l'écriture, comment se sont opérées les transitions vers diverses formes de sociétés historiques et quelles capacités humaines ont permis ces transitions lorsque les conditions d'environnement les autorisaient (ou pas, selon notre vision "moderne"). La variété des formes sociales "anciennes" semble toujours, au fil des découvertes, déborder des classifications établies a priori. Même le modèle de la horde préhistorique famélique guidée par un mâle alpha ne correspond plus aux découvertes des fouilles. On retourne étudier les dernières populations "sauvages", on revient écouter les descendants des populations victimes de génocides culturels, on organise des fouilles méticuleuses de sites du néolithique, on reprend des fouilles analytiques de villes anciennes, partout dans le monde... à chaque fois avec de nouvelles questions en retour, et de nouvelles réponses sur les modes de vie, l'alimentation, les animaux domestiques, l'outillage, les décors, la répartition des tâches, les jeux, l'éducation, le traitement des déchets, les routes du commerce, etc. L'anthropologie scientifique révèle l'immense variété des "leçons du passé", invite à la prise de recul préalable au "début de la sagesse", désormais bien plus directement que les disciplines traditionnelles des domaines littéraires ou scientifiques.

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Dans notre monde actuel tel qu'il va, nous sommes à l'écoute des "leçons du passé", car notre futur d'être humain biologique est redevenu soumis à des contraintes physiques presque entièrement prévisibles dans leur nature. Les contraintes brutes de la survie individuelle, plages de températures, besoins alimentaires... vont déterminer une partie croissante de nos activités personnelles et de nos rêves. Le futur des collectivités humaines sera physiquement chaotique, constamment sous l'emprise de crises de mise en compatibilité forcée avec des conditions ambiantes imposées, avec des cliquets de régressions.... sauf refondation "révolutionnaire" pour (enfin) développer les capacités adaptatives des sociétés, systématiquement, à tous les niveaux géographiques, à la mesure des conditions changeantes locales et des évolutions des inter dépendances.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devient évident que nos systèmes institutionnels sont inadaptés à une conduite raisonnée de transformations importantes de nos sociétés, même si nos grands esprits dominants n'étaient pas coincés dans un dogme d'infaillibilité qui les rend de fait indifférent à l'intérêt collectif, les empêche d’imaginer un processus de transition commençant par une libération capacitaire des types de projets à réaliser, les empêche d’imaginer la révolution tranquille par les nouvelles technologies pour la mobilisation et le développement des compétences individuelles. Dans ce monde actuel tel qu'il va, la prétention de supériorité est devenue risible, mais elle continue de tenir le haut du pavé et d’autoriser des actions souterraines meurtrières.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devrait être évident que le niveau nécessaire (suffisant ?) d'adaptabilité de nos sociétés requiert plus que l'acceptation d'objectifs d'intérêt commun, plus que la conformité à des normes de conduite, plus que des contributions à des projets de transformation. C’est une bien plus grande affaire : l'unanimité ou la régression, la cohérence ou le néant. Canaliser par la raison le poids des incertitudes est crucial, sinon le niveau d'angoisse s'exprime par des crises sociales paralysantes. Les objectifs des arts et artifices de la "communication" doivent changer : élever ou conserver un degré de rationalité face aux dangers, faire accepter les erreurs humaines, en rendre compte....

En première approche, le niveau maximum d'adaptabilité d'une société peut être atteint rapidement par deux modèles de régimes politiques.

Le premier modèle, historiquement peu pratiqué mais assez bien connu par ses dérives totalitaires, est celui de la dictature tyrannique dans son esprit originel : le tyran choisi pour une durée déterminée est l'équivalent d'un super chef de projet mercenaire, son succès dépend de sa capacité à constituer (purger régulièrement) des équipes compétentes, à faire respecter ses décisions, à faire évoluer éventuellement les objectifs définis initialement dans son contrat ou ce qui en tient lieu. L'expérience historique recommanderait ce type de modèle plutôt à l'intérieur d'une zone géographique assez homogène et relativement autonome, sinon il risque de perdre son efficacité dans les rigidités constitutives d'une répartition ordonnée hiérarchiquement des tâches et responsabilités. Si des écarts aux objectifs imposés dans l'intérêt commun apparaissent naturellement par les effets de spécificités locales jusqu'à l'apparition d'incompatibilités, le régime risque de se figer dans la négation de ses erreurs plutôt que de renégocier les flexibilités internes nécessaires. De toute façon, la difficulté majeure de ce type de régime est celle du passage d'un tyran au suivant, selon quels critères, pour quels nouveaux objectifs, sous quel pouvoir de contrôle, etc. Historiquement, même la succession d'un bon tyran ouvre une période de chaos, a minima une période de relaxation de la civilisation, une vulnérabilité insupportable dans un monde par ailleurs défavorablement changeant.

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Le deuxième modèle conduisant au maximum d’adaptabilité reste à réinventer comme produit naturel de l'idée démocratique originelle, celle des citoyens constituant directement l'État dans toutes ses composantes, celle de l'élection des grands agents des services fonctionnels - le tout étant instrumenté par les nouvelles technologies, notamment pour le partage et le développement systématique des expériences et des compétences. D'autres billets de ce blog y sont consacrés, car l'accession à ce modèle suppose l'équivalent d'un saut quantique dans les relations inter personnelles, en parallèle d'un abandon des croyances paresseuses dans l'amélioration illimitée des facultés des machines et des logiciels .... A l'heure actuelle, rien n'indique une évolution vers ce type de modèle, malgré l'évidence de son potentiel universel, notamment pour la dissolution organisée (harmonieuse?) des agglomérations géantes et des coûteuses illusions qui en entretiennent la croissance.

Pour le moment, la tendance générale des grandes nations serait une convergence vers un modèle hybride de dictature personnelle et de dictature de castes, au dessus d'institutions pseudo démocratiques de façade, avec un renforcement des usages des nouvelles technologies pour contrôler les populations et les distraire. Ce modèle hybride est par nature hostile à toute forme de contradiction, à toute forme de reconnaissance des erreurs. La pseudo modernité de ce modèle périmé repose sur l'hypothèse que les logiques intégrées dans les machines et les logiciels sont et seront de plus en plus supérieures à l'intelligence humaine. Tous ces caractères sont ceux d'un modèle de gestion dans la stabilité. Le travail et l'intelligence des machines remplacent le travail et l'intelligence – encore quelques années ?

Dans ce modèle hybride et dans le monde actuel tel qu'il va, nous ne pouvons même plus rêver aux erreurs que nous n'aurons pas l'occasion de faire. Car tous les pouvoirs institutionnels nationaux, toutes les chefferies déléguées, y sont soumis aux influences exercées par des groupes d'intérêts hors sol, contraires aux intérêts publics, contraires aux intérêts communs du quotidien comme du long terme. Les actions au grand jour des lobbies auprès des institutions ne sont que la face émergée d'organisations manipulatrices - une façade naïve néanmoins efficace. En amont des phases conclusives, les organisations manipulatrices développent des phases préparatoires d'aspect positif visant à acquérir des degrés de sympathie spontanée dans les castes au pouvoir et parmi leurs officiants – y compris quelques penseurs vedettes, dont la vie dans le siècle nécessite l’usage d’un vocabulaire à la mode et la pratique du commentaire futile décoré de citations phares. En parallèle, une préparation "grise" s'active à gêner, dissimuler, détruire tout ce qui pourrait contrer, ou même semer un doute sur les intentions, les objectifs des manipulateurs, partout et selon un dosage régulé dans le temps en fonction des résultats. Comme la préparation positive, la préparation du deuxième type est conçue pour déboucher sur une phase active : propagandes de dénigrement, trollages sur le web, essaims d'actions en justice, etc. Toutes ces opérations mobilisent des technologies de pointe en informatique et dans les médias. Elles mettent en oeuvre des armées de mercenaires, dont une masse de collaborateurs quasiment gratuits d'intellectuels de diverses disciplines scientifiques, juridiques, littéraires... formés en surnombre dans les universités, qui ont été refoulés dans les "nouveaux" métiers de service et de communication, où ils sont confinés dans un univers de concurrence artificielle d'autant plus féroce. La puissance de la propagande est multipliée par l'usage des technologies de pointe, par l'organisation méthodique sur longue période des phases préparatoires, par la disponibilité de mercenaires talentueux, pas seulement les exécuteurs et récitants sans solde des grands canaux médiatiques.

Les résultats de ces opérations d'influence sont à la hauteur de la mise, si on en juge par le poids des conséquences sur les populations et le degré d’immersion des esprits dans des futilités artificielles. En Occident, depuis en gros la fin des années 1990, plusieurs décisions grossièrement suicidaires (en regard de l'intérêt général, mais au bénéfice de groupes d'intérêts) furent prises aux plus hauts niveaux d'états ou de communautés d'états, décisions immédiatement catastrophiques, publiquement revendiquées dans l'ignorance de leurs effets définitifs, au point que cette ignorance entretenue justifie leur prolongation ou leur renforcement. En exagérant à peine, on distinguera, dans cette persévérance, la frénésie d'exclusion de l'erreur par nos instances dirigeantes, car il devient difficile d'attribuer cette maladie ridicule aux seules influences corruptrices.

Mais comment l'avalanche de certitudes immédiates, orchestrée par de grands manipulateurs et parfois si maladroitement répercutée par les organes officiels, pourrait-elle nous faire oublier l'incertitude de l'avenir (climat, pollution, épuisement des ressources, effondrement de la nature...), autrement dit la monstrueuse certitude de très graves problèmes à venir, difficiles à anticiper pour espérer les atténuer, peut-être même pas encore tous identifiés ? Cette question manifeste une incompréhension fatale des nouveaux phénomènes qui nous gouvernent : au contraire, pour les manipulateurs, toute Grande Peur est une opportunité. La Grande Peur crée une disposition mentale équivalente à l'effroi d'un puits sans fond - un gouffre avide d'avaler n'importe quoi, toujours plus, toujours plus vite ! La Grande Peur, exploitée par les manipulateurs, crée une mise sous hypnose collective - là où l'erreur n'existe pas.

En conséquence, la suggestion de sagesse délivrée aux populations se résume ainsi : tout va aussi bien que possible, nous avons la Vérité, et si malgré cela vous avez la rage, les thèmes sélectionnés vous permettront de l’exercer – nous attendons vos suggestions et nous comptons sur votre participation.

Sagesse collective contre pouvoirs parasitaires

Contre les grands manipulateurs sans frontière, les porte avions sont évidemment inutiles, mais aussi les cellules antiterroristes, les bataillons de cyber défense, les officines de scrutation du Net, les agences de sondage, et même les armées de citoyens soldats. Comme nos institutions, ces armes, ces armées, ces organes de veille, sont des produits d’une autre époque, incapables de détecter le danger à partir de sources d'informations diverses et dispersées, trop spécialisés pour anticiper les convergences manipulatoires possibles, trop limités en vision pour imaginer l'étendue des effets d'une manipulation dans la société civile. Les armes de la guerre classique sont proprement hors sujet contre les grandes opérations manipulatoires et les armes professionnelles comme celles de la cyber défense sont trop spécialisées. Pourtant, concernant certains processus de propagandes manipulatoires, le vocabulaire guerrier n'est pas usurpé, il s'agit bien d'attaques contre le bien public, même souvent contre l'esprit tout court. La nouveauté est que la détection, l'évaluation du danger, la résistance, la contre attaque, l'élimination de la menace ne peuvent pas être déléguées à des spécialistes, encore moins à des logiciels (concentrés sur leurs spécialités), et ne relèvent pas non plus d'une organisation guerrière massive créée pour l'occasion - trop tard dans le meilleur des cas.

C'est ici que le deuxième modèle de régime politique esquissé plus haut révèle une autre face de sa pertinence : il est idéalement le seul capable de l'équivalent d'une levée en masse permanente contre les offensives manipulatoires, de la détection du risque jusqu'à l'éradication, en passant par la publicité de chaque étape pour la mobilisation des compétences même les moins attendues. C'est aussi le seul à créer une sagesse collective comme instrument de puissance - sans ambition de pouvoir.

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Changement de civilisation ? Les grands mots ne pourraient ici que provoquer le découragement. Mais tout de même, en référence à certaines étapes de la préhistoire humaine telle qu'on peut les imaginer, il s'agit simplement de prendre en main des outils existants en vue d'utilisations nouvelles. Après les premiers essais, cela semblera donc simplement naturel....

D'autres billets de ce blog abordent divers aspects de cette évolution possible. Nul ne sait où apparaîtront les premières lumières de cette évolution ni quand, ni sous quelle forme. Il est certain que, concernant le maintien des populations en état d’abrutissement sous l’emprise de quelques dominants, concernant le sous-emploi des compétences humaines et l’étouffement du génie humain en dehors de compétitions prestigieuses et futiles, notre époque n’est pas pire que les précédentes dans l’Histoire (mais les découvertes récentes des longues périodes préhistoriques autorisent à imaginer d’autres politiques d’équilibre entre coopération et pouvoir). Il est devenu évident que la continuité dans la médiocrité historique rend insoutenables nos civilisations contemporaines face à l’hostilité croissante de l’environnement terrestre, face à l’extinction des ressources d’énergies faciles et des ressources en matières premières minérales.

Les civilisations sont mortelles, les multiples découvertes récentes de l’archéologie nous le confirment. On cherche encore comment on pourrait distinguer une progression (selon quels critères ?) des civilisations humaines – est-ce que, à chaque nouvelle civilisation, on devrait tout réinventer ? Un grand mystère recouvre la plupart des effondrements de civilisations anciennes disparues, en particulier celui de la diffusion ou de la récupération de leurs héritages - les époques historiques fournissent quelques exemples d’éradications systématiques de civilisations après pillage brutal (plusieurs civilisations amérindiennes, mais d’autres aussi), dont cependant quelques inventions survivent.

Ahum.jpg Le livre « D’où vient l’humanité » de N. Albessard, édité par Le Livre de Poche en 1969, en pleine période de floraison intellectuelle après une guerre mondiale, rend encore parfaitement compte des controverses sur les origines de l’espèce humaine, sur son évolution, sur sa définition (qu’est-ce qu’un être humain ?). On peut relire cet ouvrage pour bénéficier de son étendue encyclopédique abondamment illustrée; il est à peine périmé sur quelques détails. Mais l’esprit des années 1970 est mort, celui de la préface de Jacques Bergier comme celui de la quatrième de couverture, entièrement couvert par une citation de Teilhard de Chardin : « La Terre, et partant l’Humanité ne sont encore présentement qu’à l’aube de l’existence ». Aujourd’hui, nous redécouvrons que la Terre se moque totalement de l’Humanité et de l’existence selon les idées des humains. Nous sommes obligés de constater que l’Humanité a tellement gaspillé ses ressources vitales que la Terre durera certainement plus longtemps que l’Humanité ! Ou alors, comprenons que le rêve d’une évolution conjointe de l’Humanité et de la Terre aura des périodes de cauchemar.

Les humains de notre époque moderne vivent encore pour quelques mois dans l’illusion de l’énergie disponible sans limite, dans le luxe des machines esclaves, dans la dépendance de logiciels répartis dans des réseaux d’ordinateurs. Dans ces illusions et ces facilités, nous avons oublié les fondements physiques de nos civilisations, leurs raisons d’être. Il est devenu vital d’y revenir et de les repenser. Par exemple, pour chaque grande agglomération urbaine : quel est son principe fondateur, pourquoi la ville a-t-elle été créée à cet endroit, qu’est-ce qui a justifié son expansion (ou bien cette expansion n’est-t-elle que le résultat de causes subies et d’occasions historiques ?), qu’est-ce qui a permis sa durée en conformité ou en évolution du projet urbain initial en relation avec les espaces environnants (campagne, bourgs, forêts…) et maintenant quel peut-être son projet d’avenir « durable » ? Quelles compétences seraient nécessaires pour imaginer cet avenir, bien au-delà des opérations de maintien en l’état dans le sens des modes et propagandes en cours pour le bien-être et le prestige à court terme (candidature aux jeux olympiques, verdissement des espaces publics, équipement pour la sécurité, aménagement des voieries pour les vélos et trottinettes, etc.) ? Comment décliner une vision d’avenir en projets de moindre ampleur, pour des objectifs réalisables en quelques années, mais cohérents ? Quel mode de validation populaire en vue des réalisations (surtout s’il faut parvenir à une réduction de l’agglomération) ? Même à cette échelle urbaine, peut-être d’abord à cette échelle, toute les questions vitales se posent avec urgence. Et déjà à cette échelle, la fausse sagesse des savants discours apparaît définitivement mortelle.

Les pouvoirs parasitaires ne sont pas seulement ceux de « mauvaises gens » et d’égarés qui perdent les autres et détruisent tout, les pouvoirs parasitaires sont dans les abstractions, les valeurs, les principes dénaturés qui sont devenus de fait incompatibles de tout grand projet d’avenir au niveau d’une société humaine, condamnent toute tentative au renoncement devant des obstacles fabriqués, rendent la réalisation impossible à l’intérieur de cadres sociaux obsolètes et de règles historiques.

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D’autres pouvoirs potentiellement parasitaires alimentent nos rêves et orientent nos efforts d’imagination. Ce sont les imaginaires des grandes perspectives historiques, « les grands récits », dont les idéologies millénaristes des 19ème et 20ème siècle sont les créations modernes. La déclinaison pratique de ces idéologies se caractérise par un militantisme fondé sur un résumé des croyances, un comportement destiné à représenter des valeurs d’affichage, des activités spécifiquement destinées à préparer l’avenir, dans et contre la société ambiante, en variantes sectaires ou propagandistes. A l’évidence, pour la société qui les abrite, la différence entre une idéologie millénariste et une religion millénariste est inexistante – comme on a pu le constater en grandeur nature lorsqu’une idéologie a pris le pouvoir politique. Dans l’excès totalitaire à visée universelle, le Troisième Reich et l’Internationale communiste furent les héritiers de la France révolutionnaire. Le dernier grand récit en Occident, celui des trente glorieuses après la guerre 39-45, ne fut qu’une douce idéologie de convergence, une invitation enthousiaste dénuée d’ambition disciplinaire, à partir d’une foi dans la science et la technique comme moteurs d’un progrès social illimité, dans la confiance des capacités humaines à dépasser les obstacles et à sublimer éventuellement la nature humaine héritée de l’Histoire. En tant que grand récit commun, cette idéologie s’est diluée dans le bouillon du consumérisme de jouissance, un anti-grand récit par excellence. Une idéologie progressiste entièrement tournée vers l’avenir ne pouvait pas résister non plus à l’accumulation des réalités qui témoignent de la permanence de la « nature humaine » dans ses aspects les plus humbles et les excès les plus abjects, bien au-delà des faits divers locaux, dans l’actualité vécue par des peuples entiers à la suite de décisions prises par des institutions, en plongée dans la régression animale et la soumission à la folie meurtrière.

A présent, tout se passe comme si les « grands récits modernes » non religieux étaient tous éteints en tant que moteurs des peuples, éclatés en variantes de salon pour comploteurs d’élite.

Alors, pour concentrer l’énergie mentale nécessaire aux communautés d’actions face aux périls planétaires, faut-il raviver les grandes idéologies religieuses survivantes ? Les « leçons » de l’Histoire autorisent à craindre les conséquences de telles résurgences religieuses, sauf en tant que mythes d’enracinement collectif (et à condition que ces mythes soient pacificateurs), car les destins promis par les diverses religions traditionnelles sont tellement spécifiques que leurs traductions en projets pratiques ne peuvent que s’avérer conflictuelles pour des objectifs inconciliables – à moins de pouvoir « préfacer » chaque idéologie destinale d’un cycle de convergence transitoire, en transposition ad hoc d’une idéologie du genre des 30 glorieuses.

En réalité, peu importe tant que les ressorts de soumission des esprits par les dirigeants demeurent partout identiques (sous couvert de la Communication et du Protocole sous ses diverses formes) : menace et promesse, décorum et gratification, terreur et salut, émotion et punition... Ces dosages manipulatoires sont les techniques des pouvoirs parasitaires pour l'avilissement des esprits, en prévention de toute forme de sagesse collective. L’étiquette de toute puissance parasitaire, la trouver ridicule serait un début de la sagesse ?

mardi 22 décembre 2020

Rapport de campagne

Ce billet d'actualité est rédigé par un citadin d'une métropole de l'Ouest européen, dans l'espoir que notre "crise Covid" provoque la prise de conscience de nouvelles vulnérabilités de nos sociétés du fait des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications.

Et que s'ouvrent les projets en préparation de crises plus graves.

Une guerre dans la guerre

Dans mon petit pays d'Europe de l'Ouest, un vocabulaire guerrier fut employé au début de la reconnaissance de l'épidémie.

S’il s'agit bien d'une guerre, les victimes ne sont pas seulement les individus gravement atteints par le virus. Quelques fondations techniques et mentales de nos sociétés sont endommagées. Car nos sociétés modernes se sont montrées vulnérables aux manipulations de l'information portées par les nouvelles technologies des communications. La généralisation et l'accélération des mécanismes de propagation d'infox et de leurs processus génératifs ont produit, en quelques semaines, une infection massive de la pensée commune, une forme de régression maladive des esprits bien connue dans l'histoire humaine.

Une possible victoire technique à venir sur le virus ne devra rien à nos capacités d'intelligence collective sur Internet, et très peu aux capacités d'adaptation de nos organisations, privées comme étatiques. A la fin de l'année 2020, après plus de 6 mois de « guerre » à l'initiative des virus en assauts successifs, les directives de précaution préventive qui nous sont imposées seraient-elles différentes à l’hôpital dans la salle d'attente des urgences pendant une épidémie de peste ?

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Nos moyens modernes de communication et de partage à distance, nos chaînes d'informations continues, nos médias interactifs... nous aurions gagné à les remplacer, pour l'occasion, par le télégraphe-téléphone-fax des temps anciens, si nous avions voulu préserver la possibilité d'une construction réfléchie de tactiques différenciées contre l'épidémie. Au contraire, les communications à la vitesse de la lumière, les diffusions en canaux multiples à large bande, ont servi l'amplification des terreurs et de faux espoirs, ont entretenu l'absence de socle décisionnel, jusqu'à la tétanie de la raison des penseurs professionnels et des décideurs.

En parallèle, pour réduire les contacts entre les personnes, nos sociétés ont favorisé le développement du travail à distance par Internet. Au passage, cette modernité de façade a révélé sa pesante parenté avec le modèle historique de l'artisanat à domicile rémunéré à la tâche. Il suffisait pourtant de recueillir l'expérience de dizaines d'années de pratique du télétravail, en réalité d'externalisation d'activités et d'exploitation d'une sous-traitance esclave, par des groupes industriels exemplaires.

Et enfin, à l'expérience répétée d’épuisantes réunions à distance par Internet, peut-être on comprendra que l'absence de discipline adaptée de conduite des réunions, dans les cas où l'on veut s'accorder sur des décisions importantes, est bien plus handicapante que les limites techniques des débits et des surfaces d'écrans, bien plus pesante que les pannes de matériels ou leur mauvaise utilisation par les participants. Les limites techniques à distance rendent encore plus évidentes nos failles dans la reconnaissance et l'exploitation des compétences humaines, dans les méthodes de recherche de consensus. Ce n’est pas l’absence du contact physique qui est en soi la cause du défaut, mais le décalage entre une civilisation fondée sur des techniques « modernes » et des pratiques sociales historiques normalisant la soumission et la manipulation.

Après ces expériences, qui prétendra encore nous faire rêver à une coopération fraternelle entre les pays du monde grâce aux technologies de l'information et des télécommunications ?

Après ces expériences, qui osera encore nous vanter les bienfaits du travail à distance dans toutes les activités de "services", y compris celles que l'on force à se vendre comme tels ?

Après ces expériences, qui pourra encore rêver d'une "démocratie Internet" par la seule vertu des techniques informatiques ?

Nous disposons des technologies performantes des communications à la pointe du Progrès, mais la mise en relation des machines et des objets ne concerne pour le moment que nos cerveaux reptiliens et nos appétits primaires. Dans la guerre contre le virus, le caractère asocial de nos médias "modernes" les a révélés comme facteurs de régression sociale.

L'analogie militaire de notre actuelle stratégie anti-Covid traduit son obsolescence. C’est la stratégie du repli dans la ville fortifiée, avec au centre le donjon des puissants et de leurs serviteurs, hérissé de hauts parleurs prétentieux.

L'Histoire nous dit la lenteur et les douleurs des rebonds de conscience collective après de telles régressions. Nos sociétés n'ont plus la liberté du rythme de cette Histoire-là en vue d’une possible Renaissance. La puissance d’égarement et de destruction par la vivacité et l'ubiquité des vecteurs modernes de la trahison impose un changement de stratégie.

Une trahison high tech

Un processus de manipulation à grande échelle commence par l’inoculation d’un credo initial dans un noyau cible de population. Il progresse ensuite par un labeur d’imprégnation des esprits d’une population plus vaste agissant comme répétiteur, plus tard comme témoin d’appropriation des vérités inoculées. Enfin, la manipulation réussit par les éclats de sa puissance révélée dans le monde physique réel.

Dans cette description brute d’un processus, le parallélisme technique est total entre la propagation d’une vérité scientifique et, par exemple, celui d’une conspiration criminelle. Ce qui distingue l’esprit scientifique, ce sont deux exigences à surmonter avant qu’une affirmation soit prise collectivement comme une vérité : l’exigence d’une filiation prouvable à partir de vérités reconnues et l’exigence du doute de la preuve. La démarche scientifique se caractérise donc par une restriction du champ des vérités possibles à celles qui sont prouvables et par la lenteur du processus d’accréditation du fait d’une relative lourdeur dans l’acquisition des convictions par des esprits réfléchis, d’autant plus lorsqu’une vérité nouvelle exige l’abandon de convictions antérieures ou la redéfinition de leur champ de validité.

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Avec les nouvelles technologies, tout est à reconsidérer car les étapes de propagation ci-dessus décrites sont obsolètes. Une manipulation portée par les vecteurs high tech exécute les étapes de sa propagation en quasi simultanéité, en parallèle via plusieurs canaux de diffusion et d’échanges. Les canaux « interactifs », notamment via les sondages d’opinion en temps réel au profit d’organismes manipulateurs, sont le bouillon de culture des processus d'auto régénération et d’agglutination d’éléments constamment adaptés à l’élargissement et l’entretien de l’infection des populations ciblées. Très vite, on obtient un effet de tétanie de la raison commune, soumise à des influences saturantes à haute fréquence. Alors, la raison « scientifique », au travers des canaux high tech, devient une discipline spirituelle de résistance, un héroïsme de l’ombre - même ses procédures d’accréditation des vérités peuvent être infectées !

Dans un tel univers mental noyé dans un poison high tech, en régression vers les origines des sociétés humaines, le réel n'existe plus ni comme sujet d'étude ni comme hypothèse. Le futur est contenu dans la terreur de l’instant présent, seule la magie ou un miracle représentent l’espoir (de quoi ?).

Résumons comment, dans notre « crise Covid », les croyances magiques se sont avérées parfaitement compatibles avec la société « moderne », y compris parmi nos « grands dirigeants », y compris parmi nos « autorités scientifiques ».

Dès les premières semaines d’apparition officielle de l’épidémie, nous (le grand public) avons été soumis sans modération à diverses influences brutes, de la publicité mensongère à la désinformation, au travers de plusieurs canaux, par les opérations de mercenaires disposant de ressources considérables fournies par des groupes industriels. Leurs obligés, jusqu'aux plus hauts niveaux des institutions, se sont précipités pour accréditer publiquement les messages d'influence, d'autant plus activement lorsque ces messages contribuaient à excuser leur incurie ou leur incompétence. A la suite, les messages ont été synthétisés en vidéos et graphiques de terreur débilitante, en parallèle d'affirmations de croyance au Salut par La Recherche Scientifique, répétés et commentés à haute fréquence, au point de représenter la normalité, au point de bloquer toute possibilité de prise de recul dans les processus de décision de nos dirigeants, les plus honnêtes comme les plus corrompus, abandonnant des espaces à la jouissance de dominateurs pathologiques.

Encore à ce jour de fin décembre 2020, nulle part (sauf exceptions), la crise ne semble affrontée par les armes de la raison collective et de l'expérimentation construite, comme si des siècles d'élaboration des sciences et des techniques étaient subitement oubliés, comme si des siècles d'expérimentation des organisations se résumaient aux diverses formes brutes du pouvoir et aux arguments d’autorité fondés sur la terreur et la culpabilisation. Partout (sauf exceptions), les décisions gouvernementales mimétiques prétendent se justifier par des séries de données chiffrées recueillies sans définition précise des mesures, sans investissement dans la recherche d'indicateurs d'anticipation, sans évaluation d’efficacité des actes réalisés par les divers acteurs de la santé publique, dans la frénésie des vaticinations de néo devins équipés de pseudo modèles à base de paramètres non observables - autrement dit des boîtes noires qui auraient été dénoncées en temps normal comme des tromperies obscènes. Seuls les intérêts particuliers de quelques soutiens isolés proches du pouvoir peuvent amener à la modération des directives, à défaut de sagesse.

Quels niveaux de décomposition de nos sociétés aurions-nous vécus si une épidémie de plus grande ampleur avait tué sur place partout chaque semestre 5 pourcents des populations, implacablement au hasard des contaminations ?

A quels niveaux d’inconfort ou de déchéance physique personnelle serions-nous tombés sans nos machines - esclaves durant les périodes confinées de cette "crise Covid" - les fidèles machines qui nous assurent les services élémentaires de nos vies ordinaires, eau, gaz, électricité, boutons ou claviers de commandes pour le reste ?

Quel degré d’uniformité dans l’abrutissement général aurions-nous atteint sans l’acharnement de quelques professionnels à trouver et publier des traitements immédiatement efficaces pour réduire la gravité de la maladie, à promouvoir des mesures de la propagation des virus dans l’environnement afin de prévoir le sens des évolutions du nombre de malades, malgré les multiples formes d’agression par des propagandistes d’une rigueur « scientifique » de laboratoire hors sol ?

A ce jour de fin d’année 2020, les rabâcheurs de croyances miraculeuses et de directives terrorisantes se rendent-ils compte de la profondeur de niaiserie qu’ils imposent à leur public lorsqu’ils présentent « le » vaccin comme un miracle de la Science, comme un substitut de potion magique ou de sacrement, selon le degré de solennité invoquée ? L’enthousiasme dispenserait-il à présent nos autorités de publier enfin des informations correctes, après la période qui a réduit l’information courante du public à quelques pauvres séries de données, laissant se développer les interprétations hystériques ?

Résumons nos faiblesses spécifiques face à la trahison high tech :

  • la vulnérabilité grossière de nos sociétés (y compris les processus de recherche des vérités scientifiques) aux influences régressives transportées par les réseaux de communication et de diffusion,
  • l’absence de discipline adaptée à la prise de décision collective, à l’exploitation des retours d’expérience et des compétences,
  • le défaut de reconnaissance et de culture de l’esprit scientifique comme élément de garantie du bien commun dans la vie quotidienne de nos sociétés, a minima comme discipline d’abnégation personnelle, de préservation de la raison et de l’imagination de sang froid, et l'organisation d'une collaboration compétitive

Autrement dit : la croissance du décalage entre notre modernité technique et l’antiquité de nos pratiques sociales augmente le risque d’effondrement de nos sociétés à la suite d’un déséquilibre. C’était déjà évident pendant la « Révolution industrielle », c’est encore plus évident avec la « Révolution numérique ». Les nouvelles frontières de l’humanité ne sont plus dans les rêves et les ailleurs, elles sont à l’intérieur de notre humanité telle qu’elle est.

Pour une nouvelle stratégie

La stratégie du repli en forteresse ne peut être victorieuse que par l’abandon de l’agresseur, par exemple s’il est attaqué par une armée de secours ou pour une autre cause d’affaiblissement de ses troupes. Sans l’espoir d’une intervention favorable par un facteur externe, l’efficacité de la stratégie de la forteresse ne peut être que temporaire. Un assiégeant malin trouvera une faille ou se la créera. Par ailleurs, la forteresse est soumise aux dangers d’effondrement interne, par les effets de l’ennui et de la disette mentale et physique, par exemple par implosion de la population en casemates réparties selon divers critères d’affinité ou projets de substitution.

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Pour le moment, dans la « crise Covid » à l’échelle de mon petit pays, l’impression s’impose de la répétition d’une défaite historique, celle de 39-40, puis d’un sauvetage éventuel par des interventions extérieures. La similarité des causes du désastre initial est frappante, dont la présomption de supériorité derrière une fortification infranchissable, l’incapacité à coordonner les unités, l’infatuation théorique de dirigeants. En face, la force envahissante reposait sur une détermination mentale absolue, une organisation logistique planifiée pour le mouvement, la mise en compétition entre unités mobiles en éclaireurs puis en pénétration.

Quels auraient été les équivalents d’une stratégie victorieuse ? De toute façon, la condition principale de sa mise en œuvre a manqué et manque encore : l’acceptation de la guerre et la détermination mentale à vaincre. Tout à l’opposé, depuis le début de notre « guerre », nos mots d’ordre officiels sont « sauver les vies » et « quoi qu’il en coûte » ! L’analogie historique nous suggère que les victimes de cette nouvelle drôle de guerre seront nos valeurs communes, déjà autrement bien atteintes, avec autant de morts et de mutilés que si nous avions vraiment fait la guerre. Combien de temps pourrons-nous encore nourrir nos rêves de bonheur universel sans douleur, dissimuler l'absence de finalité partagée dans la société, l'absence d'obligation de citoyenneté active, pour la prolongation sous hypnose de nos activités économiques et la succession de projets baudruches ?

Combien de temps notre société se donnera-t-elle le luxe de former nos « élites » aux théories à la mode, aux algorithmes et mimiques pour automates précieux, en laissant dans le décor l’esprit scientifique, ses disciplines d’abnégation et d’imagination sous contrôle, ses tâtonnements dans la recherche des vérités ? La pauvreté de la culture scientifique en comparaison de la culture brillante nous cantonne dans la mentalité de cigales qui auraient mis leur poésie au service de leur voracité. Notre époque moderne est trompeuse : la quasi certitude du quotidien n’autorise pas à négliger les incertitudes du futur proche, pourtant déjà bien apparentes, d’autant que personne ne peut prétendre maîtriser l’évolution des processus nécessaires à la vie humaine sur Terre.

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Concernant la guerre contre les attaques par infection mentale massive propagées par les canaux des nouvelles technologies, nos forteresses législatives et juridiques, nos forteresses de pratiques démocratiques, sont encore plus illusoires que des forteresses physiques. Dans la phase généralisante de telles attaques, "ouvrir le débat" sur des chaînes d’information sans volonté de démasquer les intérêts dans les points de vue exprimés, sans discipline éthique de vérité pour relever les affirmations sans preuve, les incohérences logiques, les généralisations abusives, les allusions ultra amplificatrices, c'est comme de forcer l’ouverture des portes de nos maisons à des malfaiteurs ! Et, dans le cadre de nos "états de droit", d’hypothétiques actions juridiques ou administratives ne pourraient traiter qu'a posteriori les effets constatés (par qui ?) d'atteinte aux institutions, au droit ou aux personnes, en admettant que l'on puisse traduire en justice (de quel pays ?) les assaillants et leurs commanditaires. Même nos professionnels les plus déterminés sont dépassés par avance : les révélations de scandales, des années après les faits, par des journalistes d'investigation, peuvent initier quelques procès, mais rien pour la neutralisation d’attaques propagées à la vitesse des réseaux et des ordinateurs !

Insistons : c'est le vocabulaire guerrier qui convient. Les attaques d’intoxication massive via les réseaux de diffusion et de communication sont à considérer comme des formes modernes d'agressions armées contre la société civile, dans le but d'égarer nos capacités mentales pour nous réduire à des pensées réflexes conditionnées.

A priori et sous réserve de recueils d’expérience, la menace d’une attaque d’intoxication massive pourrait s’évaluer selon :

  • le potentiel d’infox (accroche sensationnelle, affirmations en simple répercussion ou citation, annexes d’ »accréditation » purement formelles, généralisations abusives, citations hors contexte, tronquées ou déformées, etc.)
  • le niveau de simultanéité et de similitude d’apparition d’infox similaires potentielles dans les canaux de diffusion et d’échanges, le niveau de possibilité d’un plan organisé
  • le noyau initial de population cible (explicitement visée ou non, du fait de la nature et du contenu des infox), le niveau d’ »autorité morale » de cette population cible sur la population générale, la capacité de cette cible à servir de relais des infox
  • la perméabilité de la population cible aux nouveaux messages ou informations d’intoxication
  • la population potentiellement atteinte par généralisation de l’attaque
  • l’effet potentiel sur cette population, sur sa capacité à réfléchir, à se prendre en charge
  • l’effet potentiel, direct ou par rebond, sur les fonctions vitales de la société, sur des actions en cours d’intérêt général, sur des projets d’intérêt général

NB. Une intoxication peut se développer à partir d’une information vraie – mais pas seulement. Durant les deux « crises Covid », il était superflu d’observer les réseaux sociaux pour détecter les infox en cours. Il suffisait d’un regard sur les titres des articles de journaux sur le Web, sur les titres des chaînes d’information en continu, et par contraste, sur les bandeaux « à charge » censés résumer en temps réel les idées à retenir pendant les quelques interviews de personnalités scientifiques de caractère. La confusion entretenue par certains « journalistes », encore 10 mois après le début de l’épidémie, entre les « cas » positifs à un test, les malades, les personnes contaminantes, est une forme d’infox en prélude et résonance d’autres infox.

Face à de telles attaques, en connexion aux réseaux de communication dont nous croyons être les maîtres, nous ne sommes plus seulement des cibles de propagandes, nous devenons des sujets, puis des victimes inconscientes ou passivées.

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Contre des agressions organisées à visée débilitante de la population, on ne devrait pas attendre qu'elles atteignent un niveau d’intensité saturante sur plusieurs canaux. Si la seule réaction possible est la coupure des réseaux après détection d’une menace grave par un organe institutionnel ou une « autorité » quelconque, on ne fait qu’appliquer dans l’univers virtuel la stratégie de la forteresse.

Au contraire, une stratégie guerrière devrait s’appuyer sur une veille permanente réalisée par des groupes de personnes ordinaires sélectionnées au hasard pour une durée définie, afin d’assurer une variété des expériences de la vie que l’on mettrait à contribution et afin d’éviter les cloisonnements et dérives des collectifs professionnels ou institutionnels – en application directe d’une stratégie d’unités mobiles capables d’explorations multidimensionnelles en profondeur. Les structures de veille échangeraient leurs observations et diffuseraient leurs alertes sur des sites ad hoc - pour enquête approfondie, exploitation, rediffusion par les canaux les plus appropriés… L’outillage informatique de ces structures est entièrement à construire…

D’autres types de contre-mesures sont imaginables, nous suggérons ici un choix conforme aux traditions démocratiques.

lundi 14 mars 2016

Des servitudes de la décision

Encore un bouquin à lire

Le livre de Daniel Kahneman, Système 1 Système 2, les deux systèmes de la pensée, Flammarion 2012, est assez riche pour être lu de diverses manières, assez vrai pour ne pas inspirer qu'optimisme et sympathie, assez intelligent pour ouvrir l'esprit de chacun à la conscience de ses propres limites sans en perdre la raison.

DKahn.jpg C'est un ouvrage de psycho sociologie, bien qu'on le trouve en vente souvent dans les rayons "économie", car son auteur fait partie des récents "prix Nobel" d'économie. Mais non, le titre n'est pas une trahison.

L'ouvrage comprend cinq parties :
- deux systèmes de pensée
- les grands biais cognitifs
- l'excès de confiance en soi
- faire le bon choix
- les deux facettes du moi

Intéressant, non ? Cependant, on reconnaît là le type de découpage attractif des bouquins promoteurs de régimes alimentaires miraculeux ou d'un développement des pouvoirs mentaux, voire d'une nouvelle religion. La crainte d'une possible méprise est renforcée par la présence de commentaires à la fin de chaque chapitre, qui reformulent le contenu du chapitre en langage courant.

Dans ces cas-là, un bon moyen de décider de lire ou non le bouquin, c'est de se précipiter sur la conclusion. Celle du livre de Kahneman calme les inquiétudes. Elle est bien écrite, synthétique et plusieurs paragraphes de son contenu méritent d'être médités, en particulier ces quelques phrases à la fin :
"Il y a beaucoup à faire pour améliorer la prise de décision. L'absence remarquable de formation systématique à cette compétence essentielle qui consiste à savoir gérer des réunions efficaces en est un exemple parmi tant d'autres."
"Les décideurs feront de meilleurs choix... quand ils s'attendront à ce que leurs décisions soient jugées en fonction de la façon dont elles ont été prises, non en fonction de leurs conséquences."

On peut avoir des réserves sur le vocabulaire employé et les formulations alambiquées, on doit cependant discerner une allusion claire à plusieurs maux de nos démocraties.

Manipulations passagères, soumissions légères

Le sujet de l'ouvrage de Kahneman est difficile à traiter puisqu'il s'agit de notre fonctionnement mental, plus précisément de ses défaillances en régime normal dans le domaine de la prise de décision. On ne doit donc pas s'attendre à une lecture facile et apaisante. La lecture de ce bouquin d'environ 500 pages peut lasser pour une autre raison : la forme d'exposition. En effet, presque tous les chapitres sont centrés sur la relation d'une ou plusieurs expérimentations de paris plutôt stupides en apparence, puis sur l'analyse des erreurs commises par les participants cobayes. Est-ce pour épargner le lecteur qu'aucun détail n'est fourni qui permettrait d'apprécier la pertinence de ces expérimentations et la validité des résultats ? Notamment, rien n'est dit pour exclure la possibilité d'une influence de l'expérimentateur sur les participants (ne serait-ce qu'au travers de la présentation du jeu aux participants), ou la possibilité d'influences réciproques entre les participants. On a l'impression d'expérimentations isolées, alors on peut craindre que s'en dégage une théorie du genre Terre plate... D'autre part, les allusions aux épisodes de la vie professionnelle et personnelle de l'auteur n'attireront pas la sympathie universelle par leur contenu ni par la manière. Alors, on se surprend à lire avec plaisir la courte reformulation de la substance du contenu, dans le style de la conversation urbaine, à la fin de chaque chapitre.

Sur le fond, l'ouvrage n'aborde pas ou vraiment trop peu plusieurs questions importantes, dont certaines sont pourtant évoquées dans la conclusion (en questions ouvertes) telles que :
- comment élaborer une réponse collective concertée plutôt qu'individuelle aux problèmes de décision (le chapitre 24 est le seul à mentionner un exemple de débat collectif, en heureuse contradiction avec la dernière phrase du chapitre 30 constatant notre manque individuel de ressource mentale face aux événements rares) ?
- comment construisons-nous notre capital personnel d'expérience de la vie, selon quelle répartition (?) entre le système 1, le système de l'intuition, et le système 2, le système du raisonnement, avec quelle capacité d'évolution avec l'âge (le chapitre 22 est le seul à traiter de l'expertise construite en contraste avec la fausse expertise) ?
- peut-on identifier les facteurs d'amélioration de la ressource mentale individuelle en vue de la pertinence des décisions, notamment à la suite d'expérimentations révélant les défauts naturels, en vue d'une forme d'éducation personnelle de la relation entre système 1 et système 2 ?
- comment prendre en compte les influences exercées par les interactions entre participants sur leurs décisions individuelles (observez des joueurs de Monopoly, certains gagnent presque toujours malgré les facéties du hasard) ?
- quelle peut être l'influence d'une culture occidentale (?) commune implicite des décideurs (ou inversement, l'effet de l'absence d'une culture commune de référence dans un milieu multi culturel) sur l'interprétation de la décision à prendre, sur la teneur de la décision prise, sa précision, son délai et sa méthode d'élaboration ?
- peut-on assimiler le système 1 intuitif à une réserve d'automatismes d'usage instantané, avec un pouvoir d''asservissement partiel du système 2 (par exemple par sélection / obstruction du contexte), pour constituer au total une mécanique d’auto-manipulation partiellement reprogrammable (à quelle dose, comment ) ?

En résumé positif, l'ouvrage de Kahneman abonde en exemples d'erreurs de nos jugements individuels spontanés ou réfléchis, et démontre leur caractère inévitable, par nature et par construction.

Rien que pour ce rappel à l'humilité de notre condition humaine : merci !

Mais il est dommage que ce livre n'ait pas été écrit à la fin du 19ème siècle, car alors peut-être nos sciences humaines n'auraient pas un siècle de retard sur notre époque. Peut-être même que les manipulateurs d'opinion seraient poursuivis comme des malfaiteurs.

Tourments et logiques volatiles

A titre de curiosité, l'ouvrage de Kahneman peut être lu comme un manuel du tortionnaire. Commencez par le chapitre 35, celui des expérimentations sur la manière d'infliger dans le temps des douleurs dont les victimes conservent un souvenir insupportable. Ne manquez pas l'intermède romantique au chapitre 36, avec l'écoute du délectable duo d'opéra jusqu'au dernier soupir de la Traviata. Maintenant, dans cet esprit, regardez attentivement et assimilez le diagramme du "Fourfold Pattern" à l'intérieur du chapitre 29 (figure 13), il vous permettra d'anticiper les réactions de vos victimes, de fabriquer les conditions de leur choix entre un pari très risqué et l'acceptation d'un contrat défavorable pour eux. A présent, vous pouvez prendre les chapitres du livre à peu près dans l'ordre depuis le début, pour imaginer comment vous allez pouvoir humilier, abaisser, corrompre, détruire mentalement les gens soumis à votre volonté !

Il y a plus inquiétant. L'ignorance des bases de la statistique mathématique semble assez commune dans les sciences humaines à l'époque des activités professionnelles de l'auteur. Ceci n'implique pas l'incompétence, car les méthodes statistiques semblent mises en oeuvre correctement (autant que l'on puisse en juger) mais l'ignorance des bases mathématiques entraîne un manque de profondeur dans l'interprétation des résultats chiffrés, avec pour conséquence une multiplication d'expérimentations inutiles et l'invention de concepts superflus.

Par exemple, au chapitre 16, on nous présente un problème du taxi bleu de manière telle que le jugement biaisé des participants cobayes nous paraît plus naturel que la prétendue bonne réponse, dont l'explication mathématique fournie en note du chapitre est plus que contestable.

De quoi s'agit-il ? Une personne a été témoin d'un accident corporel sur un piéton, provoqué par un taxi qui a pris la fuite. Le témoin affirme que c'était un taxi bieu. A l'heure et au lieu de l'accident, dans une ruelle traversière entre deux avenues fourmillant de taxis, on sait pourtant qu'il y avait dans le secteur seulement 15% de taxis bleus contre 85% de taxis verts - la ville n'ayant que deux compagnies de taxis. En répétant des expériences systématiques dans des conditions similaires à celles de l'accident, on découvre que le jugement du témoin pour distinguer une couleur bleue d'une couleur verte de taxi n'est fiable qu'à 80%. Après cette introduction, si on vous pose la question "à combien estimez-vous la probabilité que le taxi de l'accident était vraiment bleu ?", vous allez vous méfier, et vous n'allez pas répondre spontanément "80%" comme la majorité des participants cobayes de l'expérience de Kahneman, n''est-ce pas ? Vous aurez bien raison.

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Notons B pour "le vrai taxi de l'accident était bleu". Notons V pour "le vrai taxi de l'accident était vert". Par commodité, notons b pour "le témoin a dit bleu". On peut évaluer rétrospectivement la probabilité de la déclaration du témoin, que nous notons "P(b)", en raisonnant comme si la présence d'un taxi d'une couleur verte ou bleue puis le choix de la couleur par le témoin étaient les résultats de 2 tirages aléatoires successifs de type "tirage au hasard d'une boule dans un lot de boules de couleurs réparties à proportion des probabilités théoriques". Dans cette convention, P(b) = P(le taxi était bleu et le témoin ne s'est pas trompé) + P(le taxi était vert mais le témoin s'est trompé en le voyant bleu) = 0,15x0,80 + 0,85x0,20 = 0,12+0,17 = 0,29. Alors, on peut évaluer ce que nous cherchons, la probabilité relative que le taxi était vraiment bleu par P(B/b) = 0,12/0,29 = 0,41. On remarquera que la probabilité relative que le vrai taxi était vert malgré la déclaration du témoin P(V/b) = 0,17/0,29 = 0,59 est plus élevée. A présent, si on met en doute l'évaluation de la fiabilité du témoin en la réduisant à 70 %, la probabilité P(B/b) tombe à 0,29. Au contraire, si on réévalue la fiabilité du témoin à 90%, P(B/b) ne monte qu'à 0,64, encore loin d'une certitude, tandis que P(b)=0,22 c'est-à-dire qu'un témoin plus fiable a moins de chances de choisir l'hypothèse de plus faible probabilité, en moyenne dans une série infinie d'expériences, ce qui est évident statistiquement... Bref, l'estimation de P(B/b) dépend fortement de l'évaluation de la fiabilité du témoin, mais laisse de toute façon une large place au doute. Raisonnablement, une réponse correcte à la question posée sur la probabilité du taxi bleu serait donc : "autour de 50%".

En langage littéraire. Un niveau ressenti de sincérité du témoin ne doit pas être assimilé à un niveau de justesse de ses affirmations - et pour passer de cette justesse à la vérité, c'est encore autre chose, surtout quand on ne dispose pas d'une évaluation "scientifique" factuelle de la fiabilité d'un témoin. Beaucoup de menteurs sont sincères et propagent leurs erreurs en toute honnêteté. Certains le font avec talent, ardeur et persévérance. Chaque fois que c'est possible, on doit soumettre les témoignages à l'épreuve d'une modélisation mathématique simplifiée de la réalité, pour faire varier les paramètres et constater leur influence sur la force de la conviction - au risque de perdre la nôtre.

A la fin de l'ouvrage de Kahneman, c'est seulement "la" bonne réponse à 41% qui est justifiée en note 1 du chapitre 16, de plus en passant par un calcul bayésien hautement impénétrable. Concernant cette méthode de calcul, le statisticien William Feller cité par ailleurs au chapitre 10 du livre de Kahneman, expédie la Bayes's Rule aux oubliettes dans un paragraphe de son ouvrage An Introduction to Probability Theory and its Applications, Wiley International Edition, 1968 (page 124 de la 3ème édition). Concernant l'exemple du taxi bleu, il est fallacieux de laisser croire qu'il existe "une" bonne réponse. Ce qui est vrai, c'est que l'on obtient rapidement une estimation de P(B/b) en se fondant sur une modélisation probabiliste simplifiée; mais, même dans ce cadre simpliste d'interprétation de la réalité, on constate que l'estimation est très sensible à l'incertitude sur la fiabilité du témoin, et que même dans l'hypothèse d'une fiabilité élevée de ce témoin, on demeure dans l'indécision. Encore une fois, une réponse raisonnable serait "autour de 50%". Cette réponse argumentée est d'ailleurs en accord avec l'intuition brute en face des données du problème tel qu'il a été posé. La vraie "bonne" conclusion, c'est qu'il y a doute. C'est bien ce que Kahneman nous dit finalement.

Gaumef.jpg Le lecteur critique de l'ouvrage de Kahneman pourra y découvrir d'autres pièges du jugement que ceux proposés par l'auteur, par exemple en faisant un parallèle avec l'un des nombreux ouvrages dénonçant les interprétations abusives des raisonnements probabilistes et les artifices de présentation d'études statistiques. Par exemple, Statistiques méfiez-vous ! de Nicolas Gauvrit, Ellipses 2007.

En regard des enseignements du livre de Kahneman sur les faiblesses innées de nos facultés de jugement, en regard de la quasi permanence des menaces de tromperie qui pèsent sur nous par notre soumission prolongée à divers types d'annonces insidieuses ou mal conçues dans les médias, particulièrement sur Internet, il semble urgent de fournir une éducation universelle aux bases de la statistique et de la logique dès les classes primaires. Certes, il faudra 30 ans pour en voir le résultat, pas forcément bon, c'est long. Et il n'est pas du tout certain que l'universalité d'une nouvelle capacité individuelle puisse améliorer les décisions des organisations qui dirigent notre monde. Cependant, cet effort d'éducation est certainement nécessaire, même s'il n'est pas suffisant, dans la perspective de nouveaux processus participatifs de débat démocratique et de prise de décision. Personne ne devrait plus considérer le raisonnement probabiliste comme une technique chargée de mystère, comme actuellement associée aux plus immoraux jeux de hasard et aux manipulations des sondages. On pourra enfin réintroduire le tirage au sort parmi les techniques ordinaires de sélection dans une population pour des objectifs plus concrets que la récolte des opinions.

Comment le pire pourrait être évité

Comment surmonter nos défauts naturels dans la prise de décision individuelle ?

Comment adapter et prolonger les conclusions du livre de Kahneman aux conditions nouvelles créées par la révolution numérique ?

La révolution numérique nous soumet individuellement à des avalanches d'informations, partout, tout le temps, dans tous les médias désormais alimentés par des canaux informatiques. Dans ces conditions, nous sommes particulièrement vulnérables à toute nouvelle sorte de tromperie ainsi véhiculée. Mais, sous les avalanches informatiques, comment faire pour prendre le recul nécessaire ? Renoncer à résister, laisser couler, se préserver par l'indifférence ? Comment se préparer dans un tel contexte à l'éventualité d'un choix dans l'urgence ? Par le refuge derrière un rempart doctrinaire ? Par le soutien aux actions d'épuration de l'avalanche ? Par l'entretien d'une faculté personnelle d'analyse rapide ? Par la formation de notre système 1 d'intuition réflexe à une discipline de méfiance, insensible aux effets de saturation ?

Le logiciel peut-il nous apporter une solution, au moins pour filtrer l'avalanche des informations ? Autrement dit, pouvons-nous constituer un rempart à nos machines par d'autres machines ? On peut en douter car toutes les machines sont nos machines, nous leur avons transmis nos défauts, au moins partiellement mais significativement, de sorte que nos machines fonctionnent implicitement selon nos représentations et nos tendances naturelles. Tout rempart machinal sera donc par construction fait pour être franchi. On ne peut même pas affirmer qu'un logiciel sera par nature insensible aux effets d'influence qui faussent le jugement humain, encore moins à tous les effets d'influences combinées imaginables. Le logiciel n'a pas d'imagination. Tenez-vous au courant des actualités du monde informatique dans le domaine de la lutte perpétuelle contre les spams, les virus, les intrusions des hackers, etc.; observez l'infiltration des messages publicitaires personnalisés parmi vos courriers électroniques, sur les pages Web que vous regardez; vous constaterez que votre logiciel protecteur ne peut être que l'équivalent d'un esclave hyper rapide, infatigable, utile (à condition de savoir l'employer), mais idiot et certainement chaque jour de moins en moins efficace. L'intelligence artificielle n'est qu'un terme désignant un type de logiciel spécialisé. Même quand l'ordinateur bat les meilleurs maîtres d'échec et de go, ce n'est que du logiciel, de la mécanique humainement conçue pour ou contre des humains. Les jeux vidéos, les musiques aléatoires répétitives... apportent les témoignages accessibles à tous de cette "intelligence" artificielle, il n'y a vraiment pas de quoi gamberger là-dessus.

Puisque chacun de nous, pour échapper aux pièges du jugement et prendre les bonnes décisions, ne peut compter ni sur lui-même individuellement, ni sur des machines, cherchons ailleurs !

Observons nos maîtres en décision. La discipline de nos dirigeants, malins ou bornés, c'est de ne pas décider sur le long terme, ou alors d'user pour cela de stratagèmes et de camouflages. C'est une pratique qui présente l'avantage pour eux de ne pas verrouiller l'avenir, qu'ils anticipent par continuité du présent, notamment en leur permettant de postuler indéfiniment à des postes prestigieux et rémunérateurs. On peut les comprendre sur un autre plan : il est d'usage de mettre en accusation d'incompétence un dirigeant qui aura du prendre le risque d'une décision dont les conséquences s'avèrent catastrophiques (voir la fin de la conclusion du livre de Kahneman). Cette culpabilisation stérilisante est centrale dans notre réalité du "pouvoir", nous en recevons la preuve dans les journaux presque chaque jour.

Alors, vite la Révolution ? L’ouvrage de Kahneman nous enlève toute illusion. A égalité de contexte, personne, même saine d'esprit, ne saura prendre de meilleures décisions que n'importe lequel de nos dirigeants malins actuels. Les leçons de l'Histoire nous disent le reste : Il y a d'autres raisons de faire une révolution que l'espoir d'améliorer la pertinence décisionnelle des dirigeants...

Cependant, nous savons qu'un processus de décision collective peut permettre de dépasser les défauts innés du jugement individuel, même si, en conséquence de nos héritages d'humanisation tardive, nous ne savons pas bien comment faire pour réaliser ce dépassement.

Par chance, notre processus historique de référence en matière de décision collective s'est figé dans une enflure caricaturale qui révèle sa dangereuse inadaptation à notre époque. Ce processus décisionnel de référence est celui des "démocraties" représentatives, tel qu'il existe au niveau des états comme dans les entreprises et dans toutes les grandes organisations. Il se caractérise fondamentalement par la théâtralité des débats, l'âpreté des confrontations oratoires, une résolution par vote majoritaire - un net progrès d'organisation par rapport aux affrontements aléatoires de hordes familiales, mais pas un si grand progrès de civilisation ! Dans ce contexte fondateur, il est terriblement difficile d'envisager le potentiel d'une révolution numérique pour élargir le champ du débat démocratique et récolter la contribution aux grandes décisions de toute la population concernée. Constatons que, pour la plupart des citoyens ordinaires des populations éduquées du globe terrestre, ce processus décisionnel "démocratique" de référence est devenu carrément anti-convivial et déresponsabilisant, au point qu'on ne s'en satisfait plus que par défaut. De plus, depuis la révolution numérique, ce processus décisionnel de référence est évidemment obsolète techniquement, car il fut forgé sous des contraintes depuis disparues, dont celle de l'analphabétisme de la population et celle de la lenteur des transports et communications.

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Serions nous collectivement capables de meilleures décisions si nous pouvions nous impliquer tous dans les prises de décisions difficiles à grande échelle sur nos modes de vie et notre projet social à 30 - 50 ans ? Peut-être pas, mais au moins nous pourrions nous donner les moyens de conjurer le chaos du chacun pour soi, avec en plus la faculté de convenir des ajustements nécessaires aux décisions antérieures, de détail ou d'ensemble, en exploitant la totalité de notre capital humain de connaissances, compétences, expériences de la vie. Et nous serions tous responsables collectivement de la réalisation des décisions prises. Au fond, le "problème de la bonne décision" est une question théorique pour expérimentations de laboratoire : "bonne décision" par rapport à quels totems ou quels critères donnés par qui ? C'est un bagage mental qui empêche de s'élever à la hauteur du changement des modes de vie et du changement de civilisation qui vont nous être imposés d'une façon ou d'une autre.

En effet, la certitude d'une tragédie planétaire à venir s'affirme au fur et à mesure de l'accumulation des effets destructeurs pour la planète de nos activités au-delà des capacités de régénération naturelle. Dans la continuité de nos processus décisionnels sclérosés, nous allons subir individuellement l'irruption progressive des conséquences inattendues, imméritées, injustes des discontinuités et des inversions de tendances qui apparaîtront dans les 50 ans. On trouvera des coupables, beaucoup.

Face à cette perspective, malgré toute notre science et notre sagesse, nous n'avons su jusqu'ici poser qu'une alternative, au niveau des nations du globe : ignorer la fatalité des changements ou combattre cette fatalité pour tenter de la reporter. Comme c'est prometteur !

Nous ne sommes pas en état de décider de conduire un changement de civilisation : vers quoi, pour quelles finalités... Pourtant, nous ne pourrions pas, actuellement, être mieux préparés et mieux équipés pour le faire. Sauf que nous manquent les processus de décisions à responsabilité collective.

dimanche 11 janvier 2015

Neutralité du réseau et politique du Web

Le principe de neutralité du réseau Internet vient d'être réaffirmé.

Tout paquet élémentaire d'information est techniquement acheminé de la même manière, indépendamment de son contenu propre, indépendamment du contenu dont il fait partie, indépendamment de qui est l'émetteur, indépendamment de qui est le destinataire... Voir "Neutralité du réseau" sur Wikipedia.

Le respect du principe de la neutralité d'Internet empêcherait notamment la création de plusieurs réseaux distincts - par exemple la création d'un réseau pour les vidéos à la demande, dont l'accès serait facturé séparément aux utilisateurs.

Principe de neutralité : affirmation tautologique découlant de la nature même du réseau ou puissante décision fondatrice ?

Moi, minuscule utilisateur du Web, je n'ai pas l'intention de critiquer les principes soutenus par les maîtres du monde. Je suis bien trop peureux pour cela. Et certainement trop mal informé pour appréhender l'immensité des enjeux. La preuve : jamais on ne me consulte, bien que je pratique le Web quasiment depuis son origine à travers divers milieux et organisations (ou justement à cause de cela ?) ! Comme tout le monde, j'ai presque toujours droit au même type de discours en deux temps à mon intention dans les medias : premier temps, l'affirmation de valeurs ou principes généraux (ici, la "neutralité", devant laquelle mon misérable esprit est invité à s’incliner spontanément); deuxième temps, la promotion d'une prétendue avancée technologique (par exemple, en France, l'annonce de la future disponibilité du wifi dans les trains à grande vitesse, une évidente priorité nationale pour favoriser l'avachissement mental des illettrés assis, provoquer des attaques cardiaques par l'afflux incontrôlé d'informations catastrophiques en temps réel, etc.).

J'avoue : je ne saisis pas la possibilité d'une logique d'enchaînement entre les deux temps, entre l'affirmation du grand principe et la promotion publicitaire qui suit. Ou plutôt si, je comprends très bien, et d'ailleurs, j'en ai déjà trop dit…

Ah comme j'aimerais pouvoir piétiner tant de livres, d'articles, de vidéos... à propos d'Internet, du Web, des nouvelles technologies, de l'intelligence artificielle, de la communication, de l'innovation, de l’informatique, de la démocratie, des compétences, de la transmission de l'expérience, de l’économie… ! Je préfère ne pas parler de ces productions, surtout de celles qui ont une réputation établie, malgré la publicité que cela ferait peut-être à ce blog. Non, il est aussi vain de provoquer les fantômes d'auteurs célèbres décédés que de critiquer les compétiteurs actuels de la course médiatique, c'est donner prétexte aux seconds pour se faire valoir en saturant les media. Du vent !

Car nous sommes déjà nombreux à réaliser que le discours qu'on nous sert sur les sujets de société comme le Web, par des experts, des journalistes, des politiques, des gens de science... c'est un discours pour les débiles, et même pire, un discours débilitant.

Non ?

Settlers1.jpg L'une des plus navrantes réalités de ce discours moderne, malgré les Lumières et les révolutions scientifiques, c'est l'incapacité persistante de nos penseurs et de nos dirigeants à distinguer politique, gouvernement et gestion autrement qu'en prétendant les incarner par des institutions, des niveaux hiérarchiques, des métiers définis par des diplômes. Dès lors, toute société humaine est facile à "gérer", comme dans un jeu vidéo. Alors que politique, gouvernement, gestion devraient représenter des niveaux de finalités, d'objectifs, de règles, destinés à mettre en commun des plans, des priorités, des idées, réparties à diverses échéances, établies pour diverses durées de validité, correspondant aux différentes échelles temporelles respectives de la politique, du gouvernement, de la gestion. Et que ces échelles de temps se trouvent évidemment toutes réunies dans la mise en pratique quotidienne des activités les plus basiques. On ose parler de "science" politique, alors qu'on en est dans ce domaine à l'équivalent de l'astrologie, et que le défaut originel se fonde précisément sur la simplification consistant à placer la politique en premier, comme si le reste, le gouvernement, la gestion, en découlait à travers divers niveaux d'exécution. La prétention à incarner des abstractions dans des institutions et des personnages ne peut fonctionner que dans un monde d'êtres robotisés commandés de l'extérieur (ou par une caste : il y eut des sociétés historiques et il existe encore des sociétés humaines de ce type), niant la réalité que l'être humain demeure, avec ses limites, non seulement le porteur ultime, mais la seule entité vivante de synthèse des politiques, directives de gouvernement, ordres de gestion - pas seulement dans leur application, mais, pour tout être humain libre, dans leur propagation et leur évolution.

Une traduction caricaturale du décalage entre cette prétention formelle et la réalité sociale, dans tant d'entreprises et d'organisations, c'est la pesanteur grotesque des références à des valeurs génériques dans la définition du comportement exigé du personnel. Encore plus révélateurs dans un autre sens, sont les constants ajustements des jeux courtisans autour des gens de pouvoir, variantes extrêmes de l'asservissement mental et physique à des personnages disposant d'une forme supérieure de liberté, d'où la pression en retour sur ces personnages à se comporter de manière franchement arbitraire au moins dans quelques détails... Même dans le contexte et l'environnement d'une armée en guerre, donc avec un objectif de "gouvernement" simple (vaincre l'ennemi) selon une stratégie définie, on sait bien que la guerre ne gagnera pas la paix avec l'imposition au vaincu d'un traité territorial ou commercial, qu'il faudra l'imprégnation du vaincu par une idée capable d’influencer sa politique ou son gouvernement, et que cette imprégnation sera d’autant plus efficace s'il la transcrit lui-même dans des règles ou services de gestion quotidienne et dans ses coutumes. On sait aussi bien qu'on ne gagne pas les batailles sans une intelligence du soin des combattants, de leur paquetage, de leur entraînement... Combien d'historiens se sont intéressés à la question première de l'approvisionnement d'armées nombreuses aux temps anciens avant la motorisation - pensons aux armées d'Alexandre éloignées de leurs bases, aux armées populaires de Napoléon... -, sur ce que pouvait signifier à ces époques "vivre sur l'habitant", avec quelles conséquences sur le nombre soutenable des combattants en regard du niveau des exactions commises sur l'habitant (avec ou sans promesse de remboursement, quand et sous quelle forme ?), le délai acceptable pour le rassemblement des combattants des deux camps (aux dépens de la même population locale ?), la durée supportable d'attente des armées avant "la" bataille ? Pourquoi faut-il remonter à Sun Tzu, en oubliant Thucydide au passage et tant d'humbles témoignages plus proches de nous, pour que ces questions reviennent à la mode, d'ailleurs très partiellement et confusément ? Pourquoi et comment la logistique au sens large, la vraie logistique comme réalisation des stratégies, est-elle occultée ou traitée secondairement dans une certaine culture occidentale récente, abrutie par une conception mécaniste d’un prétendu principe de subsidiarité ? Pourquoi et comment plusieurs guerres de "libération" purent être gagnées par des mouvements lancés par quelques résistants en armes, contre des nations immensément plus puissantes ?

Je ne vous égare pas, nous sommes en plein dans le sujet, à présent avec le recul nécessaire.

Le principe de neutralité du réseau se situe clairement au niveau de la gestion logistique du réseau, même pas au niveau de ce que devrait être un gouvernement du réseau, et en tous cas, ce principe ne fait pas une politique. Cependant, cette neutralité du réseau, érigée pompeusement au rang de principe, vaudrait par son incompatibilité supposée avec la réalisation de politiques considérées comme dommageables, sans que l'on précise quelle est la bonne politique choisie (?) et sans que l'on envisage une seconde de faire participer une population au choix de cette politique (population et projet politique à définir conjointement d’ailleurs…). En termes polis, disons qu'il serait téméraire, pour un utilisateur, d'accorder le moindre crédit à un quelconque pouvoir du principe de neutralité. En effet, à cause de son manque de fondation politique (à ne pas confondre avec le discours d'un jour, prononcé par un grand homme politique) et à cause de son expression purement technique, le pseudo principe de neutralité est, sera, contourné, avalé, plus ou moins rapidement selon la puissance et l'influence des opposants. Les beaux discours de niveau politique, bien percutants, à propos d'Internet comme vecteur des idées de liberté et des droits de l'Homme peuvent s'accorder avec n'importe quel jeu esclavagiste de l'esprit consistant à mettre chaque "valeur" en correspondance directe avec une réalité concrète ou un événement. Alors, le principe de neutralité, c’est vraiment un truc de tout petits techniciens spécialistes sans envergure, vite assimilé ! Et d’ailleurs, justement, le jeu des esclavagistes de l'esprit de tous bords fonctionne déjà à plein régime tout autour et sur le Web - instrumentalisé pour le recueil, l'analyse et la diffusion de nos opinions et aspirations - tout en respectant la neutralité du réseau et en poussant à l'augmentation des débits ! Les petits techniciens ne font dans ce jeu que stocker et traiter les "big data" sans poser de question, à l'abri de leur neutralité.

Comment dépasser la mutilation (volontaire ?) des niveaux d’expression politique et de gouvernement du Web ? Devrait-on obligatoirement envisager de légiférer sur le contenu ou "seulement" sur le comportement des "utilisateurs" ? Pauvre netiquette.

Le principe de neutralité du Net nous protège de quoi, nous les utilisateurs ? Si le Web nous transformait en moutons électriques, les lois physiques du courant électrique deviendraient des principes de vie ?

Le principe de neutralité est-il vraiment imposé par une autorité ou n’est-il que la traduction pompeuse d’une inertie ? Si cette autorité existe, son domaine semble se réduire aux nœuds intermédiaires du réseau. Pour une autorité si contrainte, la seule possibilité d’influer sur les contenus serait d’installer un « démon » sur certains nœuds intermédiaires, par exemple pour supprimer au passage tous les paquets destinés à des activités de pure distraction, ou inspirés par le conformisme, l'envie ou la dissimulation, ou, en poussant l’ambition, supprimer tous les paquets créés par nos tendances et impulsions dans un univers de compétition darwinienne manipulée. Il n'y aurait alors plus de problème de débit nulle part ! Ne rêvons pas, un tel filtrage est techniquement impossible, en plus de sa violation du principe de neutralité. Mon fournisseur d’accès continuera donc de me bassiner avec les améliorations de sa box en tant que magnétoscope numérique. Et les smartphones oubliés sous un meuble par des gosses partis jouer ailleurs resteront en connexion permanente pour recevoir les mises à jour automatiques des réseaux sociaux.

Il existe une conséquence de la neutralité qui me crée un léger malaise, chaque fois que je fais une démarche en tant que citoyen avec un site officiel de ma commune ou avec les services fiscaux de l'Etat à travers Internet. Car rien, dans les conditions générales de mon fournisseur d'accès n'évoque aucune forme de responsabilité spéciale dans l'exécution de ce type de transaction. Au contraire, tout y est dit pour rejeter ce type de responsabilité. Mon FAI se présente comme un simple marchand d'accès à un canal de transmission. Pour l'acheminement de courriers officiels et pour des services autrefois assurés par les postes, il y a tout de même un décalage, non ? Existe-t-il une structure, une institution qui contrôlerait un niveau de service (à définir) de mon fournisseur d'accès, et dont il dépendrait de quelque façon ? Apparemment, des gens ont décidé que je ne m'occuperais jamais de cette question. Les sites des services officiels compensent le déficit de responsabilité sur la transmission par l'envoi d'accusés de réception détaillés... par le même canal.

Un expert du Web a dit ou écrit « L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire ». Ah oui, mais quel peuple avec quelle écriture ? A qui par qui pour se dire quoi ? Et les images, les vidéos, les (java)scripts, c'est quelle "écriture", qui charge les réseaux et nécessite des processeurs de plus en plus puissants ?

Quelle serait l’application au Web du modèle bien connu de tout apprenti économiste sous l’appellation non neutre de « tragédie des communs » ? Ce modèle est censé démontrer que tout bien en propriété commune (tel qu’un bâtiment communal, les locaux des vide ordures dans un immeuble collectif,…) se dégrade du fait de son exploitation abusive par divers types de profiteurs, au contraire des biens en propriété privée. Passons sur l’absence, dans ce modèle, d’une autorité capable d’adapter les règles d’exploitation afin de préserver l’équité. Ou plutôt non, ne passons pas sur l’évidente nécessité d’une telle autorité et osons suggérer que l’équivalent d’une propriété commune sur le Web, ce n’est pas le réseau Internet, fût-il neutre, mais l’ensemble des abonnés individuels, et que le champ de cette exploitation, ce sont les esprits des abonnés. Cette assimilation n’est pas spécialement audacieuse, il suffit de considérer la cible ultime commune de l’exploitation.

Geopol.jpg Les chapitres consacrés à Internet, au cyberespace et aux cyberguerres dans les ouvrages de géopolitique sur papier glacé expriment bien crûment l'ancrage d'Internet, pas si planétaire que cela dans la répartition des flux, dans un monde physiquement, intellectuellement, socialement défini par son passé, animé par d'antiques puissances - un monde structurellement indifférent ou antagonique à tout projet de coexistence globalisée (sinon, que serait la géopolitique ?). Le réseau Internet de ce monde-là, qu'il respecte ou non le principe de neutralité, c'est d'abord l'instrument des marchands de toutes sortes, et aussi des profiteurs du non droit, des délinquants et arnaqueurs internationaux. A l'échelle des nations, c'est un nouveau champ de la guerre entre les agents d'influence dans la compétition mondiale de leurs valeurs conquérantes, une arme pour les plus déterminés d’entre eux. Accessoirement, c’est un media de services aux abonnés... Au total, ce que l'on nous décrit ainsi, c'est l'Internet d'un monde clos en implosion, une jungle sous canopée techno. Ce n'est pas le réseau du dialogue entre les personnes, pas le réseau des débats démocratiques, pas le réseau du savoir partagé, à part quelques réalisations notables (dont l'encyclopédie Wikipedia) que l'on ne cite pas dans ces ouvrages pour leur signification véritable.

Pourtant, un type récurrent de clip publicitaire pour des box Internet ou des smartphones nous montre des gens en communication enthousiaste malgré les décalages entre les fuseaux horaires, grâce à Internet. On se dit "hey", on se voit faire de grands gestes d'amitié comme si on se connaissait depuis toujours... C'est mignon mais c'est irréel. Le rêve est vrai, d'est celui de la citoyenneté planétaire. Ce qui est irréel, c'est la spontanéité de sa réalisation par un miracle technique reproduisant l'exacte conformité de l'autre à l'idée qu'on s'en fait. Néanmoins, la généralisation d'une forme de citoyenneté planétaire serait réalisable, si on se donnait la peine d'y réfléchir sérieusement, pas en termes de politique abstraite ou de principes généraux, mais comme un ensemble de finalités incarnées dans les détails logistiques les plus fins, en passant par tous les niveaux nécessaires à l'échange communicatif entre les personnes, sans chercher par avance à soumettre cette démarche à une idéologie définitive, sans chercher à la réduire aux fonctions d'un logiciel préexistant. C’est l’objet de ce blog par ailleurs…

Mon exposé vous paraît désordonné ? Relisez. Si nécessaire, imaginez qu’il est bourré de statistiques et de graphiques, criblé de références aux grands auteurs, qu’il possède donc les attributs d'un article sérieux…

Malgré cela, la conclusion tombe toute seule.

Est-il incongru d’exprimer quelques souhaits de finalités politiques d'Internet ? Par exemple une finalité sur les échanges gratuits d'informations entre les personnes. Par exemple la finalité d'une citoyenneté planétaire pour la sauvegarde de la planète et le partage des savoirs personnels ? On pourrait aisément concevoir comment réaliser ces finalités-là sans supplément de bande passante sur le réseau, de manière pratiquement invisible en comparaison des exigences des communications centralisées dans un pseudo "réseau social".

Il serait certainement contreproductif de critiquer les gens et les organes qui détiennent un pouvoir officiel quelconque sur Internet ou sur le Web, car leurs relations avec les entreprises, agences et pouvoirs d'arrière plan qui alimentent et exploitent le réseau restreignent évidemment leur liberté d'expression et leur champ d'action. Il me semble, cependant, que ces gens seraient les mieux placés pour organiser la formation d'assemblées virtuelles d'utilisateurs sélectionnés, afin d’en recueillir, à partir de demandes bien formulées, des suggestions d'évolution du réseau, de niveau politique, gouvernemental et gestionnaire, exprimées du point de vue des utilisateurs. La composition de ces assemblées virtuelles devrait être assez fréquemment renouvelée, afin d’échapper au ronron des comités d’experts installés à vie. Faut-il vraiment préciser que les débats et les conclusions devraient être publiés sur le Web ? Faut-il vraiment ajouter que l’on créerait ainsi un nouveau pouvoir d’évolution d’Internet et du Web et que les instances existantes en tireraient une légitimité étendue ? Doit-on éviter de faire ressortir que ce type d’organisation virtuelle d’Internet et du Web pourrait représenter un prototype vers une citoyenneté planétaire ? Avons-nous vraiment le temps de nous demander si Internet et le Web ont été créés pour cela ?

samedi 6 juillet 2013

Sites héritages, convivialité

Dans certains cimetières aux Etats Unis, sur les pierres tombales, on trouve un code à barres permettant de se connecter vers un site Web à la mémoire du défunt, diffusant ses morceaux de musique favoris, montrant ses objets préférés, etc.

Par ailleurs, voici qu'on nous assène, d'après les notes d'une infirmière australienne, le top 5 des regrets de nos fins de vie :

  • ne pas avoir eu le courage de vivre sa vie plutôt que celle voulue par les autres,
  • avoir consacré trop de temps à son travail,
  • ne pas avoir su mieux exprimer ses sentiments,
  • avoir perdu le contact avec ses amis,
  • ne pas s'être autorisé plus de bonheur.

Bien entendu :

  • nous respectons les proches des défunts, pour qui la seule évocation d'un lieu, d'un objet, d'une musique, d'un parfum, d'un événement local, suffisent à faire revivre en eux les disparus - mais pas en nous hélas.
  • nous respectons les personnes âgées, même si leurs paroles sont réinterprétées comme des leçons de vie pour le bien-être d'individualistes frénétiques d'une société d'abondance consacrée à l'engraissement du PIB national

Cependant, nous affirmons que ces pratiques post mortem et ces conseils pour réussir nos vies sont les résultats d'une propagande d'abrutissement d'un demi-siècle, à présent considérablement amplifiée par le Web.

En effet, quels progrès ont été accomplis récemment grâce au Web !

  • Une tombe (virtuelle) de pharaon avec trophées et objets familiers, c'est à la portée de tous.
  • Notre développement personnel au milieu de nos amis virtuels. c'est tout de suite en quelques clics, pour exprimer librement notre sentimentalité à l'eau de rose, partager instantanément nos doutes et nos certitudes déjà si bien décrits dans les sondages, jouir des dernières offres à prix sacrifié, même au boulot !

PrcSCx.jpg Alors, chacun de nous peut disparaître sans regret ! Les autres n'en souffriront pas beaucoup, en admettant qu'ils s'en aperçoivent, si occupés de leur propre bonheur en précieuses causeries avec leurs semblables...

La propagande assimile le sens de notre vie à la poursuite d'une forme convenue de bonheur personnel, quel que soit l'habillage que nous en donnons, même le plus altruiste ou le plus imprégné de transcendance. Les théories de l'optimum social nous démontrent que le libre jeu des égoïsmes conduit à l'optimum, n'est-ce pas ? Laissons les ronchons nous rappeler que c'est un optimum au sens économique sans autre qualification (notamment, du point de vue de l'"égalité" et de la "justice"), et que ces théories ne disent pas dans combien de temps on pourrait atteindre cet "optimum", ni comment on pourrait s'en approcher, sauf dans un univers imaginaire de compétition libre et non faussée et toutes choses égales par ailleurs - ce qui, à l'évidence, nous fera évoluer en douceur vers le meilleur des mondes...

En l'état, le Web est l'instrument idéal, neutre et "en toute liberté", de la propagation des théories et des croyances, pour la crétinisation des savants, pour l'asservissement mental généralisé. Le Web dans son intégralité : pas seulement en tant que media, mais comme base de sondage instantané et lieu de soumission hypnotique. En effet, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité à cette échelle, "on" peut observer et mesurer en temps réel dans un large échantillon de populations bien caractérisées, la diffusion des annonces, idées, bobards, bidules et symboles qui ont été introduits dans les organes médiatiques à partir des savantes productions de diverses agences d'influence et de leurs répétiteurs. "On" peut ensuite analyser les mutations de ces annonces, idées, bobards... et, bien entendu, les contrôler pour invasion, hybridation, et toute la palette des techniques de manipulation des esprits. Et, pour l'action personnalisée sur les usagers du Web dans le sens des opinions majoritaires ou destinées à le devenir, les robots spammeurs font figure d'antiquités grotesques à côté des dernières générations d'automates intelligents....

A l'encontre de cette basse réalité, venons en à notre sujet, à savoir les sites personnels héritages. Pendant que nous sommes encore en vie et que la honte de ce que cela implique pour des citoyens d'un pays "riche" ne nous étouffe pas complètement, osons imaginer un autre Web, celui des personnes (ou collectifs, peu importe) qui envisagent de partager directement avec d'autres leur expérience de la vie, pas en général au plan philosophique, mais ponctuellement et pratiquement dans un domaine défini à chaque occasion et dans le cadre d'une réalisation concrète par l'un des protagonistes (ce but peut être modeste, par exemple la fabrication d'un plat gourmand).

La base de ce Web alternatif, ce sont des sites personnels, des sites héritages, où chacun décrit schématiquement son parcours de vie et relate plus en détail les quelques récits personnels importants pour lui, au besoin en faisant référence à des archives de documents contextuels (pas seulement pour les facilités encyclopédiques, mais pour la compréhension de l'implicite et l'intuition du non-dit de chacun). Ce web là contient des plates formes de formation - discussion en accès libre où chacun peut-être maître ou élève selon l'échange à réaliser, des annuaires inversés par thème à l'intérieur de réseaux tuteurs, etc. Un exposé complet se trouve dans l'ouvrage de référence en lien, Essai sur un Web alternatif. On y trouvera aussi les éléments d'une constitution des sociétés virtuelles pour le développement de dialogues constructifs des sites héritages (oui, vous avez bien lu, c'est le problème de la poule et de l'oeuf), les principes d'étiquette à respecter et un modèle adapté d'interaction (modèle CHOP), etc.

Ah, cette personne sous la tombe en Californie, à part sa musique favorite et ses objets fétiches, je voudrais qu'elle ait pu laisser une simple liste des diverses périodes de sa vie, qu'elle ait pu indiquer les périodes qu'elle a considérées comme importantes, qu'elle ait pu raconter pourquoi en quelques récits plus détaillés... Conducteur de taxi, assureur, chômeur, agent d'assurance, pilote intérimaire, rien de tout cela ou tout cela à la suite, cela me parlerait, j'en suis certain, à moi si loin et si éloigné de sa culture, bien au-delà de ce qu'elle m'aurait dit ou montré ou fait entendre... J'irais fouiller des encyclopédies, rechercher des cartes, compulser des albums de photos, à la recherche des trésors qu'elle m'aurait légués sans le savoir et que je serais le seul à pouvoir trouver, débris de compétences, étincelles d'intelligence, indices de projets, pour moi bien plus que des cendres trahies à la pelle dans une biographie reconstituée.

Sinon, pas de convivialité.

mardi 18 juin 2013

Révélations en questions

Dans l'actualité des dernières semaines, un nouveau héros de la vérité nous confirme l'existence de machineries puissantes d'espionnage du Web. C'est une superbe opportunité de poser quelques vraies "questions qui tuent".

Croyez-vous que la fuite à Hong Kong du vaillant dénonciateur puisse nous garantir contre toute manipulation de ses déclarations (même en supposant que ledit dénonciateur soit authentique) ?

Est-ce réellement une surprise, cette "révélation" de l'espionnage de l'Internet par une grande puissance mondiale aux fins de lutte contre le terrorrisme (et plus largement contre tous ceux qui s'opposent à ses intérêts), alors que le réseau Echelon fait de même depuis des années pour les télécommunications ?

MI5_2.jpg Croyez-vous que seules vos "données personnelles" permanentes sur le Web sont observées, autrement dit vos pages personnelles et les informations associées à vos divers comptes, et pas vos comportements, les pages que vous regardez, combien de temps, à partir d'où, à quelle heure, etc ?

Croyez-vous que la puissance en machinerie nécessaire et surtout la compétence d'exploitation en quasi temps réel de gigantesques masses de "données personnelles" soient à la portée d'entreprises commerciales même multinationales ?

Croyez-vous que cette machinerie et cette compétence soient les créations spontanées de quelques startups à succès dans un marché de concurrence libre et non faussée, plutôt que l'inverse (à savoir que le développement de certains géants actuels du Web aurait bénéficié d'un soutien comptablement invisible mais massif, en matériels et compétences technologiques euh... prééxistantes et par nature coextensives) ?

Croyez-vous que cette grande machinerie d'espionnage ne serve que des buts commerciaux ?

Croyez-vous que l'espionnage se réduise à une activité passive de recueil d'informations ? (Si vous répondez oui : lisez quelques romans d'espionnage, regardez quelques séries d'espionnage dans notre monde actuel, par exemple l'excellente série britannique MI-5 (Spooks en vo), et veuillez vous rappeler tout de même que vous avez déjà été informés que des régimes "totalitaires" ont récemment manipulé et liquidé des opposants grâce à l'espionnage des seuls emails, mais en réalité peut-être bien plus)

Croyez-vous que les grandes agences et organisations étatiques d'espionnage puissent avoir une autre vocation que de neutraliser par avance sinon détruire leurs ennemis supposés ?
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Croyez-vous que ces organisations passent leur temps et dilapident leur énergie à s'intéresser à chaque individu isolément, alors qu'elles ont à présent les moyens d'abrutir et de tromper des populations entières d'une manière finement segmentée (bourrages de crânes jusqu'aux chercheurs universitaires en versions subtiles) et ceci dynamiquement en mesurant l'efficacité de leurs campagnes d'actions médiatiques au travers des bavardages de leurs cibles et de leurs activités sur le Web ?

Croyez-vous que la propagande, ce soit juste des publicités dans les journaux et à la télé ?

Croyez-vous que tous ceux qui partagent vos opinions, vous donnent leur avis, vous invitent à dialoguer sur le Web, vous proposent leurs pages personnelles, croyez-vous vraiment qu'ils soient tous de vrais êtres humains plutôt que des robots ?

Qui avec quelle autorité, à votre avis, pourrait empêcher que le Web actuel, hypercentralisé sur des "services" universels, ne soit en même temps le coeur d'une machinerie géante de manipulation médiatique, par l'instrumentalisation de tous les medias et organes de diffusion d'informations et de savoirs ?

A quoi peuvent servir d'éventuelles discussions internationales sur le droit associé aux "données personnelles" dans un univers où aucune notion commune de la "personne" ne peut exister ?

Vous trouverez d'autres utiles questions et arguments dans notre billet déjà ancien sur l'affaire Safari. Concernant la comparaison au Big Brother voyez notre billet Comment peut-on ne pas aimer Facebook  ? et concernant les moteurs de recherche, notre billet Pensées d'un requêteur d'occasion.... Ajoutons, pour les lecteurs un peu curieux, qu'une requête "Wired NSA" sur un moteur de recherche vous mènera probablement encore vers un article publié début 2012 par la revue Wired, disponible à l'époque en Europe continentale notamment dans la version UK de ladite revue. Ce long article abonde sur la matérialité colossale des investissements informatiques consacrés principalement au craquage des communications cryptées sur Internet. Vision locale, partielle, défensive...

jeudi 27 décembre 2012

Une société de tueurs

A l'intérieur de notre grande civilisation chargée d'Histoire démocratique et de Culture humaniste, l'amoralité grandissante des "jeunes" serait évidente dans de nombreux domaines par rapport à leurs "anciens". Cette amoralité se manifesterait de manière extrême au cours des massacres récemment exécutés par de jeunes criminels, notamment en milieu scolaire.

Ce décalage de comportement a-t-il une réalité, quelles seraient les manifestations de cette réalité et pourquoi seraient-elles si fortement ressenties... Par dessus tout, que pourraient faire les "jeunes" et les "anciens" pour réduire ce décalage ?

Examinons quelques éléments d'illustration et quelques facteurs d'intensification de supposées nouvelles tendances criminelles. En préliminaire, observons que la généralisation de tendances nouvelles quelconques s'opère naturellement chez les jeunes du simple fait qu'ils n'ont pas à franchir d'étapes intermédiaires; ils sont exposés aux résultats des évolutions, pas aux évolutions elles-mêmes.

Illustration numéro 1 : popularisation des références au meurtre de sang froid

Depuis quand, dans certains milieux, l'expression "C'est un tueur", n'est-elle plus comprise comme un avertissement destiné à un novice, mais comme l'expression toute faite d'une admiration purement professionnelle, vidée de l'association originelle à une tendance dangereuse pour l'entourage ?

Depuis quand la phrase grotesque "cela n'a rien de personnel", consacrée par tant de dialogues de films juste avant une exécution ou un affrontement mortel, est-elle acceptée dans le langage courant comme une première excuse d'un tort causé à quelqu'un ?

Illustration numéro 2 : émergence des héros enfants - ados tueurs dans les oeuvres contemporaines de fiction

Voici quelques oeuvres où des enfants - ados jouent les tueurs à répétition de premier plan :

  • Orange Mécanique - film -1971
  • Battle Royale - film - 2001
  • American Psycho 2 - film- 2002
  • Azumi - film - 2003
  • Gomorra - livre et film - 2006
  • Afro Samurai - manga et anime -2008

AfroSam.jpg La fréquence récente des enfants-ados tueurs dans les productions cinématographiques et dans les bandes dessinées est en grande partie liée aux conventions des mangas et des films d'animation inspirés des mangas. Certes, les cyberhéroïnes, les robots-miquettes et les vampirettes y sont à la mode avec leurs fascinantes armes naturelles, mais il existe aussi une tendance de fond depuis l'origine des mangas, de la violence pratiquée par des enfants ou ados "ordinaires" : Iria (1994), Dagger of Kamui (1996), Now Then Here There (L'Autre Monde) (1999), Blue Gender (1999), Akira (2001), Noir (2001), Evangelion (2002), X (2004), Berserk (2008), etc.

Peut-on dire que, dans ces oeuvres, l'enfant-ado tueur de ces fictions représente à la fois un prototype inavoué et une parfaite excuse en reflet imaginaire de notre vraie société de "gentils tueurs" banals à la petite semaine ?

Apportons immédiatement quelques éléments à décharge, car les justifications des crimes spectaculaires de l'enfant ado - tueur abondent dans les fictions citées :

  • issu d'une lignée extraordinaire ou maudite, il est précocement appelé à réaliser son destin, même quelquefois afin de sauver l'humanité ou ses déchets apeurés
  • spécialement éduqué et entraîné par une équipe de scientifiques ou dans un milieu disciplinaire, il exécute une mission spéciale ou se trouve pris dans un engrenage meurtrier
  • survivant d'un massacre, il survit et s'entraîne pour se venger sur des comparses avant de liquider l'ignoble responsable du massacre initial

Plus souvent que pour la parité des genres, c'est "elle".

Au moins, peut-on discerner dans ces oeuvres héroïques, à côté d'une forme de défoulement artistique, l'indication d'une banalisation des comportements criminels ? Oui, certainement. Au travers d'un scénario pesant, par les images de fascination meutrière et de délire sanglant, se diffuse la certitude qu'il n'y a pas d'autre voie, que la fin justifie les moyens, et qu'en plus, si on s'y prend bien, cela peut être très chouette au plan esthétique. A condition de gagner, évidemment....

AmPsycho.jpg Sur ce point, la mèche est vendue par le très sous-estimé American Psycho 2, qui nous raconte à la première personne et avec ironie, la série des meurtres commis par une jeune étudiante afin de réaliser son projet ambitieux : entrer à l'université du FBI pour devenir la meilleure profiler spécialisée dans les serial killers. Cette étudiante d'exception nous fait la démonstration de sa maîtrise dans tous les genres meurtriers, de l'assassinat prémédité pour éliminer ses concurrents, à la pose de pièges fatals contre les gêneurs, jusqu'à la tuerie spontanée pour ne pas laisser de témoin ou sanctionner une vulgarité. C'est vraiment cool ! A la fin, l'artiste surmonte joliment un problème d'orgueil personnel potentiellement fatal : "à quoi servirait d'avoir fait tout cela, si personne ne le savait ?".

Mentionnons, dans le même esprit moqueur mais dans une autre scénarisation, la fin de La Baie Sanglante de Mario Bava (1971), où le couple survivant est assassiné par des enfants - il s'agit là d'une forme de justice divine dans le ton malicieux du film.

Note. Ce qui est nouveau, c'est que l'enfant-tueur devient un héros individuel, alors que dans l'histoire, les enfants tueurs ont probablement toujours existé, et d'une manière institutionnelle au moins depuis Sparte, mais au second plan et en masse, comme les épidémies et les sauterelles. Régulièrement dans l'actualité même toute récente, la misère nue, la guerre civile, mais aussi les enthousiasmes de toutes sortes y compris les plus artificielles, font surgir les bandes d'enfants armés.

Facteur d'intensification numéro 1 : inadaptation de la philosophie ambiante de la vie sociale

Passons sur les plaidoyers d'experts pour un réalisme de l'excellence collective au jour le jour, où rien ne se fait sans argent et où celui qui tire le premier est toujours gagnant, donc il faut gagner de l'argent, penser "business" et s'armer. Pour consoler nos âmes sensibles, il nous reste la littérature de développement personnel, une arnaque à 95% d'excellent rendement financier pour les auteurs à succès et leurs éditeurs.

Au niveau supérieur de la pensée, les ouvrages contemporains des moralistes de l'économie et de la justice sociale découragent l'amateur après quelques pages. On peut leur préférer la concision des auteurs fondateurs, même des auteurs antiques, car au moins on peut connaître le contexte de création et l'histoire pitoyable des réalisations désastreuses de leurs doctrines. Malheureusement, toute cette intelligence nous est peu secourable car notre époque singulière ne ressemble plus à aucune autre, comme tout individu civilisé s'en rend compte après quelques années d'école primaire et de vie adulte : globalisation, informatisation, augmentation de la population mondiale, revendications des nations émergentes, dévoration irréversible de la planète, croîssance des oscillations climatiques, condamnation de territoires en décharges à déchets, faiblesse ou inexistence d'autorités de niveau mondial,.... L'incompétence des penseurs et des directeurs de conscience face aux "défis de notre temps" nous pousse au relativisme moral et nous abandonne aux illusions de la propagande.

Pour couronner le tout, si on peut dire, deux thèmes d'une propagande particulièrement dévastatrice des anciennes valeurs morales se proposent d'alimenter notre bon sens à longueur de medias :

  • la science et la technique assimilables "par le plus grand nombre" au travers de traductions en tableaux comptables, nuages statistiques, images chocs et boniments explicatifs
  • la libération individuelle par les produits de la technologie, admirable effet de la "compétition économique mondiale libre et non faussée".

Bien entendu, sous cette forme vous reconnaissez la facture : ces thèmes sont évidemment des productions de la fabrique millénaire des vérités qui font marcher les foules - la même fabrique en plus moderne que la dictature trou-du-cul d'à côté.

Ainsi donc, notre univers moderne nous est présenté comme un système technique, justifié par ses bienfaits sur notre confort individuel, mais neutre par rapport à nos règles sociales qui suivraient leur propre logique. Cependant, on perçoit assez nettement que nos fondamentaux sociaux communs s'estompent et disparaîssent au fil des nouvelles technologies.

Exemple : la pratique de la langue n'a plus rien de comparable avec celle de nos grands parents. Combien de fautes d'orthographe par ligne, combien de manifestations de mépris de la syntaxe, combien de piétinements de la pensée logique (notion antique), un professeur contemporain doit-il considérer comme la norme actuelle ? Osons dire que le verbe a disparu, que le déclic le remplace. Et que nous l'avons voulu : vive l'intelligence automatique à la portée de tous ! Pour satisfaire les nostalgiques, constatons que nos meilleurs étudiants dans les humanités et les sciences théoriques n'ont jamais été aussi bons, les résultats des examens scolaires le prouvent... Dit d'une autre manière : notre système éducatif forme quelques monstres de foire qui parlent et écrivent comme autrefois. N'y aurait-il pas mieux à faire ?

Il paraît que dans 30 ans, rien ne sera plus comme avant. Alors attendons-nous à un miracle, car les prospectives à 10 ans sur l'évolution des sociétés humaines ne se bousculent pas et notre avenir ne se décrit plus que par des chiffres dans la continuité de catégories historiques. Les dernières peuplades tribales isolées dans des vallées impénétrables ne perdraient pas grand chose, finalement et au total.

Facteur d'intensification numéro 2 : négation de la valeur de l'expérience

Nos "anciens" sont-ils considérés comme porteurs d'une valeur personnelle quelconque par les "jeunes", du fait de leurs expériences successives dans diverses fonctions, postes, pays, organisations, en tant que professionnels, habitants, consommateurs, patients, etc ?

Réduisons notre champ d'observation au domaine du travail actif dans les entreprises et organisations. On pourrait attendre un écho positif à la question ci-dessus, dans une logique de capitalisation pour l'optimisation des performances dans ces milieux concurrentiels.

Or, si la réponse était oui, cela se saurait dans les chaumières ! La réalité pratique est complètement à l'opposé. Les anciens ne représentent aucune valeur pour des jeunes ou de nouveaux arrivants à part quelques trucs immédiatement assimilables, et les liens que ces anciens ont constitués dans leurs groupes d'appartenance et qui justifient la considération qu'ils se portent entre eux, constituent pour les jeunes un défi à relever plus qu'une possibilité d'ouverture. C'est encore plus caricatural lorsque le "jeune" est un nouvel arrrivant plus âgé que ses "anciens".

En particulier sur Internet, rien ou très peu est fait pour développer l'expression de l'expérience personnelle, encore moins pour respecter son caractère inestimable. Si on affecte de prendre la personne humaine en considération, c'est pour la cadrer, la mettre en boîte, l'assimiler à un modèle.

Ah, si chacun savait détailler utilement et spontanément les aspects spécifiques de sa propre expérience et spécialement ceux qui sont intéressants pour ses contemporains actuels et leurs descendants à venir, et si on savait les coter en bourse, alors depuis longtemps, on aurait fait tourner la machine. Le problème, justement, c'est que par nature l'expression de l'expérience personnelle et encore moins sa transmission ne ressortent de la machine, et qu'aucun listage encyclopédique ne pourrait les contenir.

Abandonner la transmission des compétences personnelles au business, c'est à l'évidence la condamner à l'écrémage pour consommation instantanée. L'abandonner à l'univers de l'enseignement, c'est la noyer à jamais dans les disputes d'archivistes. De fait, cette transmission des compétences personnelles est ignorée de tous les savants et des éducateurs. Les questions ne sont même pas posées, nulle part, par personne, à l'heure actuelle, sauf ponctuellement et à l'intérieur de quelques cercles très restreints. Pourquoi continuer de nous illusionner sur la valeur de la vie humaine ?

Conclusion

Ainsi, plusieurs caractéres originaux de notre époque expliquent le sentiment d'amoralité sans douleur des "jeunes" tels qu'ils sont vus par les "anciens". Plutôt que d'amoralité en référence à des valeurs disparues, il serait plus exact de parler d'indifférence.

Nous avons écrit de nombreux billets décrivant le système d'asservissement mental qui réduit chaque être humain à une machine (intelligente et humaine, néanmoins pure machine) et le rôle central du Web dans ce système, en particulier par l'exploitation en temps réel de l'observation des comportements.

Synthétisons dans le contexte du présent billet. L'effacement progressif des règles et projets communs de "la" société abandonne l'individu à l'emprise des règles particulières et projets spécifiques aux groupes sociaux auxquels il appartient. L'incohérence naturelle entre les règles étroites et projets spécifiques des divers groupes sociaux renforce en retour le criblage de toute règle commune et de tout principe de bien commun, provoquant leur désuétude. La progression de la "personne dotée de sens moral pour le bien commun" vers un être machinal indifférent s'entretient d'elle-même, par la jouissance du passage d'une étiquette de groupe social à une autre au cours d'une existence passionnante comme un jeu, encore plus par la pseudo liberté d'adhésion aux nouvelles étiquettes imposées par les nouvelles technologies. Par l'effet d'avalanche des nouvelles technologies (réelles ou imaginaires), cette progression s'accélère, les étiquettes deviennent constitutives de leurs propres projets par mutation en codes de programmation, acquèrant leur autosuffisance au passage. A ce stade, de nouveaux groupes sociaux se forment par l'agglutination d'abonnés dans la seule soumission aux codes arbitraires de ces groupes. Les adhérents jouent entre eux à se dire qu'ils sont les maîtres du monde ou à s'en moquer totalement, c'est tout pareil pour la forme et le fun; de chaque parole, de chaque pseudo échange, rien ne restera dans une semaine.

Note. L'indifférence de chacun à chacun, plus exactement l'indifférence pour l'être de chacun, n'impose pas l'indifférenciation des êtres humains. Au contraire, la société de l'indifférence vers laquelle nous nous précipitons joyeusement est une société d'êtres nettement différenciés selon des standards codifiés; la diversité des individus est définie par des croisements analogues à ceux des types constitutifs, variantes et options des véhicules automobiles personnalisés. Après l'humanisme des Lumières, qui n'a pu éviter l'abjection des guerres mondiales et des massacres organisés, notre époque invente l'humanité de l'indifférence. La combinaison de notre passé avec ce présent irrigué d'un flot continu de promesses, c'est manifestement le bonheur !

Finalement :

  • on a voulu une société de tueurs, nous l'avons,
  • la première victime, c'est la société humaine des règles et projets communs, en voie de remplacement par une population de machines humaines maintenues médiatiquement sous autohypnose par une propagande en miroir de cette population
  • la société binaire de décantation s'impose comme un modèle stable pour éviter le chaos des affrontements dérégulés entre groupes sociaux, en l'absence de règles et de projets sociaux communs
  • rassurons les "anciens" : il est normal que des "jeunes", pas spécialement déviants, éliminent (de leur route professionnelle, pour commencer) tous ceux qui les gênent dans la réalisation de leurs objectifs, et que de ce fait ils en tirent gloire et rémunération,
  • de toute façon, on perdrait son temps à s'inquiéter des ravages provoqués localement par quelques détraqués, dès lors qu'ils demeurent en proportion statistiquement raisonnable.

Pour organiser votre évasion de cet ordre nouveau, vous trouverez sur ce blog plusieurs billets sur les sociétés virtuelles, l'étiquette universelle, la société binaire, la révolution sociale quantique.

lundi 1 octobre 2012

Comment peut-on ne pas aimer Facebook ?

L'ouvrage collectif "J'aime pas Facebook" vient de sortir en France (collection Manuels Payot). Honnêtement, au plan de la forme, nous préférons le premier ouvrage d'Ippolita publié en France, "Le côté obscur de Google", plus directement accessible. En effet, une partie de l'ouvrage sur Facebook ressemble à une thèse de sociologie. Espérons que pour beaucoup de lecteurs, ce sera un avantage.

Facippo.jpg

Voici les principaux points de convergence avec le contenu de notre modeste blog :

  • l'histoire de la gestation et du développement de Facebook est un maquillage en version universitaire - entrepreneuriale d'une réalité comprenant d'importantes contributions non comptabilisées,
  • la plate forme Facebook apporte zéro innovation technique, ce n'est qu'un emballage de composants existants,
  • le gaspillage énergétique de l'architecture centralisée est énorme en comparaison d'une architecture en noeuds fédérés (par exemple),
  • la gratuité n'est qu'apparente, l'utilisateur est soumis à un ciblage publicitaire; pour ce faire, ses données et son comportement sont recueillis, analysés pour améliorer ce ciblage,
  • le réseau social contraint ou incite chacun au maximum de transparence sur sa personne, ses goûts, ses choix, etc.
  • dans ces conditions, la contribution du réseau social aux mouvements révolutionnaires récents est évidemment surfaite, par rapport, par exemple, au simple téléphone portable
  • le réseau social n'est pas une nouvelle société, c'est un théâtre en agitation chronophage où chacun se donne à voir en conformité à son profil, et réciproquement.

En comparaison, notre blog diffère ou apporte des éléments supplémentaires sur les principaux points suivants :

  • l'utilisateur d'un réseau social ne doit pas être considéré comme la victime d'une tromperie qu'il suffirait de dénoncer pour qu'il se pose des questions et se révolte; non, l'utilisateur reste totalement volontaire, véritablement et humainement en pleine conscience; le scandale n'est pas que l'homme soit un animal, c'est qu'il aspire à la machine - et ceci, par construction;
  • le risque de manipulation de l'utilisateur d'un réseau social ne se manifeste pas seulement par une pression publicitaire ciblée, mais par l'asservissement mental à la propagande diffusée à travers l'ensemble des media d'une manière bien coordonnée par un gigantesque système d'observation et d'influence des comportements; les adhérents des réseaux sociaux sont les premiers à restituer naïvement l'impact des messages diffusés par diverses organisations clientes du système à partir des analyses en temps quasi réel des données (dès lors naturellement en architecture centralisée); cette grande boucle manipulatoire est permanente, ajustée heure par heure si nécessaire; elle nous projette dans un monde équivalent à celui du roman 1984 de G. Orwell;
  • ou bien les réseaux sociaux ne sont que des gadgets, une mode qui passera, ou bien c'est une monstruosité qui doit être détruite et remplacée par autre chose; dans ce dernier cas, c'est l'utilisateur qu'il faut changer, ce sera la révolution numérique pour de bon et cette révolution-là n'a aucun précédent historique; les bonnes intentions, les solutions informatiques libres et décentralisées ne suffiront pas, du simple fait qu'il s'agit d'abord de faire société dans un univers numérique, et que cette réalisation-là ne relève pas seulement de l'ingéniérie informatique mais aussi d'une ingéniérie sociale; il faut retrouver les ressources techniques du lien social communes à toute l'humanité, actuellement ignorées par les réseaux sociaux;
  • c'est pourquoi, nous proposons une étiquette universelle adaptée aux relations sociales numériques, un cadre pour la création de véritables sociétés virtuelles à finalités définies et formellement constituées... Voir ailleurs dans ce blog.

Au plan théorique, pour terminer la critique de l'ouvrage d'Ippolita, nous sommes en accord avec la dénonciation d'un modèle de société "libertarien" opposant la liberté individuelle à toute forme de contrainte, et faisant la promotion de l'entreprise business comme l'idéal de toute collectivité. En accord avec cette critique, pour nous, l'une des principales urgences de notre temps est de redonner vigueur aux collectivités à finalités d'intérêt général (plutôt qu'aux collectivités de protection), et spécialement dans l'espace numérique.

lundi 3 septembre 2012

Le Web de la propagande et du formatage

La bête immonde reste bien planquée, mais ses mercenaires stupides ne se retiennent plus d'étaler leur fierté.

Ce qui est nouveau, c'est la revendication de leur diplôme d'apprenti sorcier par des bénéficiaires que l'on aurait cru moins naïfs.

Dans un élan de franchise, dont le niveau de grossièreté mesure la sincérité, un grand parti politique impliqué dans la course à la présidence de notre univers vient de révéler la contribution à sa campagne d'une officine spécialisée dans l'exploitation d'informations recueillies sur le Web.

Pour ce parti, il s'agirait de cibler les foyers susceptibles d'enrichir les fonds de campagne. Ne doutons pas une seconde que ce grand parti n'est pas isolé dans sa démarche d'appel à une officine mercenaire de ciblage. Ne doutons pas un dixième de seconde qu'il ne s'agit pas seulement de récolter des fonds (vite dépensés). mais d'abord d'orienter les thèmes de campagne, de les particulariser en fonction des réactions observées sur le Web de la population ciblée, et d'orchestrer tout le bastringue médiatique, presse, télévision, meetings, etc dans le sens voulu, en vue d'effets en profondeur sur l'opinion, qui seront ensuite entretenus et améliorés dans la durée.

Bref, nous avons la révélation d'une machine de guerre médiatique. Nous pressentons que cette guerre-là dégrade nos chères libertés d'information et libertés d'esprit, mais c'est une guerre, n'est-ce pas ? Notons bien que rien n'empêche l'extension du cadre de cette guerre au-delà d'un processus d'élection dans un régime démocratique.

Quand est-ce que de prudes et vaillants foyers se coaliseront en class action pour réclamer droit de regard, droit de rectification, respect de l'usage des informations les concernant ?

D'ici là, l'officine mercenaire aura changé plusieurs fois de nom et d'adresse (on peut lui conseiller la domiciliation de filiales croisées dans divers paradis fiscaux). Et des experts reconnus auront expliqué que non, braves gens, vous n'avez rien à craindre, car les ciblages ne sont pas réalisés à partir des données individuelles mais sur la base d'informations agrégées par des algorithmes statistiques.

Les experts ne diront pas que ces algorithmes statistiques sont cousins de ceux des moteurs de recherche, en fonctionnant à l'envers en quelque sorte. Ce n'est pourtant pas anodin.

Un gros malin manipulé pondra un virus qui fera pouet pouet exactement quand il faut sur tous les écrans, et le tour sera joué : voici l'ennemi véritable de notre intimité ! La presse abondera en articles sur la protection des données privées, des droits de la personne humaine, des brevets et du secret défense. Opération mains propres.

Voici la situation, en bref :

  • ce n'est plus (seulement) la publicité qui finance les grands services gratuits du Web, et d'ailleurs elle n'a jamais financé la création immensément coûteuse de ces services,
  • le grand marché du Web, c'est la fourniture des informations numérisées de nos comportements (qui consulte quoi, combien de fois et combien de temps, qui dit ou achète quoi à qui, quand, où, comment, etc.) pour exploitation par les manipulateurs médiatiques des pouvoirs dominants,
  • la révolution numérique, c'est celle de l'auto soumission de nos esprits à un matraquage multimédiatique ajusté en permanence, en fonction de nos propres aspirations exprimées sur le Web.

Exercice pour jeune journaliste ou pour étudiant en sciences politiques : rédigez une synthèse actualisée de Propaganda d'E. Bernays (1928) ! C'est une oeuvre glaçante mais fanatique, où sont exposées les techniques bien actuelles de propagande, ainsi que les éléments de doctrine qui les justifient et en ont alimenté l'invention. Pensez-vous que quiconque puisse nourrir le moindre doute sur l'utilisation par tout citoyen Bernays moderne des informations de comportement pompées sur le Web ? Pour quels bons motifs actualisés et quelles campagnes ?

Bernerie.png

Dans le célèbre roman 1984 de G. Orwell publié juste après la deuxième guerre mondiale, apparaît le personnage de Big Brother, avec bien d'autres terrifiantes créations imaginaires. Notre réalité est bien différente. Par rapport au roman, nous n'avons pas de police officielle de la pensée, et les murs ne nous espionnent pas. Mais nous pourrions nous demander si, avec la révolution numérique, Big Brother aurait besoin de cette police et de ces espions pour se rendre maître de nos esprits. Car c'est volontairement que nous restons hypnotisés devant des miroirs magiques que nous croyons commander pour notre bon plaisir, pour y faire défiler des trésors virtuels préconditionnés en fonction des déformations agréables de nos propres images. Nous avons fait mieux que tous les romanciers, nous avons créé l'hybride de la liberté et de la mort, le dieu d'un monde d'automutilation où chacun se résume pour les autres à un miroir vaguement original d'hallucinations communes.

Vraiment, cette technologie n'a rien de merveilleux. Car, en plus de nous prendre un temps fou, elle coûte énormément d'argent et dévore une énergie gigantesque.

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