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Tag - Sécurité

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mardi 22 décembre 2020

Rapport de campagne

Ce billet d'actualité est rédigé par un citadin d'une métropole de l'Ouest européen, dans l'espoir que notre "crise Covid" provoque la prise de conscience de nouvelles vulnérabilités de nos sociétés du fait des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications.

Et que s'ouvrent les projets en préparation de crises plus graves.

Une guerre dans la guerre

Dans mon petit pays d'Europe de l'Ouest, un vocabulaire guerrier fut employé au début de la reconnaissance de l'épidémie.

S’il s'agit bien d'une guerre, les victimes ne sont pas seulement les individus gravement atteints par le virus. Quelques fondations techniques et mentales de nos sociétés sont endommagées. Car nos sociétés modernes se sont montrées vulnérables aux manipulations de l'information portées par les nouvelles technologies des communications. La généralisation et l'accélération des mécanismes de propagation d'infox et de leurs processus génératifs ont produit, en quelques semaines, une infection massive de la pensée commune, une forme de régression maladive des esprits bien connue dans l'histoire humaine.

Une possible victoire technique à venir sur le virus ne devra rien à nos capacités d'intelligence collective sur Internet, et très peu aux capacités d'adaptation de nos organisations, privées comme étatiques. A la fin de l'année 2020, après plus de 6 mois de « guerre » à l'initiative des virus en assauts successifs, les directives de précaution préventive qui nous sont imposées seraient-elles différentes à l’hôpital dans la salle d'attente des urgences pendant une épidémie de peste ?

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Nos moyens modernes de communication et de partage à distance, nos chaînes d'informations continues, nos médias interactifs... nous aurions gagné à les remplacer, pour l'occasion, par le télégraphe-téléphone-fax des temps anciens, si nous avions voulu préserver la possibilité d'une construction réfléchie de tactiques différenciées contre l'épidémie. Au contraire, les communications à la vitesse de la lumière, les diffusions en canaux multiples à large bande, ont servi l'amplification des terreurs et de faux espoirs, ont entretenu l'absence de socle décisionnel, jusqu'à la tétanie de la raison des penseurs professionnels et des décideurs.

En parallèle, pour réduire les contacts entre les personnes, nos sociétés ont favorisé le développement du travail à distance par Internet. Au passage, cette modernité de façade a révélé sa pesante parenté avec le modèle historique de l'artisanat à domicile rémunéré à la tâche. Il suffisait pourtant de recueillir l'expérience de dizaines d'années de pratique du télétravail, en réalité d'externalisation d'activités et d'exploitation d'une sous-traitance esclave, par des groupes industriels exemplaires.

Et enfin, à l'expérience répétée d’épuisantes réunions à distance par Internet, peut-être on comprendra que l'absence de discipline adaptée de conduite des réunions, dans les cas où l'on veut s'accorder sur des décisions importantes, est bien plus handicapante que les limites techniques des débits et des surfaces d'écrans, bien plus pesante que les pannes de matériels ou leur mauvaise utilisation par les participants. Les limites techniques à distance rendent encore plus évidentes nos failles dans la reconnaissance et l'exploitation des compétences humaines, dans les méthodes de recherche de consensus. Ce n’est pas l’absence du contact physique qui est en soi la cause du défaut, mais le décalage entre une civilisation fondée sur des techniques « modernes » et des pratiques sociales historiques normalisant la soumission et la manipulation.

Après ces expériences, qui prétendra encore nous faire rêver à une coopération fraternelle entre les pays du monde grâce aux technologies de l'information et des télécommunications ?

Après ces expériences, qui osera encore nous vanter les bienfaits du travail à distance dans toutes les activités de "services", y compris celles que l'on force à se vendre comme tels ?

Après ces expériences, qui pourra encore rêver d'une "démocratie Internet" par la seule vertu des techniques informatiques ?

Nous disposons des technologies performantes des communications à la pointe du Progrès, mais la mise en relation des machines et des objets ne concerne pour le moment que nos cerveaux reptiliens et nos appétits primaires. Dans la guerre contre le virus, le caractère asocial de nos médias "modernes" les a révélés comme facteurs de régression sociale.

L'analogie militaire de notre actuelle stratégie anti-Covid traduit son obsolescence. C’est la stratégie du repli dans la ville fortifiée, avec au centre le donjon des puissants et de leurs serviteurs, hérissé de hauts parleurs prétentieux.

L'Histoire nous dit la lenteur et les douleurs des rebonds de conscience collective après de telles régressions. Nos sociétés n'ont plus la liberté du rythme de cette Histoire-là en vue d’une possible Renaissance. La puissance d’égarement et de destruction par la vivacité et l'ubiquité des vecteurs modernes de la trahison impose un changement de stratégie.

Une trahison high tech

Un processus de manipulation à grande échelle commence par l’inoculation d’un credo initial dans un noyau cible de population. Il progresse ensuite par un labeur d’imprégnation des esprits d’une population plus vaste agissant comme répétiteur, plus tard comme témoin d’appropriation des vérités inoculées. Enfin, la manipulation réussit par les éclats de sa puissance révélée dans le monde physique réel.

Dans cette description brute d’un processus, le parallélisme technique est total entre la propagation d’une vérité scientifique et, par exemple, celui d’une conspiration criminelle. Ce qui distingue l’esprit scientifique, ce sont deux exigences à surmonter avant qu’une affirmation soit prise collectivement comme une vérité : l’exigence d’une filiation prouvable à partir de vérités reconnues et l’exigence du doute de la preuve. La démarche scientifique se caractérise donc par une restriction du champ des vérités possibles à celles qui sont prouvables et par la lenteur du processus d’accréditation du fait d’une relative lourdeur dans l’acquisition des convictions par des esprits réfléchis, d’autant plus lorsqu’une vérité nouvelle exige l’abandon de convictions antérieures ou la redéfinition de leur champ de validité.

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Avec les nouvelles technologies, tout est à reconsidérer car les étapes de propagation ci-dessus décrites sont obsolètes. Une manipulation portée par les vecteurs high tech exécute les étapes de sa propagation en quasi simultanéité, en parallèle via plusieurs canaux de diffusion et d’échanges. Les canaux « interactifs », notamment via les sondages d’opinion en temps réel au profit d’organismes manipulateurs, sont le bouillon de culture des processus d'auto régénération et d’agglutination d’éléments constamment adaptés à l’élargissement et l’entretien de l’infection des populations ciblées. Très vite, on obtient un effet de tétanie de la raison commune, soumise à des influences saturantes à haute fréquence. Alors, la raison « scientifique », au travers des canaux high tech, devient une discipline spirituelle de résistance, un héroïsme de l’ombre - même ses procédures d’accréditation des vérités peuvent être infectées !

Dans un tel univers mental noyé dans un poison high tech, en régression vers les origines des sociétés humaines, le réel n'existe plus ni comme sujet d'étude ni comme hypothèse. Le futur est contenu dans la terreur de l’instant présent, seule la magie ou un miracle représentent l’espoir (de quoi ?).

Résumons comment, dans notre « crise Covid », les croyances magiques se sont avérées parfaitement compatibles avec la société « moderne », y compris parmi nos « grands dirigeants », y compris parmi nos « autorités scientifiques ».

Dès les premières semaines d’apparition officielle de l’épidémie, nous (le grand public) avons été soumis sans modération à diverses influences brutes, de la publicité mensongère à la désinformation, au travers de plusieurs canaux, par les opérations de mercenaires disposant de ressources considérables fournies par des groupes industriels. Leurs obligés, jusqu'aux plus hauts niveaux des institutions, se sont précipités pour accréditer publiquement les messages d'influence, d'autant plus activement lorsque ces messages contribuaient à excuser leur incurie ou leur incompétence. A la suite, les messages ont été synthétisés en vidéos et graphiques de terreur débilitante, en parallèle d'affirmations de croyance au Salut par La Recherche Scientifique, répétés et commentés à haute fréquence, au point de représenter la normalité, au point de bloquer toute possibilité de prise de recul dans les processus de décision de nos dirigeants, les plus honnêtes comme les plus corrompus, abandonnant des espaces à la jouissance de dominateurs pathologiques.

Encore à ce jour de fin décembre 2020, nulle part (sauf exceptions), la crise ne semble affrontée par les armes de la raison collective et de l'expérimentation construite, comme si des siècles d'élaboration des sciences et des techniques étaient subitement oubliés, comme si des siècles d'expérimentation des organisations se résumaient aux diverses formes brutes du pouvoir et aux arguments d’autorité fondés sur la terreur et la culpabilisation. Partout (sauf exceptions), les décisions gouvernementales mimétiques prétendent se justifier par des séries de données chiffrées recueillies sans définition précise des mesures, sans investissement dans la recherche d'indicateurs d'anticipation, sans évaluation d’efficacité des actes réalisés par les divers acteurs de la santé publique, dans la frénésie des vaticinations de néo devins équipés de pseudo modèles à base de paramètres non observables - autrement dit des boîtes noires qui auraient été dénoncées en temps normal comme des tromperies obscènes. Seuls les intérêts particuliers de quelques soutiens isolés proches du pouvoir peuvent amener à la modération des directives, à défaut de sagesse.

Quels niveaux de décomposition de nos sociétés aurions-nous vécus si une épidémie de plus grande ampleur avait tué sur place partout chaque semestre 5 pourcents des populations, implacablement au hasard des contaminations ?

A quels niveaux d’inconfort ou de déchéance physique personnelle serions-nous tombés sans nos machines - esclaves durant les périodes confinées de cette "crise Covid" - les fidèles machines qui nous assurent les services élémentaires de nos vies ordinaires, eau, gaz, électricité, boutons ou claviers de commandes pour le reste ?

Quel degré d’uniformité dans l’abrutissement général aurions-nous atteint sans l’acharnement de quelques professionnels à trouver et publier des traitements immédiatement efficaces pour réduire la gravité de la maladie, à promouvoir des mesures de la propagation des virus dans l’environnement afin de prévoir le sens des évolutions du nombre de malades, malgré les multiples formes d’agression par des propagandistes d’une rigueur « scientifique » de laboratoire hors sol ?

A ce jour de fin d’année 2020, les rabâcheurs de croyances miraculeuses et de directives terrorisantes se rendent-ils compte de la profondeur de niaiserie qu’ils imposent à leur public lorsqu’ils présentent « le » vaccin comme un miracle de la Science, comme un substitut de potion magique ou de sacrement, selon le degré de solennité invoquée ? L’enthousiasme dispenserait-il à présent nos autorités de publier enfin des informations correctes, après la période qui a réduit l’information courante du public à quelques pauvres séries de données, laissant se développer les interprétations hystériques ?

Résumons nos faiblesses spécifiques face à la trahison high tech :

  • la vulnérabilité grossière de nos sociétés (y compris les processus de recherche des vérités scientifiques) aux influences régressives transportées par les réseaux de communication et de diffusion,
  • l’absence de discipline adaptée à la prise de décision collective, à l’exploitation des retours d’expérience et des compétences,
  • le défaut de reconnaissance et de culture de l’esprit scientifique comme élément de garantie du bien commun dans la vie quotidienne de nos sociétés, a minima comme discipline d’abnégation personnelle, de préservation de la raison et de l’imagination de sang froid, et l'organisation d'une collaboration compétitive

Autrement dit : la croissance du décalage entre notre modernité technique et l’antiquité de nos pratiques sociales augmente le risque d’effondrement de nos sociétés à la suite d’un déséquilibre. C’était déjà évident pendant la « Révolution industrielle », c’est encore plus évident avec la « Révolution numérique ». Les nouvelles frontières de l’humanité ne sont plus dans les rêves et les ailleurs, elles sont à l’intérieur de notre humanité telle qu’elle est.

Pour une nouvelle stratégie

La stratégie du repli en forteresse ne peut être victorieuse que par l’abandon de l’agresseur, par exemple s’il est attaqué par une armée de secours ou pour une autre cause d’affaiblissement de ses troupes. Sans l’espoir d’une intervention favorable par un facteur externe, l’efficacité de la stratégie de la forteresse ne peut être que temporaire. Un assiégeant malin trouvera une faille ou se la créera. Par ailleurs, la forteresse est soumise aux dangers d’effondrement interne, par les effets de l’ennui et de la disette mentale et physique, par exemple par implosion de la population en casemates réparties selon divers critères d’affinité ou projets de substitution.

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Pour le moment, dans la « crise Covid » à l’échelle de mon petit pays, l’impression s’impose de la répétition d’une défaite historique, celle de 39-40, puis d’un sauvetage éventuel par des interventions extérieures. La similarité des causes du désastre initial est frappante, dont la présomption de supériorité derrière une fortification infranchissable, l’incapacité à coordonner les unités, l’infatuation théorique de dirigeants. En face, la force envahissante reposait sur une détermination mentale absolue, une organisation logistique planifiée pour le mouvement, la mise en compétition entre unités mobiles en éclaireurs puis en pénétration.

Quels auraient été les équivalents d’une stratégie victorieuse ? De toute façon, la condition principale de sa mise en œuvre a manqué et manque encore : l’acceptation de la guerre et la détermination mentale à vaincre. Tout à l’opposé, depuis le début de notre « guerre », nos mots d’ordre officiels sont « sauver les vies » et « quoi qu’il en coûte » ! L’analogie historique nous suggère que les victimes de cette nouvelle drôle de guerre seront nos valeurs communes, déjà autrement bien atteintes, avec autant de morts et de mutilés que si nous avions vraiment fait la guerre. Combien de temps pourrons-nous encore nourrir nos rêves de bonheur universel sans douleur, dissimuler l'absence de finalité partagée dans la société, l'absence d'obligation de citoyenneté active, pour la prolongation sous hypnose de nos activités économiques et la succession de projets baudruches ?

Combien de temps notre société se donnera-t-elle le luxe de former nos « élites » aux théories à la mode, aux algorithmes et mimiques pour automates précieux, en laissant dans le décor l’esprit scientifique, ses disciplines d’abnégation et d’imagination sous contrôle, ses tâtonnements dans la recherche des vérités ? La pauvreté de la culture scientifique en comparaison de la culture brillante nous cantonne dans la mentalité de cigales qui auraient mis leur poésie au service de leur voracité. Notre époque moderne est trompeuse : la quasi certitude du quotidien n’autorise pas à négliger les incertitudes du futur proche, pourtant déjà bien apparentes, d’autant que personne ne peut prétendre maîtriser l’évolution des processus nécessaires à la vie humaine sur Terre.

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Concernant la guerre contre les attaques par infection mentale massive propagées par les canaux des nouvelles technologies, nos forteresses législatives et juridiques, nos forteresses de pratiques démocratiques, sont encore plus illusoires que des forteresses physiques. Dans la phase généralisante de telles attaques, "ouvrir le débat" sur des chaînes d’information sans volonté de démasquer les intérêts dans les points de vue exprimés, sans discipline éthique de vérité pour relever les affirmations sans preuve, les incohérences logiques, les généralisations abusives, les allusions ultra amplificatrices, c'est comme de forcer l’ouverture des portes de nos maisons à des malfaiteurs ! Et, dans le cadre de nos "états de droit", d’hypothétiques actions juridiques ou administratives ne pourraient traiter qu'a posteriori les effets constatés (par qui ?) d'atteinte aux institutions, au droit ou aux personnes, en admettant que l'on puisse traduire en justice (de quel pays ?) les assaillants et leurs commanditaires. Même nos professionnels les plus déterminés sont dépassés par avance : les révélations de scandales, des années après les faits, par des journalistes d'investigation, peuvent initier quelques procès, mais rien pour la neutralisation d’attaques propagées à la vitesse des réseaux et des ordinateurs !

Insistons : c'est le vocabulaire guerrier qui convient. Les attaques d’intoxication massive via les réseaux de diffusion et de communication sont à considérer comme des formes modernes d'agressions armées contre la société civile, dans le but d'égarer nos capacités mentales pour nous réduire à des pensées réflexes conditionnées.

A priori et sous réserve de recueils d’expérience, la menace d’une attaque d’intoxication massive pourrait s’évaluer selon :

  • le potentiel d’infox (accroche sensationnelle, affirmations en simple répercussion ou citation, annexes d’ »accréditation » purement formelles, généralisations abusives, citations hors contexte, tronquées ou déformées, etc.)
  • le niveau de simultanéité et de similitude d’apparition d’infox similaires potentielles dans les canaux de diffusion et d’échanges, le niveau de possibilité d’un plan organisé
  • le noyau initial de population cible (explicitement visée ou non, du fait de la nature et du contenu des infox), le niveau d’ »autorité morale » de cette population cible sur la population générale, la capacité de cette cible à servir de relais des infox
  • la perméabilité de la population cible aux nouveaux messages ou informations d’intoxication
  • la population potentiellement atteinte par généralisation de l’attaque
  • l’effet potentiel sur cette population, sur sa capacité à réfléchir, à se prendre en charge
  • l’effet potentiel, direct ou par rebond, sur les fonctions vitales de la société, sur des actions en cours d’intérêt général, sur des projets d’intérêt général

NB. Une intoxication peut se développer à partir d’une information vraie – mais pas seulement. Durant les deux « crises Covid », il était superflu d’observer les réseaux sociaux pour détecter les infox en cours. Il suffisait d’un regard sur les titres des articles de journaux sur le Web, sur les titres des chaînes d’information en continu, et par contraste, sur les bandeaux « à charge » censés résumer en temps réel les idées à retenir pendant les quelques interviews de personnalités scientifiques de caractère. La confusion entretenue par certains « journalistes », encore 10 mois après le début de l’épidémie, entre les « cas » positifs à un test, les malades, les personnes contaminantes, est une forme d’infox en prélude et résonance d’autres infox.

Face à de telles attaques, en connexion aux réseaux de communication dont nous croyons être les maîtres, nous ne sommes plus seulement des cibles de propagandes, nous devenons des sujets, puis des victimes inconscientes ou passivées.

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Contre des agressions organisées à visée débilitante de la population, on ne devrait pas attendre qu'elles atteignent un niveau d’intensité saturante sur plusieurs canaux. Si la seule réaction possible est la coupure des réseaux après détection d’une menace grave par un organe institutionnel ou une « autorité » quelconque, on ne fait qu’appliquer dans l’univers virtuel la stratégie de la forteresse.

Au contraire, une stratégie guerrière devrait s’appuyer sur une veille permanente réalisée par des groupes de personnes ordinaires sélectionnées au hasard pour une durée définie, afin d’assurer une variété des expériences de la vie que l’on mettrait à contribution et afin d’éviter les cloisonnements et dérives des collectifs professionnels ou institutionnels – en application directe d’une stratégie d’unités mobiles capables d’explorations multidimensionnelles en profondeur. Les structures de veille échangeraient leurs observations et diffuseraient leurs alertes sur des sites ad hoc - pour enquête approfondie, exploitation, rediffusion par les canaux les plus appropriés… L’outillage informatique de ces structures est entièrement à construire…

D’autres types de contre-mesures sont imaginables, nous suggérons ici un choix conforme aux traditions démocratiques.

samedi 12 janvier 2019

Pour une transition libératrice

Nous avons peu de temps pour nous bouger.

Voici donc une proposition de réponse à une question d’actualité dans le contexte des grandes agglomérations : la mobilité individuelle en milieu urbain et le remplacement des véhicules techniquement périmés (ou qui le seront prochainement).

Cette proposition est présentée en réduction à l’essentiel, sans aucun chiffre, en l’état des compétences de son auteur dans une démarche de logisticien urbaniste telle que décrite en conclusion d’un billet précédent.

Encore plus que dans le billet précédent, le contexte implicite est celui d’une mégalopole européenne, donc sans prétention à la généralité, sauf la méthode.

Critique orientée de ce qui va se faire sans que rien ne change sauf que tout va empirer

La superposition des nouvelles technologies à l’automobile individuelle est annoncée : véhicules semi autonomes sur les grands axes, petits véhicules urbains divers en location à l’heure, base de données des disponibilités en temps réel de places de parkings urbains, traçage individuel des trajets par GPS, aides à la conduite, bornes de guidage automatisé des véhicules en cours de déplacement, etc.

Concrètement :

  • de grands travaux d’adaptation ou de création d’infrastructures seront réalisés aux frais de la collectivité sur les grands axes routiers, leurs accès et autour, pour permettre le fonctionnement des nouvelles technologies, plus tard pour leur mise aux nouveaux standards ; en fonction de la disponibilité des financements et en conséquence des lourdeurs administratives, ces travaux seront effectués en vagues successives sur plusieurs années
  • de multiples travaux d’adaptation ou de création d’infrastructures locales sur les espaces urbains seront réalisés par des filiales d’entreprises géantes, en exploitant diverses formes de concessions négociées localement, parfois en exploitant quelques zones grises du droit, heureusement toujours à la demande des collectivités locales pressées de rester dans le train de la modernité
  • des petits travaux d’adaptation aux nouvelles technologies s’imposeront sur les emplacements de stationnements privés, en prolongements compatibles des installations publiques rénovées sous concessions locales
  • la concurrence commerciale entre les constructeurs de véhicules automobiles continuera de vanter des innovations originales, mais les 4x4 massifs et les engins péteux continueront de parader dans les centres villes en manifestation de la puissance de leurs occupants (ou de leur besoin d’amour), et les grandes voies d’accès des villes seront encore quotidiennement bloquées par les files d’attente des véhicules familiaux des travailleurs habitant les périphéries, toujours pas convaincus d’emprunter les transports en commun (tiens, pourquoi donc)
  • l’espace public urbain sera de plus en plus encombré par de petits engins bien propres en attente de location pour des déplacements à courte distance, puis, de plus en plus, par leurs déchets
  • les aides informatiques aux véhicules automobiles en recherche d’un stationnement en ville ne résoudront pas la saturation du stationnement ; les accidents aux abords et à l’intérieur des grandes aires de parking se multiplieront suite aux décisions des conducteurs prises en contradiction des suggestions optimales des intelligences artificielles
  • les bogues informatiques, les pannes d’alimentation électrique, les défaillances de matériels nouveaux, les absences et les hésitations humaines dans la mise en œuvre des modes de secours, créeront des pagailles géantes amplifiées par les dépendances à des technologies diverses, avec des conséquences débordant largement la seule circulation automobile, plusieurs fois par mois tant qu’on n’aura pas débranché quelques services innovants fragiles et vulnérables
  • les citoyens contribuables usagers coincés dans les embarras pendant des heures par un dysfonctionnement seront toujours soumis aux répétitions de messages conçus pour le maintien en sommeil de robots martiens
  • le secteur privé de l'industrie et des services refusera d’assumer toute forme de maîtrise d’ouvrage en délégation d’une puissance publique maintenue dans la dispersion de ses innombrables émanations coûteuses et pléthoriques (en France : établissements publics, agences étatiques, directions d’agglomérations, conseils régionaux, sociétés nationales, régies autonomes, directions régionales, secrétariats d’Etat, délégations ministérielles, instituts de normalisation, services communaux…), dont la concurrence rend la puissance publique incapable d’imaginer l’ampleur d’un programme de fixation des procédures, pas plus l’élaboration des contraintes de compatibilité entre les intervenants et les objectifs de résultat, encore moins la définition des organes du contrôle permanent par des tiers de diverses compétences (donc pas seulement sur la perception de la qualité du service au client) et vraiment pas la contractualisation d’un processus d’améliorations continues, d’adaptation et d’entretien après la réalisation initiale
  • d’ailleurs, la puissance publique perdra tous les nombreux procès financièrement importants avec les entreprises

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Bien entendu, en parallèle, la possession personnelle d’un smartphone sera exigée. Son modèle librement choisi sera capable d’abriter les logiciels indispensables à la conduite d’un véhicule, dont il devra pouvoir charger les mises à jour automatiquement et instantanément de manière que tous les objets connectés soient constamment totalement compatibles entre eux. Car le smartphone personnel devra communiquer constamment non seulement avec le véhicule mais aussi avec les autres objets informatiques proches des réseaux urbains, dans les espaces publics et privés, en utilisant les derniers protocoles de télécommunication les plus performants et sécurisés.

Ne parlons pas du coût global de tout cela (qui ne formera jamais un tout), pas non plus de l’évolution des prix, et laissons les programmes gouvernementaux traiter spécifiquement les « questions sociales » et l’Administration…. Soyons modernes, tout va s’arranger et regardez, les nouveaux arbustes donnent déjà de l'ombre après 3 ans !

Diagnostic d’orientation

D’un point de vue d’urbaniste logisticien, en résultat d’examen des accumulations, étranglements et sous performances, les défauts primaires peuvent se résumer ainsi :

  • l’inadaptation permanente du véhicule au besoin individuel du moment, sauf cas particulier de la location de véhicule en courte durée (et encore…), alors que le véhicule devrait être différent selon, par exemple, que l’on va rendre visite à des parents en maison de retraite, ou que l’on va faire des courses ou que l’on se rend sur son lieu de travail de bureau
  • l’impossibilité pour les constructeurs d’adapter rentablement leur industrie de production au-delà de rénovations décennales et des bricolages de personnalisation des véhicules, faute de prévision de l’évolution du marché, et dans la crainte justifiée de devoir financer à répétition les frais de réparation des défauts ou décalages d’adaptation des véhicules à de nouvelles normes, dont des standards informatiques volatiles ou des protocoles de télécommunications éphémères déclinés en variantes régionales
  • la croissance incontrôlée de l’espace consacré aux véhicules automobiles en plus de leurs empreintes mobiles en circulation ; dans le cas extrême, pour chaque conducteur d’un véhicule, on doit additionner la place de stationnement départ et celle du stationnement arrivée, potentiellement un ou plusieurs stationnements temporaires ou en atelier d’entretien, et encore une part en plus pour chacun des éventuels véhicules occasionnellement loués sur place ; du point de vue du conducteur en recherche d’une place de stationnement, l’impression de manque d’espace est une réalité (principalement due aux congestions produites par les déplacements en masse), mais la réalité physique globale est au contraire la sur mobilisation de l’espace par les véhicules automobiles, c’est d’ailleurs ce que l’on ressent immédiatement dès que l’on quitte un véhicule

Le diagnostic est donc celui d’un système bloqué, qui ne peut évoluer « toutes choses égales par ailleurs » que par la dévoration supplémentaire de ressources libres ou libérées pour la satisfaction de ses exigences boulimiques.

Dans ces conditions, la méthode d’analyse et de recherche de solutions par l’urbaniste logisticien est adéquate, parce qu’elle ignore les frontières artificielles du « toutes choses égales par ailleurs » dans son exploration intégrale du champ du possible.

Ebauche de solution

La chaîne logistique à considérer est celle de la mise à disposition du véhicule répondant au besoin du moment de chacun. Il existe un modèle de cette chaîne qui peut servir de référence : le modèle des grandes entreprises de location de véhicules, depuis la procédure de réservation jusqu’à la remise au retour, sans oublier l’arrière-plan d’entretien, ni le remplacement des véhicules usagés par des véhicules neufs.

En effet, la généralisation d’un modèle de mise à disposition de véhicules à la demande dégage le degré de liberté nécessaire à une évolution technique maîtrisée du parc des véhicules, en plusieurs vagues. Ce sont les meilleures conditions pour que les grands industriels de l’automobile puissent définir des stratégies originales d’adaptation de leurs gammes et de leurs systèmes de production.

Mais deux tabous du « toutes choses égales par ailleurs » doivent sauter :

  • le tabou de la possession individuelle du véhicule ; la propriété individuelle devient inutile si le véhicule est fourni à la demande ; la coexistence entre possession et location est possible mais l’un des deux modèles devient forcément le gadget de l’autre et celui de la propriété individuelle est une entrave dans le processus de modernisation du parc des véhicules
  • le tabou de l’usage privé des grands parkings (pour fixer les idées : au-delà de 20 places); en effet, une gestion spécifique de grands espaces de parking est indispensable au fonctionnement d’une logistique à grande échelle de fourniture de véhicules à la demande ; en grande banlieue (ou dans les campagnes), on pourra intégrer des emplacements privés et publics de stationnement unitaire à une gestion spécifique de « parkings périphériques d’abonnés », plutôt que d’obliger les habitants à se rendre chaque jour (ou chaque semaine) dans une boutique de location pour renouveler leur contrat et obtenir le véhicule indispensable à leur trajet quotidien.

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Ces deux tabous peuvent disparaître sans douleur, progressivement localement après expérience pilote. On pourra envisager diverses formules de compensation aux propriétaires de grands parkings existants sur la base de leurs états comptables des années précédentes ou sur des bases équivalentes.

Quelques aspects du fonctionnement méritent attention. Ils sont présentés ici sans détail.

Concernant chaque parking de stockage et remise (« parking de transition ») :

  • Accès à l’intérieur du parking exclusivement réservé au personnel en charge (choix crucial, voir plus loin)
  • Gestion locale simple des emplacements de parking, par analogie inverse avec un tableau des clés dans un hôtel (cette gestion est facilement informatisable sans pose préalable de capteur à chaque place de parking ; toutefois, ce ne sera pas la clé du véhicule au parking qui sera au tableau, mais l’étiquette informatique d’identification du véhicule portant notamment des informations sur son état technique ; à terme, il existera un seul modèle de clé universelle que l’on activera en programmant son association à un véhicule et au contrat au moment de la mise à disposition)
  • Fourniture d'information volontairement minimale aux clients potentiels et clients cherchant à remiser un véhicule : nombre de véhicules disponibles par type, nombre d’emplacements libres par type, c’est tout !

Concernant les boutiques de location / retour (pas forcément toutes situées en sortie d’un parking de transition) :

  • Fonctionnement 24/7
  • Possibilité de réservation de véhicule par Internet
  • Avant location, vérification sur place de l’identité et du permis du conducteur (on peut envisager plus de vérifications selon le niveau requis de sécurité…)
  • Mise au point du contrat (location, assurance…)
  • Fourniture du véhicule
  • A la remise d’un véhicule (qui peut provenir de n’importe quel autre point de location) : vérification technique du véhicule, etc.

Le cas des clients nomades en caravanes pourra être résolu de diverses manières, par exemple selon des modalités similaires à celles qui seront définies pour les habitants des campagnes « éloignées » des grandes agglomérations et les banlieues très périphériques. Concernant en particulier les nomades qui louent de manière saisonnière leur force de travail à des exploitants (exemple : les vendanges de grands crus), le niveau localement important de leur contribution discrète à l’économie du luxe préservera leur cas de l’oubli. Quelques beaux esprits installés dans nos institutions y trouveront matière à briller sans risque. Peut-être condescendront-ils alors à traiter les conditions de circulation des véhicules provenant de l'étranger, camions compris, actuellement librement polluants.

Encore quelques points importants :

  • des expériences pilotes locales de « parking de transition » peuvent être lancées sans gros investissement préalable, en vue de leur extension progressive, sous divers cadres juridiques
  • l’usage de l’informatique est à concentrer sur les fonctions génériques de réservation / traitement des dossiers de location / tenue du carnet d’entretien individuel de chaque véhicule ; des logiciels équivalents sont utilisés depuis des dizaines d’années par les professionnels de la location automobile
  • tout le personnel des boutiques, parkings de transition et ateliers associés est à former spécifiquement aux procédures de gestion logistique en plus, pour certains, des formations spécialisées aux divers métiers techniques de l’entretien et des contrôles techniques, éventuellement à certaines phases de modernisation des véhicules en ateliers spécifiques à l’intérieur ou à côté des grands parkings de transition en relation avec les constructeurs concepteurs
  • évidemment, le système informatique de gestion ouvre des possibilités de connaissance des déplacements individuels des clients (ne serait-ce qu’au travers des réservations passant par Internet !), et cependant il demeurera incapable de répondre à des afflux anormaux des demandes (ce qui sera au total moins catastrophique que la non organisation actuelle produisant des embouteillages monstres) de fait forcément avec moins de conséquences en pollutions et dépenses inutiles
  • la base de valorisation de la « mise au pot commun » d’un véhicule individuel par un particulier est facile à trouver, la fixation du coût d’abonnement au service de mise à disposition l’est un peu moins…

Quelques gains collatéraux

Les conséquences bénéfiques par rapport au statu quo sont nombreuses, même sans faire référence à l’évitement de la catastrophe très coûteuse décrite au début du billet. A elles seules, elles justifieraient « quelque chose de grand » :

  • amélioration de la sécurité routière (véhicules bien entretenus, régulièrement utilisés),
  • libération d’espaces urbains centraux actuellement occupés par des stationnements en surface de véhicules en longue durée
  • revitalisation de l’industrie automobile par la création de gammes de véhicules optimisés pour chaque type de besoin (les constructeurs ne seront pas les seuls intéressés)
  • fluidité du trafic (par effet d’adaptation des véhicules au besoin)
  • possibilité de services différenciés aux personnes en besoin de mobilité autonome non couverts actuellement par des artisans
  • créations d’emplois, exigeants, variés, évolutifs, notamment en périphéries des grandes agglomérations

En réalité, la collectivité gagne bien plus que des créations d’emplois et les bénéfices d’une amélioration des transports individuels : un peu de liberté.

De la nécessité d'inventer des libertés nouvelles

Ce qui est présenté dans ce billet, ce sont seulement quelques orientations d’un programme initial de mise en transition, à partir de l’existant, sans révolution brutale, sans hypothèse sur les véhicules du futur.

Ce programme initial est fondateur parce qu’il ouvre deux espaces de liberté : la liberté d’étudier vers quoi se fera la transition (vers quels types de véhicules, sous quelles conditions d’utilisation) et la liberté de maîtriser le déroulement de cette transition.

Même si cette ouverture ne s’accompagnait d’aucun bénéfice collatéral pour la société, son coût global serait faible en comparaison du coût global subi en l’absence de cette ouverture.

Au fait, quel prix donnons-nous actuellement à nos libertés collectives ? Combien sommes-nous prêts à payer pour que nos sociétés puissent évoluer vers plus d’humanité au lieu de les laisser encore s’alourdir en matière et en esprit au prétexte des nouvelles technologies dans la crispation de nos droits et de nos lois ?

Les rapports d’expertises ciblées sur des grands problèmes d’actualité, comme les études prospectives au grand large, n’expriment que des suggestions ponctuelles dans le vocabulaire mythico publicitaire à la mode. Ils parviennent à peine à intéresser des décideurs gestionnaires du court terme, même dans les grandes occasions ou ces décideurs sont appelés à surmonter le découragement et les tentations parasitaires.

Les protestations populaires massives, les discours passionnés dans nos assemblées, sont vite réduits à la répétition de mots d’ordre dans le décor, même s’ils émanent de besoins profonds.

Le carnaval, jeu d’inversion des règles sociales, a muté en attraction touristique dans les régions où il existe encore.

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Par l’effet des moyens modernes de communication, les événements historiques récents et les actualités nous montrent comment l’agrégation naturelle des méchancetés individuelles produit une monstruosité de méchanceté collective. De plus, nous savons à présent, notamment par l’expérience des pseudo réseaux sociaux, que l’agrégation naturelle des innocences individuelles produit elle aussi un monstre, au point que certains penseurs suggèrent de confier à une intelligence artificielle la direction de l’humanité – une Grande Cage pour la folle Humanité.

Notre époque est donc particulière, mais pas du fait que tout y semble bloqué ou contraint – ce sentiment-là n’est pas nouveau, l’authenticité historique de la rage des révolutionnaires et des découvreurs de toutes sortes en témoigne. C’est plutôt que, pour de multiples raisons (pas toutes citées dans ce blog), nous ne pouvons plus nous offrir le luxe des longues périodes d’incubation chaotique en préalable aux innovations sociales libératrices, ni attendre l’émergence d’une dynamique massive consciente de sa vocation, ni supposer que la victoire de ses meneurs sur les attentistes changera quoi que ce soit dans le sens du bien commun.

A présent, de l’intérieur et en l’état de nos sociétés, l’invention de nouveaux espaces de liberté collective nécessite une discipline de création et l’apport de compétences multiples (d’abord dans les domaines techniques), comme un grand projet de recherche scientifique sauf qu’il s’agit de nos vies quotidiennes pour demain.

Nous affirmons ici qu’en l’état de nos civilisations urbaines modernes, l’invention de nouveaux espaces de liberté collective à l’intérieur des cadres physiques existants est le préalable à tout grand projet de changement concret dans nos vies quotidiennes et que cette invention peut se faire naturellement par la mise en œuvre d’une discipline technique telle que celle de l’urbaniste logisticien.

Comment s'organiser pour y arriver

L’évidente impossibilité factuelle de réaliser un projet tel que celui de ce billet ne doit pas être recherchée dans telle ou telle difficulté technique, financière ou juridique, facile à détecter dans notre résumé.

Cette impossibilité réside dans l’absence d’organe spécifique de conduite des programmes civils par délégation de la puissance publique, des études de conception jusqu’aux étapes d’amélioration continue, à l’échelle de très grandes régions et au-delà. Cette absence est la cause des dérives et inepties dénoncées au début de ce billet, imputables aux superpositions successives de réalisations conçues au bénéfice d’intérêts privés et particuliers agissant en relation directe avec des institutions inadaptées, soit parce qu’elles ont été créées par la puissance publique en vue de projets réalisés dans le cadre d’une définition figée de compétence administrative, soit à l’inverse parce qu’elles sont destinées aux prises de décisions politiques de haut niveau - chacune avec son essaim d’assistants et de conseillers, ses réserves de contrats types, ses représentations du pouvoir.

Il serait donc vain de créer une structure étatique supplémentaire simplement destinée à coordonner ces structures existantes pléthoriques et concurrentes, comme il serait illusoire de privilégier l’une des structures existantes pour en créer une excroissance adhoc.

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Il faut donc créer à neuf un organe spécifique, a minima dans un premier temps à titre temporaire pour un seul programme. Au-delà, pour son fonctionnement, il n’y a rien à inventer au plan de la sélection des personnes ni au plan des méthodes. En effet, la conduite des grands projets est une discipline parfaitement codifiée. Ses métiers sont spécifiques et diversifiés. En conséquence, la pratique de ces métiers ne s’improvise pas, encore moins la coopération entre eux, et si on s’appuie seulement sur le capital des expériences personnelles acquises par ailleurs, cette coopération entre les métiers s’établira trop progressivement, au prix d’erreurs impactant tout un projet. Au cœur de cette pratique, le « contract management » (ne pas confondre avec la seule gestion juridique et financière, donc ne pas traduire par « gestion des contrats ») exige les contributions de tous les métiers sur la durée de vie d’un ouvrage.

Insistons encore : cette conduite de grands programmes civils doit s’exercer par délégation de la puissance publique au plus haut niveau.

Alors seulement, des espaces de liberté collective pourront être trouvés et cette découverte pourra se traduire concrètement par des améliorations de nos vies quotidiennes.

En conséquence de cette spécificité, il faudra satisfaire une exigence naturelle de transparence aux citoyens contribuables futurs usagers et savoir la faire vivre plutôt que de la subir en marge. En effet, dans une maîtrise d’ouvrage en délégation de la puissance publique, le niveau de cette exigence déborde le cadre classique d’un « accompagnement du changement » par information, consultation, communication en relation aux futurs usagers (et plus largement en relation avec toutes les personnes et organismes concernés). La maîtrise d’ouvrage en délégation de la puissance publique devra pratiquer une forme d’association contributive des futurs usagers à ses travaux, a minima dans les études de définition des besoins puis le contrôle de la satisfaction de ces besoins, ainsi que dans tout ce qui concerne la maîtrise des risques et la sûreté de fonctionnement. Ce sera l’occasion d’une expérience démocratique moderne dans le quotidien et le réel, et dans le cadre défini pour chaque programme.

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lundi 29 décembre 2014

De la volatilité de la sécurité informatique

Alerte aux utilisateurs d'un navigateur dans une version "ancienne" (c'est à dire datant de plus de 2 ans) !

La confidentialité et même le contenu de nos communications cryptées seraient menacées par une méthode d'attaque récemment découverte et gentiment dénommée Poodle (caniche en anglais).

On trouve toutes les informations utiles par exemple sur Wikipedia "Transport Layer Security", ou "TLS" en abrégé. L'article en langue anglaise est très abondamment détaillé, l'article en allemand est techniquement impeccable mais celui en français contient déjà plus que l'essentiel pour l'utilisateur.

Pour nous les utilisateurs, la conséquence de Poodle est de nous forcer à mettre à jour notre logiciel navigateur. En soi, ceci n'apparaît pas immédiatement comme une contrainte, sauf que la version récente d'un logiciel navigateur est 3 à 4 fois plus encombrante que la version d'il y a 2 ans, et nécessite une puissance de machine plus importante. Nous pourrions donc déjà ressentir une incitation à poubelliser notre machine actuelle pour acquérir une machine neuve. De toute façon, si le système de notre machine actuelle ne peut supporter qu'un navigateur "ancien", et si nous parvenons à en désactiver le vieux chiffrement SSL - celui qui est devenu officiellement vulnérable -, nous ne ferons vraisemblablement que décaler l'urgence de la migration vers un matériel neuf, car cet "ancien" navigateur ne possède certainement pas les niveaux de chiffrement qui seront bientôt considérés comme indispensables.

Car nous assistons au début d'une grande course à la sécurité, sur un nouveau champ de la compétition entre les grandes entreprises exploitantes du Web et pas seulement entre les sociétés spécialisées dans les logiciels de sécurité.

Tiens, justement, ne soyons pas naïfs :

  • La concrétisation de la menace Poodle nécessite, de la part de l'attaquant, la mise en place préalable d'un intermédiaire invisible et capable de traiter à sa façon les flux d'échange. Ce n'est pas à la portée du hacker du dimanche et ce n'est pas juste pour savoir qui consulte ou écrit quoi sur quels sites, il y a d'autres moyens plus simples pour cela. En particulier, le risque est nul dans les consultations de sites en mode purement informatif (sites https sans filtrage d'accès par mot de passe, par exemple moteurs de recherche).
  • La "découverte" de la vulnérabilité Poodle provient d'une grande multinationale du Web. Autant dire que cette vulnérabilité préexistait dans la boîte à outils d'une des puissantes agences capables (depuis toujours ?) d'intercepter tout ce qui transite sur le Web. Dans quel but cette faille est-elle révélée seulement maintenant, est-ce pour des motifs purement commerciaux ou bien est-ce la partie émergée d'un affrontement entre diverses agences, pays, continents, ou bien... ? Voir notre billet Révélations en question.
  • Ne serait-il pas responsable de la part des journalistes spécialisés, plutôt que de se poser en savants techniciens à propos de chaque "nouvelle" faille de sécurité, d'en profiter pour renvoyer l'utilisateur au rappel de quelques règles basiques à l'usage des particuliers et des organisations, et de préciser les risques pour les uns et les autres ?
  • La fébrilité des adaptations des logiciels dans la grande course à la sécurité va fatalement entraîner la création de nouvelles bogues et de nouvelles failles de sécurité, d'autant plus sournoises si les logiciels concernés sont propriétaires. Mais, même les logiciels libres ne seront pas à l'abri de nouvelles failles. Voir notre billet sur les logiciels libres.
  • La focalisation médiatique sur la sécurité des communications individuelles détourne l'attention du grand public à l'écart des récentes révélations sur les relations entre des entreprises majeures du Web et certaines agences gouvernementales. Dans un autre registre, cette focalisation contribue à faire oublier l'exploitation statistique des données recueillies en particulier sur les réseaux sociaux sur nos comportements et opinions, non seulement en vue des ciblages de marketing mais pour l'ajustement de propagandes segmentées dans tous les medias. Là, ce n'est plus de notre "sécurité" qu'il s'agit, mais de notre maintien dans un univers manipulé en miroir déformé de nous-mêmes. Voir notre billet sur le Web de propagande.

Il ne s'agit pas de nier la réalité des risques de compromission et de détournement de nos échanges réputés confidentiels sur le Web, encore moins de relativiser les risques de piratage informatique des entreprises, organisations, états... Mais pas n'importe qui et encore moins par hasard...

Disons le autrement.... Notons une accélération dans l'évolution du mythe du hacker.

Le mythe du hacker - génial - ami - du - bien - façon - Zorro se meurt, victime des déballages médiatiques sur les failles de sécurité (dont l'utilisation exclut l'amateurisme même éclairé), et victime collatérale du dévoilement du secret de Polichinelle concernant les exploitations d'arrière plan en vue de campagnes manipulatoires à grande échelle (dont les enjeux sont d'un tout autre ordre de grandeur). En conséquence, le "hacker génial" tend à se réduire à trois modèles normalisés, selon son niveau de ressources et de moyens : soit le racketteur de la plus basse espèce, soit le zombie au service d'organisations maffieuses ou simplement parasites, soit le fonctionnaire assermenté d'un gouvernement (ou son équivalent dans une "major" du Web) avec les confrères consultants qu'il alimente. Demandons-nous, par exemple, pourquoi aucun de ces puissants hackers n'utilise ses talents pour vider tous les comptes bancaires des paradis fiscaux, ou, en version plus subtile, pour y créer une petite pagaille telle que le risque de dématérialisation subite pesant sur les capitaux planqués oblige tous leurs propriétaires à les rebasculer vers des plates formes normalement fiscalisées.

Alias1.jpg La comparaison des séries télévisées d'espionnage Alias (période de diffusion : 2001-2006, 5 saisons, 29 DVD) et Nikita (période de diffusion : 2010-2013, 4 saisons, 17 DVD) confirme une évolution dans la personnalité du hacker de génie, telle qu'elle est représentée à destination du grand public. Dans ces deux séries d'espionnage, le super hacker est un personnage principal, indispensable au succès des opérations. Cependant, on sent bien qu'il est a priori encombrant, ce technicien pointu incompréhensible au commun des mortels, qu'il est commode de lui attribuer des pouvoirs quasi magiques dans le scénario mais tout de même pas n'importe quoi. Les acteurs du rôle ont donc la charge de dépasser la caricature du savant fou. Le Marshall Flinkman d'Alias concentre la singularité de son personnage dans ses mimiques décalées, ce qui d'ailleurs préserve la crédibilité de ses trouvailles (au contraire du Mister Q des films de James Bond). Le Seymour Birkhoff de Nikita se retranche dans un profil de génie asocial enchaîné, mais ce n'est pour lui qu'un pis aller dont il s'évadera à la première occasion... On admire le super hacker en action, en communication avec les agents de terrain infiltrés dans un local périlleux à l'autre bout du monde : détection des systèmes d'autodéfense du local, pénétration de ces systèmes, désactivation quasi instantanée, téléchargement via clé usb du contenu du portable abandonné par l'ennemi... Dans Alias, la passion de Flinkman pour son art lui fait ignorer sa totale instrumentalisation par l'organisation qui l'emploie. Ce n'est plus vrai pour le Birkhoff de Nikita. Dans Alias, le super hacker n'a pas de problème d'identité et aucun questionnement sur sa profession; il n'évolue pas ou très peu dans son comportement au cours des épisodes. Au contraire, pour le Birkhoff de Nikita, la remise en question de son art devient obsèdante et fait l'objet d'une conclusion au terme de l'évolution du personnage. Certes, les différences des scénarios et des personnalités des acteurs des deux séries, Alias et Nikita, peuvent en partie expliquer ces différences dans les représentations du hacker de génie. C'est aussi que les deux séries ne sont pas de la même nature, malgré leurs similarités dans les détails plus que dans les ressorts des développements. Par bien des aspects, la série Nikita est une série d'anticipation (voir notre billet Nikita), alors qu'Alias est une série en mélange savant de genres classiques (espionnage, fantastique médiéval, saga familiale...).

Bref, nous avons relativement beaucoup de Flinkman et pas assez de Birkhoff. Alors la "sécurité", c'est ce qu'on voudra nous en faire croire.

dimanche 1 septembre 2013

Révolution numérique, temps mort avant renaissance ?

La révolution numérique devient-elle un mythe contemporain ? La littérature à son propos tend à se répartir entre deux courants principaux de nature quasi-religieuse :

  • les annonciateurs visionnaires d'une humanité nouvelle,
  • les dénonciateurs de périls mortels pour nos valeurs et croyances.

Nous reportons après la fin du billet un bref commentaire sur ces deux courants contemplatifs.

Posons plutôt la question d'une manière plus pratique : la "révolution" numérique se limiterait-elle finalement aux effets de la miniaturisation et aux conséquences du développement des télécommunications sur nos modes de vie ?
Ce serait déjà beaucoup. Mais souvenons-nous qu'à l'origine, la révolution numérique promettait une nouvelle société : c'était une révolution en vrai, pas seulement un progrès du bien-être individuel en prise directe sur les sources dématérialisées d'une forme de bonheur.

Essayons, comme on dit, de faire le point, afin de caractériser la relative panne actuelle et d'imaginer une suite, au travers d'oeuvres significatives.

NNponte_0.jpg Being Digital de Nicholas Negroponte fut publié en 1995. (Une traduction française n'eut guère de succès, à l'époque où fut lancée la mode des romans de complaisance à fabulation historique). Pourtant, le bouquin n'a presque pas vieilli, la plupart de ses idées prospectives demeurent actuelles, ainsi que ses notes historiques. C'est que la vision optimiste d'une amélioration de l'humanité et de la société humaine par la vertu de la révolution numérique, presque 20 ans en arrière, ne correspond toujours pas à notre monde d'aujourd'hui malgré la croïssance des débits, des volumes, du nombres de foyers connectés... Par continuité, en laissant les choses suivre leur cours, nous pouvons même craindre d'aller à l'opposé de cette vision optimiste et humaniste.

Exemple de prédiction non réalisée de "Being Digital", au dernier paragraphe de 16. Street smarts on the SuperHighway, nous lisons, en traduisant librement : "l'évolution d’Internet vers un réseau d'’intelligence et d'entraide collective fera disparaître le fossé entre les générations ; l'expérience de nos anciens, actuellement inexploitée, sera mise à la disposition des jeunes en quelques clics."

Que l'expérience des anciens soit encore "actuellement inexploitée", c'est peu dire : elle est systématiquement piétinée, en particulier à l'intérieur des grandes organisations et entreprises, dans la frénésie de la course au fric, avec la croyance en l'innovation par génie spontané, et sous la contrainte du renouvellement des gammes de produits pour maintenir le niveau de la Consommation, etc. Constatons que le réseau qui fera disparaître le fossé entre les générations pour mettre l'expérience des anciens "à disposition en quelques clics" reste à inventer. Les réseaux sociaux ? Vous voulez rire, ce serait un scoop. De quelle "expérience" s'agirait-t-il, d'ailleurs, celle qui sert à vivre en être humain, en animal socialisé ou en machine fonctionnelle ? Pourquoi pas les trois à la fois, et d'abord les trucs pour arnaquer son prochain et lui extorquer vite vite un maximum de pognon ou pour lui passer par dessus dans la compétition pour les bonnes places de la hiérarchie ? A plus long terme et en plus vaste perspective, si on pense à un immense gisement encyclopédique de tout le savoir humain, un genre de Wikipedia élargie par exemple, reconnaissons par avance les limites de l'exercice, maladroitement décrites dans les mythes anciens de plusieurs cultures humaines, néanmoins logiquement insurmontables même si on s'affranchissait des lois physiques. Les fous, les ignorants et les faussaires de toutes les générations se satisferont toujours de trouver dans les recueils du savoir les confirmations de leurs petites raisons. Mais le bon usage de ces recueils, en dehors des recherches ponctuelles par exemple pour vérifier une orthographe, suppose la capacité de se poser des questions créatives et de ne pas se satisfaire des réponses, et ce bon usage ne simprovise pas, il nécessite un apprentissage personnalisé par des "anciens" et en fonction des expériences à transmettre...

Deuxième exemple prolongeant le premier, en actualisant juste un peu la pensée positive de "Being Digital" : les nouveaux objets "intelligents" peuplant progressivement nos domiciles et nos espaces sociaux pourraient nous amener à évoluer en humanité, si nous acceptons de nous soumettre volontairement à leurs logiques programmées afin de limiter les gaspillages causés par nos oublis et nos erreurs ou pour compenser l'imperfection de nos sens ou les limites de nos automatismes et les égarements de nos instincts. Ces nano-robots s'ajouteraient naturellement aux traditionnelles statuettes et symboles protecteurs de nos émotions moralisées et aux témoins de nos valeurs domestiques issues de notre histoire, grigris et photos souvenirs, mais ces nouveaux objets-là seraient des acteurs qui pourraient influencer nos comportements, par la force de l'exemple et à force de conseils persévérants, simplement en exécutant leurs logiciels en permanence... Regrettons qu'un scénario optimiste de ce type ne s'impose plus avec le niveau de certitude des années 90. Il semble actuelllement plus plausible d'imaginer par exemple, la pénurie mondiale des éléments nécessaires à l'élaboration des objets intelligents, ou la production erratique de ces types d'objets dans un contexte de concurrence ciblée sur nos instincts basiques selon les tendances afriolantes des modes du moment et le vent des affaires.

Autrement dit, et en philosophant, nous aurions à réaliser un choix de priorité, du genre liberté collectivement encadrée contre bonheur individuel sans entrave, car nous ne pourrions les poursuivre simultanément ? Mais dans le premier cas, celui du choix d'une société de liberté collective : pour quoi faire en l'absence de finalités communes ?
A l'évidence, si nous imaginons le futur par l'extrapolation du passé et du présent sur des bases purement matérielles mécaniques et comptables, nous ne créerons rien de nouveau sous le soleil. Si nous assimilons (faussement) l'intelligence humaine à un logiciel complexe et le savoir à une base de données, nous pourrons dire que nous avons créé de nouveaux objets de pouvoir. Oui, et alors ? Nos capacités créatives sur notre destin vont-elles se fondre dans la vacuité mécanique et la fonctionnalité animale, allons-nous décider par un sondage sur Internet de la priorité à donner entre l'exploration de la planète Mars et la généralisation des robots intelligents ?

Donc, il peut sembler utile de compléter "Being Digital" par des ouvrages consacrés au conditions d'équilibre de la société humaine, et à ses évolutions. Nous allons présenter deux ouvrages, dont l'actualité nous a paru flagrante en regard de "Being Digital" et des constats du début de ce billet. Avertissement : ce sont deux ouvrages "sérieux", mais directement accessibles à toute personne sachant lire, à condition de sauter leurs préfaces.

JSMill_liber.jpg De la Liberté de John Stuart Mill, penseur moraliste du 19ème siècle, l'un des esprits les plus ouverts d'un siècle de feu, de fer et de révolutions à grande échelle, tout sauf un doctrinaire borné, tout sauf un penseur obscur et prétentieux. Les titres des chapitres résonnent comme des appels à notre réflexion en prolongement de notre actualité, et en particulier concernant le Web, les médias et leur impact sur notre société : De la liberté de pensée et de discussion, De l'individualité comme un élément du bien être, Des limites de l'autorité de la société sur l'individu... Il s'agit bien ici de la recherche, dans la vie pratique de tous les jours, d'un équilibre des pouvoirs et des savoirs dans la société. Et les pages à la défense de la religion principale des pays où vivait l'auteur, exercice obligé dans l'ambiance du 19ème siècle occidental, sont à lire au deuxième degré, en tant que critiques subtiles (ce qu'elles sont évidemment dans l'esprit de l'auteur), bien plus dérangeantes que des attaques frontales contre les vérités éternelles révélées de l'époque, et par avance exclusives de "solutions" modernes péremptoires qui remplaceraient ces vérités éternelles et révélées d'autrefois. On trouvera dans cet ouvrage une dénonciation de la tyrannie des opinions "majoritaires" et une discussion des moyens d'en réduire les effets, qui gagnerait à être reprise de nos jours en évitant l'opposition stérile entre élitisme et populisme. D'ailleurs, il n'y a pas de mot savant en -isme dans De la Liberté.

Casto_citelois.jpg La cité et les lois, ce qui fait la Grèce (La création humaine III, Editions du Seuil, avril 2008), de Cornelius Castoriadis, philosophe sociologue économiste et psychanalyste de la fin du 20ème siècle, de culture grecque native. Cet ouvrage est une bombe. Découvrez ce que fut le miracle grec des 4ème-5ème siècle avant l'ère chrétienne et l'immensité de notre héritage. Comprenez pourquoi furent inventées à Athènes presque simultanément sur cette courte période historique : une forme de démocratie, les mathématiques, la philosophie, la logique, la médecine "moderne"... Découvrez l'originalité de la tragédie grecque à travers son rôle dans le débat démocratique et pourquoi elle doit être placée parmi les inventions qui définissaient et assuraient la cohésion de la société athénienne de l'époque, en rappel des risques monstrueux du pouvoir créateur de l'homme, quelle que soit par ailleurs la puissance des dieux. Comprenez pourquoi les tragédiens et les historiens athéniens s'intéressaient en profondeur aux autres peuples, en particulier mais pas seulement aux ennemis tutélaires avec lesquels ils étaient en guerre, pas seulement aux souverains voisins et à leurs exploits, mais à leurs conditions et modes de vie, leurs techniques, leurs façons de penser et leur société - fondant ainsi la géographie et l'histoire "modernes". Découvrez que la démocratie directe, c'est possible, complètement à l'opposé d'un accaparement de la parole par des discoureurs, à l'opposé des interpellations dans les assemblées à tout propos, à l'opposé de la manipulation de l'opinion, à l'opposé du recours systématique au vote majoritaire, à l'opposé de la délégation organisée dans l'urgence à des représentants du peuple, à l'opposé du chaos de la révolution permanente, à l'opposé de la tyrannie d'experts sans contrôle... Découvrez comment on peut éviter la confusion entre la politique et le gouvernement...

Il est dommage que la reconnaissance des dispositions mentales et des formations spécifiques qui ont rendu possible ce miracle athénien semble peu répandue de nos jours. Il est alors fatal que l'expérience athénienne antique de démocratie n'inspire pas plus la réflexion politique contemporaine que n'importe quelle autre (il est vrai que cette expérience antique s'est mal terminée, nos révolutions modernes aussi). Néanmoins, on peut trouver affligeant que "la" démocratie pratiquée dans notre monde n'ait plus grand chose en commun avec ses origines athéniennes de démocratie directe entre citoyens égaux éduqués volontaires. En effet, les possibilités inexploitées d'Internet nous permettraient une renaissance de cette démocratie, par exemple, en instrumentant le partage des expériences, indispensable à tout "citoyen" pour qu'il soit capable d'exercer une responsabilité publique plusieurs fois dans sa vie sur de courtes périodes, à divers niveaux locaux, régionaux, nationaux, comme dans la cité athénienne antique (en actualisant, évidemment...). Alors, plutôt que de déclarer a priori que la démocratie directe serait une utopie compte tenu de nos grandes populations, et plutôt que de laisser la "révolution" numérique en friche ou de la confiner à des améliorations de détail, on pourrait oser prendre sérieusement la question de la démocratie directe à l'envers : imaginer une refondation sociale sur ce type de démocratie, définir qui peut être un citoyen éligible à quoi et pour quels types de décisions, replacer les finalités au centre de la politique, concevoir la société démocratique comme une oeuvre commune jamais figée...

Conclusion
Par définition, la révolution, ce n'est pas la continuité. La révolution numérique de nos sociétés se fera si nous savons produire un miracle contemporain d'une ampleur équivalente à celle du miracle grec antique. Pour le moment, ce miracle contemporain semble franchement improbable, mais notre modèle antique l'était aussi. Tout se passe comme si nous avions choisi les illusions du bonheur plutôt que la liberté. Les conditions d'autonomie de la pensée ne sont pas réunies, les conditions des débats responsables concernant les finalités de nos sociétés non plus, et les capacités créatives de nos élites ne brillent guère que dans les domaines accessoires. L'idée que les citoyens puissent participer concrètement au choix et à la construction de l'avenir parmi plusieurs avenirs possibles, cette idée-là semble étrangère, alors que sa réalisation serait un objectif possible d'une vraie révolution numérique, parmi d'autres objectifs révolutionnaires. Il reste beaucoup à faire et d'abord à imaginer !

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A propos des prêcheurs du futur, voir notre billet sur Petite Poucette, un bien joli nom pour une élégante pirouette en plongée vers le néant.

A propos des militants alerteurs, voir notre billet Emprise numérique, méprise démiurgique.

Mais ce sont là, au moins, des oeuvres de la pensée.

En contraste, remarquons l'effondrement de l'esprit critique - son enterrement sous les discours en avalanche dans le style du commentaire sportif -, notamment dans le développement de la Grande Peur concernant le vol de nos données personnelles (avec des risques bien réels dont évidemment rien sauf notre propre prudence ne peut nous protéger), tandis qu'un monstrueux système de viol et stérilisation des esprits, centré et rebouclé sur Internet, se dissimule en arrière plan, techniquement insensible aux cryptages usuels (et même aux astuces banalisées de floutage d'identité). Voir notre billet Révélations en questions.

mardi 18 juin 2013

Révélations en questions

Dans l'actualité des dernières semaines, un nouveau héros de la vérité nous confirme l'existence de machineries puissantes d'espionnage du Web. C'est une superbe opportunité de poser quelques vraies "questions qui tuent".

Croyez-vous que la fuite à Hong Kong du vaillant dénonciateur puisse nous garantir contre toute manipulation de ses déclarations (même en supposant que ledit dénonciateur soit authentique) ?

Est-ce réellement une surprise, cette "révélation" de l'espionnage de l'Internet par une grande puissance mondiale aux fins de lutte contre le terrorrisme (et plus largement contre tous ceux qui s'opposent à ses intérêts), alors que le réseau Echelon fait de même depuis des années pour les télécommunications ?

MI5_2.jpg Croyez-vous que seules vos "données personnelles" permanentes sur le Web sont observées, autrement dit vos pages personnelles et les informations associées à vos divers comptes, et pas vos comportements, les pages que vous regardez, combien de temps, à partir d'où, à quelle heure, etc ?

Croyez-vous que la puissance en machinerie nécessaire et surtout la compétence d'exploitation en quasi temps réel de gigantesques masses de "données personnelles" soient à la portée d'entreprises commerciales même multinationales ?

Croyez-vous que cette machinerie et cette compétence soient les créations spontanées de quelques startups à succès dans un marché de concurrence libre et non faussée, plutôt que l'inverse (à savoir que le développement de certains géants actuels du Web aurait bénéficié d'un soutien comptablement invisible mais massif, en matériels et compétences technologiques euh... prééxistantes et par nature coextensives) ?

Croyez-vous que cette grande machinerie d'espionnage ne serve que des buts commerciaux ?

Croyez-vous que l'espionnage se réduise à une activité passive de recueil d'informations ? (Si vous répondez oui : lisez quelques romans d'espionnage, regardez quelques séries d'espionnage dans notre monde actuel, par exemple l'excellente série britannique MI-5 (Spooks en vo), et veuillez vous rappeler tout de même que vous avez déjà été informés que des régimes "totalitaires" ont récemment manipulé et liquidé des opposants grâce à l'espionnage des seuls emails, mais en réalité peut-être bien plus)

Croyez-vous que les grandes agences et organisations étatiques d'espionnage puissent avoir une autre vocation que de neutraliser par avance sinon détruire leurs ennemis supposés ?
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Croyez-vous que ces organisations passent leur temps et dilapident leur énergie à s'intéresser à chaque individu isolément, alors qu'elles ont à présent les moyens d'abrutir et de tromper des populations entières d'une manière finement segmentée (bourrages de crânes jusqu'aux chercheurs universitaires en versions subtiles) et ceci dynamiquement en mesurant l'efficacité de leurs campagnes d'actions médiatiques au travers des bavardages de leurs cibles et de leurs activités sur le Web ?

Croyez-vous que la propagande, ce soit juste des publicités dans les journaux et à la télé ?

Croyez-vous que tous ceux qui partagent vos opinions, vous donnent leur avis, vous invitent à dialoguer sur le Web, vous proposent leurs pages personnelles, croyez-vous vraiment qu'ils soient tous de vrais êtres humains plutôt que des robots ?

Qui avec quelle autorité, à votre avis, pourrait empêcher que le Web actuel, hypercentralisé sur des "services" universels, ne soit en même temps le coeur d'une machinerie géante de manipulation médiatique, par l'instrumentalisation de tous les medias et organes de diffusion d'informations et de savoirs ?

A quoi peuvent servir d'éventuelles discussions internationales sur le droit associé aux "données personnelles" dans un univers où aucune notion commune de la "personne" ne peut exister ?

Vous trouverez d'autres utiles questions et arguments dans notre billet déjà ancien sur l'affaire Safari. Concernant la comparaison au Big Brother voyez notre billet Comment peut-on ne pas aimer Facebook  ? et concernant les moteurs de recherche, notre billet Pensées d'un requêteur d'occasion.... Ajoutons, pour les lecteurs un peu curieux, qu'une requête "Wired NSA" sur un moteur de recherche vous mènera probablement encore vers un article publié début 2012 par la revue Wired, disponible à l'époque en Europe continentale notamment dans la version UK de ladite revue. Ce long article abonde sur la matérialité colossale des investissements informatiques consacrés principalement au craquage des communications cryptées sur Internet. Vision locale, partielle, défensive...

samedi 17 mars 2012

L'affaire Safari, cela fait rire

Encore une fois, un génie de l'informatique fait l'actualité.

Et, encore une fois, il s'agit du terrain sacré de la préservation de nos informations personnelles sur Internet.

Une version du logiciel navigateur Safari aurait été bidouillée pour le traçage de l'utilisateur, en ignorant même d'éventuels paramétrages personnalisés en faveur de la discrétion. Pour une fois, le bidouilleur génial serait un salarié d'une grande entreprise de l'informatique. D'où scandale, procès, fric et fantasmes...

Revenons sur terre.

L'affaire Safari nous rappelle que les logiciels peuvent être bidouillés pour faire un peu autre chose que ce que nous leur demandons, et même carrément l'opposé de ce que nous leur demandons !

Le logiciel libre n'est pas LA solution. Pourtant, ce concept apporte une partie de solution, notamment par la publicité du code. Mais rien n'empêche un bidouilleur d'y dissimuler des suppléments mafaisants, et bien malin le professionnel chevronné qui pourra les détecter parmi des milliers de lignes ! Les régressions au fil des versions des logiciels piliers du "libre" témoignent de la difficulté de ce type d'exercice et manifestent malheureusement aussi le défaut de compréhension du problème. Ce sont les protestations d'utilisateurs qui provoquent les enquêtes, et les régressions restent définitivement inavouées ou publiées à la sauvette dans des forums hyperspécialisés après que les corrections soient effectuées.

De quoi serions-nous fondés à nous plaindre ? La plupart de nos logiciels d'utilisation courante sont gratuits et chaque utilisateur en accepte les "conditions d'utilisation" à ses risques et périls.

Tout de même, posons quelques questions super naïves : quelle autorité pourrait nous garantir que notre navigateur Internet préféré est "sain" ? Qui d'ailleurs aurait la capacité technique d'analyser en profondeur les versions successives des logiciels communiquant avec Internet ? Qui aurait l'autorité de faire publier les résultats de telles analyses dans quels medias indépendants ? Qui aurait ensuite le pouvoir de faire respecter quelles règles précises reconnues universellement, le pouvoir de faire appliquer quelles injonctions et pénalités significatives et immédiates aux contrevenants ?

A titre individuel, à condition d'y consacrer pas mal de temps, chacun de nous dispose du pouvoir de contrôler en détail tout le trafic de ses propres logiciels avec l'Internet, au moins le trafic vu par un proxy ou un pare feu suffisamment collaboratif (lui aussi potentiellement félon). De toute façon, ce contrôle individuel ne pourrait satisfaire que son propre usager sans déboucher sur aucune possibilité pratique d'influer sur son destin d'utilisateur cobaye, sauf en rêvant d'actions judiciaires collectives - sans espoir de concrétisation, voir les questions à la fin du paragraphe précédent. Quant à la création d'un organisme labelliseur des logiciels Internet, elle ne pourrait réussir que par une forme d'organisation collective et démocratique, propre à Internet, préservée de tous les autres pouvoirs, à inventer...

Donc, au total et encore une fois, l'affaire Safari relève d'un type d'événement faussement sensationnel, peut-être d'un épisode publicitaire des luttes sournoises entre les dieux de l'Internet, en tous cas d'une péripétie supplémentaire destinée à nous entretenir dans l'illusion qu'il existerait une morale du Web.

La réalité brute, c'est que tous les géants de l'Internet ont les moyens de connaître nos identités et nos comportements sans recourir à aucun bidouillage (le pompon, ce sont les réseaux sociaux où la fourniture des informations est volontaire), et qu'ils ne peuvent être taxés d'espionnage des individus puisqu'ils n'en font qu'une exploitation statistique. Le reste, c'est le vent de l'actualité et des affaires, avec leur dose de frayeurs distillées pour le bien-être de nos esprits soumis.