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lundi 11 décembre 2023

Pour un exercice scolaire en informatique

Bien entendu, le plus important en informatique, c’est d’apprendre à s’en servir.

FabH.jpg

Même pour ce seul objectif, et surtout pour ce seul objectif, on peut essayer d’imaginer des exercices formateurs à la hauteur de l’enjeu et de l’universalité de l’outil.

Un exemple est fourni via les liens suivants pour téléchargement :

http://cariljph.free.fr/exemple/Xpe.pdf

http://cariljph.free.fr/exemple/ParallXpe.zip

Le premier lien pointe sur un article de recherche expérimentale sur la programmation du parallélisme sur ordinateur de bureau.

Le deuxième lien pointe sur un dossier compressé contenant les logiciels développés dans divers langages pour réaliser les expériences décrites dans l’article.

Extrait de ce qu’un élève peut en apprendre par lui-même à partir de quelques bonnes questions :

  • comment rédiger un article technique en anglais, afin de le proposer à une société savante pour publication ou en vue d’un exposé dans une conférence internationale
  • comment tirer la substance d’un article même si on ne comprend pas tout, ou si on y trouve des défauts
  • comment établir une modélisation mathématique simple de résultats d’expérience et comment l’exploiter
  • comment mettre en doute concrètement des opinions courantes
  • comment fonctionnent nos machines informatiques

Quelques idées de bonnes questions :

  • L’article est-il toujours en bon anglais ?
  • L’article est-il scientifique ?
  • La logique de présentation aurait-elle été différente en russe, en chinois,… ?
  • Comment vérifier la reproduction des expériences sur d’autres machines que celles des auteurs ?
  • Peut-on porter au moins partiellement l’expérimentation sur un smartphone ?
  • Qu’est-ce que l’article remet en cause explicitement, implicitement ?
  • Quelle est la part de l’imagination dans la démarche de l’article ?

Les vraies « bonnes questions » dépendent des personnes, des lieux, des circonstances, des matériels et des réseaux de travail.

Evidemment, ce qui est proposé ici ne convient pas au cadre d'un examen ponctuel. C’est à comprendre comme un support initiateur d’échanges et de coopérations étalées sur plusieurs semaines entre éléves, entre élèves et professeurs, entre professeurs, en parallèle des autres enseignements.

En espérant pour chacun toujours plus que ce qui était prévu…

jeudi 14 juillet 2022

Simple logique

Ce billet est consacré à la logique pratiquée dans nos façons de vivre et de penser, celle de la raison commune et de ses expressions. Cette « simple logique » est celle de l'incarnation personnelle comme être pensant, c’est aussi celle de l'interaction sociale au-delà des automatismes et réflexes.

Le sujet comporte de multiples facettes et connexions, la prétention de l’auteur se limite à la présentation à peu près ordonnée de ce qui lui a paru à la fois important et peu ou mal traité par ailleurs - surtout les questions.

Logique commune, pour quoi faire ?

La mutation de la simple logique commune dans notre monde moderne est un phénomène encore mal décrit en tant que tel. Certes, des bons auteurs et même de grands penseurs se sont intéressés à la « pensée moderne » et à ses incarnations par des personnages de tous bords. La critique de certaines dérives « modernes » équilibrait les efforts de polissage des « nouveaux » caractères apparents… Dans l’actualité brute de nos crises contemporaines de démence collective, les thèmes littéraires du milieu du 20ème siècle paraissent rétrospectivement tout aussi défraîchis que les illuminations des siècles précédents. En revanche, les écrits de certains sociologues et philosophes apparaissent prémonitoires, malheureusement sans apporter aucun secours quant aux remèdes possibles, sauf parfois l’alignement sur une doctrine radicale.

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La réalité crue s’est imposée récemment de plusieurs catastrophes successives (dont la moindre serait celle des épidémies de covid et de leur « gestion ») qui continueront d’impacter de plus en plus négativement la vie quotidienne de populations entières en conséquence de décisions absurdes totalement acceptées, partagées, soutenues par la majorité des populations, leurs « élites » comme les gens ordinaires. Cette réalité crue devrait inciter à dissiper toute illusion de supériorité moderne sur les « erreurs du passé », et devrait plutôt inciter à examiner au bon niveau, celui de la logique commune, ce qui aurait été perdu par rapport aux siècles précédents dans les fondements de la raison commune et la pratique de la décision publique, afin de rechercher ce qui pourrait en être utilement récupéré ou adapté pour prévenir, pas seulement traverser, les crises futures de démence collective.

Justement, n’est-ce pas la disparition de la logique commune qui expliquerait en grande partie la vulnérabilité des sociétés modernes aux emballements invalidants ? Comment expliquer cette disparition alors que l’esprit du temps bénéficie d’instruments (ordinateurs, calculatrices, réseaux de télécommunication…) libérateurs des basses tâches répétitives et multiplicateurs des possibilités de dialogue ?

Une première partie de la réponse est dans la question : la libération et la multiplication ont de fait contribué à étouffer la logique commune plutôt qu’à la renforcer. Pourtant, la logique commune ne s'oppose en rien à la logique formelle ni aux calculs techniques, pas plus que la vie ne s'oppose aux mathématiques, à la construction de machines, à la création de logiciels. Mais notre vie biologique, individuelle et collective, qui est le cadre nourricier de notre logique commune de pensée, est-elle encore considérée comme la source des mathématiques, machines, virtualités logicielles, institutions des sociétés, ou bien est-elle à présent assimilée à une contrainte archivée, comme un ancêtre gâteux dont on ne peut plus rien espérer ?

Il semble que la deuxième réponse révèle un caractère majeur de la modernité. La conviction de la supériorité d’une « vérité scientifique instrumentée » se traduit par la distorsion mentale qui tend à ramener tout projet, tout obstacle, à un problème soluble par des modèles de calcul ou par des arguments juridiques. L'évidence de la relativité des critères de rigueur, l'évidence de l'artificialité des concepts, l’évidence de l’incomplétude des modèles en comparaison de la complexité du réel, ont disparu sous les empilements de certitudes fabriquées - seules quelques sages grandes personnes proches de la retraite osent le dire parfois. Au contraire, les modèles, les formalismes opératoires, se complexifient, se spécialisent en se multipliant, en couches de superposition, et leur augmentation simule une activité utile, un progrès. D’ailleurs, la profusion délirante des organes qui les implémentent dans nos sociétés en est-elle la conséquence ou la cause ?

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C’est au point que la « science » ne force plus à l’humilité mentale (sauf pour quelques vrais esprits scientifiques naturellement doués), mais au contraire entretient diverses formes de déni du réel. Notre « science » contemporaine s’est organisée socialement comme une fuite mentale hors du monde social et physique, vers des univers fictifs de vérité absolue et d'abolition des limites – des imaginaires administrés par des gardiens du temple, où pullulent les gredins et les faussaires (et leurs victimes), des espèces d’imaginaires très antiques avec leurs fonds de fanatisme doctrinal, en version moderne jusqu’aux actions organisées de propagande ou au contraire de désinformation et dénigrement. Cette « science » très consciente de ses intérêts, lourdement institutionnalisée, pourrie d’intérêts financiers et de juridisme, peut-elle encore abriter une démarche scientifique « pour la gloire de l’humanité », au moins pour la survie paisible de cette humanité ?

Dans le discours officiel, le rapport entre la morale et le droit, le rapport entre les valeurs et les pratiques, sont implicitement considérés comme si les premiers, la morale et les valeurs, étaient les générateurs univoques des seconds, qui en implémenteraient les règles et les instructions comme un logiciel est censé (dans un monde imaginaire très naïf) implémenter la pensée d’un concepteur. Comment s’étonner d’une réduction de la morale au droit, d’une réduction des valeurs aux codes sociaux, et de l’exploitation sordide des « zones grises » mal couvertes par les règles et les instructions ? Cette dérive n’est pas spécifique à notre modernité, mais le credo pseudo « scientifique » suffirait à lui seul à la créer. Dans cet idéal de robot, tout lien social est simplifié, maîtrisé, parfait - brutal et sans recours.

Plus en profondeur, malgré le confort apporté par les progrès techniques, les énergies mentales dominantes du 21ème siècle demeurent celles qui animent en miroir l’individuel et le collectif probablement depuis les origines de l’humanité :

  • jouissance expansive (ivresse, avidité, expansion de conquête, lutte pour le pouvoir)
  • construction réflexive (religion, science, arts, gouvernement, disciplines du dépassement).

Dans un monde en rétrécissement, l’alternance non maîtrisée entre les affrontements et les coopérations de ces énergies mentales sera-t-il un facteur de survie ou un ressort fatal ? Pourtant, ces alternances semblent ignorées parmi les phénomènes sociaux, malgré l’évidence historique dramatique et actuelle de leurs oscillations brutales (guerres, révolutions…). Alors, comment une forme de sagesse dans notre logique commune pourrait-elle s’étendre au-delà des horizons temporels courts, complètement soumis aux énergies primaires, à leurs sauts créatifs conflictuels, à leurs sauvageries régénératives ?

Rien ne sert d’accuser nos dirigeants contemporains de crétinisme ou de corruption, d’accuser nos penseurs de superficialité, rien ne sert de plaider notre dépendance populaire aux paroles officielles dans l’urgence de la satisfaction de nos besoins vitaux, ce fut toujours ainsi, les systèmes de pouvoir et de décision n’ont jamais vraiment changé au fond - sinon dans la technique et les mots - depuis des siècles. C’est plutôt ce constat-là, celui de la stabilité des systèmes de pouvoir et de décision, qui devrait mériter notre attention. Comment surmonter les antiques réflexes mentaux qui sont à présent devenus dangereusement inadaptés ? Comment inventer une logique commune qui nous fasse évader de leurs boucles d’asservissement ?

Quelques exemples d’asservissements en boucle dans les décisions politiques

Actuellement comme souvent dans l'histoire des relations sociales, la soumission à un artefact de sens réduit le domaine d'exercice de la raison commune, jusqu'à l’enfermement dans une logique automatique ou dans une contrition révérencielle.

Qui oserait mettre en cause les « droits de l’Homme » ? Sans parler du contenu, on peut contester la pertinence du titre : pourquoi des « droits» de l’Homme plutôt que, par exemple un projet pour l’Homme ? Combien de temps nos dirigeants vont-ils encore affecter de se prosterner devant ce totem nommé à l’époque lointaine où les « droits » étaient accordés au peuple par un roi ou par un dieu ? En plus, ce totem est carrément pourri à l'intérieur, puisque même « au pays des droits de l’Homme », il fut piétiné par les gouvernants pour faire la guerre... au covid, et plus récemment pour une autre guerre non déclarée. Qui peut encore croire, dans la situation du monde, que ce totem puisse être relevé dans les prochaines années sauf pour des commémorations ? En revanche, il serait urgent que les peuples de la planète s’accordent sur un projet réaliste pour l’humanité dans le demi-siècle en cours.

Notre modernité perfectionne l’enfermement mental et la stérilisation de l’esprit par la réalisation physique d’une boucle d’asservissement quasiment en temps réel, grâce aux « nouvelles technologies ». La modernité de cette boucle, c’est le très court délai de rétroaction, avec comme conséquence l’intégration de l’ensemble des acteurs comme prisonniers de la boucle.

La boucle "le peuple - les médias - les dirigeants – les experts - les médias - le peuple" en rotation rapide ne permet plus - surtout de l'intérieur de la boucle - de discerner l'origine des émotions partagées, des idées partagées, des décisions politiques à partager. C’est un vecteur idéal de propagation et d’amplification d’une infection par des agents d’influence producteurs d’artefacts.

La boucle ne crée pas l’urgence, elle est l’urgence par nature. Elle engendre automatiquement « la vérité », dans la sauvagerie calculée des émotions. A l’intérieur, il n’existe aucune différence entre "décision partagée" et "décision imposée". Les acteurs de la boucle sont tenus en état de jouissance expansive, alors qu’ils sont de fait prisonniers, dans l’incapacité de recourir aux précieuses règles de conduite qu’ils auraient préalablement élaborées spécifiquement en vue des situations d’urgence.

Certains acteurs de la boucle peuvent être mieux informés que d’autres des évolutions d’opinions, par exemple par la connaissance d’analyses statistiques instantanées, ce qui leur donne la possibilité de renforcer l’impact de leurs propres messages. Dans une boucle à rotation rapide, même et surtout pour des décisions politiques, ce renforcement se fondera dans l’urgence sur des appels aux valeurs et à la morale, sur l’exploitation d’émotions, sur l’affirmation de « preuves » spectaculaires – tout le contraire de justifications par la raison.

Comment qualifier la réalité du régime politique d’une telle boucle ? Pas une dictature, pas le chaos, quelque chose entre les deux, avec ce qu'il y a de pire dans les deux !

On aurait une anarchie potable si par exemple il existait un perturbateur intelligent reconnu de tous dans la boucle, qui émettrait des idées originales, de nouveaux points de vue, ferait ressortir certains aspects d’opinions minoritaires pour l’intérêt général, etc.

On aurait une possibilité de dictature raisonnée s'il existait un "fou du roi" hors de la boucle, que les dirigeants s’obligeraient à écouter par dessus les analyses d’opinions, ne serait-ce que pour prendre du recul en dehors de leurs cercles d’affidés et d’égos.

Bumarai.jpg En l’absence de tels acteurs en puissance, et suite à l’infection préalable organisée (sans subtilité mais adaptée à chaque segment cible) de tous les asservis de la boucle, la crise covid en Occident fut la démonstration grossière du pire des possibles. Le modèle ultra simpliste de la boucle d’asservissement par l’usage primaire des nouvelles technologies n’est pas une fiction, tous les acteurs sociaux, une majorité écrasante de personnes, ont abandonné toute raison durant des mois. Rien n’aurait été différent, même pas les excès les plus délirants des déclarations de propagande et des actions médiatiques d’étouffement des discordances, si nos lumineux dirigeants, si nos représentants de l’intérêt général, si nos gardiens des finances, avaient pris de très longues vacances en abandonnant la population aux entreprises du secteur médical; s’ils ont fait plus, c’est en participant à la folie de la boucle d’asservissement comme des personnes très ordinaires, y compris ceux et celles qui en ont profité. A l’inverse, on peut imaginer en rêve notre situation si aucune décision précipitée n'avait été prise, les terribles vagues épidémiques successives ayant de toute façon suivi un cours naturel avec, au total sur 3 ans dans tous les pays malgré diverses stratégies sanitaires, quelques pourcents de décès dans les populations, surtout des très vieux.

Comment sortir de la boucle fatale ?

Une logique commune s’adapte en fonction de l’expérience ou disparaît. Elle pourrait renaître à présent, après une période de quasi étouffement par une pseudo modernité, à partir de l’expérience mortifère des boucles d’asservissement par les nouvelles technologies. C’est bien plus urgent qu’une réforme des programmes dans l’enseignement « supérieur ».

Pour un individu, les modes de sortie d’une super boucle d’asservissement mental d’une grande population sont vite répertoriés :

  • la résistance frontale
  • l’exil intérieur
  • le décrochage
  • la conversion antidote
  • l’illumination salvatrice

La résistance frontale : garantie d’un destin à la Giordano Bruno, au minimum certitude d’un déclassement social sauvage – pas seulement dans l’espace virtuel, dans la vie sociale réelle du monde physique.. En association de résistants : garantie de l’opprobre « complotiste » ou autre artefact d’abjection, mais une relative protection individuelle contre les brutalités médiatisées par la boucle, peu discriminantes sauf dans le dénigrement des fortes têtes.

Amespy.jpg L’exil intérieur exige une discipline de fer, du niveau d’agents « dormants » introduits dans un pays ennemi, simulant quotidiennement leur intégration aux mœurs et façons de penser locales mais leur demeurant imperméables, à l’affût des occasions de nuire sans se dévoiler. Cette discipline n’est pas à la portée de tout le monde, même après un entraînement préalable.

Le décrochage de la boucle n’implique pas l’éloignement physique, mais de toute façon, comment échapper à la pression des médias traditionnels tous dépendants (journaux, radio, télé) et surtout comment échapper à l’expression des vérités et aux conduites majoritaires par les braves gens partout ? Par le décrochage, on échappe à la fébrilité de l’urgence à l’intérieur de la boucle, mais on reste baigné dans un univers mental fabriqué par la boucle dont les évolutions sont plus lentes, mais pas amorties pour autant. Lequel de ces deux enfers est le plus implacable ? Ou alors, fuir au désert, disparaître ?

La conversion antidote s’opère par le choix d’une autre dépendance, suffisamment forte contre des effets redoutés de la boucle. Autrement dit, vu de l’intérieur de la boucle, on peut assimiler cette conversion à une variante « lâche » de la résistance frontale, elle sera donc soumise aux mêmes attaques au premier signe de déviation.

L’illumination salvatrice envahit impérieusement la personne et l’immunise absolument – dans sa version historique, elle manifeste une grâce divine. Il y a toujours trop peu d’élus parmi les puissants, malgré quelques exemples dans l’Histoire.

En conclusion, la nature totalitaire de la boucle fatale condamne chacun de ces modes pris isolément à l’échec - sauf le dernier qui n’est pas généralisable. Rétrospectivement, on pourra cependant trouver utile d’approfondir les différents modes afin de pouvoir les combiner selon ses propres capacités et les opportunités du moment.

Seul le premier mode, celui de la résistance, est susceptible de contester les produits absurdes, les vérités falsifiées de la boucle, et même peut-être de parvenir à libérer d’autres personnes de l’influence de la boucle, après de longues épreuves et à condition de persévérer. Plus efficacement, une résistance bien ciblée peut gêner les processus de la boucle. Pour ce faire, des « méthodes souterraines » produiront certainement un résultat plus prévisible en intensité et en délai que des actions à découvert, par exemple de type juridique.

Au total, comment se débarrasser des boucles fatales, comment faire muter une boucle d’asservissement, par exemple en boucle de projets ? C’est certainement une très bonne question, si on en prend la preuve par son absence dans tous les médias asservis, sauf sous une couverture anecdotique ou dans un langage imperméable à la raison commune. Beaucoup d’autres billets de ce blog se consacrent à cette question.

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L’espoir vient de quelques grandes personnes contemporaines qui n’ont plus rien à espérer pour leur carrière, et acceptent le risque de perdre provisoirement un peu de leur réputation, produisent le travail d’enquête qu’auraient du faire les journalistes, pour publier ou dire les séries d’incohérences, d’absurdités, d’abus, dans les décisions prises par nos dirigeants au prétexte de l’urgence, ensuite pour oser s’étonner de l’oubli de règles de conduite dans leur propre domaine d’activité, et du rejet arbitraire de solutions simples expérimentées depuis longtemps.

A un autre niveau, l’espoir vient des auteurs qui tentent d’anticiper nos difficultés planétaires à venir, tentent de définir des stratégies d’amortissement de ces difficultés qui ne soient pas destructrices de la suite.

mardi 20 avril 2021

Logiques en miettes

Des logiques du raisonnement courant

Quand nous disons "il est dans sa logique" ou "ils sont dans leur logique" en parlant de quelqu'un ou d'un groupe constitué, c'est rarement pour sous entendre une approbation, toujours pour signifier l'existence d'une différence, au moins le sentiment d'une réserve par rapport à l'exercice d'une logique commune.

L'explicitation de cette différence est pourtant rarement réalisée. C'est d'abord qu'elle impose une discipline et un effort de discernement, car en théorie, la différence peut porter sur les prémisses, sur le déroulement du raisonnement logique, sur les conclusions. C'est aussi que, très souvent dans notre vie courante, comme dans la fantasmagorie des institutions décisionnelles, l'ensemble des prémisses justificatives n'est pas rappelé intégralement et le fil du raisonnement logique est remplacé par un saut direct aux conclusions à partir de quelques faits interprétés dans des cadres implicites ou en référence à des lois ou obligations réglementaires. Bref, le plus souvent, les prétendues conclusions sont en réalité des traductions agressives de circonstances ou de contraintes présentées comme prioritaires, même lorsque le simulacre de raisonnement logique s'appuie sur des formes élaborées (enquêtes statistiques par exemple) qui en dissimulent l'empirisme et l'arbitraire. Alors, la recherche de la différence significative peut se réduire au choix dans un ensemble d'insultes d'usage, ou plus subtilement au choix du silence comme manifestation d'un espace d'ignorance contradictoire.

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Au contraire, la "déduction" à la Sherlock Holmes peut être vue comme la discipline du discernement entre diverses logiques, appliquée aux circonstances romancées de crimes apparemment insolubles. Cette "déduction" se déploie en deux étapes concomitantes et mutuellement rétro actives. La première étape est celle d'un élargissement du champ d'enquête, où se manifestent les facultés d'analyse et d'intuition, les activités de recueils multiples et imbriqués, avec une certaine obstination. La deuxième étape consiste à révéler ou provoquer un ordonnancement d'éléments ou d'événements factuels sous une forme qui permettra de convaincre les autorités de la validité d'une conclusion accusatoire. Cette deuxième étape nécessite une acrobatie mentale de haut vol. Elle consiste en effet à traduire les effets d'une logique parasitaire perverse dans une forme observable et assimilable par l'autorité, par un exercice de médiation entre la logique d'un criminel et la logique commune de l'autorité. Sinon, ni les vrais mobiles du crime (et parfois ce crime lui-même) ni les indices accablants n'apparaîtront. Le résultat de cette médiation terminale est sans équivoque ni échappatoire, au contraire d'une révélation médiumnique - bien que les flashes mentaux de Sherlock Holmes relèvent d'une convention romanesque, ils ont leurs équivalents dans toute recherche scientifique.

Des logiques de raisonnement dans les sciences

L'Histoire et l'actualité abondent en preuves que nos sciences ne sont pas indemnes des raccourcis et simulacres de nos raisonnements de la vie courante. La vulnérabilité scientifique aux mécanismes des conclusions hâtives est amplifiée par la disponibilité d'appareils d'observation et de logiciels d'analyses numériques, dont l'utilisateur "compétent" et pressé se dispense de rappeler (et parfois même de connaître) les conditions d'usage et les modèles constitutifs. La révolution numérique a développé la "science presse-bouton". Ce serait simplement amusant voire stimulant en vue de discussions productives, si, dans le champ de notre logique commune, les abondantes productions des savants crétinisés n'étouffaient pas les ignorances naturelles des vrais scientifiques et leurs moteurs de création d'hypothèses.

L'occupation abusive du champ de la logique commune par de creux bavardages formels est d'autant plus dangereuse que ce champ de la logique commune, en tant que bien commun de notre humanité, subit une contraction accélérée.

Pourtant, avec les avancées des sciences dures (et de la mathématique) au cours des 19ème et 20ème siècles (dont la physique quantique, la cybernétique, l'informatique théorique), ce champ aurait du considérablement s'étendre non seulement à de nouveaux objets d'étude mais à leurs relations entre eux, à la genèse et à l'évolution de ces relations... Le principe de contradiction (ou du tiers exclu) devait être réinterprété plutôt que contesté, non seulement dans le cadre de la mécanique quantique, mais en considération des incompatibilités entre les théories scientifiques concurrentes, et d'ailleurs, avant cela, surtout en considération de nos logiques de choix de vie courante...

Malheureusement, dans les sciences sociales, l'élargissement s'est réduit aux apparences d'un parallèle aux sciences dures, sous les effets de la pesanteur d'affrontements historiques entre des thèses anciennes aux prétentions universelles, les unes s'intéressant aux évolutions globales des sociétés, les autres se consacrant aux profondeurs du comportement humain - les vaticinations et les pseudo déductions par inférences bayesiennes n'ont pu compenser l'absence d'un principe d'incertitude, encore moins l'absence de théories opératoires dans notre monde contemporain.

Plus que les discours prétentieux de mauvais vulgarisateurs des sciences dures, la stagnation des sciences sociales, à la remorque des transformations de la société, est certainement responsable de notre inconscience du risque existentiel associé à la réduction du champ de notre logique commune et à son remplacement par des règles de satisfaction individuelle par segment d'intérêt. Par exemple, si nos pseudo sciences sociales avaient un rapport avec notre avenir, quelqu'un quelque part s'intéresserait aux techniques de manipulations dans les réseaux sociaux en parallèle aux recherches sur le paramétrage des réseaux neuronaux. Et peut-être il se risquerait à observer plus que des similitudes, une convergence ?

De la disparition d'une logique universelle de vie

L'exode agricole, l'expansion des métropoles, la désertion puis la repopulation des unités urbaines de taille humaine en vagues successives... ont fait disparaître ou font disparaître, dans beaucoup de régions du globe, le mode de vie en communautés géographiques : la logique commune portée par une communauté physique de voisinage a disparu, remplacée par des logiques fonctionnelles (certaines étaient préexistantes mais secondaires) d'entreprises, de métiers, de statuts et de carrières, etc. Dans ces conditions, la règle du chacun pour soi dans ses propres segments d'intérêts personnels sert d'ersatz de logique commune dans les relations sociales.

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Considérons l'arborescence logique de la fonction "survivre" d'un ancien village. Tout en haut, on y trouve les fonctions basiques telles que l'alimentation en eau et en énergie, l'entretien des lieux rues et bâtis communs, les services d'intérêt général (télécommunications, police, pompiers, centres médicaux, transports...). A l'inverse, l'arborescence logique de la fonction "survivre" d'un individu moderne ne découvre ces fonctions basiques que tout au fond du déploiement de chaque racine, en servitudes communes des fonctions de tête telles que "assurer ma rémunération", "soigner mon corps", "développer mon esprit", etc. Pour l'individu moderne, le logement est le résultat d'une optimisation temporaire sous contraintes; pour un jeune citadin sorti du foyer parental, la proximité d'un club de sport à la mode et d'un vendeur de pizzas sont des atouts premiers et l'absence d'une liaison numérique à haut débit est inimaginable; la villa avec jardin - aire de jeux - potager, comme l'appartement en immeuble collectif, comme la chambre de bonne ou la cave dortoir, sont diverses enveloppes standardisées de mobile home, et un achat immobilier patrimonial en prévision de la retraite ne peut que mimer un retour au pays. Au contraire, dans le village à l'ancienne, l'habitation de chacun faisait partie de sa personnalité profonde. Dans les pays "riches", sauf exception locale, ce village à l'ancienne en tant qu'entité vivante est mort ou a muté en décor publicitaire de l'économie. Les communs y sont devenus des produits, l'intérêt général une contrainte marginale.

Du besoin d'une logique universelle d'existence

Et à présent, nous prétendons opérer une grande transition économique et sociale pour "sauver la planète, notre maison commune" ?

Commençons par déplacer l'analogie à une maison commune familiale cocon - antinomique de toute conception de solidarité étendue - vers une analogie à "notre village commun" et retrouvons sa logique de fonctions essentielles universelles, afin de pouvoir nous adapter aux réalités du monde tel qu'il va.

D'une maison isolée dévorée par les flammes, les habitants s'extraient, constatent l'inévitable, sauvent quelques biens et s'éloignent. Par la suite, à moins d'une obligation pesante ou d'une motivation extraordinaire à reconstruire, tout ce qui peut diviser les victimes provoquera la dispersion et l'oubli, éventuellement après quelques épisodes conflictuels. Au contraire, un village attaqué par un incendie violent s'organise naturellement en tant qu'entité vivante, au début seulement par le dévouement de ses habitants formés à combattre le feu puis par tous les autres pour résister à l'avancée des flammes entre les maisons, préserver les ressources vitales, arranger le relogement provisoire des sinistrés, ensuite réviser la répartition des tâches d'intérêt commun.

Dans notre monde planétaire de plus en plus instable, en l'absence d'un socle de valeurs reconnues par toute l'humanité, ce serait une sottise de se couper d'un socle mental de civilisation, qui fut commun à toute l'humanité jusqu'au troisième quart du 20ème siècle, et nourrit toujours les logiques de vie d'une grande partie de l'espèce. En contre exemple, notre monde moderne, si riche en logiques dispersées et contradictoires, nous apporte chaque jour la preuve que la certitude d'une fatalité commune planétaire n'est pas en capacité d'induire une communauté minimale des destins, et induit au contraire le refus de l'organiser - les mouvements ponctuels de "solidarité" à la suite d'une catastrophe locale, les organes permanents de secours ne sont pas à la mesure des événements à venir, ni de leur multiplicité ni de leur ampleur.

Dans notre univers mental contemporain, l'extraordinaire floraison des mécaniques managériales et financières a produit un effet de trou noir sur les anciennes logiques fondatrices au lieu de les servir, comme d'autres inventions mentales à vocation sectaire durant leur première phase d'expansion bavarde. Au contraire, une logique universelle ne peut être qu'une logique fruste, sans valeur ni mot d'ordre, à partir d'un germe mental d'existence humaine en vies solidaires (mais pas d'un monde sans conflit, nature oblige).

Nota. Il n'y a pas d'erreur de sujet dans ce billet : il s'agit bien de la logique commune au sens premier, pas de "culture", ni de "racines, ni d'"appartenance", ni d'aucun concept distinctif. Cette logique contient les cadres d'essentialités "naturelles" (hérités des siècles villageois) et quelques règles du jeu de notre raison (épurées après quelques décennies "scientifiques"). Elle s'exerce dans nos déductions, nos interprétations du monde et des autres, la construction de nos projets. Faut-il des mots savants pour quelque chose d'aussi simple ?

Note technique. La décomposition arborescente en éléments physiques d'un objet fabriqué, système ou être vivant, ou la décomposition d'une fonction de cet objet système être au travers des noeuds logiques ET et OU représentant les modes fondamentaux de collaboration, ne peut rendre qu'une ombre idéalisée de la réalité, sauf dans des cas très simplifiés, par exemple celui d'un objet assimilable à une fonction unique (un tournevis, un couvert de table, et encore...). En effet, à l'intérieur des êtres vivants et de la plupart des créations fabriquées en résultat d'une conception élaborée, plusieurs éléments constitutifs concourent normalement à une sous fonction donnée, soit de manière permanente dans un partage complémentaire, soit de manière temporaire notamment en cas de défaillance d'un autre élément ou dans un environnement particulier ou au cours d'une transition entre phases de vie... Cependant, si on sait développer toutes les arborescences descriptives de chaque possibilité observable de fonctionnement de l'objet système être dans sa relation à l'environnement et selon ses arrangements internes y compris ses modes dégradés, puis inventer une logique de transition entre ses états observables à défaut d'en comprendre les mécanismes, on obtient un modèle des apparences, singulièrement celles qu'un observateur a pu distinguer, énumérer, décrire, sans pouvoir affirmer que ce modèle est complet. La logique du vivant n'est décidément pas binaire. Une modélisation par une logique binaire "pure" ne peut ni représenter (encore moins prédire) la réalité interne d'un objet système être, notamment du fait des limites de représentation des collaborations internes en fonction de facteurs de natures diverses (historique, environnement, accident interne). Alors, si on tient absolument à se représenter, en vue d'en prendre la maîtrise, l'arrangement des fonctions et des composants à l'intérieur et entre objets systèmes êtres, tel qu'il se réalise simplement dans l'exercice naturel d'une solidarité dans la vraie vie, on conçoit la nécessité d'un aplatissement et d'une simplification préalables - autrement dit, un exercice d'autorité brutale typique des grandes fictions sociales et de leurs tentatives de mise en oeuvre. C'est en partie par les effets d'un délire esthético mathématique que furent créées les fondations de la mécanique quantique, première grande théorie scientifique d'évasion des cadres binaires. Par quel délire pourrait-on libérer les sciences sociales ?

mardi 22 décembre 2020

Rapport de campagne

Ce billet d'actualité est rédigé par un citadin d'une métropole de l'Ouest européen, dans l'espoir que notre "crise Covid" provoque la prise de conscience de nouvelles vulnérabilités de nos sociétés du fait des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications.

Et que s'ouvrent les projets en préparation de crises plus graves.

Une guerre dans la guerre

Dans mon petit pays d'Europe de l'Ouest, un vocabulaire guerrier fut employé au début de la reconnaissance de l'épidémie.

S’il s'agit bien d'une guerre, les victimes ne sont pas seulement les individus gravement atteints par le virus. Quelques fondations techniques et mentales de nos sociétés sont endommagées. Car nos sociétés modernes se sont montrées vulnérables aux manipulations de l'information portées par les nouvelles technologies des communications. La généralisation et l'accélération des mécanismes de propagation d'infox et de leurs processus génératifs ont produit, en quelques semaines, une infection massive de la pensée commune, une forme de régression maladive des esprits bien connue dans l'histoire humaine.

Une possible victoire technique à venir sur le virus ne devra rien à nos capacités d'intelligence collective sur Internet, et très peu aux capacités d'adaptation de nos organisations, privées comme étatiques. A la fin de l'année 2020, après plus de 6 mois de « guerre » à l'initiative des virus en assauts successifs, les directives de précaution préventive qui nous sont imposées seraient-elles différentes à l’hôpital dans la salle d'attente des urgences pendant une épidémie de peste ?

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Nos moyens modernes de communication et de partage à distance, nos chaînes d'informations continues, nos médias interactifs... nous aurions gagné à les remplacer, pour l'occasion, par le télégraphe-téléphone-fax des temps anciens, si nous avions voulu préserver la possibilité d'une construction réfléchie de tactiques différenciées contre l'épidémie. Au contraire, les communications à la vitesse de la lumière, les diffusions en canaux multiples à large bande, ont servi l'amplification des terreurs et de faux espoirs, ont entretenu l'absence de socle décisionnel, jusqu'à la tétanie de la raison des penseurs professionnels et des décideurs.

En parallèle, pour réduire les contacts entre les personnes, nos sociétés ont favorisé le développement du travail à distance par Internet. Au passage, cette modernité de façade a révélé sa pesante parenté avec le modèle historique de l'artisanat à domicile rémunéré à la tâche. Il suffisait pourtant de recueillir l'expérience de dizaines d'années de pratique du télétravail, en réalité d'externalisation d'activités et d'exploitation d'une sous-traitance esclave, par des groupes industriels exemplaires.

Et enfin, à l'expérience répétée d’épuisantes réunions à distance par Internet, peut-être on comprendra que l'absence de discipline adaptée de conduite des réunions, dans les cas où l'on veut s'accorder sur des décisions importantes, est bien plus handicapante que les limites techniques des débits et des surfaces d'écrans, bien plus pesante que les pannes de matériels ou leur mauvaise utilisation par les participants. Les limites techniques à distance rendent encore plus évidentes nos failles dans la reconnaissance et l'exploitation des compétences humaines, dans les méthodes de recherche de consensus. Ce n’est pas l’absence du contact physique qui est en soi la cause du défaut, mais le décalage entre une civilisation fondée sur des techniques « modernes » et des pratiques sociales historiques normalisant la soumission et la manipulation.

Après ces expériences, qui prétendra encore nous faire rêver à une coopération fraternelle entre les pays du monde grâce aux technologies de l'information et des télécommunications ?

Après ces expériences, qui osera encore nous vanter les bienfaits du travail à distance dans toutes les activités de "services", y compris celles que l'on force à se vendre comme tels ?

Après ces expériences, qui pourra encore rêver d'une "démocratie Internet" par la seule vertu des techniques informatiques ?

Nous disposons des technologies performantes des communications à la pointe du Progrès, mais la mise en relation des machines et des objets ne concerne pour le moment que nos cerveaux reptiliens et nos appétits primaires. Dans la guerre contre le virus, le caractère asocial de nos médias "modernes" les a révélés comme facteurs de régression sociale.

L'analogie militaire de notre actuelle stratégie anti-Covid traduit son obsolescence. C’est la stratégie du repli dans la ville fortifiée, avec au centre le donjon des puissants et de leurs serviteurs, hérissé de hauts parleurs prétentieux.

L'Histoire nous dit la lenteur et les douleurs des rebonds de conscience collective après de telles régressions. Nos sociétés n'ont plus la liberté du rythme de cette Histoire-là en vue d’une possible Renaissance. La puissance d’égarement et de destruction par la vivacité et l'ubiquité des vecteurs modernes de la trahison impose un changement de stratégie.

Une trahison high tech

Un processus de manipulation à grande échelle commence par l’inoculation d’un credo initial dans un noyau cible de population. Il progresse ensuite par un labeur d’imprégnation des esprits d’une population plus vaste agissant comme répétiteur, plus tard comme témoin d’appropriation des vérités inoculées. Enfin, la manipulation réussit par les éclats de sa puissance révélée dans le monde physique réel.

Dans cette description brute d’un processus, le parallélisme technique est total entre la propagation d’une vérité scientifique et, par exemple, celui d’une conspiration criminelle. Ce qui distingue l’esprit scientifique, ce sont deux exigences à surmonter avant qu’une affirmation soit prise collectivement comme une vérité : l’exigence d’une filiation prouvable à partir de vérités reconnues et l’exigence du doute de la preuve. La démarche scientifique se caractérise donc par une restriction du champ des vérités possibles à celles qui sont prouvables et par la lenteur du processus d’accréditation du fait d’une relative lourdeur dans l’acquisition des convictions par des esprits réfléchis, d’autant plus lorsqu’une vérité nouvelle exige l’abandon de convictions antérieures ou la redéfinition de leur champ de validité.

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Avec les nouvelles technologies, tout est à reconsidérer car les étapes de propagation ci-dessus décrites sont obsolètes. Une manipulation portée par les vecteurs high tech exécute les étapes de sa propagation en quasi simultanéité, en parallèle via plusieurs canaux de diffusion et d’échanges. Les canaux « interactifs », notamment via les sondages d’opinion en temps réel au profit d’organismes manipulateurs, sont le bouillon de culture des processus d'auto régénération et d’agglutination d’éléments constamment adaptés à l’élargissement et l’entretien de l’infection des populations ciblées. Très vite, on obtient un effet de tétanie de la raison commune, soumise à des influences saturantes à haute fréquence. Alors, la raison « scientifique », au travers des canaux high tech, devient une discipline spirituelle de résistance, un héroïsme de l’ombre - même ses procédures d’accréditation des vérités peuvent être infectées !

Dans un tel univers mental noyé dans un poison high tech, en régression vers les origines des sociétés humaines, le réel n'existe plus ni comme sujet d'étude ni comme hypothèse. Le futur est contenu dans la terreur de l’instant présent, seule la magie ou un miracle représentent l’espoir (de quoi ?).

Résumons comment, dans notre « crise Covid », les croyances magiques se sont avérées parfaitement compatibles avec la société « moderne », y compris parmi nos « grands dirigeants », y compris parmi nos « autorités scientifiques ».

Dès les premières semaines d’apparition officielle de l’épidémie, nous (le grand public) avons été soumis sans modération à diverses influences brutes, de la publicité mensongère à la désinformation, au travers de plusieurs canaux, par les opérations de mercenaires disposant de ressources considérables fournies par des groupes industriels. Leurs obligés, jusqu'aux plus hauts niveaux des institutions, se sont précipités pour accréditer publiquement les messages d'influence, d'autant plus activement lorsque ces messages contribuaient à excuser leur incurie ou leur incompétence. A la suite, les messages ont été synthétisés en vidéos et graphiques de terreur débilitante, en parallèle d'affirmations de croyance au Salut par La Recherche Scientifique, répétés et commentés à haute fréquence, au point de représenter la normalité, au point de bloquer toute possibilité de prise de recul dans les processus de décision de nos dirigeants, les plus honnêtes comme les plus corrompus, abandonnant des espaces à la jouissance de dominateurs pathologiques.

Encore à ce jour de fin décembre 2020, nulle part (sauf exceptions), la crise ne semble affrontée par les armes de la raison collective et de l'expérimentation construite, comme si des siècles d'élaboration des sciences et des techniques étaient subitement oubliés, comme si des siècles d'expérimentation des organisations se résumaient aux diverses formes brutes du pouvoir et aux arguments d’autorité fondés sur la terreur et la culpabilisation. Partout (sauf exceptions), les décisions gouvernementales mimétiques prétendent se justifier par des séries de données chiffrées recueillies sans définition précise des mesures, sans investissement dans la recherche d'indicateurs d'anticipation, sans évaluation d’efficacité des actes réalisés par les divers acteurs de la santé publique, dans la frénésie des vaticinations de néo devins équipés de pseudo modèles à base de paramètres non observables - autrement dit des boîtes noires qui auraient été dénoncées en temps normal comme des tromperies obscènes. Seuls les intérêts particuliers de quelques soutiens isolés proches du pouvoir peuvent amener à la modération des directives, à défaut de sagesse.

Quels niveaux de décomposition de nos sociétés aurions-nous vécus si une épidémie de plus grande ampleur avait tué sur place partout chaque semestre 5 pourcents des populations, implacablement au hasard des contaminations ?

A quels niveaux d’inconfort ou de déchéance physique personnelle serions-nous tombés sans nos machines - esclaves durant les périodes confinées de cette "crise Covid" - les fidèles machines qui nous assurent les services élémentaires de nos vies ordinaires, eau, gaz, électricité, boutons ou claviers de commandes pour le reste ?

Quel degré d’uniformité dans l’abrutissement général aurions-nous atteint sans l’acharnement de quelques professionnels à trouver et publier des traitements immédiatement efficaces pour réduire la gravité de la maladie, à promouvoir des mesures de la propagation des virus dans l’environnement afin de prévoir le sens des évolutions du nombre de malades, malgré les multiples formes d’agression par des propagandistes d’une rigueur « scientifique » de laboratoire hors sol ?

A ce jour de fin d’année 2020, les rabâcheurs de croyances miraculeuses et de directives terrorisantes se rendent-ils compte de la profondeur de niaiserie qu’ils imposent à leur public lorsqu’ils présentent « le » vaccin comme un miracle de la Science, comme un substitut de potion magique ou de sacrement, selon le degré de solennité invoquée ? L’enthousiasme dispenserait-il à présent nos autorités de publier enfin des informations correctes, après la période qui a réduit l’information courante du public à quelques pauvres séries de données, laissant se développer les interprétations hystériques ?

Résumons nos faiblesses spécifiques face à la trahison high tech :

  • la vulnérabilité grossière de nos sociétés (y compris les processus de recherche des vérités scientifiques) aux influences régressives transportées par les réseaux de communication et de diffusion,
  • l’absence de discipline adaptée à la prise de décision collective, à l’exploitation des retours d’expérience et des compétences,
  • le défaut de reconnaissance et de culture de l’esprit scientifique comme élément de garantie du bien commun dans la vie quotidienne de nos sociétés, a minima comme discipline d’abnégation personnelle, de préservation de la raison et de l’imagination de sang froid, et l'organisation d'une collaboration compétitive

Autrement dit : la croissance du décalage entre notre modernité technique et l’antiquité de nos pratiques sociales augmente le risque d’effondrement de nos sociétés à la suite d’un déséquilibre. C’était déjà évident pendant la « Révolution industrielle », c’est encore plus évident avec la « Révolution numérique ». Les nouvelles frontières de l’humanité ne sont plus dans les rêves et les ailleurs, elles sont à l’intérieur de notre humanité telle qu’elle est.

Pour une nouvelle stratégie

La stratégie du repli en forteresse ne peut être victorieuse que par l’abandon de l’agresseur, par exemple s’il est attaqué par une armée de secours ou pour une autre cause d’affaiblissement de ses troupes. Sans l’espoir d’une intervention favorable par un facteur externe, l’efficacité de la stratégie de la forteresse ne peut être que temporaire. Un assiégeant malin trouvera une faille ou se la créera. Par ailleurs, la forteresse est soumise aux dangers d’effondrement interne, par les effets de l’ennui et de la disette mentale et physique, par exemple par implosion de la population en casemates réparties selon divers critères d’affinité ou projets de substitution.

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Pour le moment, dans la « crise Covid » à l’échelle de mon petit pays, l’impression s’impose de la répétition d’une défaite historique, celle de 39-40, puis d’un sauvetage éventuel par des interventions extérieures. La similarité des causes du désastre initial est frappante, dont la présomption de supériorité derrière une fortification infranchissable, l’incapacité à coordonner les unités, l’infatuation théorique de dirigeants. En face, la force envahissante reposait sur une détermination mentale absolue, une organisation logistique planifiée pour le mouvement, la mise en compétition entre unités mobiles en éclaireurs puis en pénétration.

Quels auraient été les équivalents d’une stratégie victorieuse ? De toute façon, la condition principale de sa mise en œuvre a manqué et manque encore : l’acceptation de la guerre et la détermination mentale à vaincre. Tout à l’opposé, depuis le début de notre « guerre », nos mots d’ordre officiels sont « sauver les vies » et « quoi qu’il en coûte » ! L’analogie historique nous suggère que les victimes de cette nouvelle drôle de guerre seront nos valeurs communes, déjà autrement bien atteintes, avec autant de morts et de mutilés que si nous avions vraiment fait la guerre. Combien de temps pourrons-nous encore nourrir nos rêves de bonheur universel sans douleur, dissimuler l'absence de finalité partagée dans la société, l'absence d'obligation de citoyenneté active, pour la prolongation sous hypnose de nos activités économiques et la succession de projets baudruches ?

Combien de temps notre société se donnera-t-elle le luxe de former nos « élites » aux théories à la mode, aux algorithmes et mimiques pour automates précieux, en laissant dans le décor l’esprit scientifique, ses disciplines d’abnégation et d’imagination sous contrôle, ses tâtonnements dans la recherche des vérités ? La pauvreté de la culture scientifique en comparaison de la culture brillante nous cantonne dans la mentalité de cigales qui auraient mis leur poésie au service de leur voracité. Notre époque moderne est trompeuse : la quasi certitude du quotidien n’autorise pas à négliger les incertitudes du futur proche, pourtant déjà bien apparentes, d’autant que personne ne peut prétendre maîtriser l’évolution des processus nécessaires à la vie humaine sur Terre.

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Concernant la guerre contre les attaques par infection mentale massive propagées par les canaux des nouvelles technologies, nos forteresses législatives et juridiques, nos forteresses de pratiques démocratiques, sont encore plus illusoires que des forteresses physiques. Dans la phase généralisante de telles attaques, "ouvrir le débat" sur des chaînes d’information sans volonté de démasquer les intérêts dans les points de vue exprimés, sans discipline éthique de vérité pour relever les affirmations sans preuve, les incohérences logiques, les généralisations abusives, les allusions ultra amplificatrices, c'est comme de forcer l’ouverture des portes de nos maisons à des malfaiteurs ! Et, dans le cadre de nos "états de droit", d’hypothétiques actions juridiques ou administratives ne pourraient traiter qu'a posteriori les effets constatés (par qui ?) d'atteinte aux institutions, au droit ou aux personnes, en admettant que l'on puisse traduire en justice (de quel pays ?) les assaillants et leurs commanditaires. Même nos professionnels les plus déterminés sont dépassés par avance : les révélations de scandales, des années après les faits, par des journalistes d'investigation, peuvent initier quelques procès, mais rien pour la neutralisation d’attaques propagées à la vitesse des réseaux et des ordinateurs !

Insistons : c'est le vocabulaire guerrier qui convient. Les attaques d’intoxication massive via les réseaux de diffusion et de communication sont à considérer comme des formes modernes d'agressions armées contre la société civile, dans le but d'égarer nos capacités mentales pour nous réduire à des pensées réflexes conditionnées.

A priori et sous réserve de recueils d’expérience, la menace d’une attaque d’intoxication massive pourrait s’évaluer selon :

  • le potentiel d’infox (accroche sensationnelle, affirmations en simple répercussion ou citation, annexes d’ »accréditation » purement formelles, généralisations abusives, citations hors contexte, tronquées ou déformées, etc.)
  • le niveau de simultanéité et de similitude d’apparition d’infox similaires potentielles dans les canaux de diffusion et d’échanges, le niveau de possibilité d’un plan organisé
  • le noyau initial de population cible (explicitement visée ou non, du fait de la nature et du contenu des infox), le niveau d’ »autorité morale » de cette population cible sur la population générale, la capacité de cette cible à servir de relais des infox
  • la perméabilité de la population cible aux nouveaux messages ou informations d’intoxication
  • la population potentiellement atteinte par généralisation de l’attaque
  • l’effet potentiel sur cette population, sur sa capacité à réfléchir, à se prendre en charge
  • l’effet potentiel, direct ou par rebond, sur les fonctions vitales de la société, sur des actions en cours d’intérêt général, sur des projets d’intérêt général

NB. Une intoxication peut se développer à partir d’une information vraie – mais pas seulement. Durant les deux « crises Covid », il était superflu d’observer les réseaux sociaux pour détecter les infox en cours. Il suffisait d’un regard sur les titres des articles de journaux sur le Web, sur les titres des chaînes d’information en continu, et par contraste, sur les bandeaux « à charge » censés résumer en temps réel les idées à retenir pendant les quelques interviews de personnalités scientifiques de caractère. La confusion entretenue par certains « journalistes », encore 10 mois après le début de l’épidémie, entre les « cas » positifs à un test, les malades, les personnes contaminantes, est une forme d’infox en prélude et résonance d’autres infox.

Face à de telles attaques, en connexion aux réseaux de communication dont nous croyons être les maîtres, nous ne sommes plus seulement des cibles de propagandes, nous devenons des sujets, puis des victimes inconscientes ou passivées.

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Contre des agressions organisées à visée débilitante de la population, on ne devrait pas attendre qu'elles atteignent un niveau d’intensité saturante sur plusieurs canaux. Si la seule réaction possible est la coupure des réseaux après détection d’une menace grave par un organe institutionnel ou une « autorité » quelconque, on ne fait qu’appliquer dans l’univers virtuel la stratégie de la forteresse.

Au contraire, une stratégie guerrière devrait s’appuyer sur une veille permanente réalisée par des groupes de personnes ordinaires sélectionnées au hasard pour une durée définie, afin d’assurer une variété des expériences de la vie que l’on mettrait à contribution et afin d’éviter les cloisonnements et dérives des collectifs professionnels ou institutionnels – en application directe d’une stratégie d’unités mobiles capables d’explorations multidimensionnelles en profondeur. Les structures de veille échangeraient leurs observations et diffuseraient leurs alertes sur des sites ad hoc - pour enquête approfondie, exploitation, rediffusion par les canaux les plus appropriés… L’outillage informatique de ces structures est entièrement à construire…

D’autres types de contre-mesures sont imaginables, nous suggérons ici un choix conforme aux traditions démocratiques.

jeudi 27 juin 2019

Des projets dans la terreur du lendemain

Ce billet aborde une question devenue banale du fait de l'absence prolongée de réponse pratique : comment peut-"on" éliminer certains de nos comportements individuels dont la somme est responsable de la destruction progressive de toute vie sur la planète (y compris la nôtre) ?

NB. La question est envisagée dans un cadre "européen occidental". Les réponses sont proposées également dans ce cadre, malgré quelques tentatives de généralisation.

Ce billet reprend, sous un autre angle, des éléments déjà présentés dans ce blog, pour montrer comment ces éléments peuvent être mis en cohérence.

Le possible est entre deux impossibles

Changer nos comportements individuels et nos modes de vie pour nous adapter à une contrainte planétaire en développement étalé sur un siècle... cela semble tout simplement impossible en l'état de nos sociétés.

Ne perdons pas notre temps à rechercher les causes de cette impossibilité dans nos doctrines et théories dominantes, économiques, religieuses, et toutes les autres. Ne perdons pas notre temps à mettre en cause nos élites, nos personnalités de référence, nos stratifications sociales, nos petits arrangements. Ne perdons pas notre temps à nous chercher des excuses personnelles.

En effet, en l'absence provisoire d'une forte contrainte, les racines de l'évidente impossibilité d'évolution de nos modes de vie se trouvent dans notre nature humaine en relation avec le temps et la durée, telle qu'elle a été façonnée par la "culture".

Remarquons que, dans l'hypothèse où un changement de nos comportements individuels serait possible, il devrait se propager dans les faits par des relations interpersonnelles. Nous allons donc réutiliser le modèle très simple de relations interpersonnelles déjà présenté dans ce blog, le modèle CHOP, afin d'imaginer comment une telle propagation pourrait s'opérer.

En l'occurrence, nous en retenons la segmentation de nos contenus mentaux individuels selon l'échelle des durées nécessaires à leurs évolutions, comme elles se révèlent au cours d'interactions entre des personnes :

  • le niveau des fonctions d'interaction directe avec autrui, les quasi-réflexes intégrés de communication par apprentissage
  • le niveau des projets construits sur semaines, mois, années, présentables / proposables / opposables / dissimulables à autrui
  • le niveau des façons de penser, des trésors de l'expérience et de la culture, des valeurs, des doutes, des mystères, etc.

L'échelle de temps du 3ème et dernier niveau, celui des croyances, est la plus longue, au point qu'une remise en cause personnelle à ce niveau peut causer une forme d'ébranlement mental et ne peut donc pas être fréquemment imposée de l'extérieur sous peine de dérèglement de la personne (à l'inverse, ce choc peut être un objectif, par exemple dans un régime totalitaire ou dans le cas d'embrigadement dans une secte). Justement du fait de sa relative stabilité, le 3ème niveau n'est soumis à aucune exigence de cohérence logique interne.

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Il est courant qu'un comportement personnel exprimé dans le cadre des fonctions d'interaction du premier niveau ne soit pas en ligne avec tel ou tel élément particulier du 3ème niveau. En effet, par la répétition fréquente des actes physiques et des combinaisons mentales habituels, l'intégration des interprétations prescriptives des éléments du 3éme niveau dans l'arrière plan de la vie courante devient progressivement implicite, au point que les filiations sont perdues (si jamais elles ont existé) - d'où l'angoisse créée par toute remise en cause d'un élément du 3ème niveau, même dans les cas où cette remise en cause ne change rien ou pas grand chose dans nos vies quotidiennes.

Pour le moment en 2019 (sauf dans quelques régions précurseurs du globe terrestre pour le malheur de leur population), la monstrueuse menace planétaire "écologique" est installée tranquillement au 3ème niveau de nos esprits individuels. Les grands discours et les scénarios d'alarmes qui résonnent dans le monde occidental demeurent conceptuels, illustrés de solutions irréfléchies, promoteurs de mesures ponctuelles censées soumettre les échéances catastrophiques à des modèles chiffrés, donc assez dilatoires pour maintenir la menace au grenier de nos esprits. Devant l'incommensurable, notre humanité se réfugie dans l'approche progressive des mystères et des terreurs, celle du temps qui passe et qui finit par tout résoudre. Nous faisons semblant d'espérer apprivoiser le monstre en lui jetant quelques miettes dans son grenier, alors que, dans ce cas, le temps ne résoudra rien, au contraire. C'est que ce "cadavre au grenier" qui grandit de jour en jour n'est pas la nième représentation d'un remords en voie de décomposition à la suite de meurtres perpétrés dans notre belle famille, celui-là est d'une autre nature, et on peut tout craindre du jour où il occupera une "trop" grande partie de nos greniers, au point de venir hanter directement le niveau de nos actes instantanés sans aucun espoir de rémission, si nous ne lui avons pas d'ici là construit sa propre demeure.

Donc, il apparaît que, pour obtenir un changement de nos comportements dans un délai compatible avec les urgences, il faut "faire descendre" le monstre au niveau des projets, des grands projets collectifs !

Selon notre modèle (rappelons qu'il est focalisé sur les relations inter personnelles), le niveau intermédiaire, celui des projets, est aussi celui de la contribution individuelle à un projet collectif dans une durée, une progression et un cadre "raisonnés" (au sens où ils sont construits et assimilés collectivement), au-delà ou en parallèle des seuls projets personnels. C'est à ce niveau qu'il faut s'adresser pour des actions concrètes à l'échelle de temps convenable.

Autrement dit, aujourd'hui en 2019, si nous pouvons encore nous définir un avenir "digne", c'est par la création des grands projets qui nous imposeront des évolutions volontaires de nos comportements et modes de vie.

Cela vous paraît trop simple ? C'est vrai : les prêcheurs de l'impossible en font des tonnes, c'est justement à cela qu'on les reconnaît !

Note. Le modèle CHOP est très volontairement trop fruste pour intégrer les ressources de la psychologie et les théories sociologiques sur le collectif par rapport à l'individu.

Note. Les pseudo grands projets futuristes tels que la migration de nos élites sur Mars, le développement de nouvelles technologies révolutionnaires, la transition énergétique vers de prétendues énergies vertes... relèvent-ils de la distraction spectaculaire ou déjà de la tentative d’évasion ?

Tous les grands projets ne sont pas de grands projets libérateurs

Pour éviter les confusions, il faut dire quelques mots sur ce qui nous est présenté dans les actualités comme "grands projets". En caricaturant à peine, ce sont des opérations de circonstance, conduites par des politiques ou des personnalités affidées, à la suite d'un lobbying de plusieurs années par des intérêts privés. Au mieux, on nous parlera de prestige "national" en vue de consolider des savoir faire et d'acquérir des positions commerciales pour des entreprises privées dans "la grande compétition mondiale". Au pire, il s'agira d'alimenter les finances de certaines entreprises et de quelques politiques corrompus sous un prétexte de bien public ou de modernisation. Au cours de la réalisation de ces "grands projets", les décideurs au niveau de la puissance publique sont des politiques (ou à défaut des "personnalités" qui n'ont jamais vécu la vie ordinaire du commun), avec une équipe d'assistants et de conseillers censés maîtriser à la fois les techniques et la gestion des contrats sur le long terme - ce qu'ils ne sont pas en position de faire dans le cadre de leurs missions, même en admettant qu'ils en aient la moindre compétence. Les destructions définitives de l'environnement que l'on n'a pas évitées, les prévisibles gênes causées aux populations durant les travaux, les éventuels désastres collatéraux sont "traités" par des spécialistes de la communication. Cette description est-elle exagérée ou encore en dessous de la réalité ?

Nous avons proposé dans un billet précédent une approche systématique de la définition des grands projets, par un point de vue d'"urbaniste logisticien" bien que ces grands projets concernent évidemment autant les campagnes que les villes.

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Les grands projets que nous évoquons sont destinés à produire une évolution volontaire de nos modes de vie. La légitimité de ces projets ne peut reposer que directement sur "nous", chacun de "nous", pas sur des savants, des experts, de prétendues élites. En priorité avant de rechercher les compétences pour les réalisations, il faut obtenir la reconnaissance, par toute la population concernée, de la légitimité de ces projets.

Dans notre monde actuel déjà en bascule du seul fait de sa clôture, face aux menaces planétaires d'effondrement des sociétés humaines dans les 20 ans, la légitimité de prises de décisions sur le long terme par nos dirigeants et nos représentants élus est nulle : ils n'ont pas été choisis pour cela. Seule la réalité brutale de "nouvelles" contraintes pourrait leur donner une assise de légitimité de fait au sens patriarcal du terme - donc trop tard et sans doute pour le pire car alors même nos plus brillants élus "démocrates", sommés d'agir au-delà de leurs mandats, auront recours à un "chef naturel", en répétition de réflexes historiques.

C'est pourquoi l'invention d'une forme adaptée de démocratie "directe" aux plus hauts niveaux du pouvoir est indispensable aux prises de décisions sur le long terme et sur les grands projets qui en sont les produits.

Maintenant.

De l'obsolescence fatale de nos régimes démocratiques

Il s'agit de régimes politiques conçus d'après les idées de notables à perruques du 18ème siècle : écriture à la plume d'oie, transports à traction chevaline, populations illettrées à 80 %, etc.

Il est inutile de discuter de l'authenticité "démocratique" des institutions dites représentatives ou de tenter de les refonder, elles ne sont ni démocratiques (au sens premier du pouvoir exercé directement par le peuple sur son propre destin) ni représentatives (de quoi ou de qui, et surtout pour quoi faire ?). En revanche, ces institutions regorgent de personnes expérimentées dans la direction des affaires publiques, qu'il serait dommage d'abandonner toutes à leur état d'élites gaspillées dans des tâches de gestion déclamatoire ou des exercices de restriction mentale.

Relevons quelques expressions courantes en politique : "faire en sorte que...", "d'abord regarder le monde tel qu'il est...", "conserver la démocratie...", "fonder la légitimité démocratique...", "gouverner nos institutions...", "gouverner le peuple...", "gérer l'efficacité du pouvoir...", "réfléchir aux solutions...", "trouver des réponses aux défis...", "tous ensemble...", "protéger les manifestations légitimes...", "soumettre le projet au conseil constitutionnel...", "à la tête de la plus grande démocratie du monde,...", "la loi Trucmuche fut une révolution dans son domaine...", "augmentons la dose de démocratie participative".

Jamais, dans un vrai régime démocratique de peuple souverain, personne n'aurait l'idée d'employer de telles formules !

Ces expressions traduisent l'ignorance crasse des fondamentaux d'origine de "la" démocratie, malheureusement commune à trop de politiciens, de commentateurs, de penseurs, d'animateurs des médias. Elles résonneraient à l'identique dans tout contexte de pouvoir à prétention absolue, dans un univers mécanique où il existerait toujours une solution à tout problème dans le sens du Progrès, qu'une population subjuguée ne pourrait qu'accepter, d'autant plus joyeusement qu'elle y serait invitée par la vertu magique du "tous ensemble..." ou conduite par la magie d'un dirigeant providentiel.

L'accentuation récente de cette dérive est-elle seulement le résultat d'une contamination de la pensée politique par le langage des affaires et des compétitions sportives, ou un début de réaction grotesque à la Grande Peur du siècle ?

Tout se passe comme si l'énormité des menaces écologiques planétaires justifiait la combinaison d'une paralysie socio économique et d'une hystérie mentale dans laquelle nous restons piégés, faute de capacité à créer de grands projets libérateurs.

A chaque votation dans nos pays pseudo démocratiques, les panneaux d'affichage des prospectus électoraux sont accolés en formation de danse macabre, témoignages poignants des aspirations de nos sociétés à la petite semaine. Serait-ce la manifestation d'un inconscient collectif en faveur d'une Grande Peste ?

Au seul motif esthétique, "le système" mériterait un renouvellement en profondeur. De plus, à l'époque d'Internet et des communications à distance à disposition d'une population éduquée, son obsolescence fonctionnelle est devenue scandaleuse.

De la démocratie directe pour les grandes décisions difficiles

Les plus importantes spécificités d'une démocratie "directe" adaptée à notre époque, en contraste aux représentations artificielles courantes, seraient à peu près les suivantes, pour ce qui concerne les grandes décisions sur le long terme :

- la sélection pour une durée limitée des personnes participantes aux assemblées citoyennes par tirage au sort parmi les "citoyens responsables et vaccinés, avec une expérience de la vie" (plutôt que des élections sur la base de débats conflictuels à partir de théories historiques et de l'exploitation des actualités)

- la reconnaissance de la nécessité d'une (courte) formation préalable des personnes sélectionnées en vue d'assurer la pertinence de leur participation en assemblée (plutôt que le passage par des voies universitaires puis l'adoubement par un parti)

- la recherche de la légitimité des décisions (plutôt que la répétition des axiomes de la légitimité de "nos" institutions, de la légitimité de "nos" représentants par la magie du processus électoral, de la légitimité des lois après un vote majoritaire, etc)

- la prise en compte systématique des possibilités d'erreur de décision ou des mauvaises exécutions (plutôt que l'axiome de la Loi que nul ne doit ignorer y compris les détails incompréhensibles des spécialistes)

- la recherche de la contribution de chaque personne participante, en fonction de ses propres compétences personnelles et expériences de la vie, à l'élaboration des décisions (plutôt que les affrontements oratoires sur des bases doctrinales ou partisanes)

- l'encadrement du processus des contributions et d'élaboration des décisions, à la fois dirigiste, universaliste et soucieux des personnes - voir nos propositions de conduite tripartite - (plutôt qu'une présidence théâtrale ou purement régulatrice)

- la recherche du développement des compétences personnelles des contributeurs au cours du processus de décision en assemblée (plutôt que des "carrières politiques")

- l'audition d"experts" en vue d'obtenir les éclairages divers sur des questions précises (plutôt que l'aménagement de multiiples ouvertures aux influences des lobbies et les interventions spectaculaires en commissions parlementaires)

- la concentration sur les grandes orientations, sur la définition et le contrôle de réalisation de grands projets sur 5-10 ans au moins à l'échelle régionale (plutôt que les batailles entre gestionnaires ministériels ou les projets de loi en réponse à des problèmes d'actualité)

- le respect de la répartition des tâches et responsabilités entre les assemblées démocratiques et les institutions et organes chargés de projets ou d'activités gestionnaires, dont les dirigeants pourront être choisis ou élus sur la base de leurs compétences prouvées (plutôt que les nominations par copinage).

Dit autrement, cette démocratie "directe" permettra de créer ou recréer notre pouvoir collectif de décision sur l'avenir par l'invention des grands projets d'adaptation de nos sociétés matérielles et de nos modes de vie, à diverses déclinaisons territoriales - un niveau de coordination mondiale serait évidemment souhaitable, mais il serait naîf d'attendre sa création.

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Du fait qu'elle comble un vide, une telle version moderne de démocratie directe est compatible avec le maintien d'institutions "démocratiques" classiques (au sens le plus large). D'ailleurs, avec un minimum de sens politique, un roi ou un président - roi saura y reconnaître une source de vrai pouvoir et saura y chercher la légitimité de ses propres décisions "au nom du peuple", avec en prime son propre affranchissement d'éventuelles dettes partisanes personnelles.

En effet, on ne devrait jamais envisager une instance de démocratie directe comme organe de gestion ni comme instance de soutien au gouvernement des affaires courantes.

La gestion, c'est une spécialité de gestionnaire, ce n'est pas la vocation d'une assemblée citoyenne. C'est manifester le mépris de sa propre administration et une pauvre conception du peuple souverain que d'inviter une assemblée citoyenne à décider d'une taxe, de son périmètre, de son niveau, de la justification de ses critères d'exemption. Les questions d'actualité sont du ressort d'un gouvernement, pas d'une assemblée citoyenne. Une opération militaire est du ressort d'un chef des armées, pas d'une assemblée citoyenne.

Ne pas confondre non plus "assemblée citoyenne" avec "panel représentatif du peuple", pour en faire, par exemple une nième instance de débat sur des questions d'éthique, même sur des questions d'une actualité censément brûlantes pour tout un peuple - trop souvent des impasses artificiellement montées en épingle. Répétons : la vocation de l'assemblée citoyenne, ce sont les décisions sur notre avenir de vie à 10-15 ans.

En revanche, tout grand projet d'intérêt général doit être défini et se dérouler en association étroite avec une assemblée citoyenne ad hoc, sous la direction d'une vraie maîtrise d'ouvrage professionnelle, libre d'obligation partisane.

Une méthode de définition de tels projets d'intérêt général a été proposée dans des billets antérieurs, la caractéristique de ces projets étant l'ouverture de degrés de liberté sous les nouvelles contraintes de notre époque de transition.

Une difficulté préalable à la fondation de toute démocratie "directe", au sens propre fondamentale, est la définition de ce qu'on entend par "citoyen responsable avec une expérience de la vie". En effet, la capacité contributive à une assemblée s'évalue par des critères plus stricts que ceux de la seule citoyenneté d'un pays. En premier, chaque citoyen contributeur doit pouvoir exercer sa capacité à écouter les autres, les comprendre, afin d'en tirer des leçons pour soi-même. La contribution dans une assemblée citoyenne requiert donc forcément une capacité de remise en cause personnelle, possiblement ponctuellement jusque dans ses convictions profondes, mais en retour avec la possibilité de découvertes personnelles considérables - ce qui doit être la normalité. S'il faut des semaines pour constater qu'une personne est inadaptée, par exemple parce qu'elle se limite à "représenter" une présomption de supériorité (ou l'inverse), une doctrine de vérité absolue, un courant partisan, un intérêt catégoriel ou particulier, tout le monde aura perdu.

Nous renvoyons aux autres billets de ce blog traitant de l'étiquette relationnelle et de la conduite des assemblées.

samedi 12 janvier 2019

Pour une transition libératrice

Nous avons peu de temps pour nous bouger.

Voici donc une proposition de réponse à une question d’actualité dans le contexte des grandes agglomérations : la mobilité individuelle en milieu urbain et le remplacement des véhicules techniquement périmés (ou qui le seront prochainement).

Cette proposition est présentée en réduction à l’essentiel, sans aucun chiffre, en l’état des compétences de son auteur dans une démarche de logisticien urbaniste telle que décrite en conclusion d’un billet précédent.

Encore plus que dans le billet précédent, le contexte implicite est celui d’une mégalopole européenne, donc sans prétention à la généralité, sauf la méthode.

Critique orientée de ce qui va se faire sans que rien ne change sauf que tout va empirer

La superposition des nouvelles technologies à l’automobile individuelle est annoncée : véhicules semi autonomes sur les grands axes, petits véhicules urbains divers en location à l’heure, base de données des disponibilités en temps réel de places de parkings urbains, traçage individuel des trajets par GPS, aides à la conduite, bornes de guidage automatisé des véhicules en cours de déplacement, etc.

Concrètement :

  • de grands travaux d’adaptation ou de création d’infrastructures seront réalisés aux frais de la collectivité sur les grands axes routiers, leurs accès et autour, pour permettre le fonctionnement des nouvelles technologies, plus tard pour leur mise aux nouveaux standards ; en fonction de la disponibilité des financements et en conséquence des lourdeurs administratives, ces travaux seront effectués en vagues successives sur plusieurs années
  • de multiples travaux d’adaptation ou de création d’infrastructures locales sur les espaces urbains seront réalisés par des filiales d’entreprises géantes, en exploitant diverses formes de concessions négociées localement, parfois en exploitant quelques zones grises du droit, heureusement toujours à la demande des collectivités locales pressées de rester dans le train de la modernité
  • des petits travaux d’adaptation aux nouvelles technologies s’imposeront sur les emplacements de stationnements privés, en prolongements compatibles des installations publiques rénovées sous concessions locales
  • la concurrence commerciale entre les constructeurs de véhicules automobiles continuera de vanter des innovations originales, mais les 4x4 massifs et les engins péteux continueront de parader dans les centres villes en manifestation de la puissance de leurs occupants (ou de leur besoin d’amour), et les grandes voies d’accès des villes seront encore quotidiennement bloquées par les files d’attente des véhicules familiaux des travailleurs habitant les périphéries, toujours pas convaincus d’emprunter les transports en commun (tiens, pourquoi donc)
  • l’espace public urbain sera de plus en plus encombré par de petits engins bien propres en attente de location pour des déplacements à courte distance, puis, de plus en plus, par leurs déchets
  • les aides informatiques aux véhicules automobiles en recherche d’un stationnement en ville ne résoudront pas la saturation du stationnement ; les accidents aux abords et à l’intérieur des grandes aires de parking se multiplieront suite aux décisions des conducteurs prises en contradiction des suggestions optimales des intelligences artificielles
  • les bogues informatiques, les pannes d’alimentation électrique, les défaillances de matériels nouveaux, les absences et les hésitations humaines dans la mise en œuvre des modes de secours, créeront des pagailles géantes amplifiées par les dépendances à des technologies diverses, avec des conséquences débordant largement la seule circulation automobile, plusieurs fois par mois tant qu’on n’aura pas débranché quelques services innovants fragiles et vulnérables
  • les citoyens contribuables usagers coincés dans les embarras pendant des heures par un dysfonctionnement seront toujours soumis aux répétitions de messages conçus pour le maintien en sommeil de robots martiens
  • le secteur privé de l'industrie et des services refusera d’assumer toute forme de maîtrise d’ouvrage en délégation d’une puissance publique maintenue dans la dispersion de ses innombrables émanations coûteuses et pléthoriques (en France : établissements publics, agences étatiques, directions d’agglomérations, conseils régionaux, sociétés nationales, régies autonomes, directions régionales, secrétariats d’Etat, délégations ministérielles, instituts de normalisation, services communaux…), dont la concurrence rend la puissance publique incapable d’imaginer l’ampleur d’un programme de fixation des procédures, pas plus l’élaboration des contraintes de compatibilité entre les intervenants et les objectifs de résultat, encore moins la définition des organes du contrôle permanent par des tiers de diverses compétences (donc pas seulement sur la perception de la qualité du service au client) et vraiment pas la contractualisation d’un processus d’améliorations continues, d’adaptation et d’entretien après la réalisation initiale
  • d’ailleurs, la puissance publique perdra tous les nombreux procès financièrement importants avec les entreprises

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Bien entendu, en parallèle, la possession personnelle d’un smartphone sera exigée. Son modèle librement choisi sera capable d’abriter les logiciels indispensables à la conduite d’un véhicule, dont il devra pouvoir charger les mises à jour automatiquement et instantanément de manière que tous les objets connectés soient constamment totalement compatibles entre eux. Car le smartphone personnel devra communiquer constamment non seulement avec le véhicule mais aussi avec les autres objets informatiques proches des réseaux urbains, dans les espaces publics et privés, en utilisant les derniers protocoles de télécommunication les plus performants et sécurisés.

Ne parlons pas du coût global de tout cela (qui ne formera jamais un tout), pas non plus de l’évolution des prix, et laissons les programmes gouvernementaux traiter spécifiquement les « questions sociales » et l’Administration…. Soyons modernes, tout va s’arranger et regardez, les nouveaux arbustes donnent déjà de l'ombre après 3 ans !

Diagnostic d’orientation

D’un point de vue d’urbaniste logisticien, en résultat d’examen des accumulations, étranglements et sous performances, les défauts primaires peuvent se résumer ainsi :

  • l’inadaptation permanente du véhicule au besoin individuel du moment, sauf cas particulier de la location de véhicule en courte durée (et encore…), alors que le véhicule devrait être différent selon, par exemple, que l’on va rendre visite à des parents en maison de retraite, ou que l’on va faire des courses ou que l’on se rend sur son lieu de travail de bureau
  • l’impossibilité pour les constructeurs d’adapter rentablement leur industrie de production au-delà de rénovations décennales et des bricolages de personnalisation des véhicules, faute de prévision de l’évolution du marché, et dans la crainte justifiée de devoir financer à répétition les frais de réparation des défauts ou décalages d’adaptation des véhicules à de nouvelles normes, dont des standards informatiques volatiles ou des protocoles de télécommunications éphémères déclinés en variantes régionales
  • la croissance incontrôlée de l’espace consacré aux véhicules automobiles en plus de leurs empreintes mobiles en circulation ; dans le cas extrême, pour chaque conducteur d’un véhicule, on doit additionner la place de stationnement départ et celle du stationnement arrivée, potentiellement un ou plusieurs stationnements temporaires ou en atelier d’entretien, et encore une part en plus pour chacun des éventuels véhicules occasionnellement loués sur place ; du point de vue du conducteur en recherche d’une place de stationnement, l’impression de manque d’espace est une réalité (principalement due aux congestions produites par les déplacements en masse), mais la réalité physique globale est au contraire la sur mobilisation de l’espace par les véhicules automobiles, c’est d’ailleurs ce que l’on ressent immédiatement dès que l’on quitte un véhicule

Le diagnostic est donc celui d’un système bloqué, qui ne peut évoluer « toutes choses égales par ailleurs » que par la dévoration supplémentaire de ressources libres ou libérées pour la satisfaction de ses exigences boulimiques.

Dans ces conditions, la méthode d’analyse et de recherche de solutions par l’urbaniste logisticien est adéquate, parce qu’elle ignore les frontières artificielles du « toutes choses égales par ailleurs » dans son exploration intégrale du champ du possible.

Ebauche de solution

La chaîne logistique à considérer est celle de la mise à disposition du véhicule répondant au besoin du moment de chacun. Il existe un modèle de cette chaîne qui peut servir de référence : le modèle des grandes entreprises de location de véhicules, depuis la procédure de réservation jusqu’à la remise au retour, sans oublier l’arrière-plan d’entretien, ni le remplacement des véhicules usagés par des véhicules neufs.

En effet, la généralisation d’un modèle de mise à disposition de véhicules à la demande dégage le degré de liberté nécessaire à une évolution technique maîtrisée du parc des véhicules, en plusieurs vagues. Ce sont les meilleures conditions pour que les grands industriels de l’automobile puissent définir des stratégies originales d’adaptation de leurs gammes et de leurs systèmes de production.

Mais deux tabous du « toutes choses égales par ailleurs » doivent sauter :

  • le tabou de la possession individuelle du véhicule ; la propriété individuelle devient inutile si le véhicule est fourni à la demande ; la coexistence entre possession et location est possible mais l’un des deux modèles devient forcément le gadget de l’autre et celui de la propriété individuelle est une entrave dans le processus de modernisation du parc des véhicules
  • le tabou de l’usage privé des grands parkings (pour fixer les idées : au-delà de 20 places); en effet, une gestion spécifique de grands espaces de parking est indispensable au fonctionnement d’une logistique à grande échelle de fourniture de véhicules à la demande ; en grande banlieue (ou dans les campagnes), on pourra intégrer des emplacements privés et publics de stationnement unitaire à une gestion spécifique de « parkings périphériques d’abonnés », plutôt que d’obliger les habitants à se rendre chaque jour (ou chaque semaine) dans une boutique de location pour renouveler leur contrat et obtenir le véhicule indispensable à leur trajet quotidien.

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Ces deux tabous peuvent disparaître sans douleur, progressivement localement après expérience pilote. On pourra envisager diverses formules de compensation aux propriétaires de grands parkings existants sur la base de leurs états comptables des années précédentes ou sur des bases équivalentes.

Quelques aspects du fonctionnement méritent attention. Ils sont présentés ici sans détail.

Concernant chaque parking de stockage et remise (« parking de transition ») :

  • Accès à l’intérieur du parking exclusivement réservé au personnel en charge (choix crucial, voir plus loin)
  • Gestion locale simple des emplacements de parking, par analogie inverse avec un tableau des clés dans un hôtel (cette gestion est facilement informatisable sans pose préalable de capteur à chaque place de parking ; toutefois, ce ne sera pas la clé du véhicule au parking qui sera au tableau, mais l’étiquette informatique d’identification du véhicule portant notamment des informations sur son état technique ; à terme, il existera un seul modèle de clé universelle que l’on activera en programmant son association à un véhicule et au contrat au moment de la mise à disposition)
  • Fourniture d'information volontairement minimale aux clients potentiels et clients cherchant à remiser un véhicule : nombre de véhicules disponibles par type, nombre d’emplacements libres par type, c’est tout !

Concernant les boutiques de location / retour (pas forcément toutes situées en sortie d’un parking de transition) :

  • Fonctionnement 24/7
  • Possibilité de réservation de véhicule par Internet
  • Avant location, vérification sur place de l’identité et du permis du conducteur (on peut envisager plus de vérifications selon le niveau requis de sécurité…)
  • Mise au point du contrat (location, assurance…)
  • Fourniture du véhicule
  • A la remise d’un véhicule (qui peut provenir de n’importe quel autre point de location) : vérification technique du véhicule, etc.

Le cas des clients nomades en caravanes pourra être résolu de diverses manières, par exemple selon des modalités similaires à celles qui seront définies pour les habitants des campagnes « éloignées » des grandes agglomérations et les banlieues très périphériques. Concernant en particulier les nomades qui louent de manière saisonnière leur force de travail à des exploitants (exemple : les vendanges de grands crus), le niveau localement important de leur contribution discrète à l’économie du luxe préservera leur cas de l’oubli. Quelques beaux esprits installés dans nos institutions y trouveront matière à briller sans risque. Peut-être condescendront-ils alors à traiter les conditions de circulation des véhicules provenant de l'étranger, camions compris, actuellement librement polluants.

Encore quelques points importants :

  • des expériences pilotes locales de « parking de transition » peuvent être lancées sans gros investissement préalable, en vue de leur extension progressive, sous divers cadres juridiques
  • l’usage de l’informatique est à concentrer sur les fonctions génériques de réservation / traitement des dossiers de location / tenue du carnet d’entretien individuel de chaque véhicule ; des logiciels équivalents sont utilisés depuis des dizaines d’années par les professionnels de la location automobile
  • tout le personnel des boutiques, parkings de transition et ateliers associés est à former spécifiquement aux procédures de gestion logistique en plus, pour certains, des formations spécialisées aux divers métiers techniques de l’entretien et des contrôles techniques, éventuellement à certaines phases de modernisation des véhicules en ateliers spécifiques à l’intérieur ou à côté des grands parkings de transition en relation avec les constructeurs concepteurs
  • évidemment, le système informatique de gestion ouvre des possibilités de connaissance des déplacements individuels des clients (ne serait-ce qu’au travers des réservations passant par Internet !), et cependant il demeurera incapable de répondre à des afflux anormaux des demandes (ce qui sera au total moins catastrophique que la non organisation actuelle produisant des embouteillages monstres) de fait forcément avec moins de conséquences en pollutions et dépenses inutiles
  • la base de valorisation de la « mise au pot commun » d’un véhicule individuel par un particulier est facile à trouver, la fixation du coût d’abonnement au service de mise à disposition l’est un peu moins…

Quelques gains collatéraux

Les conséquences bénéfiques par rapport au statu quo sont nombreuses, même sans faire référence à l’évitement de la catastrophe très coûteuse décrite au début du billet. A elles seules, elles justifieraient « quelque chose de grand » :

  • amélioration de la sécurité routière (véhicules bien entretenus, régulièrement utilisés),
  • libération d’espaces urbains centraux actuellement occupés par des stationnements en surface de véhicules en longue durée
  • revitalisation de l’industrie automobile par la création de gammes de véhicules optimisés pour chaque type de besoin (les constructeurs ne seront pas les seuls intéressés)
  • fluidité du trafic (par effet d’adaptation des véhicules au besoin)
  • possibilité de services différenciés aux personnes en besoin de mobilité autonome non couverts actuellement par des artisans
  • créations d’emplois, exigeants, variés, évolutifs, notamment en périphéries des grandes agglomérations

En réalité, la collectivité gagne bien plus que des créations d’emplois et les bénéfices d’une amélioration des transports individuels : un peu de liberté.

De la nécessité d'inventer des libertés nouvelles

Ce qui est présenté dans ce billet, ce sont seulement quelques orientations d’un programme initial de mise en transition, à partir de l’existant, sans révolution brutale, sans hypothèse sur les véhicules du futur.

Ce programme initial est fondateur parce qu’il ouvre deux espaces de liberté : la liberté d’étudier vers quoi se fera la transition (vers quels types de véhicules, sous quelles conditions d’utilisation) et la liberté de maîtriser le déroulement de cette transition.

Même si cette ouverture ne s’accompagnait d’aucun bénéfice collatéral pour la société, son coût global serait faible en comparaison du coût global subi en l’absence de cette ouverture.

Au fait, quel prix donnons-nous actuellement à nos libertés collectives ? Combien sommes-nous prêts à payer pour que nos sociétés puissent évoluer vers plus d’humanité au lieu de les laisser encore s’alourdir en matière et en esprit au prétexte des nouvelles technologies dans la crispation de nos droits et de nos lois ?

Les rapports d’expertises ciblées sur des grands problèmes d’actualité, comme les études prospectives au grand large, n’expriment que des suggestions ponctuelles dans le vocabulaire mythico publicitaire à la mode. Ils parviennent à peine à intéresser des décideurs gestionnaires du court terme, même dans les grandes occasions ou ces décideurs sont appelés à surmonter le découragement et les tentations parasitaires.

Les protestations populaires massives, les discours passionnés dans nos assemblées, sont vite réduits à la répétition de mots d’ordre dans le décor, même s’ils émanent de besoins profonds.

Le carnaval, jeu d’inversion des règles sociales, a muté en attraction touristique dans les régions où il existe encore.

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Par l’effet des moyens modernes de communication, les événements historiques récents et les actualités nous montrent comment l’agrégation naturelle des méchancetés individuelles produit une monstruosité de méchanceté collective. De plus, nous savons à présent, notamment par l’expérience des pseudo réseaux sociaux, que l’agrégation naturelle des innocences individuelles produit elle aussi un monstre, au point que certains penseurs suggèrent de confier à une intelligence artificielle la direction de l’humanité – une Grande Cage pour la folle Humanité.

Notre époque est donc particulière, mais pas du fait que tout y semble bloqué ou contraint – ce sentiment-là n’est pas nouveau, l’authenticité historique de la rage des révolutionnaires et des découvreurs de toutes sortes en témoigne. C’est plutôt que, pour de multiples raisons (pas toutes citées dans ce blog), nous ne pouvons plus nous offrir le luxe des longues périodes d’incubation chaotique en préalable aux innovations sociales libératrices, ni attendre l’émergence d’une dynamique massive consciente de sa vocation, ni supposer que la victoire de ses meneurs sur les attentistes changera quoi que ce soit dans le sens du bien commun.

A présent, de l’intérieur et en l’état de nos sociétés, l’invention de nouveaux espaces de liberté collective nécessite une discipline de création et l’apport de compétences multiples (d’abord dans les domaines techniques), comme un grand projet de recherche scientifique sauf qu’il s’agit de nos vies quotidiennes pour demain.

Nous affirmons ici qu’en l’état de nos civilisations urbaines modernes, l’invention de nouveaux espaces de liberté collective à l’intérieur des cadres physiques existants est le préalable à tout grand projet de changement concret dans nos vies quotidiennes et que cette invention peut se faire naturellement par la mise en œuvre d’une discipline technique telle que celle de l’urbaniste logisticien.

Comment s'organiser pour y arriver

L’évidente impossibilité factuelle de réaliser un projet tel que celui de ce billet ne doit pas être recherchée dans telle ou telle difficulté technique, financière ou juridique, facile à détecter dans notre résumé.

Cette impossibilité réside dans l’absence d’organe spécifique de conduite des programmes civils par délégation de la puissance publique, des études de conception jusqu’aux étapes d’amélioration continue, à l’échelle de très grandes régions et au-delà. Cette absence est la cause des dérives et inepties dénoncées au début de ce billet, imputables aux superpositions successives de réalisations conçues au bénéfice d’intérêts privés et particuliers agissant en relation directe avec des institutions inadaptées, soit parce qu’elles ont été créées par la puissance publique en vue de projets réalisés dans le cadre d’une définition figée de compétence administrative, soit à l’inverse parce qu’elles sont destinées aux prises de décisions politiques de haut niveau - chacune avec son essaim d’assistants et de conseillers, ses réserves de contrats types, ses représentations du pouvoir.

Il serait donc vain de créer une structure étatique supplémentaire simplement destinée à coordonner ces structures existantes pléthoriques et concurrentes, comme il serait illusoire de privilégier l’une des structures existantes pour en créer une excroissance adhoc.

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Il faut donc créer à neuf un organe spécifique, a minima dans un premier temps à titre temporaire pour un seul programme. Au-delà, pour son fonctionnement, il n’y a rien à inventer au plan de la sélection des personnes ni au plan des méthodes. En effet, la conduite des grands projets est une discipline parfaitement codifiée. Ses métiers sont spécifiques et diversifiés. En conséquence, la pratique de ces métiers ne s’improvise pas, encore moins la coopération entre eux, et si on s’appuie seulement sur le capital des expériences personnelles acquises par ailleurs, cette coopération entre les métiers s’établira trop progressivement, au prix d’erreurs impactant tout un projet. Au cœur de cette pratique, le « contract management » (ne pas confondre avec la seule gestion juridique et financière, donc ne pas traduire par « gestion des contrats ») exige les contributions de tous les métiers sur la durée de vie d’un ouvrage.

Insistons encore : cette conduite de grands programmes civils doit s’exercer par délégation de la puissance publique au plus haut niveau.

Alors seulement, des espaces de liberté collective pourront être trouvés et cette découverte pourra se traduire concrètement par des améliorations de nos vies quotidiennes.

En conséquence de cette spécificité, il faudra satisfaire une exigence naturelle de transparence aux citoyens contribuables futurs usagers et savoir la faire vivre plutôt que de la subir en marge. En effet, dans une maîtrise d’ouvrage en délégation de la puissance publique, le niveau de cette exigence déborde le cadre classique d’un « accompagnement du changement » par information, consultation, communication en relation aux futurs usagers (et plus largement en relation avec toutes les personnes et organismes concernés). La maîtrise d’ouvrage en délégation de la puissance publique devra pratiquer une forme d’association contributive des futurs usagers à ses travaux, a minima dans les études de définition des besoins puis le contrôle de la satisfaction de ces besoins, ainsi que dans tout ce qui concerne la maîtrise des risques et la sûreté de fonctionnement. Ce sera l’occasion d’une expérience démocratique moderne dans le quotidien et le réel, et dans le cadre défini pour chaque programme.

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Du pourquoi au comment

Face aux évidences des catastrophes à venir dans le monde des humains, les questions « pourquoi ce monde ne peut pas continuer comme cela » et « que serait un monde meilleur » ayant été abondamment traitées par ailleurs en dehors de ce blog, ce billet se consacre à la question du « comment faire maintenant » à partir des bases suivantes :

  • on ne changera pas nos comportements humains profonds, façonnés au cours des millénaires
  • ce monde-ci est sans avenir pour nos civilisations industrielles humaines en l’état, dans le resserrement physique de la planète en tant qu’habitat vivable, mais nous ne renoncerons jamais dans l’instant au confort de ces civilisations (le mot important ici, c’est : jamais !)
  • compte tenu des deux points précédents, il est très peu probable que l’introduction d’innovations technologiques, même prétendument de rupture, puisse apporter un élément de solution, encore moins La Solution, tout au plus un répit ou son impression

Autrement dit : comment faire pour nous remettre en état d’inventer plusieurs avenirs dans la continuité de nos civilisations humaines industrielles, pour nous tels que nous sommes en héritage de nos ancêtres ?

Par avance, l’auteur réclame l’indulgence pour son manque de hauteur de vue dans la définition du problème et dans le niveau des solutions proposées par la suite. Ces temps-ci, le manque de hauteur est partagé par une masse grandissante de gens simples, vraiment lassés des émotions obligatoires et des leçons pompeuses. La morale des chiffres ne suffit plus à calmer l’angoisse du vide.

Ce billet est par ailleurs certainement représentatif de l’état d’exaspération du citoyen contribuable d’une mégalopole européenne, en conséquence de sa soumission au voile d’ignorance des élus et des porteurs de la pensée, face au constat quotidien de sa propre inadaptation. Pour l’habitant d’une mégalopole, la réalité vécue de la croissance, c’est celle des absurdités.

Trancher le nœud gordien ? Développer l’innovation du siècle ? A d’autres !

Recherche des potentialités à taille humaine

Entre les descriptions des possibles prochaines évolutions de nos sociétés humaines décrites par des graphiques d’indices socio économiques et les simulations des changements planétaires régis par des paramètres physiques, c’est le vide. Il existait autrefois, à la place de ce vide, quelques utopies d’architectes urbanistes et quelques chapitres d’études prospectives consacrés à quelques aspects de la vie quotidienne. A présent : champ libre aux charlatans de toutes sortes sur les prochaines décennies.

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Prenons ce vide-là comme l’aveu d’une évidence criante : celle de l’écroulement de nos civilisations modernes, avec lenteur pour l’instant, mais déjà sans majesté. Cette évidence est d’une totale banalité, si on considère le nombre des civilisations brillantes du passé qui se sont écroulées sur place après avoir largement dépassé leur niveau supportable d’impertinence, à la fois au monde et à l’être humain. Si notre monde contemporain est condamné à brève échéance comme il va, ce n’est pas faute d’intelligence ni par défaut de bonnes intentions, ni par absence de moyens…. Ni par manque d’agitation : la trépidation sur place fait partie du scénario catastrophique ! Aucune pseudo révolution ne permettra d’y échapper. Pas plus qu’autrefois l’édification de monuments d’éternité pour quelques élites.

Cette massification de nos civilisations ne peut être assimilée à une « augmentation de complexité » qui serait spécifique à notre monde moderne, et qui autoriserait la croyance en une possible maîtrise de ladite complexité par une super intelligence informatique ou par une meilleure sélection des meilleurs aux postes de pouvoir… Dans la mesure de notre humanité présente et face aux menaces de notre époque, cette « complexité » doit s’appeler « lourdeur». Les témoignages bruts, puants, écrasants de la démesure artificielle de nos civilisations industrielles abondent en regard de leurs environnements et de leurs populations.

Dans ces conditions, dans l’impossibilité évidente d’affronter l’immensité du vide d’avenir à l’échelle de nos civilisations, il nous reste à tenter de l’apprivoiser en l’assimilant à un assemblage de petits vides à échelle humaine, que nous trouverons moyen d’exploiter comme des potentialités.

Justement, nous allons découvrir une telle décomposition dans les spécificités modernes de l’alourdissement de nos civilisations industrielles.

L’introduction d’innovations technologiques successives à destination des masses (l’automobile, le courant électrique, le téléphone, la radio, la télévision, l’informatique…) s’est réalisée de fait par superpositions successives en imposant les règles, infrastructures et conditions nécessaires à leurs fonctionnements respectifs. Nos campagnes, nos villes, nos vies en ont été transformées sans prise de recul sur ce processus, alors que cette succession de superpositions a provoqué un recouvrement – progressivement et parfois jusqu’au blocage - de possibilités de décision sur nos choix de société, la contraction de biens et de services communs, en même temps qu’elle a produit des sentiments de liberté dans nos vies, tout en les soumettant à des offres de bien être massivement consenties sans réflexion.

De plus, la succession - révolution industrielle puis révolution numérique - sur deux ou trois générations, s’est déroulée trop rapidement pour être digérée par nos capacités humaines d’adaptation mentale en société. Le discours ambiant nous répète que nous sommes à l’époque du changement, de la flexibilité, de la souplesse. La réalité est plutôt la submersion de nos esprits par un Grand Rêve obligatoire et par l’émotion collective – un genre de saut dans le vide, ou dit autrement en termes plus sympathiques, une forme de déficience collective partiellement contrôlée, à reconnaître pour sa contribution à l’entretien des lourdeurs spécifiques de notre monde contemporain, aussi pour ses potentialités latentes.

Un examen méthodique des récentes successions d’innovations permettra de les considérer comme des projets non terminés ou dévoyés, imparfaitement réalisés ou incompris. On pourra en déduire des solutions partielles à la fois réalistes et radicales pour débloquer nos sociétés en vue de leur allègement. Une méthode d’examen méthodique de rétro conception existe déjà ou presque, en adoptant un point de vue d’urbaniste logisticien. Ce point est repris en conclusion du présent billet et sera développé dans un prochain billet.

Cependant, toute solution technique, surtout la mieux ancrée dans la rationalité, sera rejetée tant que nous resterons prisonniers des entraves mentales que nous avons en partie nous-mêmes créées pour surmonter les effets de la superposition de la révolution numérique à la révolution industrielle, en réaction rapide mais peu réfléchie au dépassement de nos facultés naturelles d’adaptation.

Décrassage avant départ

C’est évidemment pour les assumer que nous devons reconnaître nos entraves mentales d’apparition récente (ou de renforcement récent). En effet, même après une prise de conscience de ces entraves, nous ne pourrons pas nous en libérer facilement, sachant qu’il est vain d’espérer modifier les ornières mentales héritées de nos ancêtres des ères passées. A minima, comme il s’agit d’entraves neuves, nous pouvons les détendre un peu, juste ce qu’il faut pour dégager un espace indispensable au mouvement.

Faisons les présentations en 5 paragraphes schématiques.

1/ L’assimilation entre révolution industrielle et progrès

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La machine et son automate de régulation remplacent progressivement la force physique animale (parfois humaine) et la direction humaine de cette force. C’est la rupture d’un équilibre multimillénaire entre les humains et le règne animal et le règne végétal – un équilibre établi péniblement au cours des âges sur la base d’un apprentissage, d’une domestication réciproque, d’évolutions conjointes, de compétences cultivées diversement selon les environnements et les expériences. De nos jours, c’est plus qu’une rupture d’équilibre, c’est une perte sèche de compétences. Quelques expressions de regrets commencent tout juste à poindre.

Malgré un début de prise de conscience des risques de destructions irrécupérables, le Progrès sert toujours à justifier l’usage illimité de la force des machines. Par exemple, on lance encore, dans les communes pavillonnaires autour de nos grandes agglomérations, de grands travaux d’aménagement urbain en réalisation de projets des années 70-90 à peine actualisés. Ces chantiers monstrueux se terminent typiquement par la « création » d’espaces verts, ou par la « création » d’une « réserve naturelle » pour quelques espèces protégées ou réintroduites, ailleurs et loin, en compensation théorique de la disparition préalable d’une flore et d’une faune locales résiduelles. Les mesures d’accompagnement de ces brutalités manifestent le niveau piteux de notre générosité collective humaine face à la « Nature sauvage » mise en esclavage - et nous avec, évidemment.

2/ Notre dépendance individuelle à notre dose quotidienne de submersion mentale

Le dévoiement de la révolution numérique par les marchands et les apprentis sorciers a produit un instrument de manipulation mentale jusqu’au risque de quasi-démence temporaire de l’individu par le cumul d’effets de saturation faussement libérateurs – dans divers états aisément manipulables pour le meilleur comme le pire.

Alors que notre humaine animalité faisait notre être pensant, notamment par sa capacité sociale à cultiver ses rêves pour pouvoir les réaliser, et par sa capacité à « stocker » provisoirement ses rêves (on peut interpréter ainsi les croyances, les théories, les « idées », etc.), cette révolution numérique dévoyée se superpose à la révolution industrielle - qui déjà à elle seule suffisait à mettre en danger l’habitabilité de notre planète - en étouffant une partie fondatrice de notre nature pensante.

L’introduction massive d’objets informatiques connectés dans nos vies quotidiennes complète et encadre cette dépendance.

3/ La fascination devant la magie des institutions

Nos institutions pseudo démocratiques sont des produits de l’Histoire pas seulement récente, celle du fond des âges. Ces institutions ont à peine évolué en traversant la révolution industrielle, pas du tout en traversant la révolution numérique, alors que cette dernière offre des perspectives d’évolution vers des institutions authentiquement démocratiques.

Pour le moment, les traits d’autorité patriarcale demeurent centraux dans nos institutions, sous diverses formes selon les pays. Les pratiques magiques ne font pas qu’envelopper les rites d’apparat républicain, elles sont le quotidien des institutions, malgré l’assimilation « moderne » de la puissance publique à une direction d’entreprise, et du fait de cette assimilation trompeuse, d’autant plus sous une forme inconsciente, décalée.

La quotidienneté des pratiques magiques jusque dans les plus hautes sphères de nos sociétés, une exagération ? Il suffit d’observer « les actualités ». Pour nos dirigeants, la résolution d’un problème ou d’une crise, se traduit par la recherche de la bonne combinaison de boutons magiques sur leur tableau de commandes, afin qu’aussitôt en retour un algorithme leur présente des prévisions rassurantes des indicateurs habituels. C’est un jeu de déplacement de potentiels (des masses monétaires par exemple) pour une modification marginale des répartitions entre diverses catégories d’acteurs économiques ou politiques. Certains dirigeants osent qualifier leur jeu de « réforme ».

Mots d’autorité, formules d’invocation, discours de manipulation, c’est l’art moderne de la « communication », une composante de tout « management » moderne, une magie scolaire presse-bouton, qui devrait être réservée à des représentations théâtrales devant des populations étrangères.

Dans le discours politique moderne, les grands mots disent le pouvoir, mais les chiffres disent la fausseté, et les pourcentages la division, l’excuse, la tromperie. Trop de ministres gestionnaires ne savent plus dire le sens de l’Etat, alors ils font des discours explicatifs aux citoyens dans les mêmes termes que des dirigeants d’entreprise à leurs employés. Le résultat en est que l’incompétence personnelle du gestionnaire ressort des critères ordinaires de jugement, et que le citoyen, qui n’est ni un employé ni un client, ressent le mépris et perçoit la trahison. L’émergence de partis extrémistes et de personnalités politiques délirantes est un réflexe vital des peuples. Il existe pourtant d’autres possibilités de régénérer des institutions démocratiques croulantes, certainement pas dans la déshérence des anciennes magies.

GG.jpg Un événement récent a violemment fait ressortir, par effet de contraste, la banalité sommitale des pratiques magiques actuelles : le centenaire de la Grande Guerre 1914-1918. C’était une occasion unique de fonder le projet du prochain siècle pour un avenir planétaire, de revitaliser certaines organisations ou institutions internationales existantes, et de mener une offensive radicale d’élimination des pirates, parasites et mauvais joueurs – dont quelques états moralisateurs - qui exploitent à leur profit les zones grises et la diversité des législations. Il y avait dix mille manières de le faire à la hauteur de l’héritage de la Grande Guerre, après avoir recueilli cet héritage pour lui donner une signification pour nous maintenant dans ce monde-ci qui a tellement changé. Au lieu de cela, nos puissants dirigeants ont multiplié les cérémonies mémorielles et les discours d’émotion convenue jusqu’aux formes les plus ennuyeuses de contrition rétrospective. Et parmi les pauvres « idées » qui en ont finalement surgi pour l’avenir, il y eut celle que notre monde irait mieux si les vainqueurs de 14-18 faisaient des excuses aux vaincus ou, au moins, acceptaient de partager avec ces ex vaincus quelques avantages honorifiques acquis à la suite d’un autre conflit avec les mêmes… Quelqu’un avait appuyé sur un vieux bouton usagé que l’on croyait coincé à force d’avoir été enfoncé autrefois.

Mourante est la magie par laquelle se tiennent encore nos institutions étatiques dans la solennité de leur autodestruction. Le glacis dépenaillé de nos rêves inconsistants s’effiloche au-dessus de sinistres décharges de conserves périmées.

C’est donc bien naturel qu’elle nous émeuve, cette magie en danger.

4/ L’enthousiasme obligatoire pour des mirages technologiques

Les anticipations médiatisées à base de nouvelles technologies révolutionnaires et les découvertes scientifiques probables dans les 10 ans sont les avatars des prophéties religieuses et des antiques spéculations cosmologiques – à présent inspirées par nos divinités contemporaines.

Une grande voie balisée pour se construire une réputation, y compris dans les domaines dits scientifiques, demeure celle des grands prêtres des temps anciens. Elle passe par une association rigoureuse entre la gestion de la trésorerie alimentée par les subsides et l’ajustement de la dose de charlatanisme dans la communication.

L’un des piliers de la religion commune de la modernité est la croyance en l’infini potentiel de l’informatique, notamment par sa flexibilité d’adaptation, au prétexte qu’il s’agirait de logiciel au lieu de matériel. Cette croyance devrait pourtant s’évanouir au seul constat que le logiciel se fabrique aussi avec de la sueur humaine et qu’il est contenu dans du matériel. La conséquence logique en serait alors que les objets informatiques cumulent les défauts de pérennité du matériel et les imperfections de nos facultés mentales, d’autant plus que la fabrique du logiciel est soumise aux mouvements d’évolution des systèmes et plates formes de développement, eux-mêmes composés de matériels et de logiciels. Et que dire alors des objets informatiques en réseaux, qui doivent être conçus en cohérence entre eux (a minima leurs interfaces), et conserver cette cohérence malgré les évolutions des autres logiciels et matériels ! En réalité, en particulier pour ce qui concerne les « objets intelligents en réseau », la bonne analogie serait celle d’une industrie lourde à cycle de vie plutôt court, sachant que, sauf pour les matériels, on ne peut réparer un défaut par simple remplacement de pièce défectueuse… Bref, l'informatique n'est jamais La Solution, simplement une technique parmi d'autres; la sagesse recommanderait que l’informatique soit employée seulement sur des fonctions où ses avantages sont évidents en complémentarité de l’humain, et avec une extrême précaution lorsqu'il s'agit de fonction vitale pour la société.

5/ La dissolution de notre être fragile dans un idéal machinal

"T'en fais pas, je gère". Elle ou il replace son casque sur ses oreilles et reprend sa marche précipitée sur le fil directionnel de son smartphone. Après un échange de paroles programmées en fonction du mode choisi par chacun, on se quitte en reprenant le cours de son propre logiciel. Cela fait longtemps que je ne m'en fais plus sur ton « t’en fais pas ». D’ailleurs, je soupçonne que tu n’as jamais su l'écrire sans faute d’orthographe et que demain, à la place de « je gère », tu m’exhiberas un idéogramme du genre qui fait bien sentir le fossé entre les générations. Aucune importance : entre dinosaures, pourquoi s’en faire puisqu’on saura toujours comment faire, bien mieux et bien plus facilement qu’hier ?

Car, après des siècles obscurs, c’est à présent la Raison qui nous conduit scientifiquement. Nos droits et nos lois, nos façons de vivre en sont l’émanation évidente en démocratie apaisée. Dans notre course au Progrès, ces droits, ces lois, ces façons de vivre sont en continuelle évolution - c’est pour cela qu’il faut des poètes et des contestataires, et c’est pour cela que nous cultivons notre réceptivité collective à l’émotion, car toute émotion reconnue comme émotion légitime par la Raison donne naissance à une nouvelle loi.

Dans les organes institutionnels de décision, le dogme de l'infaillibilité « scientifique » sert à fortifier les légitimités vacillantes sous un masque de sérénité dans l’exercice de l’autorité. Après la publication d’un train de décisions, après un délai variable selon le domaine et les conditions, un autre dogme s’impose face aux remontées du « terrain », celui de l’obsolescence criante : pas le temps de reconnaître qu'on s'est trompé (un peu, beaucoup…, mais on sait la faute à qui), pas le temps de réfléchir pourquoi, pas le temps d’amender les imperfections (lesquelles ?) en douceur, et d’ailleurs ce serait trop « complexe », alors on publie d’abord quelques modifications marginales pour manifester la volonté de changer dans le sens du Progrès et des derniers sondages d’opinion, tandis que l’on commande un rapport à des experts en les abreuvant des idées qui résonnent dans les couloirs, et suite à la remise du rapport que personne n’a pris le temps de lire au-delà du résumé, on lance un autre train de décisions scientifiquement justifiées. Automatiquement, la Machine institutionnelle réalise ainsi la destruction progressive de tout ce qui est sans défense, sans statut, sans personnalité légale, par doses d’écrasement, au nom de sa propre Droiture universelle. La Machine institutionnelle du Progrès imprime, massicote, entasse et comprime. Elle a une imagination folle pour s’améliorer depuis qu’elle a découvert Internet - bientôt le smartphone !

Constatons que nos entraves mentales se renforcent mutuellement pour former un ensemble auto bloquant. Mais chacune est suffisamment neuve pour conserver une élasticité propre. Nous renvoyons aux nombreux billets de ce blog qui proposent des exploitations de cette élasticité au mieux de cette propriété temporaire.

Comment passer de la culture de l’émotion à la culture du déplacement

Voyons à présent « comment faire maintenant ».

Il nous faut un saut culturel, tout le monde le dit.

Et surtout, du concret, c’est urgent.

Un grand saut dans le vide, pour de vrai ? Cela semble difficile à organiser, les références historiques sont particulièrement désastreuses… Alors, laissons de côté les consolations de la poésie, les subtilités des philosophies, les vaticinations sur le futur, les explorations du psychisme humain et de ses processus de sublimation, et surtout les promesses de révolution pour de bon. Ce sont de vieux trucs de notre humanité millénaire, des jouets enfantins, à considérer pour ce qu’ils sont – certainement pas pour les jeter, on y revient toujours. Mais ils ne nous ouvrent aucun espace de liberté mentale, ils sont au contraire faits pour voiler la « vraie » nature (surtout la nôtre) que par construction de nous-mêmes nous ne pouvons ni percevoir ni comprendre, en aimable singerie du processus de naissance de nos idées en couverture du vide.

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Une « transition écologique » ? Il faudrait d’abord produire un programme cohérent, au-delà des réactions émotives. Où voyez-vous poindre une idée de projet concret d’une telle transition globale vers autre chose qu’un rafistolage à grand renfort de « nouvelles technologies » ? Cela vous rassure que nos premiers de cordée promoteurs de l’écologie dans nos institutions ou dans nos start-ups consultent régulièrement les actualités du jour et les cours de Bourse sur leur smartphone, exactement comme faisaient tous les profiteurs des bulles financières avant les crises ? Cela vous satisfait d’écouter ou de regarder des reportages sur l’émergence de nouvelles sources d’énergie « verte », prétendument réalisées par des installations industrielles dont la fabrication génère une pollution géante en consommant une énergie colossale, et dont le fonctionnement intermittent impose une surveillance à distance et une répartition fréquemment recalculée de la production par la mise en œuvre permanente de capteurs connectés, de réseaux informatiques, de logiciels spécifiques, complexes, vulnérables… ? Pouvez-vous concevoir par quelle logique, l’agriculture industrielle, la pêche industrielle, qui continuent de détruire les capacités planétaires de régénération naturelle jusqu’au fond des océans, vont demain pouvoir nourrir l’humanité, dont une partie souffre de malnutrition y compris dans des pays paisibles aux économies florissantes ? Comment supportez-vous la désespérance des derniers rapports d’étude sur l’évolution de l’environnement naturel, toujours soumis aux activités humaines productrices des déchets, émanations, dégradations encouragées par la promotion des formes les plus parasitaires de notre bien être ? Ce monument de ratage est une preuve supplémentaire que nos entraves mentales et nos systèmes institutionnels nous mènent à l’effondrement.

Il nous reste les ressources de notre culture innée d’être humain. Ce n’est pas rien. Si nous parvenons à en mobiliser une partie pour effet immédiat dans nos vies quotidiennes, nous pourrons assurer la cohérence de nos actions dans le monde réel sans préalable, à condition que nos machines institutionnelles ne serrent pas les freins.

Ce qui est proposé ici, c’est d’exploiter la « culture pratique du déplacement » commune à toute l’humanité depuis ses origines.

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Le développement de la culture du déplacement – la « logistique » selon son appellation technique moderne - remonte loin : organisation des déplacements en groupes de chasseurs cueilleurs entre les points de stationnement temporaires et leurs stockages, conception des villages, plus tard des villes avec leurs services communs d’acheminement ou de dégagement (voieries, canalisations, égouts…), adaptation de la répartition des tâches selon le contexte et l’environnement, approvisionnements et mouvements des armées, démultiplication et flexibilité des échanges par la monnaie et les instruments de mesure… Cette discipline logistique telle qu’elle fut pratiquée par nos ancêtres, dans diverses civilisations autour du globe, fournit l’un des fils conducteurs des enquêtes anthropologiques par des techniques de pointe, à la recherche des processus d’inventions et d’adaptations qui ont permis la construction progressive de grandes civilisations.

Dans notre monde contemporain, les technologies nouvelles trouvent souvent leur première application pratique en logistique, notamment dans le domaine des capteurs, des bases de données, de l’intelligence artificielle, des réseaux informatiques. Chacune de ces technologies nouvelles occupe une niche définie en fonction de son apport propre. Il n’est pas raisonnablement imaginable, compte tenu de l’imprévisibilité des aléas et des besoins, de confier à une super intelligence la direction d’ensemble. En effet, la pratique d’activités logistiques – pensons par exemple à la gestion quotidienne d’une cantine scolaire -, est soumise couramment à des aléas qui se combinent entre eux en situations inédites : accidents, pannes de matériels, coupures d’alimentations, absences de personnels, défauts d’approvisionnements, retards des financements, contextes épidémiques, changements des normes à respecter, etc. Il faut imaginer des réponses à l’imprévisible et faire contribuer des personnes compétentes.

En résumé, nous n’avons pas à développer une culture du déplacement puisqu’elle existe déjà en tant que discipline du monde réel, héritée du fond des âges, vivante, commune à toute l’humanité.

C’est pourquoi, une méthode d’urbaniste logisticien nous semble adaptée à l’examen critique de nos civilisations, au long de leurs canaux de circulations matérielles et immatérielles, après les superpositions subies des voieries, canalisations, stockages, sources d’énergie, etc. imposées par l’installation des moyens nécessaires à la diffusion massive des révolutions industrielles et numériques. En observant les circulations physiques et informatiques dans leur intégralité (y compris pour maintenance et entretien courant), cet examen révèle les inadaptations, congestions, blocages, gaspillages, d’abord en termes physiques et en termes de dépenses énergétiques, ensuite en termes de robustesse et de flexibilité dans l’obtention d’un résultat à l’heure et à l’endroit prévus – et tout cela pas seulement dans un objectif de « qualité du service au client » mais d’une amélioration continue de chaque élément d’une solidarité logistique. Clairement, le fil directeur d’un tel examen critique n’est pas le respect des « valeurs » morales et juridiques, encore moins l’intérêt de court terme d’un agent économique particulier ou d’une institution. En vue de réaliser des aménagements, on doit pouvoir considérer les lois et le droit comme des contraintes aménageables – dans une mesure raisonnable, car de même qu’on ne refait pas la société d’un coup de baguette magique, on doit cependant pouvoir envisager l’adaptation de quelques textes de référence, en leur évitant l’incohérence, l’inintelligibilité, la laideur….

Nous donnons dans un prochain billet un éclairage sur l’application d’une telle méthode dans un but d’aménagement de la mobilité individuelle, autrement dit le « problème de l’automobile ». C’est bien un problème de déplacement, non ?

dimanche 28 mai 2017

Mémoire libre

Si vous cherchez un éclairage original sur la prétendue bataille pour la liberté du Net, nous vous suggérons nos billets à propos du lien URL, à propos du logiciel libre et surtout, les billets sur le thème de la propagande.

Ici, nous reprenons plusieurs thèmes porteurs de ce blog : liberté et mémoire, liberté et intelligence… en relation avec le Web. Ce sont de grandes questions, et les quelques réponses proposées sont à comprendre ainsi.

Décadrage

On peut philosopher gravement sur la dialectique entre la liberté et les capacités extensives de l’être humain, telles que la mémoire ou l’intelligence, à la suite de grands auteurs. En déplaçant la réflexion vers l’étude de vraies situations extrêmes ou d’imaginaires monstrueux, on peut en dire et en écrire toujours plus, on peut même susciter des controverses contemporaines aussi passionnées qu’abstraites. Cependant, à moins de réussir un exploit par un nouvel effort de distorsion logique, il est difficile, sauf abus de la licence poétique, d’éviter la redécouverte de réalités connues de tous les enfants dans les cours de récréation.

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C’est bien une réalité de longue date, que notre nature humaine dérange nos exercices de spéculations intellectuelles et que, depuis l’antiquité, rares sont les penseurs qui ont osé l’explorer sans chercher à en extraire une théorie éternelle, pour la seule sagesse de leur temps.

Ce déficit empêche de constater les phénomènes massifs qui se déroulent quotidiennement dans notre vie très différente de celle de nos parents, au plan physique comme au plan mental. Par exemple, il pourrait être urgent de s’apercevoir que, par les effets médiatiques cumulés et notamment par Internet, la diffusion des idées tend naturellement à être remplacée par celle des rêves. On pourrait en trouver une explication simple : toute diffusion massive étant une banalisation par répétition, imitation, réplication, démultiplication, recomposition… les rêves sont, contrairement aux idées, par nature destinés à ce type de propagation envahissante alors que les idées sont vite rangées dans des tiroirs mentaux et des encyclopédies avec leur contextes et antécédents explicatifs, d’autant plus pour les grandes idées encombrantes.

Admettons que notre époque se caractérise par l’invasion des rêves et par leur banalisation. Alors, une conséquence en retour apparaît, celle de notre carence relative en production d’idées neuves adaptées aux « défis » spécifiques de notre époque et aux atouts dont nous disposons. Une preuve parmi d’autres : la coïncidence entre une révolution numérique portée par un réseau Internet universel et, d’autre part, la diminution irréversible de l’espace planétaire habitable révèle un vide abyssal dans l’organisation de la responsabilité collective.

Projet impossible, celui de nous échapper des machines d'engrenages fatals alimentées par nos rêves, si bien entretenues par nos pesanteurs mentales, et pour cela, d’utiliser au mieux les opportunités existantes et d’user de certaines de nos capacités naturelles négligées ?

Le smartphone comme véhicule de libération massive

Tous ces gens qui progressent en silence dans les rues des villes, le regard fixé sur leur smartphone, s’évitant au dernier instant, témoignent-ils d’un niveau supérieur de civilisation ou d’un genre nouveau d’aliénation et de gâchis ?

Tous nos amis connectés en permanence, qui se précipitent sur leur smartphone à chaque instant pour se renseigner sur tout sujet de détail au cours d’une conversation, à quoi leur sert la culture acquise après plusieurs années scolaires, que sont devenues leurs capacités de recul et de réflexion si chèrement gagnées dans l’expérience de la vie – puisque pour eux toutes les réponses vraies et complètes sont dans leur informatique portative, bien meilleures que tout ce qu’ils pourraient recueillir d’un échange avec d’autres ? A ce compte là, osons poser la question : que peut apporter à quiconque une relation avec des personnes dépendantes de leurs smartphones ? Quelle relation humaine est possible entre ces personnes dépendantes alors que le doute, l’attente, l’écoute de l’autre sont oblitérés constamment par l’exécution de procédures réflexes dont les résultats sont aussitôt oubliés ?

D’ailleurs, les usagers profonds du smartphone n’ont pas plus de mémoire propre que leur engin. Leurs souvenirs personnels se limitent à quelques photos ou vidéos de leur passé proche, et encore seulement si ces images peuvent servir à impressionner leurs semblables ou à justifier leurs projets publics, conformes aux modèles des clips publicitaires. C’est la dissolution des mémoires humaines dans un avenir clos, le concassage des esprits dans les impératifs des relations à déclics, la reproduction automatisée de pensées et de gestes de gestion par touches successives. Est-il si étonnant que beaucoup d'entre nous soient à la recherche d'une identité ?

Entre deux populations primitives (imaginaires !) , la première dont les membres exécutent spontanément sur place une danse de l’ours dès que l’un d’eux découvre un caca de plantigrade, la seconde dont chaque tribu exécute une danse de l’ours collective après des préparatifs spécifiques en attente du bon changement de phase lunaire, laquelle est la plus évoluée au plan culturel ? Question piège évidemment, car les deux populations ont le même fonds culturel, au point qu’il peut s’agir d’une seule population, dont l’observateur immergé de passage aura retenu l’un ou l’autre aspect. Question explosive si on la projette sur nos civilisations « modernes » en continuité des paragraphes précédents : sur un arrière-plan technique et culturel hérité, nos spontanéités animales individuelles se figent en automatismes, pas seulement dans les stades et les boîtes de nuit, mais tout au long de nos vies connectées. Et notre patrimoine technique et culturel ne sera bientôt plus qu’un décor, un prétexte à jeux et concours, pour nous rassurer sur la supériorité de notre intelligence humaine et sur la puissance de ses créations.

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Car une grande illusion de notre temps, n’est-elle pas de considérer implicitement que nous sommes forcément plus intelligents et plus libres que nos anciens primitifs ou que nos parents et grands parents du 20ème siècle, grâce à Internet et à la puissance de nos esclaves mécaniques ? Et que nous pouvons couramment, de ce fait, dépasser les aspects jugés rétrogrades de notre nature humaine, c'est-à-dire, pour faire simple, tout ce qui se fait encore sans smartphone : pas grand-chose donc… Mais c’est une erreur de perspective, car ce smartphone est devenu l’instrument obligatoire de nos choix individuels pour les prochaines minutes de nos vies, à partir de dialogues informatiques programmés et de propositions personnalisées par des algorithmes exploitant des statistiques géantes et des ressources satellitaires. Si nous reconnaissons que notre liberté personnelle au cours de notre vie sociale ne peut être que la liberté du choix de nos propres servitudes en actes, en comportement et en pensée, selon notre choix d’appartenance à tel ou tel groupe social (et sans pouvoir nous évader des groupes sociaux auxquels nous appartenons par nature, par exemple la famille), alors nous pouvons comprendre pourquoi l’atomisation ludique de nos choix de court terme proposée par notre smartphone, en apparente indépendance des pesanteurs de la vraie vie, nous apparaît comme un jeu de liberté, mais aussi nous pouvons comprendre que ce n’est qu’un simulacre de liberté, un jeu débilitant.

« Un rhinocéros à toute allure sur le trottoir d’en face ! ». La pièce Rhinocéros d’Eugène Ionesco, à charge contre toutes les formes d’emprise totalitaire reconnues après la deuxième guerre mondiale, prend un sens nouveau, quand nous apercevons tant de rhinos d’élite sur roulettes filant allègrement selon les directives de leur smartphone, oreilles obturées par les écouteurs, indifférents aux autres à l’exception de leurs semblables. La pièce Rhinocéros, au contraire des appels pompeux à l’indignation, nous parle de la banalité de l’emprise totalitaire et de son mode de propagation. A présent, nous peinons à réaliser comment nos tendances naturelles nous poussent à muter tous en rhinocéros sous l’effet des accélérateurs médiatiques, certes nous n'allons pas tous nous transformer en militants aux cerveaux imprimés, mais cependant tous en vrais super humains constamment absorbés par leurs smartphones qui se croient libres dans leur cage de plus en plus mal nettoyée (pour cause de complexité). Des rhinos en voie de disparition, comme les vrais, par l'effet d’une inadaptation évidente.

Avec le recul, on s’aperçoit que chaque époque de notre histoire gère ses propres problèmes, mais avec toujours la même difficulté, celle d’une création sociale adaptée. Tant que l’humanité se réduisait à quelques êtres assez bien répartis sur Terre en fonction des contraintes et possibilités naturelles locales, tant que nous étions de faibles pilleurs de ressources, tant que nous étions de négligeables producteurs de rejets et de déchets, nos inventions techniques, nos expérimentations politiques et sociales avaient peu de conséquences sur nos semblables à l’autre bout du monde, et nos doctrines de confort et nos rêveries de puissance pouvaient aspirer à l’éternel et à l’universel sans autre risque de contradiction qu’entre les variantes d’elles mêmes. Aujourd’hui, la massive machinerie industrielle de l'humanité devient globalement insupportable au sens le plus matériel du terme, du fait de son expansion et de sa soumission brute aux lois physiques. Presque tous nos actes individuels, s’ils sont conformes aux modèles de comportement « civilisé normal » et s’ils utilisent des objets industriels ou consomment de l’énergie comme le smartphone, sont devenus de petits crimes contre l’humanité dans son ensemble. En termes génériques, le problème crucial de notre époque est celui d’une création sociale capable d’instaurer un équilibre durable entre liberté et responsabilité, à la fois au plan individuel et collectif.

Le smartphone suffirait largement comme relais personnel d’une forme de démocratie planétaire, comme instrument médiateur permettant d’assurer nos besoins en énergie domestique dans un cadre d’intérêt général, etc.

Sinon, le smartphone tel qu’il existe pour un usage individuel en connexion permanente, néanmoins ludique et irresponsable, pourrait être le dernier instrument produit industriellement en grande quantité pour la mise en miettes de nos libertés.

L’automobile individuelle en production massive fut le premier du genre. On commence bien tardivement à en faire le bilan planétaire, pourtant édifiant.

Vive Internet libre !

Concrètement, le sentiment personnel de liberté se crée à la suite d’une ouverture du champ de nos pensées, actions, comportements, rêves…. De même à l’inverse, le sentiment de perte de liberté naît d’une fermeture. Les deux supposent la survenue d’une discontinuité ou le constat d’une différence par rapport à un état de référence constitué des imprégnations de nos propres groupes sociaux d’appartenance.

En effet, le sentiment de liberté ou de servitude peut être considéré comme un sentiment social, projetable sur autrui, être humain ou animal (et dans une autre échelle temporelle tout être végétal et plus généralement toute entité personnalisable). Il est partageable avec autrui dans la mesure où il existe une communauté partielle de référence. C’est ainsi que nous analysons comparativement et ressentons en quelques minutes, dès les premières prises de contact avec de nouveaux voisins, les contraintes auxquelles il sont soumis, les libertés qu’ils s’accordent par inconscience ou par habitude (surtout si lesdites libertés présentent des risques d’inconfort pour nous), leurs tics, leurs handicaps, leurs aptitudes et compétences spéciales (inquiétantes ?), leurs angles aveugles et leurs interdits (ils sont comme nous mais autrement)… en vue de notre future relation avec eux et pour la durée estimée de cette relation. C’est ainsi, d’une autre manière, que nous aimons, par un conditionnement collectif enfantin, imaginer l’Indien d’Amérique du Nord, avant sa colonisation et son extermination, comme un être comparativement plus libre que nos contemporains urbanisés, et volontairement dans cette rêverie nous négligeons les contraintes de la vie dans une nature sauvage sans le confort des techniques et connaissances accumulées depuis l’ère néolithique. Bref, sentiment n’étant pas raison, le sentiment de liberté est une réalité sociale bien avant toute conception théorique de « la liberté ».

D’ailleurs, de ce point de vue, l’idée de « la » Liberté, comme idéal générique, apparaît comme un artefact naïf du même genre que « le » Progrès. Cette Liberté s’apparente à un super doudou collectif, grotesque mais puissant, puisque tant de gens lui ont sacrifié leur vie. Les massacres au nom de la Liberté éternelle ne traduisent que la force des croyances et des mots d’ordre auxquels nous abandonnons la possession de nos esprits. Et nous respecterions mieux nos anciens en cultivant la mémoire de leurs compétences et de ce qu’ils ont eux-mêmes pu exprimer de leurs vies pénibles et des folies de leur temps, plutôt que de noyer leur souvenir dans des formules creuses à partir de nos valeurs préférées du moment, en interprétant leurs projets et pensées selon des critères d’avancée ou de recul dans une supposée marche vers le Progrès dont nos sociétés modernes seraient les produits miraculeux.

Nous ne reprenons pas ici les arguments démontrant à quel point Internet, dans son état présent, à l’opposé des intentions originelles de sa création, est devenu un instrument d’encadrement des esprits, alors que son utilisation procure un vrai sentiment de liberté instantanée - là est le piège. C’est le piège archi connu des manipulateurs, depuis toujours efficace même dans ses variantes les plus grossières. C’est que, individuellement, par économie d’énergie intellectuelle, cela nous arrange bien de tomber dans ce vieux piège, difficile à distinguer sur le moment de nos principes naturels d’action, notamment chaque fois que nous y sommes entraînés par imitation.

Cependant, la puissance spécifique du piège Internet (répétons : dans son état présent), est démultipliée par l’illusion d’une réponse à l’appel de communion universelle qui existe en chacun de nous de diverses manières - que notre humanité n’a-t-elle pas tenté dans son histoire pour en compenser les déceptions !

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Nous devons au réalisateur japonais Mamoru Oshii plusieurs films traitant de la cybernétique et du rêve. Son film d’animation Ghost in the Shell est célèbre pour ses qualités esthétiques. Les personnages principaux, la major Kusanagi et son collègue Batou, sont des super héros issus d’un reconditionnement à la suite d’accidents graves de leurs vies d’humains ordinaires. Ils travaillent à la sécurité nationale dans un service d’élite, pour affronter d’autres personnages surhumains, des délinquants particulièrement dangereux. Parmi ces délinquants, un hacker se révèle peu à peu comme un être intégré au Net, sans existence physique propre. Après diverses péripéties, l’histoire se termine par la fusion volontaire de la major Kusanagi avec le Net, au prix de sa destruction corporelle pour détruire le hacker délinquant. Avec le recul de plusieurs dizaines d’années de pratique d’Internet, on peut trouver l’histoire carrément naïve, ou assimiler l’œuvre aux autres témoignages d’un animisme actualisé. Néanmoins, ce film d’animation décrit remarquablement notre fascination du Net, et l’ancrage sur nos aspirations de communion universelle vers un « plus qu’humain », au sens propre une forme d’aspiration religieuse.

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Un autre film du même réalisateur est encore plus explicite, car ce n’est pas un film d’animation. Il s’agit du film Avalon, ou le personnage principal s’immerge régulièrement dans un jeu de guerre en réseau interdit par les autorités, poursuivant avec détermination sa quête d’un paradis virtuel, le pays d’Avalon (que l’on pourra prononcer Valhalla sans trahir le scénario). Cette quête virtuelle finit par envahir toute la vie de l’héroïne, enquêtant auprès d’autres joueurs y compris des retraités aux cerveaux cramés, afin d’atteindre le niveau secret ultime du jeu, où elle est amenée à tuer un concurrent dans un combat qui n’a plus grand chose de virtuel, puis à tirer sur la petite fille évanescente qui annonce l’entrée au Paradis… Le plus choquant, c’est qu’il n’y a dans ce film rien de choquant, car la banalité du jeu de massacre impitoyable pour satisfaire une aspiration personnelle raisonnée mais délirante, est la banalité de la réalité rapportée dans nos médias, celle des opérations militaires, des foules meurtrières, des attentats aveugles, des exploits phénoménaux. En quoi les mondes virtuels des jeux violents sont-ils différents, dans leurs valeurs et leurs codes brutaux, des mondes réels quotidiennement représentés dans nos médias, ceux du sport, ceux du spectacle, ceux des affaires, ceux de la politique…? Notons qu’à la fin d’Avalon, l’élévation terminale du personnage n’apportera rien à quiconque dès lors que cette transition se veut comme un départ sans retour vers un niveau inaccessible, au contraire de la transition de Kusanagi à la fin de Ghost In the Shell vers un plan d’existence connecté à notre réalité. On peut expliquer cette différence par des motifs commerciaux (préservation des projets de suites à Ghost in the Shell). Néanmoins, cette différence reproduit l’écart, que l’on constate entre beaucoup d’œuvres de l’esprit, entre les œuvres à fin mythique « grandiose » et les œuvres à fin réaliste « minable ».

C’est du grand art, et c’est bien le minimum nécessaire pour que nous apercevions en contre jour la puissance du piège Internet y compris celle du rêve qu’il exploite, le rêve d’une liberté immanente qui ne peut être – ou le rêve d’une harmonie immanente, ou de n’importe quoi dans la catégorie transcendante, dont nous ne pouvons qu’imaginer un reflet fugitif.

Internet aurait du devenir un support d’humanité universelle pour tous les temps. Il n’est en l’état qu’un bidule technologique d’usage instantané, un canal abusif parmi d’autres de nos servitudes mentales.

Actualité du libre arbitre et du serf arbitre

La doctrine du serf arbitre est une invention sociale au centre de l'histoire européenne du protestantisme, et par extension un moteur de la révolution industrielle. La doctrine théologique du serf arbitre est celle de la prédestination individuelle au "salut" post mortem accordé par la divinité, indépendamment des actes de la vie terrestre. Malgré la dépossession individuelle de tout pouvoir sur le destin ultime de chacun, cette doctrine n'a jamais produit l'avachissement de l'être, sauf dans quelques sectes. C'est qu'elle libérait la personne de l'angoisse d'avoir à "faire son salut" individuel par ses actions terrestres, notamment par des dons au clergé. De plus, pour compenser le risque évident de perte du sens moral, cette doctrine du serf arbitre fut complétée en imaginant les signes terrestres distinctifs des élus, au travers de leur comportement social et plus précisément dans leur réussite. C’était dans la continuité de l'erreur charitable consistant à vouloir un peu de paradis sur terre, mais en l'intensifiant adroitement en mode progressiste.

Rétrospectivement, cette dernière évolution nous apporte une preuve supplémentaire qu'une vision doctrinale a priori désespérante de la nature humaine, si elle est bien comprise, peut produire un redéploiement mental de grande ampleur et favoriser l'ouverture de nouveaux domaines d'activités tout à fait bénéfiques ici-bas - selon certains critères d'appréciation.

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A notre époque, l'équivalent moderne du serf arbitre, autrement dit l'équivalent moderne de la prédestination à l'élection divine, pourrait être la conscience humaine d'être une machine, une machine imparfaite : un animal, néanmoins pleinement un être humain du fait même de ce constat. Ce constat de serf arbitre personnel, s'il était partagé par beaucoup, pourrait mettre un terme brutal à l’expansion indéfinie de nos dangereux rêves de puissance, du fait qu’ils ne pourraient plus se dissimuler derrière des idoles comme la Liberté pour emballer des âmes et des corps devenus conscients de leurs automatismes innés. Notre mémoire historique nous enseigne qu’une telle prise de conscience suffisamment généralisée serait un préalable à la création d'une forme de libre arbitre collectif.

A l’opposé, les équivalents modernes de la doctrine contraire au serf arbitre, celle du libre arbitre individuel, sont les projections volontaristes d'une super Humanité transfigurée par les Nouveaux Pouvoirs de la Science, bientôt colonisant de nouvelles planètes. Ce pseudo libre arbitre n’est pas rassurant pour notre avenir, en regard de ses productions historiques récentes. En effet, il semble que le libre arbitre individuel produise un serf arbitre collectif, et que justement, nous y sommes - profondément dans l'expression des aspirations communes de libre arbitre individuel en opposition à toute forme d'oppression. Et le pire commence à venir, car après la période des conquêtes faciles grâce au Progrès, s’ouvre la période des discordes entre les gagnants, attisées par les rancoeurs des retardataires et des frustrés.

L'invention d’une forme de libre arbitre collectif est nécessaire au salut de l'humanité sur la planète Terre. Le serf arbitre individuel sera notre réalité de toute façon, elle sera particulièrement effroyable si nous attendons que l’évidence nous en soit imposée « par les circonstances ».

Déménageons la Liberté

Bref, il va falloir déplacer notre statue mentale de la Liberté sans la détruire. Elle devient sévèrement encombrante dans son état d’idole friable. La Liberté, dès lors que nous l’éclatons entre ses composantes (liberté d’expression, liberté de circuler…) plutôt que de la considérer globalement dans sa dynamique (mais alors il faut être capable de dire vers quoi), s’assimile progressivement à l’ensemble de nos droits, c’est-à-dire à l’édifice formel d’une société parfaite en résultat de l’affrontement des pouvoirs, les résidus d’imperfection étant délégués à diverses instances d’exploitation des sentiments religieux. Il en est de même pour nos autres totems, comme la Démocratie et la Justice, auxquels la Liberté se trouve automatiquement associée dans nos sociétés « modernes » congelées dans un formalisme de délégation floue et de révérence obligée.

Cette inertie mentale et sociale devient vraiment insupportable dans notre réalité planétaire présente :

- l’expansion historique récente de ce que beaucoup considèrent comme des libertés individuelles minimales ne se serait jamais traduite en réalités sans le niveau de confort social et personnel obtenu par l’exploitation de considérables ressources énergétiques faciles à extraire et mises à disposition des masses par la diffusion à bas coûts de machines et d’engins pour l’éclairage, le chauffage, le transport, la vie quotidienne

- la fin de cette période insouciante s’annonce dans les 50 ans à venir, non seulement par l’accroissement des difficultés techniques d’extraction des ressources énergétiques mais surtout et d’abord par l’accumulation des déchets et émanations nocives des combustions sous diverses conditions industrielles et domestiques, productives ou irresponsables, causant notamment un premier niveau de dérèglement climatique et un rétrécissement des espaces cultivables et habitables, avec des conséquences politiques et humaines déjà évidentes

- redisons-le autrement : nos esclaves mécaniques et informatiques consomment de l’énergie en produisant, en plus des fonctions utiles souhaitées, des déchets et des émanations nuisibles, et c’est bien pire dans les usines qui les fabriquent et encore plus dans les industries de process et les mines en amont de ces usines de fabrication...

Voici donc un échantillon, au point où nous en sommes, des types de mesures à envisager simplement pour préserver la paix de ce monde-ci :

- imposition d'objectifs d'indépendance alimentaire des populations par grande zone géographique du globe, avec des programmes de refonte accélérée des stratégies agricoles et d'élevage en cohérence avec un programme d'adaptation des populations en nombre et en régime alimentaire courant

- arrêt des centrales électriques fonctionnant à partir de la combustion du charbon, interdiction progressive des fours et appareils domestiques polluants

- inflation volontaire des prix à la consommation de toutes les énergies, de 100% la première année y compris dans les usages industriels et spécialement les transports,

- interdiction de la possession individuelle de véhicule automobile motorisé, interdiction des voyages aériens de loisir et pour affaires si ces derniers sont substituables par des réunions à distance via Internet, interdiction des transports aériens de marchandises non indispensables ou non urgentes

- mise à l’arrêt des industries d'élevage d'animaux en masse à destination de l'alimentation humaine ou d'une alimentation animale

- installation de compteurs électriques intelligents par foyer, permettant le recueil des prévisions de besoins émises par chaque ménage et indiquant en retour les meilleures périodes possibles de leur satisfaction (avec possibilité d’interfaçage avec tout smartphone)

- arrêt de tous les rejets à la mer et dans les rivières sauf s'ils sont biodégradables en moins d'un mois dans les conditions locales

- arrêt progressif de tout épandage de produit chimique sur des terres agricoles, interdiction immédiate de tout épandage sur les terrains d'infiltration vers des nappes phréatiques importantes

- obligation d’instruction citoyenne des populations et obligation d’un service civique au bénéfice de la collectivité, à exécuter par chaque citoyen, à hauteur significative d’une journée par semaine, rémunérée pour assurer à chaque contributeur son minimum de subsistance

- destruction en quelques années de tous les logements gaspilleurs d'énergie ou fauteurs de déchets et rejets, et remplacement par des logements économes

- arrêt de l'extension indéfinie des grandes agglomérations, refonte des centres urbains, facilitation des relations entre villes et campagnes nourricières

- etc.

L’absence de toute proclamation d’ordre moral dans ce genre de programme n’est évidemment pas la conséquence d’un oubli. Au contraire, toute déclaration spécifique d’humanité, tout baratin en référence à des valeurs, toute référence à un modèle de vie ou à une école de pensée seraient ici plus qu’inopportuns, automatiquement promus comme facteurs de guerre de civilisation ou de religion. Le seul préalable à un tel programme, c’est le constat brut de la menace physique sur l'humanité, justifiant à lui seul des mesures proprement révolutionnaires. Le constat de serf arbitre, ou son équivalent décliné dans chaque langage local, pourra rester implicite - comme dans toute révolution ?

Tiens, justement, si c'était un programme électoral, qui voterait pour, face aux habituels programmes « business as usual » ou « tous ensemble, protégeons la planète » ? Si ce genre de programme, par une extraordinaire combinaison, était mis en oeuvre demain par un pays ou une fédération de pays, on peut imaginer les accusations de liberticide qui seraient proférées par les observateurs sceptiques alentour, à juste titre dans le bon sens de leurs ornières mentales.

C’est que l’idole de la Liberté et les diverses dictatures terrestres, y compris celles de la pensée majoritaire, s’accordent objectivement pour que les vraies urgences planétaires ne soient jamais traitées dans les cadres délégataires actuels des institutions ni dans les automatismes délégataires de l'"économie". Par exemple, concernant la méthode de réduction de la circulation des véhicules automobiles dans les villes, nos représentants institutionnels, les vrais notables comme les vulgaires profiteurs, trouveront naturel d’encourager les partenariats contractuels avec des industriels innovants proposant des véhicules urbains en location de courte durée. Que la conception et la production de ces véhicules représente une aberration écologique sous emballage flatteur, que ces véhicules s’avèrent difficiles à maintenir en bon état (sans parler de l’absence des souhaitables remises à niveau techniques après retour d’expérience), que les multiples emplacements répartis de parking de ces véhicules se révèlent encombrants et laids, que la qualité de service aux clients abonnés se dégrade après quelque temps pour cause de rentabilité douteuse et en vue de créer un niveau d’insatisfaction propice à la renégociation du partenariat, que les conventions passées par les communautés urbaines avec les industriels soient des opportunités de satisfaire divers intérêts d’arrière-plan… Peu importe, leur conception traditionnelle de la « liberté » sous contrat est préservée ! Dans la même logique d’automates à produire des contrats, nos représentants ou nos dirigeants n’apercevront aucun mal dans le lancement d’appels d’offres pour la création d’ »espaces verts » et de grands projets « réparateurs de la planète », eux-mêmes très dépensiers en énergie et à l’évidence globalement nuisibles.

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Est-il permis d’imaginer un destin terrestre des populations humaines qui ne soit pas celui de populations d’insectes agglutinés en colonies de développement parasitaire, incapables d’évolution sociale autrement que par mutation génétique ou par régression sous l’effet de cataclysmes ? Rien ne l’autorise dans le discours courant, presque rien dans les programmes de recherche, si peu et si timidement dans les efforts de la pensée contemporaine. Les rêves et les valeurs véhiculés dans les médias dominants demeurent ceux d’un passé de gloire et de conquête, ou de sa contestation maladroite, ou d'un fatalisme régressif, avec toutes les combinaisons possibles.

La non pertinence est évidente de toute solution par un saut quantique d’innovation technologique, il suffit d’en esquisser le bilan énergétique ou d’en imaginer les implications simplement matérielles. Les technologies pseudo futuristes des magazines à gogos sont physiquement impossibles à intégrer dans des usines de production en grand nombre, pour cause de limitation des ressources terrestres. Leur éventuelle mise en œuvre demeurera réservée à une élite richissime et privilégiée qui se ruinera pour acquérir et bénéficier des innovations du dernier cri dans un territoire privé en zone de climat durablement tempéré de Nouvelle Zélande ou de Patagonie, et tant pis pour les autres, qui n’auront même plus de quoi vivre dans ce qui leur restera par ailleurs.

C’est pour que nous puissions jouer avec notre smartphone dans les embouteillages des périphériques urbains que nos anciens ont tant peiné et ont donné leur vie pour la Liberté ?

Réaffirmons que la priorité des priorités de notre époque, est l’invention de la liberté collective qui nous permettra de prendre des décisions difficiles mais urgentissimes au niveau planétaire et aux niveaux locaux en cohérence, et de conduire leurs programmes de réalisation.

Cette capacité d’invention d’une nouvelle liberté décisionnelle existe, la possibilité de sa mise en œuvre existe, il suffit d’en libérer la mémoire. Voir nos nombreux billets de la catégorie proposition, en particulier sur le thème démocratie.

Par exemple, la création d'un réseau de citoyens planétaires se situe dans le domaine du possible à court terme - pourquoi pas en missionnant pour cela l'une des nombreuses agences onusiennes, selon la qualité des dirigeants que l’on pourra y trouver pour cette opération. Ou alors, est-ce que les dirigeants du monde sont encore plus soumis à nos rêves collectifs que nous autres ?

mardi 1 mars 2016

Chers pirates et richesses collectives

Plusieurs billets de ce blog manifestent un manque de respect pour l'Entreprise et les Entrepreneurs.

Ce billet-ci en fournit les raisons, au-delà des doutes, largement exprimés dans d'autres billets, concernant l'authenticité "purement entrepreneuriale" des récits fondateurs de certains monopoles du Web.

Car, bien plus que d'un manque de respect de circonstance, il s'agit ici d'une haine de la pire espèce, une haine construite par l'expérience, imperméable aux discussions théoriques !

Précisons : cette haine est celle du mythe de l'Entreprise comme seul acteur dynamique de toute société moderne et comme unique créateur d'activités valorisantes.

Précisons : c'est, par extension, la haine du mythe de l'Entrepreneur comme équivalent moderne d'un capitaine découvreur de mondes nouveaux, d'un chevalier du Progrès. C'est la détestation de l'assimilation obligatoire de l'Entreprise et de l'Entrepreneur à des modèles reproduisant des définitions stéréotypées des motivations et des idéaux des chefs d'entreprises, soumis à des doctrines de management à prétention universelle.

Pour avoir vécu longuement dans des entreprises de toutes tailles, de la start-up à la multinationale, et dans divers secteurs d'activités (à l'exception notable des secteurs banques-assurances et pétrochimie), nous savons pourtant que les simplifications haïssables ne correspondent pas à la réalité, en dépit de l'obligation d'alignement mental sur des catégories normatives, notamment par le truchement de normes dites de management (dont l'implémentation se réalise trop souvent par un lavage des cerveaux) et en dépit de l'imposition de méthodes de comptabilité et de gestion censément rationnelles, alors qu'elles ne traduisent qu'une logique financière tout à fait spécifique.

Précisons que pour avoir travaillé longuement dans le secteur privé et autant dans l'Administration, nous avons mesuré la profondeur de la méconnaissance de l'abîme entre le Public à finalités d'intérêt général et le Privé à finalités d'intérêts particuliers. Le constat le plus désolant, c'est lorsque l'intérêt général devient un idéal désincarné sans déclinaison concrète, tellement vague que ses défenseurs passent pour des théoriciens attardés, tandis que les agents du service public sont submergés par les formations et les discours à la gloire des valeurs et de la dynamique d'un business management d'autant plus mythifié qu'ils n'ont eux-mêmes pas la moindre idée des réalités des entreprises et que leurs parents, amis, connaissances travaillant dans le secteur privé ne peuvent leur en fournir que des témoignages partiels. Dans les mentalités, le secteur public survit dans la honte de ne pas être dans le secteur privé.

Résumons en quelques phrases.
L'entrepreneur n'est pas forcément un ambitieux (au choix : un crétin, un cinglé...) avide de dominer ses semblables, pressé de faire du fric, audacieux exploiteur des libertés qui lui sont offertes, habile à transformer les contraintes en instruments de profit et en armes compétitives.
L'entreprise n'est pas forcément une machine à dépouiller les employés de tout sentiment de l'intérêt général, pas non plus forcément un organe médiatique de contradiction de l'intérêt général des états où elle développe ses activités.
D'ailleurs, le monde serait bien pire si c'était toujours le cas.

Cependant, l'intérêt général, les finalités communes et leurs déclinaisons, sont passés à la trappe dans les versions courantes des mythes de l'Entreprise et de l'Entrepreneur, et pas seulement dans le secteur de l’ingénierie financière numérisée. Dans la réalité pratique, cet oubli est plus ou moins assumé localement, selon les cultures et les coutumes, d'ailleurs indépendamment du régime politique.

Néanmoins, il s'agit d'un oubli fondamental, qui fait de l'Entreprise et de l'Entrepreneur de purs prédateurs par vocation. Cet oubli revient à reléguer l’État, plus exactement les états et plus généralement tout ce qui peut porter l'intérêt général, au mieux aux fonctions d'émetteurs de contraintes, au pire au rôle d'ennemis à combattre jusqu'à destruction. Face à un État déboussolé, même bien armé, l'Entreprise peut facilement ramener le conflit sur un terrain d'égalité factuelle en prenant l'initiative de l'attaque.

Voyons, dans le cas de la France - un État mondialement réputé comme soucieux de son Peuple voire comme état socialisant - un État fier de sa Grande Révolution démocratique en 1789, voyons donc ce que nous apprend une comparaison de trois rapports rédigés à l'intention de la Puissance Publique sur les mesures à prendre pour faciliter la création et le fonctionnement des entreprises - dans une période où les plus gros employeurs deviennent de moins en moins nationaux.

Comparons les couvertures, les volumes, et quelques extraits caractéristiques de trois rapports officiels destinés au gouvernement de la France, sur une période de 40 ans.

SudRibt.jpg 1975. La réforme de l'entreprise, Rapport du comité présidé par Pierre Sudreau, 250 pages
Extraits et termes caractéristiques :
''L'entreprise est l'instrument du progrès économique et technique (chapitre 1, l'entreprise et la société d'aujourd'hui, premier sous-titre)
C'est parce qu'il y a mutation rapide dans notre société qu'il faut accélérer la mutation dans l'entreprise. Celle-ci n'est en effet qu'un sous-ensemble du système économique et social (sous-chapitre Le sens d'une réforme)
Insérer les finalités de l'entreprise dans celles de la société (titre du chapitre X en tête du résumé des propositions)''

1987. Modernisation, mode d'emploi, Antoine Riboud, Rapport au Premier ministre, 210 pages
Extraits et termes caractéristiques :
''La mise en oeuvre des technologies nouvelles et toutes les adaptations sociales qu'elles suscitent ne sont pas à la portée d'entreprises isolées. (Début du 6. Inventer des solidarités d'entreprises, fin du rapport)
L’État n'est pas sollicité ici en tant que pourvoyeur d'aide, il est sollicité comme organisateur efficace des réseaux qu'il déploie lui-même... Il n'est qu'un acteur parmi d'autres de la densification du tissu industriel français. (Fin du 6. Inventer des solidarité d'entreprise)''

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2012. Pacte pour la compétitivité de l'industrie française, Louis Gallois Commissaire Général à l'Investissement, Rapport au Premier ministre, 67 pages
Extraits et termes caractéristiques :
''La reconquête de la compétitivité demandera du temps et des efforts; elle remettra en cause des situations et des postures établies... mettre en valeur les compétences et redonner le goût du progrès technique, ouvrir de nouveaux espaces de dialogue et stimuler l'intelligence collective... (Conclusion)''

Ah, les braves gens !..

On notera que le rapport de 1975 n'est pas démodé ni obsolète, sauf qu'il considère toutes les entreprises comme des entités nationales et qu'il ignore le secteur agricole, comme les rapports suivants. Ce rapport de 1975 est le seul à ne pas employer de vocabulaire guerrier. La comparaison des trois rapports montre ce qui a été perdu en moins de 40 ans par l'imprégnation du Mythe de l'Entreprise, aussi rétrospectivement ce qui avait été négligé à l'origine, dans la perspective d'un État soucieux du bien de "ses" entreprises comme de sa population.

L'appel à l'intelligence collective (par Internet ?) provoquera-t-il un renouveau salvateur ?

Cervo.jpg L'"entreprise cerveau" (Dominique Mockly, Débats publics, 2015) peut-elle être autre chose qu'un nouveau jeu de management participatif pour ses contributeurs par ailleurs citoyens responsables, si leurs contributions personnelles, représentatives de leurs expériences, ne sont pas reprises dans l’intérêt de la société en général, confrontées à d'autres expériences, confortées par d'autres expériences ailleurs, partout ? L'entreprise cerveau ne doit-elle pas être d'abord une entreprise ouverte, sans naïveté évidemment dans la préservation des intérêts de l'entreprise, mais sans fausse innocence et sans paresse lorsqu'il s'agit de possibles bénéfices pour l'intérêt général ?

Disons le autrement : en tant que citoyens, si nous faisons le constat que nos entreprises sont décérébrées face à un État décérébré, où et comment devons-nous d'urgence réanimer l'intelligence collective ?

Car notre monde part à la dérive, comme un canard sans tête. Ne pas confondre normes de gouvernance et finalités d'intérêt général, et bien vouloir dissocier représentativité (des assemblées) et légitimité (des décisions), merci.

Croire que l'intérêt général et le bien public surgiront naturellement des activités d'intérêts privés, moyennant quelques règles de bonne compagnie entre les personnes et quelques règlements de domestication de la compétition, n'est-ce pas pure folie actuellement dans notre situation planétaire et dans l'état de la démographie humaine ? Pour préserver ses acquis de civilisation et sa paix de l'esprit, cette folie envisagera froidement les moyens d'une remise du monde dans les conditions physiques où les intérêts privés pourront se réaliser marginalement sans souci du pillage et de la destruction, pour un nouveau cycle...

Croire que des vérités et des objectifs communs surgissent de débats entre des menteurs, n'est-ce pas une manifestation de folie furieuse ? C'est pourtant celle du politique en fausse démocratie, celle du journaliste animateur de spectacles de confrontations...

Les richesses collectives ne se créent pas toutes seules, elles sont les produits d'organisations. Ni l'Etat dans ses incarnations actuelles, ni l'Entreprise dans l'étroite vocation qui lui est couramment assignée, ne sont des organisations adéquates. Les deux sont des obstacles à cette création.

Merci de vous reporter à nos billets de propositions sur les thèmes de référence !

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