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samedi 24 décembre 2022

Politique de transition

Pourquoi une transition politique est nécessaire

Selon plusieurs experts, la transition que nos sociétés devrait entreprendre dans les 10 ans serait un « grand dérangement ».

Par « grand dérangement », comprenons : transferts de populations des grandes villes vers des lieux en équilibre avec une production agricole, organisation raisonnée de rationnements divers, réintroduction de techniques proto industrielles de production, organisation du partage des véhicules, etc.

Dans les 10 ans, vous délirez ? Ce qui semble présentement encore plus délirant, c’est de perpétuer des systèmes politiques, des idéaux et des modes de vie… qui empêchent d’imaginer toute transition raisonnée, petite ou grande, en maintenant nos sociétés dans une totale incapacité d’anticipation (sauf aux plans symboliques et déclamatoires).

Si une transition de nos sociétés, grande ou petite, doit être réalisée, elle ne pourra pas se faire dans la continuité de nos idéaux et systèmes politiques. Ils ne sont pas faits pour cela ! Ces idéaux et institutions ont été conçus dans un monde autorisant la prédation illimitée de la « Nature » et sont, au moins dans les pays de longue tradition industrielle, fondés sur des valeurs dont le sens ne peut être séparé d’un idéal d’individu « libre » interprété parfois jusqu’à l’absurde par delà toute capacité de jugement dans un univers imaginaire de ressources infinies.

Le choix est de s’organiser maintenant pour réaliser une transition contrôlée ou de risquer pire qu’une récession, à tous les sens du terme, de pire en pire chaque année jusqu’au chaos. Même si on croit fermement à la mise à disposition universelle dans 50 ans d’une nouvelle source d’énergie quasi-gratuite et non polluante, le constat d’accroissement des contraintes pesant aujourd’hui sur notre vie quotidienne est déjà sans pitié pour les imprévoyants.

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Vivre ou subir, telle est la question.

Notre maison commune commence à défaillir faute d'entretien, alors que nos gouvernants continuent d’empiler des trains de lois, enchaîner les budgets de crise, subventionner des dossiers industriels fabriqués pour récolter des subventions, planifier des consolidations extensives de grandes concentrations urbaines, soutenir des régimes étrangers violents et malades, arbitrer dans les textes législatifs entre les valeurs totémiques partisanes, imposer de lourdes décisions dictées par des manoeuvres d’influence... Ce spectacle coûteux serait juste grotesque s’il n’avait pas de conséquences dramatiques de plus en plus apparentes sur nos vies - conséquences définitives en l’absence de croissance économique. Le prix à payer et les contraintes pour maintenir l’avenir de nos sociétés dans un carcan de béton deviendront de plus en plus élevés.

Dans les cadres institutionnels actuels, personne ne pourrait faire mieux que nos dirigeants actuels, même s’ils étaient munis des compétences adaptées. En France (et ailleurs), les circonstances physiques et morales qui ont permis, presque sans faille, la réussite d’un Plan dans les années 50-60 n’existent plus.

Nos institutions politiques à tous les niveaux, sauf peut-être le niveau le plus local parce qu’il « vit sur le terrain », sont inadaptées à la construction progressive raisonnée, dans l’action, de nouveaux projets de société. Il est inutile de refaire une liste des déficiences constatées, nos institutions et nos politiques contemporains ne sont ni meilleurs ni pires que par exemple ceux de l’entre deux guerres en Europe, et cette seule évidence suffit à qualifier leur incompétence face aux menaces pesant sur nos sociétés, encore plus à mesure que les contraintes s’aggravent, et d’autant plus que ces menaces et ces contraintes n’émanent plus seulement de causes humaines plus ou moins négociables mais de causes physiques (tensions sur les sources d’énergies de la révolution industrielle sauf les plus polluantes, épuisement de certaines matières premières industrielles, appauvrissement des surfaces agricoles, pollution de l’atmosphère, empoisonnement des eaux et des océans, etc.).

En résumé, il apparaît une première urgence : combler le déficit de compétence de nos dirigeants et de nos institutions en vue d’un Programme de Transition composé de projets cohérents dans le temps, dans l’espace et dans divers domaines.

Quelques préalables au Programme de Transition

Pour un début de crédibilité dans la gestion de grands projets publics à l’échelle d’un pays ou d’une grande région, le bagage commun à tout personnage politique doit être adapté, à partir du bagage classique de l’ingénieur.

A minima, un socle de formation commune :

  • les méthodes et les organisations de gestion des grands programmes, le phasage des projets comportant une (grande) part d’incertitude, les méthodes d’élaboration et de gestion des contrats associés aux différentes phases
  • un peu de « science » en logistique et maintenance
  • la connaissance des relations internationales contractuelles existantes, traduites en flux physiques vitaux (matières premières, alimentation, énergies…) en balance de carences nationales ou régionales
  • une connaissance historique et géographique élargie au continent d’appartenance, spécialement au plan culturel de la vie quotidienne des peuples, leur vie sociale, les valeurs profondes des gens « ordinaires »

Évidence première dans l’organisation d’un Programme de Transition : l’obligation de privilégier le collectif – pas la représentation du peuple, directement la population citoyenne - pas seulement dans la définition des choix principaux ou les répartitions d’objectifs, mais DANS L’ACTION et continuellement.

Certes, il existe des alternatives qui permettent d’ignorer ou sciemment dépasser cette obligation. Ces alternatives sont bien connues, on peut dire qu’elles ont à chaque fois fait la preuve de leur nocivité contre les populations. Tout récemment, malgré de nombreux précédents historiques, des peuples entiers ont bénéficié d’un échantillon de telles alternatives, dont l’instauration d’un confinement pour cause d’épidémie. En positif, retenons seulement que rien n’est impossible !

La conduite de grands projets dans le cadre du Programme de Transition, au niveau d’une nation ou région, implique au contraire :

  • la définition d’un « grand récit » collectif (par-dessus les valeurs de référence héritées des « Lumières »), autorisant implicitement des adaptations, par exemple du droit de propriété ou de prérogatives locales, si nécessaire pour réaliser les projets de transition
  • la définition d’un cadre de vie et d’un objectif de mode de vie aussi précisément explicités que possible, adapté par région géographique et agricole, à partir des spécificités, atouts et carences relativement à l’objectif
  • la reconnaissance préalable des risques et difficultés, par des expérimentations limitées dans l’espace et les objectifs (villages tests, régions pilotes)
  • la définition d’un cadre cohérent de convergence des grands projets régionaux, sur la base d’objectifs physiques, de consommations de matières premières et d’énergies,
  • la soumission de toutes les institutions et organes publics, de niveau national, régional… aux projets, au sens d’une contribution citoyenne comme les autres acteurs selon les compétences et outils disponibles mais sans prérogative a priori
  • la définition des rôles et des pouvoirs des citoyens acteurs clients, comme contributeurs à la maîtrise d’ouvrage et à la réalisation des projets selon les étapes et les compétences (à détecter, y compris dans les entreprises et chez les artisans)
  • la constitution d’un système de partage de l’expérience vivante entre les projets
  • la définition des modes d’interactions décisionnelles entre les acteurs clients et chaque direction de projet
  • la définition des contrôles étatiques à réaliser par étape des projets
  • l’exercice d’une responsabilité directe des décisionnaires des finalités et des cadres des grands projets devant les populations, selon des formes adaptées (à définir selon les cultures) mais qui ne doivent pas se réduire à des sondages (ni à des élections) et doivent permettre avant tout la reconnaissance raisonnée des erreurs éventuelles et les modifications correspondantes des cadres définis, ou à l’inverse leur confirmation motivée
  • la concentration de l’usage de la culture juridique sur l’élaboration puis la gestion continue des contrats, conventions, etc. (contrats avec des fournisseurs mais aussi entre organes et entités diverses, publics, semi-publics, etc.)
  • le refus de toute prise de décision impactant une population sous l’influence d’émotions, d’intérêts particuliers, d’idéologies historiques…

Petite ou grande révolution ?

Forçons le trait. Imaginons un Programme de Transition qui occuperait tout l’espace politique et institutionnel.

Il s’agirait alors d’une révolution différente (pas totalement…) de la Grande Révolution française de 1789, mais largement au même niveau de « dérangement » (au fait, pourquoi cette si Grande Révolution a-t-elle échoué durant ses premières années si on la juge rétrospectivement comme un Grand Programme : avons-nous le loisir de nous contenter d’arguments de principe comme finalités en référence à la seule Raison, pouvons-nous croire encore à des lois parfaites et à un code parfait qui réformeraient d’un coup la société à partir des conceptions d’un organe de pouvoir central en turbulence, pouvons-nous laisser le soin à des exécuteurs locaux d’imposer ces lois et ce code par la terreur ?).

Une grande question s’impose après l’évocation historique de la Grande Révolution : dans ce Programme de Transition, que faisons-nous des grands (et moyens) personnages qui peuplent actuellement nos institutions politiques et leurs abords ? La réponse est évidente : reconversion après formation à la gestion des grands projets. Tant pis pour les ambitieux qui n’auront pas su imaginer leur nouvelle activité ou qui refuseront de se retrousser les manches et considérer leurs contemporains comme des citoyens également porteurs de compétences plutôt que des administrés sans valeur propre. Dans les grands projets de transition, il existe un vaste champ d’activités pour les « intellectuels », dans les travaux nationaux ou régionaux préparatoires et surtout dans les étapes de réalisation et les ajustements en retour à opérer face aux réalités et obstacles. Citons par ailleurs trois types d’activités requérant à la fois culture et flexibilité mentale, voire un zeste d’inventivité :

  • la relation permanente du projet avec des acteurs qui sont aussi des clients, la recherche et l’entretien du vivier de compétences imposent de dépasser les méthodes de la « Communication » manipulatoire et des questionnaires bureaucratiques
  • le contrôle de la qualité du projet doit impliquer les acteurs clients pour leur propre édification dans leur responsabilité, en relation avec le système de partage des expériences
  • la définition, la négociation, la gestion des contrats avec les entreprises, artisans, indépendants, nécessite une triple compétence pratique, juridique et technique.

En termes moins aimables : une société vraiment en mouvement ne supportera plus ses anciens parasites… La grande époque des communicants et médias mercenaires, des cabinets de conseil en stratégie et management, des maîtrises d’ouvrage déléguées, des auditeurs omnipotents, des experts en partenariat public privé… est terminée. Celle des tout puissants services d’administration des finances aussi, car ni les priorités ni les objectifs du Grand Programme de Transition ne s’expriment plus en termes monétaires.

La ferveur technocratique déployée pour s’assurer de sa propre perfection par la stricte application de méthodes et procédures ne pourra plus leurrer personne. Tout au contraire, les chefs de projet devront rechercher les méthodes et procédures les mieux adaptées sur le terrain (c’est-à-dire d’abord les mieux adaptées à la population concernée), donc s’attacher plus à l’esprit qu’à la lettre, pour affronter des difficultés à nulles autres pareilles depuis très longtemps à cette échelle dans l’histoire : une mutation sociale par volonté populaire. Les chefs de projets à tous niveaux pratiqueront l’art du dosage entre autorité, animation, et consultation afin que chacun donne le meilleur de soi-même.

Retour sur quelques spécificités d’un Programme public de Transition

Pour ce qui concerne l’arsenal des techniques de gestion des projets, il n’y a rien à inventer… sauf un système d’information de partage de l’expérience qui permette les échanges réciproques entre les participants des divers projets à tous niveaux - y compris le niveau citoyen, faut-il le préciser ?

En effet, une erreur fatale serait d’enfermer les gestions des projets dans des tours d’ivoire (« war rooms » et logiciels pour spécialistes); en décalquant des modèles inspirés de grands projets d’ingéniérie. La pratique de la gestion des projets existe depuis l’époque des pyramides et probablement bien avant. C’est une science humaine de l’action collective. Dans un Programme public de Transition, le client, le maître d’ouvrage et (en partie) les réalisateurs des tâches sont confondus, ce qui fait exploser les schémas relationnels classiques à l’intérieur des projets et implique une adaptation des schémas contractuels.

Dans un Programme public de Transition, l’implication du citoyen dans la décision et dans l’action n’est pas une contrainte. L’implication du citoyen ne doit pas non plus être considérée comme un moyen, que l’on obtiendrait par exemple au travers d’une quelconque machination de séduction manipulatoire. L’implication du citoyen est un objectif premier. Pour cet objectif, on décalera d’autres objectifs ou on y renoncera. En retour, le Programme s’adresse constamment à chaque conscience citoyenne : qu’est-ce que vous pouvez faire pour le projet, qu’est-ce que vous avez fait pour le projet ?

La conduite des réunions décisionnelles devra se conformer au contexte potentiellement ou effectivement « révolutionnaire ». Le modèle classique de la conduite de réunion est à proscrire. Ce modèle classique, de fait un modèle de direction et d’influence plus que d’animation au sens propre, est indigne dans le cadre de projets impliquant des citoyens contributeurs à plusieurs niveaux (celui de la maîtrise d’ouvrage comme client, celui des tâches fonctionnelles dans la gestion des projets selon compétence, celui de la réalisation des tâches selon compétence…). Le sujet de la conduite des réunions décisionnelles est par ailleurs assez abondamment abordé dans ce blog. Il est proposé d’instituer un mode de conduite par trois animateurs professionnels. L’un des animateurs se consacre à la progression vers les objectifs de la réunion et au respect des règles de sa bonne tenue. Un autre animateur suscite et fait exprimer les avis personnels en fonction des compétences disponibles dans l’assemblée. Un autre animateur propose des voies d’approfondissement, notamment par l’exploitation du capital d’expérience.

Ailleurs dans ce blog, le problème évident des relations internationales, en particulier avec les pays voisins est évoqué, en termes de leadership contrôlé – un leadership autant que possible partagé mais sans naïveté : on n’est plus dans un jeu international à somme croissante ni même nulle et les cadres internationaux préexistants ne sont pas les bons. Là encore et surtout, ce sera vivre et créer ou subir.

Anoel.jpg De quelques objections

Le Programme public de Transition est ici envisagé comme un programme défini et dirigé, en partie réalisé, totalement contrôlé par la puissance publique et par la population. Il est évident que ce Programme fait appel au secteur privé par contractualisation de tâches comme éventuellement pour la réalisation coordonnée d’ensembles de tâches.

Cependant, au-delà du réveil de mauvais souvenirs historiques dans certains pays, cette conception rencontre des objections que l’on ne pourra jamais considérer comme définitivement écartées, car elles se reposeront à tous les niveaux sur le terrain en cours de réalisation.

En régime d’économie libérale, l’objection mère de toutes les objections repose sur deux arguments.

Premièrement, l’Etat dépasserait son domaine de compétence (au sens juridico administratif du terme) en assurant la maîtrise d’ouvrage d’un Programme public, encore plus s’il assure de fait la maîtrise d’œuvre d’ensemble impliquant une prise de responsabilité directe sur la réalisation

Deuxièmement, ce sont les entreprises, plus généralement le « secteur privé », qui devraient assurer la réalisation du Programme, et de fait ce sont elles qui l’assureront de toute façon, alors on peut à la rigueur discuter d’une élaboration étatique du Programme à grands traits et d’une forme de contrôle de sa réalisation, mais pas de la définition détaillée du Programme et encore moins de ses modes de réalisation.

En régime d’économie libérale, ces objections sont totalement fondées « en principe », au point qu’elles devront être considérées dans toutes les décisions importantes au cours de la réalisation matérielle des projets.

Cependant, en pratique, ces objections, si on doit en déduire des orientations générales dans tous les projets, ne tiennent pas une seconde dans le contexte d’un Programme de Transition sociale de grande ampleur. En pratique, ce qui est fondamental, c’est de proscrire les attitudes doctrinaires, car selon les circonstances, selon les types d’enjeux, selon les niveaux et types de risque, selon la répartition des compétences et des moyens, et selon d’autres critères qui apparaîtront en situation réelle, l’un ou l’autre type de solution, totalement étatique, partagée, totalement contractualisée devra pouvoir s’imposer.

Même dans le cas extrême d’un état édredon qui choisirait systématiquement d’acheter les « solutions » proposées par les structures d’influence de grands groupes, il lui resterait la tâche majeure consistant à « dégager le terrain » pour la mise en œuvre de ces solutions, notamment par la mise au pas de la population, notamment par le consentement à l’adaptation de normes, règlements, lois, ensuite très certainement par l’acceptation tacite du piratage puis désactivation de tous les organes étatiques et services publics susceptibles de gêner l’exécution des plans. Dans un Programme de grande ampleur sociale, ce retrait étatique équivaudrait à la disparition pure et simple de l’état en tant qu’émanation d’un peuple, sauf comme tiroir caisse à la merci des actions juridiques que ne manqueraient pas de multiplier les entités contractantes afin d’obtenir le maximum de bénéfices de leur position dominante et de minimiser leur responsabilité. La fin est connue : il n’y aurait que des victimes, certaines très riches, les autres très pauvres.

A l’extrême opposé, un état illuminé par un esprit révolutionnaire commencerait par nationaliser tous les grands industriels, a minima tous les moyens d’exploitation, fonciers, matériels et procédés, logiciels et brevets – idem pour les exploitations agricoles. Tout le monde connaît les échecs historiques de ce type de solution simplificatrice prise dans l’enthousiasme ou sous la contrainte. On pourrait cependant imaginer une voie raisonnée par négociation préalable après définition du domaine des biens d’intérêt commun, éventuellement la définition d’un statut intermédiaire de ces biens entre public et privé. A grande échelle nationale ou régionale, cette voie reste à inventer. A petite échelle, elle peut se présenter comme une opportunité locale à saisir sans séisme juridico administratif préalable, notamment pour sortir certains métiers de la menace permanente de misère et faillite.

En résumé : conserver de la mesure en toute décision (autrement dit : prévoir que l’on peut se tromper et comment corriger) mais ne pas hésiter à dépasser les bornes de la conformité aux doctrines ou aux habitudes.

Conclusion

En résumé, une refondation de toute « la » politique s’impose pour une transition maîtrisée (autant qu’une maîtrise soit possible) de nos sociétés à la hauteur des enjeux et contraintes qui vont s’accentuer fortement dans les 10 ans. Cette refondation est à préparer maintenant, vers une politique de l’action en relation directe avec les citoyens comme « clients », et par les citoyens comme acteurs.

Ou alors qu’on ne nous parle plus jamais de démocratie.

La question de l’adaptation des institutions politiques « centrales » se pose différemment selon les pays, au point qu’une dictature éclairée (au sens antique d’un organe désigné temporairement pour une mission avec pleins pouvoirs), aussi bien qu’un régime d’assemblées peut, entre autres, convenir à la définition du cadre et au contrôle des réalisations des grands projets nécessaires. Le problème premier est celui de la création continue et de la mise en oeuvre des compétences pour concevoir, diriger, réaliser des actions cohérentes et réalistes en fonction des ressources et à la bonne échelle.

jeudi 15 septembre 2022

Errata

Erratum

Le billet précédent contient un chiffre erroné du nombre des décès imputés aux épidémies de covid. Vérification faite, l'ordre de grandeur des décès cumulés sur 3 ans des épidémies successives n'est pas de quelques pourcents de la population totale. Il est d'un autre ordre de grandeur : entre deux et trois DIXIEMES de pourcent sont imputés au covid au total sur 3 ans, par ailleurs sans variation importante de la mortalité toutes causes confondues à l'échelle quinquennale.

En France, nos journaux de grande diffusion ont osé titrer sur le franchissement de "la barre des 150 000 décès dus au covid" au début de l'année 2023... sans faire le rapport avec les 65 millions de notre population totale, sans faire le rapport avec le total des dépenses en dizaines de milliards d'euros pour le soutien des entreprises mises en sommeil pendant la crise et pour les achats et la distribution de traitements innovants, sans faire le rapport avec tout ce qui a été perdu dans le domaine de l’inestimable.

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Dans l'hypothèse d'un virus artificiel dont personne ne savait anticiper précisément les effets au grand large, alors, par des considérations géopolitiques immédiates, on peut expliquer l'extrême sévérité des mesures sanitaires contre la première vague épidémique, à l'imitation du pays hôte d'origine, partout dans le monde. Mais logiquement dans cette hypothèse, après quelques semaines d'apprentissage, au plus tard après le constat du remplacement du variant initial par des variants moins agressifs et le recueil de l'expérience historique de maladies similaires, toutes les mesures exceptionnelles auraient du cesser ou être adaptées en proportion du risque réel. Ce n’est pas ce que nous pouvons constater : la suite de l'histoire ne relève plus de la logique commune, et en l'absence de l'hypothèse d'artificialité, rien depuis le tout début.

Est-ce que les bourgmestres et princes italiens contemporains de Machiavel n'auraient pas géré ces épidémies dans leurs villes de meilleure manière, avec les moyens et connaissances de l'époque - soit en ne s'apercevant de rien, soit en commençant par donner un joli nom au nouveau mal ?

Comment, à cause de quoi, avons-nous perdu l'art de vivre des transitions sur lesquelles nous n'avons pas ou peu de pouvoir ?

A défaut, sommes-nous devenus dépendants de séances d’hypnose collective, au point d’accepter des accumulations monumentales d'incohérences et d'erreurs, des violences contre nous-mêmes ?

Quels niveaux de sacrifice nos dirigeants sont-ils devenus capables d'imposer aux populations pour justifier des vérités fabulées, pour maintenir des prétentions à la toute puissance, pour entretenir la croyance qu’ils sont aux manettes et que ces manettes commandent tout ?

Le dogme d'infaillibilité de la Science et de la Technique serait-il devenu assez puissant pour soumettre ses croyants les plus privilégiés aux crises de folie typiques des castes dominantes face à l'inconnu... face à l'avenir ?

Erreurs de sagesse

"Reconnaître ses erreurs est le début de la sagesse". Une image jaunie nous montre un vieillard faisant un geste de remontrance à un enfant. Dans l’instant, l’association de la promesse de sagesse à l’obligation d’une repentance passe par une humiliation. L’enfant recherchera-t-il la sagesse lorsqu’il sera grand ?

Mais à présent, il existe d’autres raisons, durables, de refuser la sagesse : dans un monde humain citadin qui change à toute allure, sur une planète qui intensifie ses manifestations d'inhospitalité à chaque saison, que sommes-nous pour prétendre à une destinée volontaire individuelle, que sommes-nous pour prétendre à une sagesse immuable de référence ?

Mais à présent, l'évidence brutale du monde fait qu'il ne sert plus à personne de reconnaître ses erreurs humaines, les erreurs dans les choix raisonnés comme celles inspirées par les passions, car depuis le moment des erreurs commises, presque tout a disparu ou changé, l'erreur d'hier appartient à une époque oubliée, définitivement hors de portée de toute réparation, sa reconnaissance ne relève plus que de l'acte mémoriel symbolique ou de la repentance maladive.

Alors, en discontinuité des mauvaises habitudes séculaires, la mobilisation de nos ressources d'arrogance, de bêtise, de fausseté pour nier nos erreurs devrait être considérée comme un exercice grotesque.

Dans notre monde actuel tel qu’il va, tout a changé définitivement et tout va changer encore plus définitivement.

Alors, en rupture de nos aspirations, la mobilisation de nos imaginations rêveuses d'un monde idéal, un monde de sagesse, ne peut plus nous créer qu'une distraction fugitive. L'illusion séculaire d'une marche perpétuelle vers le progrès a disparu, étouffée par la grande peur de la prochaine décennie, l’anticipation d’une terrible année prochaine. L'idée d'un futur maîtrisable est devenue une croyance inconfortable, sauf pour quelques personnes immensément fortunées, sauf pour les dirigeants figés dans d’anciens schémas mentaux. A horizon de vie humaine, ce qui est détruit maintenant ne reviendra plus jamais et certaines destructions en entraînent automatiquement d’autres. Un arbre sain abattu en ville est un arbre en moins, la rupture d'un contrat d'approvisionnement de ressources énergétiques rend ces dernières indisponibles pour toujours, la destruction d'une zone grise entre des espaces exploités et "la nature" fait de cette dernière la zone grise...

Donc, adieu la "sagesse" qui nous a conduits à la catastrophe ?

Ou bien, au contraire, y aurait-il une autre sagesse ?

Relisons le vieux dicton sans nous laisser influencer par sa banalité apparente, sans condescendance du haut de notre modernité, en acceptant son contenu critique par anticipation. Nos anciens savaient tout de la nature humaine.

Le "début de la sagesse" par la reconnaissance de nos erreurs, que les conséquences de ces erreurs paraissent à présent dérisoires ou au contraire irrémédiablement pesantes, ce serait un contre sens de le comprendre comme un atome d'expérience - "cela, je ne le ferai plus, je sais pourquoi, je sais comment faire la prochaine fois" - qui serait cumulable avec d'autres atomes d'expérience pour constituer un capital de sagesse. La sagesse par capitalisation est celle de nos machines, celle de nos élites programmées, celle de nos systèmes. Cette sagesse à prétention cumulative peut servir à canaliser une progression, en tant qu’intelligence d’une force vectorielle brute - qu'en reste-t-il quand le moteur du progrès fait défaut ?

La sagesse à la gonflette est condamnée à l'obsolescence faute d'énergie disponible, faute d'intégrer les imbrications des limites au progrès, et surtout faute de pertinence dans un monde qui fait plus que changer, un monde qui tremble et tangue de la cave au grenier dans toutes ses dimensions.

Fondamentalement, le début de notre sagesse selon le diction des anciens, serait donc tout simplement la conscience de notre humanité faillible. Et trompeuse d'elle même. On devrait donc considérer cette sagesse à l'ancienne comme une discipline mentale - une discipline ordinaire d'élévation de la conscience.

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Dans cette conception, la logique, le raisonnement, les valeurs, l'imagination... sont des instruments de cette discipline parmi d'autres, mis en oeuvre comme des artefacts ou respectés comme des contraintes provisoires. Cette sagesse-là pourrait définir un idéal de liberté de l'esprit, un idéal d'existence humaine. Nous savons par expérience, de par notre nature humaine, que la sagesse ne risque pas l'usure par abus d'usage. S'il existe certainement de nombreuses occasions pour un "début de la sagesse", ladite sagesse n'est pas un état qui se caractériserait par un signe ou une sensation, alors que la fin de la sagesse risque à tout moment de nous envahir corps et âme.

Donc finalement, la sagesse selon nos anciens serait une discipline personnelle d'usage au mieux ponctuel, sans garantie sur la valeur du résultat, encore moins sur la permanence dudit résultat, pour une prise de recul permettant de mobiliser "le meilleur de nous-même". Cette discipline est-elle une cousine ou une génitrice du doute scientifique ?

Individuellement, on peut vivre en société sans la moindre étincelle de sagesse, notamment comme prédateur, comme esclave, comme parasite, comme aliéné... ou tout simplement dans la répétition de tâches quotidiennes pesantes, par choix ou par fatalité. Et alors si chacun fait de même dans notre monde qui change, nos sociétés urbaines modernes vont-elles évoluer vers un modèle de société d'insectes ou vers la résurrection d’un modèle de société antique équipée de réseaux de télécommunications ?

Erreurs d'avenir

On commence à comprendre depuis quelques dizaines d'années, comment a évolué l'être humain dans sa préhistoire lointaine et quelles capacités spécifiquement humaines ont permis cette évolution étalée sur des millénaires, mais on peine encore à comprendre, malgré des indices convergents dans plusieurs régions géographiques sur l'évolution des techniques et l'écriture, comment se sont opérées les transitions vers diverses formes de sociétés historiques et quelles capacités humaines ont permis ces transitions lorsque les conditions d'environnement les autorisaient (ou pas, selon notre vision "moderne"). La variété des formes sociales "anciennes" semble toujours, au fil des découvertes, déborder des classifications établies a priori. Même le modèle de la horde préhistorique famélique guidée par un mâle alpha ne correspond plus aux découvertes des fouilles. On retourne étudier les dernières populations "sauvages", on revient écouter les descendants des populations victimes de génocides culturels, on organise des fouilles méticuleuses de sites du néolithique, on reprend des fouilles analytiques de villes anciennes, partout dans le monde... à chaque fois avec de nouvelles questions en retour, et de nouvelles réponses sur les modes de vie, l'alimentation, les animaux domestiques, l'outillage, les décors, la répartition des tâches, les jeux, l'éducation, le traitement des déchets, les routes du commerce, etc. L'anthropologie scientifique révèle l'immense variété des "leçons du passé", invite à la prise de recul préalable au "début de la sagesse", désormais bien plus directement que les disciplines traditionnelles des domaines littéraires ou scientifiques.

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Dans notre monde actuel tel qu'il va, nous sommes à l'écoute des "leçons du passé", car notre futur d'être humain biologique est redevenu soumis à des contraintes physiques presque entièrement prévisibles dans leur nature. Les contraintes brutes de la survie individuelle, plages de températures, besoins alimentaires... vont déterminer une partie croissante de nos activités personnelles et de nos rêves. Le futur des collectivités humaines sera physiquement chaotique, constamment sous l'emprise de crises de mise en compatibilité forcée avec des conditions ambiantes imposées, avec des cliquets de régressions.... sauf refondation "révolutionnaire" pour (enfin) développer les capacités adaptatives des sociétés, systématiquement, à tous les niveaux géographiques, à la mesure des conditions changeantes locales et des évolutions des inter dépendances.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devient évident que nos systèmes institutionnels sont inadaptés à une conduite raisonnée de transformations importantes de nos sociétés, même si nos grands esprits dominants n'étaient pas coincés dans un dogme d'infaillibilité qui les rend de fait indifférent à l'intérêt collectif, les empêche d’imaginer un processus de transition commençant par une libération capacitaire des types de projets à réaliser, les empêche d’imaginer la révolution tranquille par les nouvelles technologies pour la mobilisation et le développement des compétences individuelles. Dans ce monde actuel tel qu'il va, la prétention de supériorité est devenue risible, mais elle continue de tenir le haut du pavé et d’autoriser des actions souterraines meurtrières.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devrait être évident que le niveau nécessaire (suffisant ?) d'adaptabilité de nos sociétés requiert plus que l'acceptation d'objectifs d'intérêt commun, plus que la conformité à des normes de conduite, plus que des contributions à des projets de transformation. C’est une bien plus grande affaire : l'unanimité ou la régression, la cohérence ou le néant. Canaliser par la raison le poids des incertitudes est crucial, sinon le niveau d'angoisse s'exprime par des crises sociales paralysantes. Les objectifs des arts et artifices de la "communication" doivent changer : élever ou conserver un degré de rationalité face aux dangers, faire accepter les erreurs humaines, en rendre compte....

En première approche, le niveau maximum d'adaptabilité d'une société peut être atteint rapidement par deux modèles de régimes politiques.

Le premier modèle, historiquement peu pratiqué mais assez bien connu par ses dérives totalitaires, est celui de la dictature tyrannique dans son esprit originel : le tyran choisi pour une durée déterminée est l'équivalent d'un super chef de projet mercenaire, son succès dépend de sa capacité à constituer (purger régulièrement) des équipes compétentes, à faire respecter ses décisions, à faire évoluer éventuellement les objectifs définis initialement dans son contrat ou ce qui en tient lieu. L'expérience historique recommanderait ce type de modèle plutôt à l'intérieur d'une zone géographique assez homogène et relativement autonome, sinon il risque de perdre son efficacité dans les rigidités constitutives d'une répartition ordonnée hiérarchiquement des tâches et responsabilités. Si des écarts aux objectifs imposés dans l'intérêt commun apparaissent naturellement par les effets de spécificités locales jusqu'à l'apparition d'incompatibilités, le régime risque de se figer dans la négation de ses erreurs plutôt que de renégocier les flexibilités internes nécessaires. De toute façon, la difficulté majeure de ce type de régime est celle du passage d'un tyran au suivant, selon quels critères, pour quels nouveaux objectifs, sous quel pouvoir de contrôle, etc. Historiquement, même la succession d'un bon tyran ouvre une période de chaos, a minima une période de relaxation de la civilisation, une vulnérabilité insupportable dans un monde par ailleurs défavorablement changeant.

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Le deuxième modèle conduisant au maximum d’adaptabilité reste à réinventer comme produit naturel de l'idée démocratique originelle, celle des citoyens constituant directement l'État dans toutes ses composantes, celle de l'élection des grands agents des services fonctionnels - le tout étant instrumenté par les nouvelles technologies, notamment pour le partage et le développement systématique des expériences et des compétences. D'autres billets de ce blog y sont consacrés, car l'accession à ce modèle suppose l'équivalent d'un saut quantique dans les relations inter personnelles, en parallèle d'un abandon des croyances paresseuses dans l'amélioration illimitée des facultés des machines et des logiciels .... A l'heure actuelle, rien n'indique une évolution vers ce type de modèle, malgré l'évidence de son potentiel universel, notamment pour la dissolution organisée (harmonieuse?) des agglomérations géantes et des coûteuses illusions qui en entretiennent la croissance.

Pour le moment, la tendance générale des grandes nations serait une convergence vers un modèle hybride de dictature personnelle et de dictature de castes, au dessus d'institutions pseudo démocratiques de façade, avec un renforcement des usages des nouvelles technologies pour contrôler les populations et les distraire. Ce modèle hybride est par nature hostile à toute forme de contradiction, à toute forme de reconnaissance des erreurs. La pseudo modernité de ce modèle périmé repose sur l'hypothèse que les logiques intégrées dans les machines et les logiciels sont et seront de plus en plus supérieures à l'intelligence humaine. Tous ces caractères sont ceux d'un modèle de gestion dans la stabilité. Le travail et l'intelligence des machines remplacent le travail et l'intelligence – encore quelques années ?

Dans ce modèle hybride et dans le monde actuel tel qu'il va, nous ne pouvons même plus rêver aux erreurs que nous n'aurons pas l'occasion de faire. Car tous les pouvoirs institutionnels nationaux, toutes les chefferies déléguées, y sont soumis aux influences exercées par des groupes d'intérêts hors sol, contraires aux intérêts publics, contraires aux intérêts communs du quotidien comme du long terme. Les actions au grand jour des lobbies auprès des institutions ne sont que la face émergée d'organisations manipulatrices - une façade naïve néanmoins efficace. En amont des phases conclusives, les organisations manipulatrices développent des phases préparatoires d'aspect positif visant à acquérir des degrés de sympathie spontanée dans les castes au pouvoir et parmi leurs officiants – y compris quelques penseurs vedettes, dont la vie dans le siècle nécessite l’usage d’un vocabulaire à la mode et la pratique du commentaire futile décoré de citations phares. En parallèle, une préparation "grise" s'active à gêner, dissimuler, détruire tout ce qui pourrait contrer, ou même semer un doute sur les intentions, les objectifs des manipulateurs, partout et selon un dosage régulé dans le temps en fonction des résultats. Comme la préparation positive, la préparation du deuxième type est conçue pour déboucher sur une phase active : propagandes de dénigrement, trollages sur le web, essaims d'actions en justice, etc. Toutes ces opérations mobilisent des technologies de pointe en informatique et dans les médias. Elles mettent en oeuvre des armées de mercenaires, dont une masse de collaborateurs quasiment gratuits d'intellectuels de diverses disciplines scientifiques, juridiques, littéraires... formés en surnombre dans les universités, qui ont été refoulés dans les "nouveaux" métiers de service et de communication, où ils sont confinés dans un univers de concurrence artificielle d'autant plus féroce. La puissance de la propagande est multipliée par l'usage des technologies de pointe, par l'organisation méthodique sur longue période des phases préparatoires, par la disponibilité de mercenaires talentueux, pas seulement les exécuteurs et récitants sans solde des grands canaux médiatiques.

Les résultats de ces opérations d'influence sont à la hauteur de la mise, si on en juge par le poids des conséquences sur les populations et le degré d’immersion des esprits dans des futilités artificielles. En Occident, depuis en gros la fin des années 1990, plusieurs décisions grossièrement suicidaires (en regard de l'intérêt général, mais au bénéfice de groupes d'intérêts) furent prises aux plus hauts niveaux d'états ou de communautés d'états, décisions immédiatement catastrophiques, publiquement revendiquées dans l'ignorance de leurs effets définitifs, au point que cette ignorance entretenue justifie leur prolongation ou leur renforcement. En exagérant à peine, on distinguera, dans cette persévérance, la frénésie d'exclusion de l'erreur par nos instances dirigeantes, car il devient difficile d'attribuer cette maladie ridicule aux seules influences corruptrices.

Mais comment l'avalanche de certitudes immédiates, orchestrée par de grands manipulateurs et parfois si maladroitement répercutée par les organes officiels, pourrait-elle nous faire oublier l'incertitude de l'avenir (climat, pollution, épuisement des ressources, effondrement de la nature...), autrement dit la monstrueuse certitude de très graves problèmes à venir, difficiles à anticiper pour espérer les atténuer, peut-être même pas encore tous identifiés ? Cette question manifeste une incompréhension fatale des nouveaux phénomènes qui nous gouvernent : au contraire, pour les manipulateurs, toute Grande Peur est une opportunité. La Grande Peur crée une disposition mentale équivalente à l'effroi d'un puits sans fond - un gouffre avide d'avaler n'importe quoi, toujours plus, toujours plus vite ! La Grande Peur, exploitée par les manipulateurs, crée une mise sous hypnose collective - là où l'erreur n'existe pas.

En conséquence, la suggestion de sagesse délivrée aux populations se résume ainsi : tout va aussi bien que possible, nous avons la Vérité, et si malgré cela vous avez la rage, les thèmes sélectionnés vous permettront de l’exercer – nous attendons vos suggestions et nous comptons sur votre participation.

Sagesse collective contre pouvoirs parasitaires

Contre les grands manipulateurs sans frontière, les porte avions sont évidemment inutiles, mais aussi les cellules antiterroristes, les bataillons de cyber défense, les officines de scrutation du Net, les agences de sondage, et même les armées de citoyens soldats. Comme nos institutions, ces armes, ces armées, ces organes de veille, sont des produits d’une autre époque, incapables de détecter le danger à partir de sources d'informations diverses et dispersées, trop spécialisés pour anticiper les convergences manipulatoires possibles, trop limités en vision pour imaginer l'étendue des effets d'une manipulation dans la société civile. Les armes de la guerre classique sont proprement hors sujet contre les grandes opérations manipulatoires et les armes professionnelles comme celles de la cyber défense sont trop spécialisées. Pourtant, concernant certains processus de propagandes manipulatoires, le vocabulaire guerrier n'est pas usurpé, il s'agit bien d'attaques contre le bien public, même souvent contre l'esprit tout court. La nouveauté est que la détection, l'évaluation du danger, la résistance, la contre attaque, l'élimination de la menace ne peuvent pas être déléguées à des spécialistes, encore moins à des logiciels (concentrés sur leurs spécialités), et ne relèvent pas non plus d'une organisation guerrière massive créée pour l'occasion - trop tard dans le meilleur des cas.

C'est ici que le deuxième modèle de régime politique esquissé plus haut révèle une autre face de sa pertinence : il est idéalement le seul capable de l'équivalent d'une levée en masse permanente contre les offensives manipulatoires, de la détection du risque jusqu'à l'éradication, en passant par la publicité de chaque étape pour la mobilisation des compétences même les moins attendues. C'est aussi le seul à créer une sagesse collective comme instrument de puissance - sans ambition de pouvoir.

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Changement de civilisation ? Les grands mots ne pourraient ici que provoquer le découragement. Mais tout de même, en référence à certaines étapes de la préhistoire humaine telle qu'on peut les imaginer, il s'agit simplement de prendre en main des outils existants en vue d'utilisations nouvelles. Après les premiers essais, cela semblera donc simplement naturel....

D'autres billets de ce blog abordent divers aspects de cette évolution possible. Nul ne sait où apparaîtront les premières lumières de cette évolution ni quand, ni sous quelle forme. Il est certain que, concernant le maintien des populations en état d’abrutissement sous l’emprise de quelques dominants, concernant le sous-emploi des compétences humaines et l’étouffement du génie humain en dehors de compétitions prestigieuses et futiles, notre époque n’est pas pire que les précédentes dans l’Histoire (mais les découvertes récentes des longues périodes préhistoriques autorisent à imaginer d’autres politiques d’équilibre entre coopération et pouvoir). Il est devenu évident que la continuité dans la médiocrité historique rend insoutenables nos civilisations contemporaines face à l’hostilité croissante de l’environnement terrestre, face à l’extinction des ressources d’énergies faciles et des ressources en matières premières minérales.

Les civilisations sont mortelles, les multiples découvertes récentes de l’archéologie nous le confirment. On cherche encore comment on pourrait distinguer une progression (selon quels critères ?) des civilisations humaines – est-ce que, à chaque nouvelle civilisation, on devrait tout réinventer ? Un grand mystère recouvre la plupart des effondrements de civilisations anciennes disparues, en particulier celui de la diffusion ou de la récupération de leurs héritages - les époques historiques fournissent quelques exemples d’éradications systématiques de civilisations après pillage brutal (plusieurs civilisations amérindiennes, mais d’autres aussi), dont cependant quelques inventions survivent.

Ahum.jpg Le livre « D’où vient l’humanité » de N. Albessard, édité par Le Livre de Poche en 1969, en pleine période de floraison intellectuelle après une guerre mondiale, rend encore parfaitement compte des controverses sur les origines de l’espèce humaine, sur son évolution, sur sa définition (qu’est-ce qu’un être humain ?). On peut relire cet ouvrage pour bénéficier de son étendue encyclopédique abondamment illustrée; il est à peine périmé sur quelques détails. Mais l’esprit des années 1970 est mort, celui de la préface de Jacques Bergier comme celui de la quatrième de couverture, entièrement couvert par une citation de Teilhard de Chardin : « La Terre, et partant l’Humanité ne sont encore présentement qu’à l’aube de l’existence ». Aujourd’hui, nous redécouvrons que la Terre se moque totalement de l’Humanité et de l’existence selon les idées des humains. Nous sommes obligés de constater que l’Humanité a tellement gaspillé ses ressources vitales que la Terre durera certainement plus longtemps que l’Humanité ! Ou alors, comprenons que le rêve d’une évolution conjointe de l’Humanité et de la Terre aura des périodes de cauchemar.

Les humains de notre époque moderne vivent encore pour quelques mois dans l’illusion de l’énergie disponible sans limite, dans le luxe des machines esclaves, dans la dépendance de logiciels répartis dans des réseaux d’ordinateurs. Dans ces illusions et ces facilités, nous avons oublié les fondements physiques de nos civilisations, leurs raisons d’être. Il est devenu vital d’y revenir et de les repenser. Par exemple, pour chaque grande agglomération urbaine : quel est son principe fondateur, pourquoi la ville a-t-elle été créée à cet endroit, qu’est-ce qui a justifié son expansion (ou bien cette expansion n’est-t-elle que le résultat de causes subies et d’occasions historiques ?), qu’est-ce qui a permis sa durée en conformité ou en évolution du projet urbain initial en relation avec les espaces environnants (campagne, bourgs, forêts…) et maintenant quel peut-être son projet d’avenir « durable » ? Quelles compétences seraient nécessaires pour imaginer cet avenir, bien au-delà des opérations de maintien en l’état dans le sens des modes et propagandes en cours pour le bien-être et le prestige à court terme (candidature aux jeux olympiques, verdissement des espaces publics, équipement pour la sécurité, aménagement des voieries pour les vélos et trottinettes, etc.) ? Comment décliner une vision d’avenir en projets de moindre ampleur, pour des objectifs réalisables en quelques années, mais cohérents ? Quel mode de validation populaire en vue des réalisations (surtout s’il faut parvenir à une réduction de l’agglomération) ? Même à cette échelle urbaine, peut-être d’abord à cette échelle, toute les questions vitales se posent avec urgence. Et déjà à cette échelle, la fausse sagesse des savants discours apparaît définitivement mortelle.

Les pouvoirs parasitaires ne sont pas seulement ceux de « mauvaises gens » et d’égarés qui perdent les autres et détruisent tout, les pouvoirs parasitaires sont dans les abstractions, les valeurs, les principes dénaturés qui sont devenus de fait incompatibles de tout grand projet d’avenir au niveau d’une société humaine, condamnent toute tentative au renoncement devant des obstacles fabriqués, rendent la réalisation impossible à l’intérieur de cadres sociaux obsolètes et de règles historiques.

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D’autres pouvoirs potentiellement parasitaires alimentent nos rêves et orientent nos efforts d’imagination. Ce sont les imaginaires des grandes perspectives historiques, « les grands récits », dont les idéologies millénaristes des 19ème et 20ème siècle sont les créations modernes. La déclinaison pratique de ces idéologies se caractérise par un militantisme fondé sur un résumé des croyances, un comportement destiné à représenter des valeurs d’affichage, des activités spécifiquement destinées à préparer l’avenir, dans et contre la société ambiante, en variantes sectaires ou propagandistes. A l’évidence, pour la société qui les abrite, la différence entre une idéologie millénariste et une religion millénariste est inexistante – comme on a pu le constater en grandeur nature lorsqu’une idéologie a pris le pouvoir politique. Dans l’excès totalitaire à visée universelle, le Troisième Reich et l’Internationale communiste furent les héritiers de la France révolutionnaire. Le dernier grand récit en Occident, celui des trente glorieuses après la guerre 39-45, ne fut qu’une douce idéologie de convergence, une invitation enthousiaste dénuée d’ambition disciplinaire, à partir d’une foi dans la science et la technique comme moteurs d’un progrès social illimité, dans la confiance des capacités humaines à dépasser les obstacles et à sublimer éventuellement la nature humaine héritée de l’Histoire. En tant que grand récit commun, cette idéologie s’est diluée dans le bouillon du consumérisme de jouissance, un anti-grand récit par excellence. Une idéologie progressiste entièrement tournée vers l’avenir ne pouvait pas résister non plus à l’accumulation des réalités qui témoignent de la permanence de la « nature humaine » dans ses aspects les plus humbles et les excès les plus abjects, bien au-delà des faits divers locaux, dans l’actualité vécue par des peuples entiers à la suite de décisions prises par des institutions, en plongée dans la régression animale et la soumission à la folie meurtrière.

A présent, tout se passe comme si les « grands récits modernes » non religieux étaient tous éteints en tant que moteurs des peuples, éclatés en variantes de salon pour comploteurs d’élite.

Alors, pour concentrer l’énergie mentale nécessaire aux communautés d’actions face aux périls planétaires, faut-il raviver les grandes idéologies religieuses survivantes ? Les « leçons » de l’Histoire autorisent à craindre les conséquences de telles résurgences religieuses, sauf en tant que mythes d’enracinement collectif (et à condition que ces mythes soient pacificateurs), car les destins promis par les diverses religions traditionnelles sont tellement spécifiques que leurs traductions en projets pratiques ne peuvent que s’avérer conflictuelles pour des objectifs inconciliables – à moins de pouvoir « préfacer » chaque idéologie destinale d’un cycle de convergence transitoire, en transposition ad hoc d’une idéologie du genre des 30 glorieuses.

En réalité, peu importe tant que les ressorts de soumission des esprits par les dirigeants demeurent partout identiques (sous couvert de la Communication et du Protocole sous ses diverses formes) : menace et promesse, décorum et gratification, terreur et salut, émotion et punition... Ces dosages manipulatoires sont les techniques des pouvoirs parasitaires pour l'avilissement des esprits, en prévention de toute forme de sagesse collective. L’étiquette de toute puissance parasitaire, la trouver ridicule serait un début de la sagesse ?

jeudi 14 juillet 2022

Simple logique

Ce billet est consacré à la logique pratiquée dans nos façons de vivre et de penser, celle de la raison commune et de ses expressions. Cette « simple logique » est celle de l'incarnation personnelle comme être pensant, c’est aussi celle de l'interaction sociale au-delà des automatismes et réflexes.

Le sujet comporte de multiples facettes et connexions, la prétention de l’auteur se limite à la présentation à peu près ordonnée de ce qui lui a paru à la fois important et peu ou mal traité par ailleurs - surtout les questions.

Logique commune, pour quoi faire ?

La mutation de la simple logique commune dans notre monde moderne est un phénomène encore mal décrit en tant que tel. Certes, des bons auteurs et même de grands penseurs se sont intéressés à la « pensée moderne » et à ses incarnations par des personnages de tous bords. La critique de certaines dérives « modernes » équilibrait les efforts de polissage des « nouveaux » caractères apparents… Dans l’actualité brute de nos crises contemporaines de démence collective, les thèmes littéraires du milieu du 20ème siècle paraissent rétrospectivement tout aussi défraîchis que les illuminations des siècles précédents. En revanche, les écrits de certains sociologues et philosophes apparaissent prémonitoires, malheureusement sans apporter aucun secours quant aux remèdes possibles, sauf parfois l’alignement sur une doctrine radicale.

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La réalité crue s’est imposée récemment de plusieurs catastrophes successives (dont la moindre serait celle des épidémies de covid et de leur « gestion ») qui continueront d’impacter de plus en plus négativement la vie quotidienne de populations entières en conséquence de décisions absurdes totalement acceptées, partagées, soutenues par la majorité des populations, leurs « élites » comme les gens ordinaires. Cette réalité crue devrait inciter à dissiper toute illusion de supériorité moderne sur les « erreurs du passé », et devrait plutôt inciter à examiner au bon niveau, celui de la logique commune, ce qui aurait été perdu par rapport aux siècles précédents dans les fondements de la raison commune et la pratique de la décision publique, afin de rechercher ce qui pourrait en être utilement récupéré ou adapté pour prévenir, pas seulement traverser, les crises futures de démence collective.

Justement, n’est-ce pas la disparition de la logique commune qui expliquerait en grande partie la vulnérabilité des sociétés modernes aux emballements invalidants ? Comment expliquer cette disparition alors que l’esprit du temps bénéficie d’instruments (ordinateurs, calculatrices, réseaux de télécommunication…) libérateurs des basses tâches répétitives et multiplicateurs des possibilités de dialogue ?

Une première partie de la réponse est dans la question : la libération et la multiplication ont de fait contribué à étouffer la logique commune plutôt qu’à la renforcer. Pourtant, la logique commune ne s'oppose en rien à la logique formelle ni aux calculs techniques, pas plus que la vie ne s'oppose aux mathématiques, à la construction de machines, à la création de logiciels. Mais notre vie biologique, individuelle et collective, qui est le cadre nourricier de notre logique commune de pensée, est-elle encore considérée comme la source des mathématiques, machines, virtualités logicielles, institutions des sociétés, ou bien est-elle à présent assimilée à une contrainte archivée, comme un ancêtre gâteux dont on ne peut plus rien espérer ?

Il semble que la deuxième réponse révèle un caractère majeur de la modernité. La conviction de la supériorité d’une « vérité scientifique instrumentée » se traduit par la distorsion mentale qui tend à ramener tout projet, tout obstacle, à un problème soluble par des modèles de calcul ou par des arguments juridiques. L'évidence de la relativité des critères de rigueur, l'évidence de l'artificialité des concepts, l’évidence de l’incomplétude des modèles en comparaison de la complexité du réel, ont disparu sous les empilements de certitudes fabriquées - seules quelques sages grandes personnes proches de la retraite osent le dire parfois. Au contraire, les modèles, les formalismes opératoires, se complexifient, se spécialisent en se multipliant, en couches de superposition, et leur augmentation simule une activité utile, un progrès. D’ailleurs, la profusion délirante des organes qui les implémentent dans nos sociétés en est-elle la conséquence ou la cause ?

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C’est au point que la « science » ne force plus à l’humilité mentale (sauf pour quelques vrais esprits scientifiques naturellement doués), mais au contraire entretient diverses formes de déni du réel. Notre « science » contemporaine s’est organisée socialement comme une fuite mentale hors du monde social et physique, vers des univers fictifs de vérité absolue et d'abolition des limites – des imaginaires administrés par des gardiens du temple, où pullulent les gredins et les faussaires (et leurs victimes), des espèces d’imaginaires très antiques avec leurs fonds de fanatisme doctrinal, en version moderne jusqu’aux actions organisées de propagande ou au contraire de désinformation et dénigrement. Cette « science » très consciente de ses intérêts, lourdement institutionnalisée, pourrie d’intérêts financiers et de juridisme, peut-elle encore abriter une démarche scientifique « pour la gloire de l’humanité », au moins pour la survie paisible de cette humanité ?

Dans le discours officiel, le rapport entre la morale et le droit, le rapport entre les valeurs et les pratiques, sont implicitement considérés comme si les premiers, la morale et les valeurs, étaient les générateurs univoques des seconds, qui en implémenteraient les règles et les instructions comme un logiciel est censé (dans un monde imaginaire très naïf) implémenter la pensée d’un concepteur. Comment s’étonner d’une réduction de la morale au droit, d’une réduction des valeurs aux codes sociaux, et de l’exploitation sordide des « zones grises » mal couvertes par les règles et les instructions ? Cette dérive n’est pas spécifique à notre modernité, mais le credo pseudo « scientifique » suffirait à lui seul à la créer. Dans cet idéal de robot, tout lien social est simplifié, maîtrisé, parfait - brutal et sans recours.

Plus en profondeur, malgré le confort apporté par les progrès techniques, les énergies mentales dominantes du 21ème siècle demeurent celles qui animent en miroir l’individuel et le collectif probablement depuis les origines de l’humanité :

  • jouissance expansive (ivresse, avidité, expansion de conquête, lutte pour le pouvoir)
  • construction réflexive (religion, science, arts, gouvernement, disciplines du dépassement).

Dans un monde en rétrécissement, l’alternance non maîtrisée entre les affrontements et les coopérations de ces énergies mentales sera-t-il un facteur de survie ou un ressort fatal ? Pourtant, ces alternances semblent ignorées parmi les phénomènes sociaux, malgré l’évidence historique dramatique et actuelle de leurs oscillations brutales (guerres, révolutions…). Alors, comment une forme de sagesse dans notre logique commune pourrait-elle s’étendre au-delà des horizons temporels courts, complètement soumis aux énergies primaires, à leurs sauts créatifs conflictuels, à leurs sauvageries régénératives ?

Rien ne sert d’accuser nos dirigeants contemporains de crétinisme ou de corruption, d’accuser nos penseurs de superficialité, rien ne sert de plaider notre dépendance populaire aux paroles officielles dans l’urgence de la satisfaction de nos besoins vitaux, ce fut toujours ainsi, les systèmes de pouvoir et de décision n’ont jamais vraiment changé au fond - sinon dans la technique et les mots - depuis des siècles. C’est plutôt ce constat-là, celui de la stabilité des systèmes de pouvoir et de décision, qui devrait mériter notre attention. Comment surmonter les antiques réflexes mentaux qui sont à présent devenus dangereusement inadaptés ? Comment inventer une logique commune qui nous fasse évader de leurs boucles d’asservissement ?

Quelques exemples d’asservissements en boucle dans les décisions politiques

Actuellement comme souvent dans l'histoire des relations sociales, la soumission à un artefact de sens réduit le domaine d'exercice de la raison commune, jusqu'à l’enfermement dans une logique automatique ou dans une contrition révérencielle.

Qui oserait mettre en cause les « droits de l’Homme » ? Sans parler du contenu, on peut contester la pertinence du titre : pourquoi des « droits» de l’Homme plutôt que, par exemple un projet pour l’Homme ? Combien de temps nos dirigeants vont-ils encore affecter de se prosterner devant ce totem nommé à l’époque lointaine où les « droits » étaient accordés au peuple par un roi ou par un dieu ? En plus, ce totem est carrément pourri à l'intérieur, puisque même « au pays des droits de l’Homme », il fut piétiné par les gouvernants pour faire la guerre... au covid, et plus récemment pour une autre guerre non déclarée. Qui peut encore croire, dans la situation du monde, que ce totem puisse être relevé dans les prochaines années sauf pour des commémorations ? En revanche, il serait urgent que les peuples de la planète s’accordent sur un projet réaliste pour l’humanité dans le demi-siècle en cours.

Notre modernité perfectionne l’enfermement mental et la stérilisation de l’esprit par la réalisation physique d’une boucle d’asservissement quasiment en temps réel, grâce aux « nouvelles technologies ». La modernité de cette boucle, c’est le très court délai de rétroaction, avec comme conséquence l’intégration de l’ensemble des acteurs comme prisonniers de la boucle.

La boucle "le peuple - les médias - les dirigeants – les experts - les médias - le peuple" en rotation rapide ne permet plus - surtout de l'intérieur de la boucle - de discerner l'origine des émotions partagées, des idées partagées, des décisions politiques à partager. C’est un vecteur idéal de propagation et d’amplification d’une infection par des agents d’influence producteurs d’artefacts.

La boucle ne crée pas l’urgence, elle est l’urgence par nature. Elle engendre automatiquement « la vérité », dans la sauvagerie calculée des émotions. A l’intérieur, il n’existe aucune différence entre "décision partagée" et "décision imposée". Les acteurs de la boucle sont tenus en état de jouissance expansive, alors qu’ils sont de fait prisonniers, dans l’incapacité de recourir aux précieuses règles de conduite qu’ils auraient préalablement élaborées spécifiquement en vue des situations d’urgence.

Certains acteurs de la boucle peuvent être mieux informés que d’autres des évolutions d’opinions, par exemple par la connaissance d’analyses statistiques instantanées, ce qui leur donne la possibilité de renforcer l’impact de leurs propres messages. Dans une boucle à rotation rapide, même et surtout pour des décisions politiques, ce renforcement se fondera dans l’urgence sur des appels aux valeurs et à la morale, sur l’exploitation d’émotions, sur l’affirmation de « preuves » spectaculaires – tout le contraire de justifications par la raison.

Comment qualifier la réalité du régime politique d’une telle boucle ? Pas une dictature, pas le chaos, quelque chose entre les deux, avec ce qu'il y a de pire dans les deux !

On aurait une anarchie potable si par exemple il existait un perturbateur intelligent reconnu de tous dans la boucle, qui émettrait des idées originales, de nouveaux points de vue, ferait ressortir certains aspects d’opinions minoritaires pour l’intérêt général, etc.

On aurait une possibilité de dictature raisonnée s'il existait un "fou du roi" hors de la boucle, que les dirigeants s’obligeraient à écouter par dessus les analyses d’opinions, ne serait-ce que pour prendre du recul en dehors de leurs cercles d’affidés et d’égos.

Bumarai.jpg En l’absence de tels acteurs en puissance, et suite à l’infection préalable organisée (sans subtilité mais adaptée à chaque segment cible) de tous les asservis de la boucle, la crise covid en Occident fut la démonstration grossière du pire des possibles. Le modèle ultra simpliste de la boucle d’asservissement par l’usage primaire des nouvelles technologies n’est pas une fiction, tous les acteurs sociaux, une majorité écrasante de personnes, ont abandonné toute raison durant des mois. Rien n’aurait été différent, même pas les excès les plus délirants des déclarations de propagande et des actions médiatiques d’étouffement des discordances, si nos lumineux dirigeants, si nos représentants de l’intérêt général, si nos gardiens des finances, avaient pris de très longues vacances en abandonnant la population aux entreprises du secteur médical; s’ils ont fait plus, c’est en participant à la folie de la boucle d’asservissement comme des personnes très ordinaires, y compris ceux et celles qui en ont profité. A l’inverse, on peut imaginer en rêve notre situation si aucune décision précipitée n'avait été prise, les terribles vagues épidémiques successives ayant de toute façon suivi un cours naturel avec, au total sur 3 ans dans tous les pays malgré diverses stratégies sanitaires, quelques pourcents de décès dans les populations, surtout des très vieux.

Comment sortir de la boucle fatale ?

Une logique commune s’adapte en fonction de l’expérience ou disparaît. Elle pourrait renaître à présent, après une période de quasi étouffement par une pseudo modernité, à partir de l’expérience mortifère des boucles d’asservissement par les nouvelles technologies. C’est bien plus urgent qu’une réforme des programmes dans l’enseignement « supérieur ».

Pour un individu, les modes de sortie d’une super boucle d’asservissement mental d’une grande population sont vite répertoriés :

  • la résistance frontale
  • l’exil intérieur
  • le décrochage
  • la conversion antidote
  • l’illumination salvatrice

La résistance frontale : garantie d’un destin à la Giordano Bruno, au minimum certitude d’un déclassement social sauvage – pas seulement dans l’espace virtuel, dans la vie sociale réelle du monde physique.. En association de résistants : garantie de l’opprobre « complotiste » ou autre artefact d’abjection, mais une relative protection individuelle contre les brutalités médiatisées par la boucle, peu discriminantes sauf dans le dénigrement des fortes têtes.

Amespy.jpg L’exil intérieur exige une discipline de fer, du niveau d’agents « dormants » introduits dans un pays ennemi, simulant quotidiennement leur intégration aux mœurs et façons de penser locales mais leur demeurant imperméables, à l’affût des occasions de nuire sans se dévoiler. Cette discipline n’est pas à la portée de tout le monde, même après un entraînement préalable.

Le décrochage de la boucle n’implique pas l’éloignement physique, mais de toute façon, comment échapper à la pression des médias traditionnels tous dépendants (journaux, radio, télé) et surtout comment échapper à l’expression des vérités et aux conduites majoritaires par les braves gens partout ? Par le décrochage, on échappe à la fébrilité de l’urgence à l’intérieur de la boucle, mais on reste baigné dans un univers mental fabriqué par la boucle dont les évolutions sont plus lentes, mais pas amorties pour autant. Lequel de ces deux enfers est le plus implacable ? Ou alors, fuir au désert, disparaître ?

La conversion antidote s’opère par le choix d’une autre dépendance, suffisamment forte contre des effets redoutés de la boucle. Autrement dit, vu de l’intérieur de la boucle, on peut assimiler cette conversion à une variante « lâche » de la résistance frontale, elle sera donc soumise aux mêmes attaques au premier signe de déviation.

L’illumination salvatrice envahit impérieusement la personne et l’immunise absolument – dans sa version historique, elle manifeste une grâce divine. Il y a toujours trop peu d’élus parmi les puissants, malgré quelques exemples dans l’Histoire.

En conclusion, la nature totalitaire de la boucle fatale condamne chacun de ces modes pris isolément à l’échec - sauf le dernier qui n’est pas généralisable. Rétrospectivement, on pourra cependant trouver utile d’approfondir les différents modes afin de pouvoir les combiner selon ses propres capacités et les opportunités du moment.

Seul le premier mode, celui de la résistance, est susceptible de contester les produits absurdes, les vérités falsifiées de la boucle, et même peut-être de parvenir à libérer d’autres personnes de l’influence de la boucle, après de longues épreuves et à condition de persévérer. Plus efficacement, une résistance bien ciblée peut gêner les processus de la boucle. Pour ce faire, des « méthodes souterraines » produiront certainement un résultat plus prévisible en intensité et en délai que des actions à découvert, par exemple de type juridique.

Au total, comment se débarrasser des boucles fatales, comment faire muter une boucle d’asservissement, par exemple en boucle de projets ? C’est certainement une très bonne question, si on en prend la preuve par son absence dans tous les médias asservis, sauf sous une couverture anecdotique ou dans un langage imperméable à la raison commune. Beaucoup d’autres billets de ce blog se consacrent à cette question.

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L’espoir vient de quelques grandes personnes contemporaines qui n’ont plus rien à espérer pour leur carrière, et acceptent le risque de perdre provisoirement un peu de leur réputation, produisent le travail d’enquête qu’auraient du faire les journalistes, pour publier ou dire les séries d’incohérences, d’absurdités, d’abus, dans les décisions prises par nos dirigeants au prétexte de l’urgence, ensuite pour oser s’étonner de l’oubli de règles de conduite dans leur propre domaine d’activité, et du rejet arbitraire de solutions simples expérimentées depuis longtemps.

A un autre niveau, l’espoir vient des auteurs qui tentent d’anticiper nos difficultés planétaires à venir, tentent de définir des stratégies d’amortissement de ces difficultés qui ne soient pas destructrices de la suite.

mercredi 19 janvier 2022

Projections

Inversion

Le 28 octobre 1918, dans un appartement d'un immeuble au numéro 20 du boulevard Richard-Lenoir à Paris, le docteur B. a rédigé une ordonnance pour une patiente de 24 ans, enceinte. Plusieurs médecins étaient passé les jours précédents, avaient fait le même diagnostic. Ils étaient vite repartis.

Grippe espagnole.

J'ai retrouvé un double de l'ordonnance du docteur B. complètement illisible, dans un dossier d'archives familiales. La mémoire familiale disait que cette prescription du docteur B. avait sauvé sa patiente, bien qu'elle ne contenait qu'une sorte de potion à faire soi-même à base de produits naturels, dont un miel très spécifique que l'on avait remplacé par un miel vendu dans le quartier - ou par ce qui était vendu comme tel. En 1918, c'était la guerre.

La patiente a donné naissance le 08 novembre suivant, soit 10 jours plus tard, à son premier fils. Elle était ma grand mère maternelle.

Quel est le rapport entre cette histoire particulière et l'actuelle crise du covid ?

C'est justement l'énormité des différences qui m'a forcé à la réflexion.

1/ La grippe espagnole fut une épidémie effroyablement mortelle y compris parmi les jeunes. Elle a plus tué que la Grande Guerre.

2/ On ne savait pas guérir les patients atteints de la grippe espagnole, d'autant moins dans les restrictions durant la Guerre. L'action de la potion du docteur B. fut peut-être surtout d'ordre psychologique. L'efficacité fut néanmoins réelle et totale. Les autres docteurs, ceux qui s'étaient défilés après la récitation des recommandations usuelles à l'époque, avec le recul, on ne peut pas les qualifier d'incompétents : il valait mieux ne rien prescrire au-delà de recommandations banales que de tenter l'application d'un remède violent dont l'efficacité aurait été hasardeuse, encore plus sur une femme enceinte. Objectivement, rétrospectivement, leur "fuite lamentable" devant la détresse de la famille a permis la guérison.

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Note. Beaucoup de personnes atteintes de la grippe espagnole vers la fin de la Grande Guerre et après (il y eut plusieurs vagues), ne sont pas mortes du virus mais des suites d'infections bactériennes. La chimie des antibiotiques est bien postérieure à cette période, et on ne disposait pas des moyens modernes d'analyse. En plus, les conditions d'hygiène, particulièrement dans les camps militaires, n'étaient certainement pas au bon niveau. Dans beaucoup d'immeubles parisiens tel que celui où habitaient mes ancêtres en 1918, la distribution de l'eau et du gaz n'existait pas. Il reste que le risque des infections parallèles à une infection épidémique virale, directement ou indirectement provoquées par cette dernière, semble encore de nos jours diversement reconnu et traité selon les régions du monde.

Cette histoire transmise dans la tradition familiale sur deux générations me court dans la tête depuis le début de la crise du covid. Le résultat en est que cette crise actuelle m'apparaît chaque jour plus artificielle et grotesque, malgré les répétitions d'injonctions morales et de communications alarmantes, malgré les témoignages convergents et les recueils d'avis approbateurs dans les médias.

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La crise me paraît d'autant plus artificielle et grotesque à présent (mi janvier 2022) que la vague des hospitalisations ne semble pas plus élevée dans mon pays que la normale en période hivernale. Pourquoi subissons-nous encore une campagne de terreur dans les grands médias comme au début de la crise, pour une maladie qui n'atteint gravement que des personnes affaiblies par d'autres maladies ou par l'âge, en fin de compte globalement avec une très faible mortalité ? Pourquoi toutes les possibles médications inoffensives ont-elles été exclues a priori, laissant le champ libre aux faux remèdes à prix d'or ? Pourquoi faut-il prolonger la soumission de la population à des traitements préventifs innovants qui ne s'avèrent partiellement efficaces que sur une courte période après leur administration ?

Ces questions ont-elles des réponses autres qu'un renvoi à un argument d'autorité ou au contraire, un aveu de renoncement dans une sorte de fatalité ? Vues d'en bas par un simple citoyen d'un pays occidental, les annonces officielles successives des mesures imposées, les communications de justifications moralisantes qui les préparent puis les accompagnent, sont les productions des rationalisations pulsionnelles d'un robot ignorant de la réalité humaine, et même parfois de toute réalité imaginable.

Alors, dans ma perspective en rétro projection d'un épisode familial de grippe espagnole en 1918, j'ose imaginer qu'une médecine ordinaire comme celle du bon docteur B. actualisée de la connaissance des traitements courants des maladies épidémiques virales des voies respiratoires, plus quelques recommandations générales d'hygiène préventive, plus quelques ajustements ciblés dans les établissements de soins, c'était largement suffisant pour traverser la crise du covid, une fois ce dernier reconnu et ses effets suffisamment évalués, sans affoler les populations ni leur imposer des restrictions contraignantes, sans consacrer des fortunes à l'achat de médications sorties d'un chapeau, et finalement, en conséquence, sans aucune nécessité de soutien par dizaines de milliards aux sinistrés de l'économie.

Renversement

L'Histoire jugera la gestion de la crise du covid, celle des pays du monde, celle des organes supra nationaux, celle des entreprises qui en ont activement profité.

On doit espérer que le jugement de l'Histoire sera précoce, logiquement argumenté et documenté. On doit espérer qu'on laissera courir les fauteurs médiocres, les mercenaires assassins de la raison, et même les tueurs besogneux de l'esprit, ne serait-ce que par simple souci d'économie et de réalisme. On doit espérer que ce jugement ne s'intéressera pas seulement aux aspects économiques, mais bien à la gestion au sens le plus large dans toutes ses dimensions, afin de proposer, dans la perspective de crises à venir de plus grande ampleur, les éventuelles adaptations urgentes à réaliser, notamment dans les organes décisionnels pour éviter l'enfermement dans des logiques d'exception, notamment dans le domaine de la communication aux populations pour ne pas étouffer l'intelligence, dans les investissements pour développer les compétences spécifiques aux temps de crise et adapter les organisations et les équipements, dans le domaine scientifique pour accélérer la diffusion des nouvelles connaissances, dans l'industrie du numérique pour permettre aux populations de détecter les tentatives les plus grossières de manipulation.

En effet, si le jugement de l'Histoire restait au niveau des valeurs et de la morale, si le jugement de l’Histoire se déployait uniquement dans le dévoilement sensationnel d'arnaques monstrueuses et d'agissements indignes, on n'aura rien appris ni rien préparé en vue d'une nouvelle crise, d’autant moins qu’elle sera probablement d'une toute autre nature - par exemple en conséquence d'un conflit international violent, d'un cataclysme volcanique, ou d'un effondrement monétaire.

Une leçon sociologique de l'Histoire serait qu'il est dangereux de laisser des peuples s'abandonner à des logiques d'exception, car ces logiques sont par nature des logiques de guerre - guerre contre d'autres, contre soi-même, contre tout - du fait qu'elles s'alimentent de l'exploitation répétée des émotions nationales, humiliations, souvenirs de grandeur, croyances utopiques, etc. L'historien, le sociologue, l'anthropologue ne devrait plus se limiter à l'analyse de symptômes jugés aberrants des sociétés étudiées ni se perdre dans la recherche des causes spécifiques de ces symptômes, le vrai problème est celui des mécaniques sociales d'enfermement, de la compréhension de ces mécaniques, et de l'invention de méthodes pour briser la progression de l'enfermement avant l'atteinte de l'état stable de folie collective autoentretenue, dont l'Histoire et l'actualité nous prouvent qu'il est assez facile à provoquer et à faire durer. Les expériences historiques comme les dernières actualités montrent que l'enfermement mental d'un grand peuple ne peut pas se surmonter par les rencontres de négociations commerciales avec l'extérieur, encore moins par les affrontements diplomatiques avec des représentants de pays ou d'organisations imprégnés de leurs propres références, ni par les démonstrations militaires de forces protectrices de valeurs en danger.

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Une grande question planétaire du siècle serait : comment opérer notre libération mentale, au niveau des peuples, pour sortir de nos logiques d'exception (autrement dit échapper aux dérives exclusives de nos enfermements mentaux) et inventer des logiques plus puissantes dans un monde globalisé ? Les logiques à vocation universelle sont par nature et dans les faits rapidement condamnées à enrichir le patrimoine mondial des échecs à répétition, par les conflits d'interprétation, les dévoiements d'intentions, les soupçons réciproques, les compétitions sournoises, carrément à l'opposé de l'idée originelle, faute d'avoir institué les capacités d'évolution jusqu'à la remise en chantier, mais surtout fondamentalement du fait de leur dépendance arbitraire d'un niveau d'abstraction surhumain (valeurs universelles, droits de l'Homme, etc.). Pour induire un effet inhibiteur des mécaniques d'enfermement, il faudrait donc mettre en oeuvre des logiques adaptables à l'atteinte de buts pratiques définis indépendamment de ces logiques - donc, pour simplifier, des logiques "utilitaires" plutôt que des logiques "dominantes". Comme exemple de logique pratique adaptable, on peut penser à la démarche scientifique authentique, fondée sur le doute, la curiosité et l'interrogation - à ne pas confondre avec une mimique de répétition des connaissances du moment ni avec la fabrication automatisée de preuves par presse bouton algorithmique. Cette logique scientifique n'est pas applicable dans les cadres de confrontation des postures, tels que sont tous nos cadres existants hérités du passé. Il faudrait donc créer de nouveaux cadres au-delà des coopérations scientifiques internationales existantes, des réunions de sociétés savantes et plates formes de publications scientifiques - de nouveaux cadres à la fois plus ambitieux et temporaires, pour des buts de réalisations pratiques a priori obtenues dans de meilleures conditions et une meilleure maîtrise des résultats par l'organisation d'un partage international. Des projets civils multidisciplinaires de grande ampleur, impliquant des parties significatives des populations de divers pays, si possible à la fois en tant que clients et acteurs, par exemple dans des expérimentations régionales (nouvelles technologies de partage des connaissances, adaptations pour l'autosuffisance alimentaire, renouvellement d'infrastructures, systèmes de surveillance des cultures et des réseaux nourriciers...) pourraient être les lieux d'application de logiques scientifiques adaptées, si cela est organisé, instrumenté comme une priorité reconnue "par tous au bénéfice de tous", en parallèle et au-dessus des logiques procédurales bien connues de bonne gestion.

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Nos activités humaines, nos pensées humaines du monde contemporain sont encore les produits des logiques mentales d'une époque préindustrielle, dangereusement inadaptées au monde présent. Les promesses d'un avenir lumineux grâce aux nouvelles technologies, à l'innovation, à l'intelligence artificielle, au management disruptif, ne font que reproduire les invitations historiques à repousser les frontières, conquérir de nouveaux espaces, faire la révolution. Sur une planète unique complètement occupée et surexploitée, ces appels mènent fatalement à la guerre et à la destruction. Les frontières à repousser sont celles de notre psychologie hantée par les peurs, les espaces à conquérir sont les élargissements de nos capacités d'imagination et de notre génie relationnel, les révolutions à faire sont les créations de grands projets de solidarité planétaire. Jamais dans l'Histoire, nous n'avons disposé de moyens aussi puissants de créations de liens relationnels, mais ce ne sont que les infrastructures matérielles des liens à imaginer. Pour l'harmonie des humains entre eux et la paix avec leur monde, il reste beaucoup à inventer.

samedi 15 janvier 2022

De quelques servitudes involontaires et de leur assimilation durable

Actualité du « Discours de la servitude volontaire »

En 1576 de l’histoire de France, Etienne de La Boétie publie un « Discours de la servitude volontaire ».

Régulièrement, nos penseurs et discoureurs contemporains s’y réfèrent. C’est au point que la seule citation du titre suffit à provoquer une mentale révérence des interlocuteurs, auditeurs, spectateurs devant la radicalité supposée de la révélation de leur propre état.

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On pourrait discuter savamment des intentions de l’auteur, après avoir relu le texte et après avoir reconstitué son contexte historique et les éléments particuliers qui l’ont influencé.

La signification de beaucoup d’abstractions morales, la répartition des valeurs premières selon le statut social, ont changé au cours des siècles jusqu’à nos jours, par l’effet des révolutions idéologiques et matérielles, plus que par la reconnaissance des humanités diverses – reconnaissance de variantes culturelles dispersées par le vent de l’Histoire plutôt que d’exemples de sociétés vivantes dont certains fondements pourraient inspirer un renouvellement des supposés axiomes d’un monde moderne unifié universel.

Alors, la référence actuelle à ce « Discours de la servitude volontaire » du 16ème siècle peut sembler paradoxale. Est-ce juste une astuce rhétorique pour éblouir la galerie et faire passer une pilule amère - ou même pas, une courbette pour se conformer à une mode d’intellectuels ?

Dans notre monde moderne, un discours sur « la servitude volontaire » pourrait-il se réduire, comme son modèle du 16ème siècle, au recueil d’évidences reconnues, comme dans une dissertation exemplaire sur l’idée de liberté en vue d’obtenir une mention Très Bien, à partir des illustrations historiques reproduites dans les bons manuels et de quelques anecdotes partagées dans la bonne société ?

Les servitudes dans notre monde moderne des nouvelles technologies, les servitudes qui pèsent directement sur chaque personne humaine, peut-on les imaginer comme des résultats d’acceptations volontaires ? Par exemple, l’asservissement physique au smartphone, la soumission mentale aux avalanches de messages diffusés, sont-ils objectivement contestables par les populations qui les tiennent pour des services ? Un refus réfléchi et calculé de cette servitude par une large population peut-il être un choix dans nos sociétés numériques ?

Les grandes servitudes dans notre monde moderne, les mécaniques et procédures qui dirigent une partie des activités contraintes de nos personnes sous le poids d’institutions en multiplication délirante, peuvent-elles être considérées comme volontaires, même dans un contexte prétendument démocratique ?

Ah oui, le monde a changé (presque partout) depuis l’époque du « Discours », depuis l’époque des contrats d’esclavage, depuis l’époque des pensionnats de formation des élites, depuis l’époque des proclamations sur les places de nos villages. Mais, au fond, est-ce la nature de la soumission qui a changé ou seulement son mode d’action ? Et, à notre époque « moderne », la réaction à la servitude, et avant cela, l’imagination d’une possibilité d’évasion, sont-elles à la hauteur du changement accompli dans les modes d’asservissement et dans le tourbillon du renouvellement de ses formes informatisées ?

Ce qui n’a pas changé depuis le « Discours », c’est la nature humaine, en particulier la tendance arrogante du puissant (et de toute personne en position de pouvoir) à l’humiliation de son prochain, jusqu’à provoquer la fuite des asservis dans une réalité sociale parallèle dont eux seraient les inventeurs du langage et des signes.

Si on en reste à ces constats et ces questions, il n’est pas surprenant que l’autre référence célèbre dans les discours d’intellectuels, celle de la dialectique maître - esclave, se situe au même niveau d’inutilité pratique que le « Discours ».

Cependant, qu’est-ce qui rend le « Discours », malgré son ancienneté, encore pertinent en apparence ? Ne serait-ce pas une illusion dans son interprétation qui amène, à partir d’une accumulation d’exemples littéraires à propos de la servitude et de son contraire la liberté individuelle, à induire l’existence d’un principe de Liberté, un idéal à vocation universelle ?

Les idéaux à vocation universelle, comme la Liberté et quelques autres (autrement dit : les valeurs), sont des ressorts du maniement des masses en vue des actions collectives. Combien de pauvres gens sont morts à la guerre, dans un état de totale servitude, pour la défense de la Liberté ? Les universaux sont des catalyseurs mentaux des passions, quelqu’un a du le dire autrefois et bien mieux.

C’est évident, dans les pays occidentaux après les développements révolutionnaires de leur époque moderne préindustrielle, un principe de Servitude ne pouvait avoir aucune chance de succès, sauf comme représentant du Mal en opposition au Bien. Pourtant, dans les faits, c’est bien encore la Servitude qui nous domine actuellement, souvent sous l’apparence d’une association de circonstance entre son contraire, la Liberté, et un autre beau principe universel, par exemple la Science, la Responsabilité… C’est un truc des grands réprouvés : ne jamais apparaître sur le devant, ne jamais se faire passer pour quelqu’un d’autre, car le risque d’être contré ou démasqué frontalement est trop important, mais agir sur la relation entre plusieurs. C’est la vie.

Comment sortir des oppositions binaires entre les idéaux, bons et mauvais, que certaines de nos traditions sociales prétendent nous imposer ? Ces idéaux, les bons et les mauvais, sont nos servitudes premières, mentales, mais c’est bien dans notre réel physique historique que leurs illusions de représentation prouvent leur fausseté et leur nocivité. Ceux qui croient se battre pour un idéal sont régulièrement trahis en favorisant l'idéal opposé dans les faits, à tous les niveaux de pouvoir et de généralité, de la famille au commerce et jusqu’au gouvernement d’un état.

A notre époque, un autre message serait à redécouvrir dans une interprétation actualisée du « Discours ». Les réalités sociales de la servitude et de la liberté, les réalités sociales de l’empathie et du partage des sentiments de servitude et de liberté, sont contextuelles et locales. Ces réalités devraient être considérées avec les instruments de la raison, et surtout pas dans la perspective d’un combat universel imaginaire entre des idéaux encore plus imaginaires, qui ne peut produire que la tétanie de la pensée, justifier le déchaînement des excès, réduire la société à une mécanique d’engrenage de conflits prétextes.

Pour une dynamique sociale durable

Le problème social actuel, c’est de surmonter nos blocages, personnels et sociaux, afin de pouvoir affronter par la raison la croissance de contraintes fatales non maîtrisables. La première contrainte est celle de l’épuisement des ressources énergétiques naturelles (pétrole, gaz,…) et des ressources minérales qui sont à la base de la révolution industrielle et de sa prolongation en révolution numérique, La deuxième contrainte est celle de la transformation de l’environnement, climatique, biologique, dont l’accélération est la conséquence de l’industrialisation massive.

Le problème social actuel, pas seulement dans les pays « occidentaux », pas seulement dans les pays « démocratiques », pas seulement dans les pays très industrialisés, est de créer une dynamique sociale durable raisonnée. En effet, il devrait être évident que nos sociétés sont enfermées dans des structures, des concepts, des institutions… tous conçus pour une finalité de société parfaite immuable. La stabilité dans l’ordre et la compréhension mutuelle, n’est-ce pas d’ailleurs ce que nous concevons comme l’un des buts premiers de toute institution d’une société ? L’histoire chaotique de l’humanité au cours des siècles, n’avons-nous pas tendance à l’interpréter comme une progression vers un futur à l’image du présent (très confortable relativement au siècle précédent), juste encore un peu mieux ?

La récente mini crise du covid sera-t-elle enfin bientôt considérée comme révélatrice de la pesanteur grotesque de certaines abstractions dominantes et surtout plus généralement, de la sclérose de nos sociétés ? Il existe bien d’autres révélateurs de cette sclérose, certains sont devenus familiers mais pas moins graves.

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Le niveau de nos connaissances des facteurs de la dynamique sociale demeure d’une grande pauvreté en regard de ce qui nous serait utile maintenant. Cependant, peu à peu, des études en sciences humaines (histoire, anthropologie,..) - progressivement débarrassées des cadres doctrinaires dominants aux 19éme et 20ème siècle et sans rechercher une compensation par une illusion de découverte mirifique - commencent à produire de la matière jusqu’ici méconnue, sur les créations sociales notamment aux marges de contact entre des sociétés stables très différentes, sur l’évolution des mentalités en fonction des changements subis et diversement intégrés dans la mémoire des peuples, sur les réalités de la démarche scientifique et la nature de la connaissance scientifique, etc. Néanmoins, les programmes politiques et encore plus les décisions gouvernementales demeurent déterminés par des sondages d’opinion et par l’état d’indicateurs de la société telle qu’elle peut être interprétée dans des cadres prédéfinis depuis des dizaines d’années, mécaniquement inadaptés à la détection d’évolutions significatives hors cadres. Les freins sont bien serrés partout, la paresse et l’avidité individuelles ne suffiraient pas à entretenir un tel immobilisme !

Il existe, il a existé de puissants facteurs historiques de dynamique sociale. Par exemple et à des niveaux divers de généralité : la révolution néolithique (élevage, agriculture, navigation), la création des grandes routes et voies commerciales, l’organisation de villes puis d’empires, les conquêtes militaires (évolution rapide obligatoire des vaincus assimilés), les morales religieuses, l’invention des mathématiques… l’invention d’une démarche scientifique, la révolution industrielle, la diffusion des connaissances.

Peut-on considérer que ces dynamiques sociales historiques étaient volontaires au-delà de l’atteinte locale d’objectifs d’imitation compétitive par quelques acteurs spécialement concernés ? Les buts de ces dynamiques historiques étaient-ils exprimés pour la totalité des populations dans leur diversité ? Les finalités vitales pour l’humanité étaient-elles les premières dans la conscience personnelle des acteurs ?

Donc, tant pis pour l’oubli de certains facteurs historiques importants de dynamique sociale. Nous sommes au temps présent, dans la certitude de la destruction à venir de notre société actuelle.

Nous avons encore le luxe de pouvoir choisir : victimes éparpillées dans la multiplicité d'états de panique incapacitante, ou acteurs d’une évolution maîtrisée.

Dessine-moi un mouton.

En théorie, c’est simple, il suffit d’anticiper. Volontairement, au niveau des états, des régions, des foyers, il suffit de progressivement couper l’alimentation des ressources en voie de disparition (alimentation directe et indirecte dans les produits importés). Et tout aussi volontairement, il suffit parallèlement d’adapter – quoi qu’il en coûte – le fonctionnement de nos sociétés. Il est évident qu’il faut pour cela un plan d’ensemble, a minima une description argumentée et cohérente des étapes d’évolution de la société au cours de ses transformations, en particulier pour organiser les disparitions ou adaptations des structures et organes les plus dépensiers de ressources à préserver. Il est évident que ces transformations impliqueront des changements importants des modes de vie, lieux de vie, projets de vie des populations.

Un mouton passe. Ne pas oublier que nos rêves doivent suivre.

Il devrait être évident que l’activation, au niveau (inter)étatique, de facteurs historiques de dynamique sociale n’est pas raisonnablement envisageable, même si on en maîtrisait les paramètres au point de savoir en user pour les combiner au mieux dans notre réalité présente. En effet, la mise en œuvre d’un hypothétique art suprême de la recréation sociale nécessiterait une destruction préalable ou une refonte importante des architectures institutionnelles, légales et fonctionnelles « garantes de la stabilité » sous toutes ses diverses formes, la mise à l’écart des incompétents… et on peut parier qu’un tel grand nettoyage produirait l’apparition d’une forme de dictature tout aussi bornée et statique que les institutions défuntes, avec quelques bouffées fantasques supplémentaires, la dégénérescence des élites par la corruption et la compétition servile, l'asservissement des médias en étouffoirs de la pensée et pour le gouvernement de la vérité, l'extension illimitée des postes et faveurs réservés aux affidés du pouvoir, la soumission des compétences aux artifices de la gesticulation et du simulacre, etc.

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Autrement dit, la mutation interne progressive de nos sociétés pseudo démocratiques actuelles, par poussées brutales successives sous la pression des réalités dans les 50 ans à venir, ne serait pas la pire des « solutions », à condition que nos gouvernants sachent anticiper a minima les transformations les plus importantes, notamment par l’allègement des facteurs spécifiques de blocage de ces transformations, dans les institutions à tous niveaux, organes de contrôle, lois, réglementations, normes.

Dans les quelques années à venir, après plusieurs impacts douloureux des réalités physiques sur nos vies quotidiennes, nos politiques pourront-ils se contenter de manipuler les foules par des programmes électoraux flous, puis de justifier leurs actes de gouvernement par la gonflette des valeurs, par les rappels aux grands principes moraux, par l’évocation d’exemples anciens, sous couvert de la sacralité supposée de leur haute fonction ?

Car la transformation sera dure. Au plan personnel, elle sera carrément insupportable si nos rêves ne s’adaptent pas.

Heureusement, même si les valeurs, la morale, l’éthique, les lois et réglementations, les codes et coutumes sociales peuvent rester en suspension au-dessus de réalités en transformation accélérée, il reste une dimension de la vie personnelle propice au développement de nouveaux rêves personnels, celle des grands projets.

D’où, dans les circonstances d’une société en besoin d’évolution rapide, l’importance cruciale du développement des projets collectifs de transformation de la vie courante locale ou régionale faisant contribuer la plus grande part possible des populations. D’où par ailleurs, pour combler le grand écart entre une réalité en reconstruction et le pilier de la morale « valeurs – éthique – lois – codes et coutumes », l’importance des projets comme créateurs et expérimentateurs d’ »étiquettes» à côté de ce pilier.

Autrement dit, c'est une manière de "faire la révolution" sans casse.

Une étiquette de projet décrit les règles d’organisation et de fonctionnement, les relations entre acteurs, l'emploi et le développement des compétences, etc. Une étiquette de projet est par nature peu dépendante du pilier moral dans la mesure où la seule vraie contrainte sur une étiquette est de ne pas être en opposition à un élément de ce pilier. En fait, les nécessités d’aménagements propres à chaque projet peuvent justifier quelques écarts d’interprétation des éléments du pilier moral, d’autant plus facilement que ce pilier empile des incohérences du fait de sa construction artificielle étalée dans le temps.

Un projet est un lieu de création de « lois » contextuelles provisoires, un lieu d’évasion de l’opposition binaire liberté - servitude. Les chefs de projet qui ne l’ont pas compris ne sont pas dignes de leur position. En particulier, dans un grand projet à enjeux collectifs, c’est une faute de confier la rédaction des lois internes du projet – ce que nous appelons l’étiquette – à un (pseudo) responsable de la Qualité pour produire une « spécification de management « d’après un modèle standard, comme un exercice de pure forme à réviser plus tard seulement à la page de la liste des participants, alors que l’expérience des associations, organisations, entreprises concernées devrait inspirer une étiquette spécifique évolutive après un recueil critique des pratiques, avec expertise et humanité. Un projet mal fagoté est vécu comme une calamité par ses contributeurs, les fournisseurs savent en profiter, les clients du projet perdent confiance dès les premières phases, alors ce n’est pas un « vrai chef » qu’il faut pour aboutir, c’est une remise à plat de tout le projet… Autrement dit, dans les circonstances d’une société en transformation, si un grand projet n’est pas en soi conçu comme une création progressive - pas seulement la création des produits attendus en fin de projet mais une création sociale spécifique (à l’échelle du projet) - le ratage est assuré et on devrait en faire l’économie.

D’autres billets de ce blog développent divers aspects spécifiques des projets de transformations sociales, notamment les projets collectifs de réalisation d'infrastructures d'intérêt général, par différence aux grands projets d'ingénierie, mais évidemment en reprenant de ces derniers les éléments indispensables à la conduite des aspects techniques, matériels, financiers etc. dans le temps.

Le bonheur sans l'extase

En conclusion, voici quelques paragraphes de philosophie en bouts de ficelle, en résumé des propositions selon une autre progression justificative.

Il est vain d'imaginer une morale du provisoire, une éthique du provisoire. Les valeurs qui les fondent sont par nature éternelles, et la morale et l'éthique sont conçues en vue du monde le moins imparfait possible, le plus stable possible en regard des critères de l'éthique et de la morale.

Ce que nous avons appelé "pilier de la morale", c'est l'empilement "valeurs - éthique - lois - codes et coutumes", autrement dit l'architecture mentale (branlante mais passons) commune de nos sociétés, dont il est vain d'imaginer des mutations en préalable à l'action collective - dans l'urgence des transformations à opérer dans nos sociétés physiques.

Donc, dans un esprit pratique, il faut trouver ailleurs l'espace de création de nos "lois" du provisoire.

Quel autre espace de création serait mieux adapté que celui des grands projets collectifs, surtout s'il est lui-même à créer et que tout le savoir pour le faire existe ?

Notre "loi" du provisoire local, nous l'appelons "étiquette" faute de mieux, parce que ce terme, contrairement aux autres candidats comme "code" ou "règle", porte une idée de légèreté, d'artificialité et d'ouverture. L'équivalent existe certainement dans les langues qui en auraient le besoin, à moins qu'elles aient été totalement investies par la mentalité juridique, auquel cas, l’étiquette sera éclatée entre plusieurs documents du "project management".

L'extase de soumission aux détails du pilier de la morale, les ratiocinations à rebondissements sur des micro conflits binaires, le ravissement dans l'infini des croyances confortables, la multiplication des délégations gratuites aux élites, les espoirs d'hyper solutions automatiques... sont sur la voie directe de notre anéantissement par un monde qui met toute l’humanité - et toute humanité - en question.

Une troupe de moutons déboule. Cabrioles, Sauts périlleux. Banal, de leur propre initiative.

Le bonheur se trouve dans l'action.

lundi 28 juin 2021

Le bogue miracle

Lui, c’est un dinosaure de l’informatique. Il a connu l’initialisation de l’ordinateur par ruban perforé, le stockage en bandes magnétiques, les logiciels en bacs de cartes perforées. Son jeune esprit fut nourri des théories et recherches à propos de ce qui était calculable ou pas, de ce qui était logiquement démontrable ou pas, de ce qui pouvait être vérifié en regard de normes de qualité ou pas. Il a atteint la fin du jeu Wizardy, assis en tailleur devant son Apple II après des semaines de séances nocturnes et seulement après cet exploit, il a rejoué en trichant. Dans sa carrière professionnelle, il a vécu beaucoup de projets, comme programmeur, auteur de logiciels, responsable informatique en entreprise, consultant spécialisé… animateur de groupes d’utilisateurs pilotes.

Aujourd’hui, le dinosaure dit qu’il a peur.

Pas du tout de sa propre obsolescence.

Ce qui le terrifie, ce sont les mauvais usages des techniques informatiques en grand public, l’obligation d’inconscience subie par ses successeurs informaticiens. Le résultat : une forme d’esclavage mental de tout le monde.

Il exagère.

A côté de cela, il rigole quand il entend parler d’intelligence artificielle, de big data, d’ordinateurs quantiques, de ville cybernétique.

C’est son côté ringard, sans imagination ! Pour lui, le facteur humain est plus qu’une contrainte, c’est la loi de la nature, et plus dure sera la chute si on l’ignore - comme dans une morale de fable.

Voici donc l’un des récits destinés à l’édification des générations futures qu’il nous rabâche régulièrement. Dans cette version écrite, il enjolive les détails, et la chute s’étale comme une anecdote pourrie qui rebondit mal en digressions philosophiques, je le dis juste comme une excuse pour le découpage et les titres que j’ai ajoutés..

Récit d’une Intime sommation

Deux jours avant mon départ à la retraite, je rejoue l’intégralité des jeux d’essai d’une grande suite logicielle, une intégration de progiciels et de logiciels préexistants. Les fonctions sont des grands classiques en gestion d’entreprise : comptabilité, comptabilité analytique par affaire, gestion des stocks et approvisionnements, gestion des matériels et de leur entretien, planification des activités par affaire, gestion du personnel, etc. Les logiciels sont répartis entre plusieurs ordinateurs mais c’est invisible pour les utilisateurs, tout se fait par navigateur Internet. C’est un système complexe à l’échelle d’une entreprise répartie géographiquement en plusieurs unités exerçant dans divers domaines techniques pour diverses clientèles, toutes spécialisées dans les expertises, études, prototypages, essais.

Pour simplifier, j’appellerai ce gros bidule le système Tirex, en référence au Tyrannosaurus Rex, vous verrez pourquoi. Dans la réalité, il portait un nom fait pour évoquer l’harmonie et la liberté.

La cérémonie de test final, en prélude d’une réception formelle du Tirex, se déroule sous les regards attentifs des chefs de projet des maîtres d’œuvre industriels, ceux qui ont piloté la réalisation des logiciels principaux. Je suis l’unique testeur, en tant que représentant du client désigné pour un parcours complet des jeux d’essai sans perturbation. L’enjeu est grand, le projet ayant accumulé des mois de retard. Mais cette fois-ci, après des dizaines de séances de test par les groupes d’utilisateurs, et plusieurs tentatives de recette terminale, il paraît que tout est bon.

Pourtant, l’incroyable se produit.

Après l’introduction de plusieurs rapports d’activité sur une affaire, je découvre que la somme dans le tableau de synthèse est fausse. Je répète le test et je confirme…. L’ingénieur spécialisé des industriels est appelé en urgence… Oui, c’est bien dans la communication entre les ordinateurs que quelque chose foire, entre l’enregistrement des rapports d’activité et la production du tableau de synthèse.

Le lendemain, je ne réponds pas au téléphone ni aux emails de mon chef de projet, qui veut me convoquer pour une « explication » devant les maîtres d’œuvre. Expliquer quoi, comment, pour quoi faire ? Le puissant Tirex ne sait pas faire une addition ! Je suis tétanisé, effondré sur mon bureau, quelques heures avant la fin de ma vie professionnelle, quelques heures avant de me traîner pour rendre mes badges et disparaître – sans pot de départ.

La réaction des industriels maîtres d’œuvre s’est manifestée au plus haut niveau par un message direct de Big Boss à Big Boss. J’en ai reçu une copie par mon grand chef de projet « M. X a cru trouver un bogue qu’il a qualifié de critique bloquant, et bla bla et bla bla… ».

Nos grands industriels maîtres d’œuvre trouvaient donc qu’ils étaient victimes d’une malchance tellement improbable qu’elle était réfutable par une frappe des foudres hiérarchiques. Il est exact que la séance de test réunissait plusieurs circonstances exceptionnelles. Comme testeur, j’étais peut-être la seule personne dans un rayon de milliers de kilomètres à pouvoir détecter ce type de bogue-là - dans un état de totale abnégation quelques heures avant de partir à la retraite, en régression 40 ans en arrière, comme ingénieur système débutant mais déjà expérimenté dans la détection des bogues de communication entre plusieurs ordinateurs. Pas de chance pour nos vaillants industriels convaincus de leur infaillibilité…

Plutôt que de réagir de manière enfantine dans la perspective désagréable d’un nouveau délai avant le paiement des montants associés à la livraison du Tirex, les industriels auraient plutôt du considérer qu’ils avaient bénéficié d’un quasi miracle. Car sinon, si le bogue n’avait pas été détecté ce jour-là, le ciel leur serait tombé sur la tête quelques mois ou semaines après la mise en service ! Combien de journées d’experts et de procédures aurait-il fallu alors pour découvrir le défaut et le corriger ?

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Pourquoi ce bogue élémentaire n’avait-il pas été détecté auparavant ? Les ingénieurs et techniciens qui avaient créé l’architecture matérielle interne et paramétré les relations entre les logiciels répartis entre plusieurs machines s’étaient probablement contentés de tests du bon fonctionnement apparent, « si cela ne plante pas, c’est forcément bon ». Mais par la suite, comment avait-on pu laisser passer un tel défaut monstrueux au cours de dizaines de séances de tests par des groupes d’utilisateurs de diverses unités de l'entreprise ? En réalité, le bogue avait été certainement détecté confusément, c’est-à-dire pas dans des conditions autorisant une identification formelle. En effet, dans une séance de test en groupe, plusieurs utilisateurs suivent leurs propres jeux d’essai en parallèle, et il leur devient alors difficile de repérer une erreur dans un tableau de synthèse, d’autant plus en repartant des données créées au cours de séances précédentes, et d’autant moins que les résultats erronés demeurent vraisemblables (ce qui est le cas si la cause est par exemple un décalage entre tampons à additionner). De plus, un utilisateur pilote se concentre naturellement sur les imperfections et les difficultés en anticipation de son propre usage, pas sur la mise en cause de fonctions élémentaires, et est souvent interrompu dans ses activités de testeur par des appels urgents pour la poursuite de ses activités courantes, d’où une attention intermittente.

Il m’a fallu plusieurs semaines pour parvenir à m’expliquer tout cela, la fureur du grand maître d’œuvre d’ensemble, la sidération du grand chef de projet, la possibilité de la découverte extrèmement tardive d’un bogue des profondeurs. C’était finalement par une logique naturelle que la découverte d’un défaut permanent aussi grossier ne pouvait plus être que tardive et par accident, à partir du moment où il n’avait pas été repéré par les procédures de tests de son niveau basique.

Beaucoup plus tard (après 2010), j’ai appris par d’ex collègues que le système Tirex avait finalement été mis au point, y compris la correction de « mes » bogues, et que les applications étaient en service dans l’entreprise sans incident notable.

Fatalité du bricolage numérique

Mon histoire de bogue s’arrête là, pas les conclusions qu’on devrait en tirer ! Si pour vous, tout est bien qui finit bien comme dans les histoires banales de tous ces gens qui racontent comment ils ont sauvé le monde, vous n’avez rien compris !

Le message premier est que la mise en application accélérée de progrès technologiques nous rend vulnérables, dans des proportions inconnues, à des risques inimaginables. C’est à comprendre au niveau de notre société numérisée toute entière, comprenant chaque service public, chaque entreprise, chaque citoyen.

Les nouvelles technologies peuvent reposer sur des normes élaborées par de grands universitaires, leurs réalisations peuvent avoir été élaborées et contrôlées selon des processus rigoureux, c’est mieux que rien, mais ne croyons pas que la sécurité absolue soit atteignable ailleurs que dans un univers conceptuel idéal – et stable toutes choses par ailleurs.

A l’époque de mon histoire vers 2010, les nouvelles technologies informatiques dans les domaines applicatifs se concentraient dans les plates formes de « webisation » et ce qu’on appelait le middleware, en gros les équivalents fonctionnels de serveurs d’emails entre ordinateurs. A présent, on nous parle de technologies informatiques dont on sait à peine expliquer le fonctionnement, et on envisage de nous brancher sur les générations technologiques successives de ces merveilles potentielles… Par pitié pour nous-mêmes et nos infrastructures communes, limitons leurs usages à des applications ludiques ou à des armes de prestige !

J’insiste sur un autre point : si toutes ces prétendues innovations étaient conçues au bénéfice de l’humanité, ou simplement en support de notre humanité poétique, on pourrait en accepter quelques inconvénients. Mais ce n’est pas le cas, les innovations informatiques conçues comme telles, c’est-à-dire quasi expérimentales, sont introduites à jet continu partout dans les infrastructures numériques de nos sociétés.

En plus, ces innovations servent des objectifs de court terme, en gains financier apparents ou pour une gloire publicitaire, ce qui ne devrait logiquement jamais être le cas pour des innovations, si on les prenait au sérieux.

Par exemple, le projet de système d’entreprise Tirex s’était substitué, à la suite d’intrigues internes, à un projet précédent moins imposant, dont le coeur était un groupware interne destiné au partage de l’expérience et au développement des compétences. Ce projet abandonné correspondait pourtant bien aux cultures techniques de l’entreprise. Mais dans une logique purement gestionnaire et dans le respect absolu de l’organigramme des fonctions, on avait préféré la normalisation d’applications classiques à la capitalisation des atouts spécifiques de l’entreprise, à l’innovation dans le progrès humain.

Autrement dit, les nouvelles technologies de Tirex n’ont servi qu’à instrumenter un (faux) gain de gestion courante au lieu d’ouvrir un champ nouveau dans le développement de l’entreprise. D’aimables conférenciers avaient pourtant exposé aux cadres privilégiés les concepts à la mode de la saison. A l’époque : l’urbanisation des systèmes d’information et la gouvernance (de quoi ?). C’était évident sans ce vocabulaire savant, Tirex était le produit d’un schéma directeur de centralisation informatique à l’ancienne, pas d’une conception de système d’information ouvert sur le monde et pour les gens.

Est-ce encore le point de vue gestionnaire et la vantardise technologique qui priment dans les motivations et justifications des projets informatiques que vous connaissez ? N’est-ce pas encore pire dans l’informatique grand public, en remplaçant « gestion courante » par « exploitation des masses » ?

Pour en revenir à la vulnérabilité technique de notre société numérisée, plutôt que nous ébahir devant les exploits de pirates et les promesses de faiseurs de vent ne serait-il pas urgent d’examiner en profondeur comment notre société numérisée pourrait survivre, au minimum en prolongeant ses fonctions critiques en cas de catastrophe accidentelle ?

En réalité, la société numérisée est déjà victime d’une catastrophe permanente, par défaut de conception d’ensemble et absence de maîtrise. Les petites et grosses pannes sont les manifestations ponctuelles de ce défaut sui generis.

Induss.jpg En effet, l'analogie avec des infrastructures industrielles matérielles est trompeuse. Notre société numérisée, fondée sur des systèmes informatiques en réseaux, est le résultat de créations composites réalisées (finalisées ?) chacune selon sa logique propre, selon l’état de la technologie du moment, et au moins partiellement en superposition d’autres créations plus anciennes, sans vision globale – heureusement, quelques normes (elles-mêmes évolutives) permettent les interactivités entre systèmes et avec leur périphérie. Autrement dit, l’informatique et les réseaux de notre société numérisée n’ont pas été conçus globalement comme une création durable cohérente mais sont les produits de pulsions. Notre société numérique est assimilable à un méga bricolage, en analogie à un navire en pleine mer, avec un équipage suractif qui enchaînerait séparément et simultanément les projets de modernisation de la navigation, de la propulsion, des aménagements, des manutentions, de la sécurité incendie, de la cuisine, des transmissions, etc. en utilisant une merveilleuse boîte à outils magiques toujours renouvelée, sans s’occuper du maintien de la flottabilité ni de la résistance aux vagues géantes à venir dans la prochaine zone de navigation. La croissance folle de la complexité et des incohérences techniques de notre société numérisée va provoquer son effondrement, de multiples manières que nous ne pouvons pas imaginer, vicieuses, progressives, pas du tout comme une brutale panne d’électricité temporaire ou alors seulement tout à la fin….

La réalité présente est que ce danger technique n’est absolument pas compris. Combien de défaillances grossières faudra-t-il pour cela ?

Tout récemment vers mi 2021, une longue panne des numéros d’urgence (pompiers, police, urgences médicales) a surélevé le niveau hebdomadaire des informations déprimantes sur le fonctionnement des services publics en France. Le prestataire responsable, après enquête et consultation de ses spécialistes en communication, a déclaré que l’origine était une opération de mise à jour d’un logiciel. On peut considérer cette déclaration comme une preuve supplémentaire qu’il demeure plus convenable de faire porter le poids d’une faute sur un logiciel – comme un genre de production artistique en perpétuelle amélioration et dont il faudrait bien admettre les risques de défauts provisoires - plutôt que sur les dysfonctionnements d’un système qu’à l’évidence on ne maîtrise pas en tant qu’ensemble fonctionnel. Dans la même ambiance de clip publicitaire, on nous vante l’intelligence artificielle et les réseaux en nouvelle technologie 5G, vive le progrès !

Qui peut sérieusement faire semblant de croire que ce genre de panne est un accident isolé ?

Pour une reconstruction modulaire de la société numérisée

On n’affronte pas la menace de réalités fatales en se vautrant dans les rêves, ni par des opérations mentales de suremballage conceptuel. Les méthodes les plus raffinées d’assurance du bon fonctionnement des systèmes informatiques ne garantissent rien quand elles sont appliquées sans l’intelligence du contexte, sans la compréhension du métier des utilisateurs, sans le respect des niveaux des services dus aux citoyens. Les ressources financières, la puissance des moyens, les algorithmes… ne sont rien sans les personnes capables de reconnaître les limites de leurs compétences personnelles, capables de se réaliser dans une vaste construction collaborative.

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Au début de ma carrière dans les années 70, il était naturel qu’un « ingénieur système » soit présent à chaque étape d’un développement informatique complexe en réseau d’ordinateurs, de terminaux, de capteurs et d’automates, pas seulement jusqu’à la livraison, mais au-delà, pour la maintenance. C’était indispensable parce que les composants des systèmes souffraient d’une fiabilité réduite, et l’une des tâches courantes de l’ingénieur système était le diagnostic des pannes, en particulier le discernement entre les défaillances matérielles et les défauts des logiciels. Pour résister au moins partiellement à de telles conditions de soumission à des pannes diverses et imprévisibles, la conception des architectures des systèmes de l’époque devait être modulaire selon des principes simples, et cette modularité faisait que la logique architecturale d’ensemble était comprise par chaque contributeur spécialiste. Et alors, tout naturellement, l’intégration d’un système complexe avait un sens concret, comme ouvrage à réaliser, comme processus en cours, comme support de motivation collective. C’était l’époque des informaticiens artisans, dans la tradition modernisée des constructeurs des aqueducs (et des égouts) de l’antiquité.

Blackor.jpg En comparaison, l’informaticien du temps présent serait l’équivalent d’un ouvrier spécialisé des années les plus sombres de la révolution industrielle, et peut-être pire dans certains cas, un esclave doublement enchaîné, physiquement et mentalement. Les dentellières à domicile des temps anciens conservaient leur liberté mentale durant leurs travaux et pouvaient partager leurs astuces de fabrication avec leur voisinage, ce n’est plus le cas pour le travailleur intellectuel à distance, orphelin social d'utilité provisoire constamment remis en concurrence avec ses clones. Pour faire comprendre une autre singularité de notre époque et les risques qu’elle crée, je caricature encore plus lourdement, en référence à mon histoire de bogue d’additions fausses : nos informaticiens concepteurs savent-ils encore faire une addition autrement que sur leurs smartphones, et les conditions d’exécution des procédures de test des systèmes sont-elles adaptées aux contraintes d’un environnement mental de multiples activités parallèles de messagerie, d’écoute de musique en continu, de visualisation de vidéos, d’interruptions urgentes ?

La question de la discipline de métier et de la dignité individuelle du technicien dans la société doit être posée. On ne peut pas empiler les projets informatiques comme si on voulait confier le fonctionnement numérisé de la société à des automates toujours plus puissants et plus clinquants. Sinon, toutes nos fondations sociales vont continuer de s’écrouler dans les illusions de progrès et dans le confort apparent du temps présent, n’est-ce pas déjà évident ?

Reprendre le contrôle sur la pagaille technologique que sont devenues les infrastructures de nos sociétés, ce sera une révolution – ou plutôt une reconstruction.

Ce qui me fait peur, c’est l’ignorance de l’urgence technique et de son immense potentiel de régénération de nos sociétés, y compris au plan humain et même au plan économique. En niveau d’urgence, de gravité, de développement humain, c’est équivalent à l’écologie.

Qui est en responsabilité au niveau de la société numérisée dans sa globalité ? Qui est en charge ? Qui saurait faire ?

Menaces réelles et défauts conceptuels

La menace d’effondrement de la société numérisée est, comme la menace écologique, une menace déterministe au sens où aucune régulation naturelle ne pourra tout arranger, au contraire, la certitude est que par continuité, tout sera toujours tendanciellement pire. Les manifestations de la menace peuvent être en apparence locales et aléatoires, plus ou moins maîtrisables en ampleur et durée, la croissance de la fatalité des impacts est certaine.

La menace technique sur la société numérisée n’est pas moins fatale que la menace écologique sur la société dans son ensemble, toutes choses égales par ailleurs. Elle le sera d’autant moins si nous laissons les deux fatalités, société (mal) numérisée et écologie, se combiner !

De toute façon, la reconstruction d’une société numérisée ne peut plus s’envisager indépendamment de la menace écologique. Cette reconstruction devra contribuer à réduire les effets de la menace écologique. La révolution numérique devra reprendre son sens originel, pour le développement humain.

Je risque une critique de deux façons de penser qui me semblent dangereuses en tant que leviers de décision, pour ce que j’en comprends.

Ideff.jpg D’abord, la rétro utopie, autrement dit la projection de l’avenir au conditionnel passé. Je prends comme exemple du genre un rapport d’étude intitulé « Biorégion 2050 L’ile-de-France après l’Effondrement « (Institut Momentum 2019). Je lis ce rapport comme une extrapolation à partir de l’état de l’Ile-de-France vers 1850, où Paris contenait au total environ 2 millions d’habitants, principalement des artisans et des ouvriers d’ateliers artisanaux, avec des champs maraîchers autour de la capitale et plus loin une campagne nourricière peuplée de villages agricoles. La rétro utopie consiste à décrire l’état de la société qui aurait pu émerger si, au lieu d’une révolution industrielle massive à partir de 1850, la société avait évolué tranquillement, en limitant les avancées technologiques à celles qui n’impliquent pas la multiplication des centrales d’énergie et en plafonnant les éléments de confort individuel à ceux qui n’impliquent pas une production en usines ni l’emploi massif du pétrole et de ses dérivés. Alors jamais la concentration actuelle d'une douzaine de millions d’habitants n’aurait pu se former, du fait de l’impossiblité physique de fournir l’alimentation suffisante d’une telle population : pas de pétrole, donc pas de camions ni de routes faute de bitume… C’est un roman, car on ne voit pas comment on pourrait passer de notre état présent vers un tel état rétro utopique dès 2050 à moins que l’effondrement cité en titre ne soit le produit de la déflagration d’une bombe à neutrons. Cependant, le message politique à l’intention des dirigeants actuels est évident, concernant notamment les projets susceptibles de favoriser l’urbanisation extensive, les opérations de prestige consommatrices de ressources, les usages destructeurs de la nature, et surtout en contraste à leur absence de vision d’avenir à 20 ans. Mais en quoi le procédé de rétro utopie pourrait-il provoquer une remise en cause de décisions politiques toutes fondées sur le court terme, toutes choses égales par ailleurs ou n’évoluant qu’à la marge par de lentes dérives prévisibles par simple extrapolation ? Devant la certitude d’un effondrement, la réaction raisonnable serait celle de l’autruche, en attendant que le monde change pour nous offrir un habitat rénové et sécurisé ?

Catas.jpg Ensuite et en synergie potentielle, le Grand Pari, que je reformule en libre adaptation du Pari de Pascal : la probabilité inconnue même infime d’un événement ayant des conséquences possiblement très favorables (ou très défavorables), nous devons la traduire immédiatement dans nos vies par des actes ou changements de comportement spécifiques en prévision de ces conséquences. Cette formulation intègre un principe d’ultra précaution face à la possibilité d’un événement très défavorable, même de probabilité infime. Cette formulation intègre un principe de projection ultra optimiste dans la perspective d’une issue très favorable, même de probabilité infime. Il est malheureux que des formulations analogues forgées dans l’urgence des actualités puissent être considérées en justification de grandes décisions politiques comme de nos petites décisions individuelles. En effet, l’emploi d’un langage probabiliste est ici abusif, ce sont de véritables inconnues qui sont artificiellement mises en comparaison pour énoncer un pseudo critère en vue d’actions immédiates. Comment ne pas reconnaître un ressort favori de l’argumentation fallacieuse du manipulateur, ou de la prétendue justification d’un comportement qui s’est fermé à la réflexion ? Une démarche proprement scientifique commencerait par s’intéresser aux inconnues dans l’énoncé du principe, et le levier du principe serait un sujet de controverse. Au contraire, l’application pratique du principe du Grand Pari suppose la persistance des inconnues dans leur état d’inconnues, avec un investissement dans leur élaboration sous une forme de plus en plus confuse afin de préserver quoi qu’il en coûte la validité forcée des décisions prises et le renoncement mental des assujettis… Ce Grand Pari est une grotesque singerie intellectuelle, un simulacre de raisonnement. Malgré cela, le principe du Grand Pari a fait abondamment la preuve de sa nuisance dans l’Histoire et dans l’actualité, spécialement dans les phénomènes d’épidémies psychiques. A quoi nous servent nos médias modernes et la puissance des nouvelles technologies face à de telles armes de manipulations grossières ?

Comprev.jpg Méfions-nous des arguments des prétendus faiseurs de science qui servent des pouvoirs, des idéologies, des croyances, des ambitions, des positions acquises - encore plus quand ils prétendent se justifier par des statistiques en pourcentages. Leurs méthodes de manipulation s’appuient sur des abus de langage autour du mot « scientifique » qu’ils brandissent comme un bâton de commandement. Bien entendu, des vérités scientifiques existent à un instant donné, mais elles peuvent changer dans le temps et se contredire, et même leurs fondements logiques et mathématiques ne sont pas éternels. Dès lors, l’expression journalistique « la vérité scientifique » (implicitement immuable) ne peut être qu’un oxymore, un collage grossier en vue d’induire une obligation d’adhésion aux affirmations introduites par cette expression de référence. De manière analogue, on peut parler d’une autorité de la science en référence aux vérités, méthodes, incertitudes et inconnues de la science du moment, mais on ne devrait jamais utiliser le terme « autorités scientifiques » pour des organismes ou des personnes. Quant à l’ »innovation scientifique », elle semble occuper l’antique fonction d’évocation du miracle. D'ailleurs, pourquoi vouloir associer systématiquement le miracle au domaine scientifique, comme si la science avait un pouvoir créateur de société, en plus en admettant de fait que l'on puisse fonder un programme de société sur une espérance miraculeuse ? En quoi serions-nous plus réceptifs aux miracles que nos ancêtres dans les cas où les conséquences de ces miracles nous obligent à modifier des habitudes de vie, des façons de penser – ou alors faudra-t-il d'autres miracles d'une dimension supérieure pour que les conséquences des petits miracles "de la science" soient acceptées ? Passons...

Très simplement, je préfère considérer la démarche scientifique comme une esthétique d’apprivoisement de l’inconnu. C’est une forme de discipline mentale indifférente aux certitudes, joueuse avec les incertitudes, en interaction avec l’expérience des techniques réalisatrices.

Au niveau de la pratique, l’expérience technique sous toutes ses formes doit être valorisée, pas seulement le savoir technique enregistré, l’expérience de chacun dans son humanité. Il y a tant à faire et à comprendre. Notre époque est inédite, c’est à partir de cette réalité que nous devons exploiter les héritages de nos anciens.

mardi 20 avril 2021

Logiques en miettes

Des logiques du raisonnement courant

Quand nous disons "il est dans sa logique" ou "ils sont dans leur logique" en parlant de quelqu'un ou d'un groupe constitué, c'est rarement pour sous entendre une approbation, toujours pour signifier l'existence d'une différence, au moins le sentiment d'une réserve par rapport à l'exercice d'une logique commune.

L'explicitation de cette différence est pourtant rarement réalisée. C'est d'abord qu'elle impose une discipline et un effort de discernement, car en théorie, la différence peut porter sur les prémisses, sur le déroulement du raisonnement logique, sur les conclusions. C'est aussi que, très souvent dans notre vie courante, comme dans la fantasmagorie des institutions décisionnelles, l'ensemble des prémisses justificatives n'est pas rappelé intégralement et le fil du raisonnement logique est remplacé par un saut direct aux conclusions à partir de quelques faits interprétés dans des cadres implicites ou en référence à des lois ou obligations réglementaires. Bref, le plus souvent, les prétendues conclusions sont en réalité des traductions agressives de circonstances ou de contraintes présentées comme prioritaires, même lorsque le simulacre de raisonnement logique s'appuie sur des formes élaborées (enquêtes statistiques par exemple) qui en dissimulent l'empirisme et l'arbitraire. Alors, la recherche de la différence significative peut se réduire au choix dans un ensemble d'insultes d'usage, ou plus subtilement au choix du silence comme manifestation d'un espace d'ignorance contradictoire.

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Au contraire, la "déduction" à la Sherlock Holmes peut être vue comme la discipline du discernement entre diverses logiques, appliquée aux circonstances romancées de crimes apparemment insolubles. Cette "déduction" se déploie en deux étapes concomitantes et mutuellement rétro actives. La première étape est celle d'un élargissement du champ d'enquête, où se manifestent les facultés d'analyse et d'intuition, les activités de recueils multiples et imbriqués, avec une certaine obstination. La deuxième étape consiste à révéler ou provoquer un ordonnancement d'éléments ou d'événements factuels sous une forme qui permettra de convaincre les autorités de la validité d'une conclusion accusatoire. Cette deuxième étape nécessite une acrobatie mentale de haut vol. Elle consiste en effet à traduire les effets d'une logique parasitaire perverse dans une forme observable et assimilable par l'autorité, par un exercice de médiation entre la logique d'un criminel et la logique commune de l'autorité. Sinon, ni les vrais mobiles du crime (et parfois ce crime lui-même) ni les indices accablants n'apparaîtront. Le résultat de cette médiation terminale est sans équivoque ni échappatoire, au contraire d'une révélation médiumnique - bien que les flashes mentaux de Sherlock Holmes relèvent d'une convention romanesque, ils ont leurs équivalents dans toute recherche scientifique.

Des logiques de raisonnement dans les sciences

L'Histoire et l'actualité abondent en preuves que nos sciences ne sont pas indemnes des raccourcis et simulacres de nos raisonnements de la vie courante. La vulnérabilité scientifique aux mécanismes des conclusions hâtives est amplifiée par la disponibilité d'appareils d'observation et de logiciels d'analyses numériques, dont l'utilisateur "compétent" et pressé se dispense de rappeler (et parfois même de connaître) les conditions d'usage et les modèles constitutifs. La révolution numérique a développé la "science presse-bouton". Ce serait simplement amusant voire stimulant en vue de discussions productives, si, dans le champ de notre logique commune, les abondantes productions des savants crétinisés n'étouffaient pas les ignorances naturelles des vrais scientifiques et leurs moteurs de création d'hypothèses.

L'occupation abusive du champ de la logique commune par de creux bavardages formels est d'autant plus dangereuse que ce champ de la logique commune, en tant que bien commun de notre humanité, subit une contraction accélérée.

Pourtant, avec les avancées des sciences dures (et de la mathématique) au cours des 19ème et 20ème siècles (dont la physique quantique, la cybernétique, l'informatique théorique), ce champ aurait du considérablement s'étendre non seulement à de nouveaux objets d'étude mais à leurs relations entre eux, à la genèse et à l'évolution de ces relations... Le principe de contradiction (ou du tiers exclu) devait être réinterprété plutôt que contesté, non seulement dans le cadre de la mécanique quantique, mais en considération des incompatibilités entre les théories scientifiques concurrentes, et d'ailleurs, avant cela, surtout en considération de nos logiques de choix de vie courante...

Malheureusement, dans les sciences sociales, l'élargissement s'est réduit aux apparences d'un parallèle aux sciences dures, sous les effets de la pesanteur d'affrontements historiques entre des thèses anciennes aux prétentions universelles, les unes s'intéressant aux évolutions globales des sociétés, les autres se consacrant aux profondeurs du comportement humain - les vaticinations et les pseudo déductions par inférences bayesiennes n'ont pu compenser l'absence d'un principe d'incertitude, encore moins l'absence de théories opératoires dans notre monde contemporain.

Plus que les discours prétentieux de mauvais vulgarisateurs des sciences dures, la stagnation des sciences sociales, à la remorque des transformations de la société, est certainement responsable de notre inconscience du risque existentiel associé à la réduction du champ de notre logique commune et à son remplacement par des règles de satisfaction individuelle par segment d'intérêt. Par exemple, si nos pseudo sciences sociales avaient un rapport avec notre avenir, quelqu'un quelque part s'intéresserait aux techniques de manipulations dans les réseaux sociaux en parallèle aux recherches sur le paramétrage des réseaux neuronaux. Et peut-être il se risquerait à observer plus que des similitudes, une convergence ?

De la disparition d'une logique universelle de vie

L'exode agricole, l'expansion des métropoles, la désertion puis la repopulation des unités urbaines de taille humaine en vagues successives... ont fait disparaître ou font disparaître, dans beaucoup de régions du globe, le mode de vie en communautés géographiques : la logique commune portée par une communauté physique de voisinage a disparu, remplacée par des logiques fonctionnelles (certaines étaient préexistantes mais secondaires) d'entreprises, de métiers, de statuts et de carrières, etc. Dans ces conditions, la règle du chacun pour soi dans ses propres segments d'intérêts personnels sert d'ersatz de logique commune dans les relations sociales.

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Considérons l'arborescence logique de la fonction "survivre" d'un ancien village. Tout en haut, on y trouve les fonctions basiques telles que l'alimentation en eau et en énergie, l'entretien des lieux rues et bâtis communs, les services d'intérêt général (télécommunications, police, pompiers, centres médicaux, transports...). A l'inverse, l'arborescence logique de la fonction "survivre" d'un individu moderne ne découvre ces fonctions basiques que tout au fond du déploiement de chaque racine, en servitudes communes des fonctions de tête telles que "assurer ma rémunération", "soigner mon corps", "développer mon esprit", etc. Pour l'individu moderne, le logement est le résultat d'une optimisation temporaire sous contraintes; pour un jeune citadin sorti du foyer parental, la proximité d'un club de sport à la mode et d'un vendeur de pizzas sont des atouts premiers et l'absence d'une liaison numérique à haut débit est inimaginable; la villa avec jardin - aire de jeux - potager, comme l'appartement en immeuble collectif, comme la chambre de bonne ou la cave dortoir, sont diverses enveloppes standardisées de mobile home, et un achat immobilier patrimonial en prévision de la retraite ne peut que mimer un retour au pays. Au contraire, dans le village à l'ancienne, l'habitation de chacun faisait partie de sa personnalité profonde. Dans les pays "riches", sauf exception locale, ce village à l'ancienne en tant qu'entité vivante est mort ou a muté en décor publicitaire de l'économie. Les communs y sont devenus des produits, l'intérêt général une contrainte marginale.

Du besoin d'une logique universelle d'existence

Et à présent, nous prétendons opérer une grande transition économique et sociale pour "sauver la planète, notre maison commune" ?

Commençons par déplacer l'analogie à une maison commune familiale cocon - antinomique de toute conception de solidarité étendue - vers une analogie à "notre village commun" et retrouvons sa logique de fonctions essentielles universelles, afin de pouvoir nous adapter aux réalités du monde tel qu'il va.

D'une maison isolée dévorée par les flammes, les habitants s'extraient, constatent l'inévitable, sauvent quelques biens et s'éloignent. Par la suite, à moins d'une obligation pesante ou d'une motivation extraordinaire à reconstruire, tout ce qui peut diviser les victimes provoquera la dispersion et l'oubli, éventuellement après quelques épisodes conflictuels. Au contraire, un village attaqué par un incendie violent s'organise naturellement en tant qu'entité vivante, au début seulement par le dévouement de ses habitants formés à combattre le feu puis par tous les autres pour résister à l'avancée des flammes entre les maisons, préserver les ressources vitales, arranger le relogement provisoire des sinistrés, ensuite réviser la répartition des tâches d'intérêt commun.

Dans notre monde planétaire de plus en plus instable, en l'absence d'un socle de valeurs reconnues par toute l'humanité, ce serait une sottise de se couper d'un socle mental de civilisation, qui fut commun à toute l'humanité jusqu'au troisième quart du 20ème siècle, et nourrit toujours les logiques de vie d'une grande partie de l'espèce. En contre exemple, notre monde moderne, si riche en logiques dispersées et contradictoires, nous apporte chaque jour la preuve que la certitude d'une fatalité commune planétaire n'est pas en capacité d'induire une communauté minimale des destins, et induit au contraire le refus de l'organiser - les mouvements ponctuels de "solidarité" à la suite d'une catastrophe locale, les organes permanents de secours ne sont pas à la mesure des événements à venir, ni de leur multiplicité ni de leur ampleur.

Dans notre univers mental contemporain, l'extraordinaire floraison des mécaniques managériales et financières a produit un effet de trou noir sur les anciennes logiques fondatrices au lieu de les servir, comme d'autres inventions mentales à vocation sectaire durant leur première phase d'expansion bavarde. Au contraire, une logique universelle ne peut être qu'une logique fruste, sans valeur ni mot d'ordre, à partir d'un germe mental d'existence humaine en vies solidaires (mais pas d'un monde sans conflit, nature oblige).

Nota. Il n'y a pas d'erreur de sujet dans ce billet : il s'agit bien de la logique commune au sens premier, pas de "culture", ni de "racines, ni d'"appartenance", ni d'aucun concept distinctif. Cette logique contient les cadres d'essentialités "naturelles" (hérités des siècles villageois) et quelques règles du jeu de notre raison (épurées après quelques décennies "scientifiques"). Elle s'exerce dans nos déductions, nos interprétations du monde et des autres, la construction de nos projets. Faut-il des mots savants pour quelque chose d'aussi simple ?

Note technique. La décomposition arborescente en éléments physiques d'un objet fabriqué, système ou être vivant, ou la décomposition d'une fonction de cet objet système être au travers des noeuds logiques ET et OU représentant les modes fondamentaux de collaboration, ne peut rendre qu'une ombre idéalisée de la réalité, sauf dans des cas très simplifiés, par exemple celui d'un objet assimilable à une fonction unique (un tournevis, un couvert de table, et encore...). En effet, à l'intérieur des êtres vivants et de la plupart des créations fabriquées en résultat d'une conception élaborée, plusieurs éléments constitutifs concourent normalement à une sous fonction donnée, soit de manière permanente dans un partage complémentaire, soit de manière temporaire notamment en cas de défaillance d'un autre élément ou dans un environnement particulier ou au cours d'une transition entre phases de vie... Cependant, si on sait développer toutes les arborescences descriptives de chaque possibilité observable de fonctionnement de l'objet système être dans sa relation à l'environnement et selon ses arrangements internes y compris ses modes dégradés, puis inventer une logique de transition entre ses états observables à défaut d'en comprendre les mécanismes, on obtient un modèle des apparences, singulièrement celles qu'un observateur a pu distinguer, énumérer, décrire, sans pouvoir affirmer que ce modèle est complet. La logique du vivant n'est décidément pas binaire. Une modélisation par une logique binaire "pure" ne peut ni représenter (encore moins prédire) la réalité interne d'un objet système être, notamment du fait des limites de représentation des collaborations internes en fonction de facteurs de natures diverses (historique, environnement, accident interne). Alors, si on tient absolument à se représenter, en vue d'en prendre la maîtrise, l'arrangement des fonctions et des composants à l'intérieur et entre objets systèmes êtres, tel qu'il se réalise simplement dans l'exercice naturel d'une solidarité dans la vraie vie, on conçoit la nécessité d'un aplatissement et d'une simplification préalables - autrement dit, un exercice d'autorité brutale typique des grandes fictions sociales et de leurs tentatives de mise en oeuvre. C'est en partie par les effets d'un délire esthético mathématique que furent créées les fondations de la mécanique quantique, première grande théorie scientifique d'évasion des cadres binaires. Par quel délire pourrait-on libérer les sciences sociales ?

mardi 22 décembre 2020

Rapport de campagne

Ce billet d'actualité est rédigé par un citadin d'une métropole de l'Ouest européen, dans l'espoir que notre "crise Covid" provoque la prise de conscience de nouvelles vulnérabilités de nos sociétés du fait des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications.

Et que s'ouvrent les projets en préparation de crises plus graves.

Une guerre dans la guerre

Dans mon petit pays d'Europe de l'Ouest, un vocabulaire guerrier fut employé au début de la reconnaissance de l'épidémie.

S’il s'agit bien d'une guerre, les victimes ne sont pas seulement les individus gravement atteints par le virus. Quelques fondations techniques et mentales de nos sociétés sont endommagées. Car nos sociétés modernes se sont montrées vulnérables aux manipulations de l'information portées par les nouvelles technologies des communications. La généralisation et l'accélération des mécanismes de propagation d'infox et de leurs processus génératifs ont produit, en quelques semaines, une infection massive de la pensée commune, une forme de régression maladive des esprits bien connue dans l'histoire humaine.

Une possible victoire technique à venir sur le virus ne devra rien à nos capacités d'intelligence collective sur Internet, et très peu aux capacités d'adaptation de nos organisations, privées comme étatiques. A la fin de l'année 2020, après plus de 6 mois de « guerre » à l'initiative des virus en assauts successifs, les directives de précaution préventive qui nous sont imposées seraient-elles différentes à l’hôpital dans la salle d'attente des urgences pendant une épidémie de peste ?

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Nos moyens modernes de communication et de partage à distance, nos chaînes d'informations continues, nos médias interactifs... nous aurions gagné à les remplacer, pour l'occasion, par le télégraphe-téléphone-fax des temps anciens, si nous avions voulu préserver la possibilité d'une construction réfléchie de tactiques différenciées contre l'épidémie. Au contraire, les communications à la vitesse de la lumière, les diffusions en canaux multiples à large bande, ont servi l'amplification des terreurs et de faux espoirs, ont entretenu l'absence de socle décisionnel, jusqu'à la tétanie de la raison des penseurs professionnels et des décideurs.

En parallèle, pour réduire les contacts entre les personnes, nos sociétés ont favorisé le développement du travail à distance par Internet. Au passage, cette modernité de façade a révélé sa pesante parenté avec le modèle historique de l'artisanat à domicile rémunéré à la tâche. Il suffisait pourtant de recueillir l'expérience de dizaines d'années de pratique du télétravail, en réalité d'externalisation d'activités et d'exploitation d'une sous-traitance esclave, par des groupes industriels exemplaires.

Et enfin, à l'expérience répétée d’épuisantes réunions à distance par Internet, peut-être on comprendra que l'absence de discipline adaptée de conduite des réunions, dans les cas où l'on veut s'accorder sur des décisions importantes, est bien plus handicapante que les limites techniques des débits et des surfaces d'écrans, bien plus pesante que les pannes de matériels ou leur mauvaise utilisation par les participants. Les limites techniques à distance rendent encore plus évidentes nos failles dans la reconnaissance et l'exploitation des compétences humaines, dans les méthodes de recherche de consensus. Ce n’est pas l’absence du contact physique qui est en soi la cause du défaut, mais le décalage entre une civilisation fondée sur des techniques « modernes » et des pratiques sociales historiques normalisant la soumission et la manipulation.

Après ces expériences, qui prétendra encore nous faire rêver à une coopération fraternelle entre les pays du monde grâce aux technologies de l'information et des télécommunications ?

Après ces expériences, qui osera encore nous vanter les bienfaits du travail à distance dans toutes les activités de "services", y compris celles que l'on force à se vendre comme tels ?

Après ces expériences, qui pourra encore rêver d'une "démocratie Internet" par la seule vertu des techniques informatiques ?

Nous disposons des technologies performantes des communications à la pointe du Progrès, mais la mise en relation des machines et des objets ne concerne pour le moment que nos cerveaux reptiliens et nos appétits primaires. Dans la guerre contre le virus, le caractère asocial de nos médias "modernes" les a révélés comme facteurs de régression sociale.

L'analogie militaire de notre actuelle stratégie anti-Covid traduit son obsolescence. C’est la stratégie du repli dans la ville fortifiée, avec au centre le donjon des puissants et de leurs serviteurs, hérissé de hauts parleurs prétentieux.

L'Histoire nous dit la lenteur et les douleurs des rebonds de conscience collective après de telles régressions. Nos sociétés n'ont plus la liberté du rythme de cette Histoire-là en vue d’une possible Renaissance. La puissance d’égarement et de destruction par la vivacité et l'ubiquité des vecteurs modernes de la trahison impose un changement de stratégie.

Une trahison high tech

Un processus de manipulation à grande échelle commence par l’inoculation d’un credo initial dans un noyau cible de population. Il progresse ensuite par un labeur d’imprégnation des esprits d’une population plus vaste agissant comme répétiteur, plus tard comme témoin d’appropriation des vérités inoculées. Enfin, la manipulation réussit par les éclats de sa puissance révélée dans le monde physique réel.

Dans cette description brute d’un processus, le parallélisme technique est total entre la propagation d’une vérité scientifique et, par exemple, celui d’une conspiration criminelle. Ce qui distingue l’esprit scientifique, ce sont deux exigences à surmonter avant qu’une affirmation soit prise collectivement comme une vérité : l’exigence d’une filiation prouvable à partir de vérités reconnues et l’exigence du doute de la preuve. La démarche scientifique se caractérise donc par une restriction du champ des vérités possibles à celles qui sont prouvables et par la lenteur du processus d’accréditation du fait d’une relative lourdeur dans l’acquisition des convictions par des esprits réfléchis, d’autant plus lorsqu’une vérité nouvelle exige l’abandon de convictions antérieures ou la redéfinition de leur champ de validité.

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Avec les nouvelles technologies, tout est à reconsidérer car les étapes de propagation ci-dessus décrites sont obsolètes. Une manipulation portée par les vecteurs high tech exécute les étapes de sa propagation en quasi simultanéité, en parallèle via plusieurs canaux de diffusion et d’échanges. Les canaux « interactifs », notamment via les sondages d’opinion en temps réel au profit d’organismes manipulateurs, sont le bouillon de culture des processus d'auto régénération et d’agglutination d’éléments constamment adaptés à l’élargissement et l’entretien de l’infection des populations ciblées. Très vite, on obtient un effet de tétanie de la raison commune, soumise à des influences saturantes à haute fréquence. Alors, la raison « scientifique », au travers des canaux high tech, devient une discipline spirituelle de résistance, un héroïsme de l’ombre - même ses procédures d’accréditation des vérités peuvent être infectées !

Dans un tel univers mental noyé dans un poison high tech, en régression vers les origines des sociétés humaines, le réel n'existe plus ni comme sujet d'étude ni comme hypothèse. Le futur est contenu dans la terreur de l’instant présent, seule la magie ou un miracle représentent l’espoir (de quoi ?).

Résumons comment, dans notre « crise Covid », les croyances magiques se sont avérées parfaitement compatibles avec la société « moderne », y compris parmi nos « grands dirigeants », y compris parmi nos « autorités scientifiques ».

Dès les premières semaines d’apparition officielle de l’épidémie, nous (le grand public) avons été soumis sans modération à diverses influences brutes, de la publicité mensongère à la désinformation, au travers de plusieurs canaux, par les opérations de mercenaires disposant de ressources considérables fournies par des groupes industriels. Leurs obligés, jusqu'aux plus hauts niveaux des institutions, se sont précipités pour accréditer publiquement les messages d'influence, d'autant plus activement lorsque ces messages contribuaient à excuser leur incurie ou leur incompétence. A la suite, les messages ont été synthétisés en vidéos et graphiques de terreur débilitante, en parallèle d'affirmations de croyance au Salut par La Recherche Scientifique, répétés et commentés à haute fréquence, au point de représenter la normalité, au point de bloquer toute possibilité de prise de recul dans les processus de décision de nos dirigeants, les plus honnêtes comme les plus corrompus, abandonnant des espaces à la jouissance de dominateurs pathologiques.

Encore à ce jour de fin décembre 2020, nulle part (sauf exceptions), la crise ne semble affrontée par les armes de la raison collective et de l'expérimentation construite, comme si des siècles d'élaboration des sciences et des techniques étaient subitement oubliés, comme si des siècles d'expérimentation des organisations se résumaient aux diverses formes brutes du pouvoir et aux arguments d’autorité fondés sur la terreur et la culpabilisation. Partout (sauf exceptions), les décisions gouvernementales mimétiques prétendent se justifier par des séries de données chiffrées recueillies sans définition précise des mesures, sans investissement dans la recherche d'indicateurs d'anticipation, sans évaluation d’efficacité des actes réalisés par les divers acteurs de la santé publique, dans la frénésie des vaticinations de néo devins équipés de pseudo modèles à base de paramètres non observables - autrement dit des boîtes noires qui auraient été dénoncées en temps normal comme des tromperies obscènes. Seuls les intérêts particuliers de quelques soutiens isolés proches du pouvoir peuvent amener à la modération des directives, à défaut de sagesse.

Quels niveaux de décomposition de nos sociétés aurions-nous vécus si une épidémie de plus grande ampleur avait tué sur place partout chaque semestre 5 pourcents des populations, implacablement au hasard des contaminations ?

A quels niveaux d’inconfort ou de déchéance physique personnelle serions-nous tombés sans nos machines - esclaves durant les périodes confinées de cette "crise Covid" - les fidèles machines qui nous assurent les services élémentaires de nos vies ordinaires, eau, gaz, électricité, boutons ou claviers de commandes pour le reste ?

Quel degré d’uniformité dans l’abrutissement général aurions-nous atteint sans l’acharnement de quelques professionnels à trouver et publier des traitements immédiatement efficaces pour réduire la gravité de la maladie, à promouvoir des mesures de la propagation des virus dans l’environnement afin de prévoir le sens des évolutions du nombre de malades, malgré les multiples formes d’agression par des propagandistes d’une rigueur « scientifique » de laboratoire hors sol ?

A ce jour de fin d’année 2020, les rabâcheurs de croyances miraculeuses et de directives terrorisantes se rendent-ils compte de la profondeur de niaiserie qu’ils imposent à leur public lorsqu’ils présentent « le » vaccin comme un miracle de la Science, comme un substitut de potion magique ou de sacrement, selon le degré de solennité invoquée ? L’enthousiasme dispenserait-il à présent nos autorités de publier enfin des informations correctes, après la période qui a réduit l’information courante du public à quelques pauvres séries de données, laissant se développer les interprétations hystériques ?

Résumons nos faiblesses spécifiques face à la trahison high tech :

  • la vulnérabilité grossière de nos sociétés (y compris les processus de recherche des vérités scientifiques) aux influences régressives transportées par les réseaux de communication et de diffusion,
  • l’absence de discipline adaptée à la prise de décision collective, à l’exploitation des retours d’expérience et des compétences,
  • le défaut de reconnaissance et de culture de l’esprit scientifique comme élément de garantie du bien commun dans la vie quotidienne de nos sociétés, a minima comme discipline d’abnégation personnelle, de préservation de la raison et de l’imagination de sang froid, et l'organisation d'une collaboration compétitive

Autrement dit : la croissance du décalage entre notre modernité technique et l’antiquité de nos pratiques sociales augmente le risque d’effondrement de nos sociétés à la suite d’un déséquilibre. C’était déjà évident pendant la « Révolution industrielle », c’est encore plus évident avec la « Révolution numérique ». Les nouvelles frontières de l’humanité ne sont plus dans les rêves et les ailleurs, elles sont à l’intérieur de notre humanité telle qu’elle est.

Pour une nouvelle stratégie

La stratégie du repli en forteresse ne peut être victorieuse que par l’abandon de l’agresseur, par exemple s’il est attaqué par une armée de secours ou pour une autre cause d’affaiblissement de ses troupes. Sans l’espoir d’une intervention favorable par un facteur externe, l’efficacité de la stratégie de la forteresse ne peut être que temporaire. Un assiégeant malin trouvera une faille ou se la créera. Par ailleurs, la forteresse est soumise aux dangers d’effondrement interne, par les effets de l’ennui et de la disette mentale et physique, par exemple par implosion de la population en casemates réparties selon divers critères d’affinité ou projets de substitution.

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Pour le moment, dans la « crise Covid » à l’échelle de mon petit pays, l’impression s’impose de la répétition d’une défaite historique, celle de 39-40, puis d’un sauvetage éventuel par des interventions extérieures. La similarité des causes du désastre initial est frappante, dont la présomption de supériorité derrière une fortification infranchissable, l’incapacité à coordonner les unités, l’infatuation théorique de dirigeants. En face, la force envahissante reposait sur une détermination mentale absolue, une organisation logistique planifiée pour le mouvement, la mise en compétition entre unités mobiles en éclaireurs puis en pénétration.

Quels auraient été les équivalents d’une stratégie victorieuse ? De toute façon, la condition principale de sa mise en œuvre a manqué et manque encore : l’acceptation de la guerre et la détermination mentale à vaincre. Tout à l’opposé, depuis le début de notre « guerre », nos mots d’ordre officiels sont « sauver les vies » et « quoi qu’il en coûte » ! L’analogie historique nous suggère que les victimes de cette nouvelle drôle de guerre seront nos valeurs communes, déjà autrement bien atteintes, avec autant de morts et de mutilés que si nous avions vraiment fait la guerre. Combien de temps pourrons-nous encore nourrir nos rêves de bonheur universel sans douleur, dissimuler l'absence de finalité partagée dans la société, l'absence d'obligation de citoyenneté active, pour la prolongation sous hypnose de nos activités économiques et la succession de projets baudruches ?

Combien de temps notre société se donnera-t-elle le luxe de former nos « élites » aux théories à la mode, aux algorithmes et mimiques pour automates précieux, en laissant dans le décor l’esprit scientifique, ses disciplines d’abnégation et d’imagination sous contrôle, ses tâtonnements dans la recherche des vérités ? La pauvreté de la culture scientifique en comparaison de la culture brillante nous cantonne dans la mentalité de cigales qui auraient mis leur poésie au service de leur voracité. Notre époque moderne est trompeuse : la quasi certitude du quotidien n’autorise pas à négliger les incertitudes du futur proche, pourtant déjà bien apparentes, d’autant que personne ne peut prétendre maîtriser l’évolution des processus nécessaires à la vie humaine sur Terre.

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Concernant la guerre contre les attaques par infection mentale massive propagées par les canaux des nouvelles technologies, nos forteresses législatives et juridiques, nos forteresses de pratiques démocratiques, sont encore plus illusoires que des forteresses physiques. Dans la phase généralisante de telles attaques, "ouvrir le débat" sur des chaînes d’information sans volonté de démasquer les intérêts dans les points de vue exprimés, sans discipline éthique de vérité pour relever les affirmations sans preuve, les incohérences logiques, les généralisations abusives, les allusions ultra amplificatrices, c'est comme de forcer l’ouverture des portes de nos maisons à des malfaiteurs ! Et, dans le cadre de nos "états de droit", d’hypothétiques actions juridiques ou administratives ne pourraient traiter qu'a posteriori les effets constatés (par qui ?) d'atteinte aux institutions, au droit ou aux personnes, en admettant que l'on puisse traduire en justice (de quel pays ?) les assaillants et leurs commanditaires. Même nos professionnels les plus déterminés sont dépassés par avance : les révélations de scandales, des années après les faits, par des journalistes d'investigation, peuvent initier quelques procès, mais rien pour la neutralisation d’attaques propagées à la vitesse des réseaux et des ordinateurs !

Insistons : c'est le vocabulaire guerrier qui convient. Les attaques d’intoxication massive via les réseaux de diffusion et de communication sont à considérer comme des formes modernes d'agressions armées contre la société civile, dans le but d'égarer nos capacités mentales pour nous réduire à des pensées réflexes conditionnées.

A priori et sous réserve de recueils d’expérience, la menace d’une attaque d’intoxication massive pourrait s’évaluer selon :

  • le potentiel d’infox (accroche sensationnelle, affirmations en simple répercussion ou citation, annexes d’ »accréditation » purement formelles, généralisations abusives, citations hors contexte, tronquées ou déformées, etc.)
  • le niveau de simultanéité et de similitude d’apparition d’infox similaires potentielles dans les canaux de diffusion et d’échanges, le niveau de possibilité d’un plan organisé
  • le noyau initial de population cible (explicitement visée ou non, du fait de la nature et du contenu des infox), le niveau d’ »autorité morale » de cette population cible sur la population générale, la capacité de cette cible à servir de relais des infox
  • la perméabilité de la population cible aux nouveaux messages ou informations d’intoxication
  • la population potentiellement atteinte par généralisation de l’attaque
  • l’effet potentiel sur cette population, sur sa capacité à réfléchir, à se prendre en charge
  • l’effet potentiel, direct ou par rebond, sur les fonctions vitales de la société, sur des actions en cours d’intérêt général, sur des projets d’intérêt général

NB. Une intoxication peut se développer à partir d’une information vraie – mais pas seulement. Durant les deux « crises Covid », il était superflu d’observer les réseaux sociaux pour détecter les infox en cours. Il suffisait d’un regard sur les titres des articles de journaux sur le Web, sur les titres des chaînes d’information en continu, et par contraste, sur les bandeaux « à charge » censés résumer en temps réel les idées à retenir pendant les quelques interviews de personnalités scientifiques de caractère. La confusion entretenue par certains « journalistes », encore 10 mois après le début de l’épidémie, entre les « cas » positifs à un test, les malades, les personnes contaminantes, est une forme d’infox en prélude et résonance d’autres infox.

Face à de telles attaques, en connexion aux réseaux de communication dont nous croyons être les maîtres, nous ne sommes plus seulement des cibles de propagandes, nous devenons des sujets, puis des victimes inconscientes ou passivées.

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Contre des agressions organisées à visée débilitante de la population, on ne devrait pas attendre qu'elles atteignent un niveau d’intensité saturante sur plusieurs canaux. Si la seule réaction possible est la coupure des réseaux après détection d’une menace grave par un organe institutionnel ou une « autorité » quelconque, on ne fait qu’appliquer dans l’univers virtuel la stratégie de la forteresse.

Au contraire, une stratégie guerrière devrait s’appuyer sur une veille permanente réalisée par des groupes de personnes ordinaires sélectionnées au hasard pour une durée définie, afin d’assurer une variété des expériences de la vie que l’on mettrait à contribution et afin d’éviter les cloisonnements et dérives des collectifs professionnels ou institutionnels – en application directe d’une stratégie d’unités mobiles capables d’explorations multidimensionnelles en profondeur. Les structures de veille échangeraient leurs observations et diffuseraient leurs alertes sur des sites ad hoc - pour enquête approfondie, exploitation, rediffusion par les canaux les plus appropriés… L’outillage informatique de ces structures est entièrement à construire…

D’autres types de contre-mesures sont imaginables, nous suggérons ici un choix conforme aux traditions démocratiques.

mercredi 30 septembre 2020

Tous les fils ne sont pas des liens

Ce billet reprend une partie des billets antérieurs en un seul tenant, toujours en langage simple pour actions tout de suite ou presque. Vous êtes prévenu.

Le moteur des civilisations

D'un point de vue pratique, le moteur d'une civilisation humaine en tant qu’objet technique, celui qui fournit la puissance pour la faire évoluer, ce sont les relations des gens entre eux.

Serait-il trop banal de s'intéresser à ce moteur-là en tant que tel, plutôt qu'à ses productions matérielles, techniques et morales ? Au contraire, dans l'évolution accélérée de notre monde moderne, ne serait-il pas urgent de savoir activer ce moteur du pouvoir humain ? Et pour cela, ne faut-il pas cesser de confondre ce moteur relationnel avec ses canaux d'action les plus apparents : des liens sociaux institutionnalisés supposés universels ?

Des civilisations passées, nous retrouvons des témoins de leurs productions : objets, habitations, fondations urbaines, espaces organisés, murailles, champs cultivés, monuments, décors, et même des écrits pour quelques civilisations relativement récentes. De plus, nous pouvons reconstituer les cadres de ces civilisations disparues ou dissoutes, à savoir les environnements et contraintes physiques dans lesquelles elles ont vécu. Ces éléments pris ensemble permettent d'imaginer les modes de vie de ces civilisations, leurs univers mentaux, leurs institutions et nous suggèrent leurs évolutions historiques selon nos propres critères et nos propres constructions sociales actuelles. Mais la banalité profonde des relations entre les gens, de leur naissance à leur disparition, nous échappe à jamais. Pour les civilisations sans trace d'écriture, les indices matériels des liens sociaux et en particulier des canaux de transmission entre les générations ou entre égaux, quand ils existent, provoquent l'assimilation à nos pratiques présentes. Ce qui est nouveau, notamment grâce aux perfectionnements techniques récents des recherches archéologiques, c'est la découverte d'un nombre et d'une variété de civilisations passées, géographiquement étendues ou locales, très loin dans les temps anciens, y compris dans des régions a priori défavorisées par l'environnement naturel. En parallèle, l'observation directe des civilisations actuelles fait constater, dans le domaine des relations entre les personnes, la variété des mentalités et des comportements, des valeurs communes de référence, des cadres de pensée et de rêve, la relativité de l'exceptionnel par rapport au banal... Face à ces découvertes de divers univers relationnels dans les civilisations, comment ne pas percevoir l'évidence que le moteur d'une civilisation humaine vivante n'est pas identifiable aux liens sociaux que ce moteur active, encore moins aux productions de ces liens ?

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Comment caractériser le moteur relationnel des civilisations humaines par rapport à celui des sociétés non humaines - par exemple celui des abeilles ? En première hypothèse, dans notre nécessité présente d'évolutions sociales de grande ampleur, la spécificité du moteur humain n'est-elle pas à trouver dans la capacité à créer de nouveaux liens sociaux, plus simplement dans la capacité à mettre en sommeil ou réactiver certains liens sociaux préexistants ? Serait-il aventureux d'expliquer l'effondrement de civilisations historiques, plus ou moins confrontées à de nouvelles contraintes externes, par la spécialisation étroite de leurs moteurs relationnels dans l'alimentation de certains liens sociaux privilégiés ? La suralimentation d'un lien social peut-elle éviter le renforcement caricatural de ses fonctions instrumentales comme dans un langage d'insectes ? La relative soudaineté historique de l'effondrement d'anciennes civilisations humaines ne ferait-elle que révéler des incapacités d'évolution acquises de longue date par sclérose autonome, avant les changements d'environnement, avant l'arrivée des envahisseurs, avant l’obsolescence des institutions ?

Dans nos sociétés modernes en évolution forcée par les transformations industrielles en quelques dizaines d'années - puissance matérielle d'abord, puissance informationnelle ensuite - comment nier que notre moteur relationnel subit une surcharge permanente ? Serait-il exagéré de décrire son état présent par analogie avec un moteur générateur d'énergie électrique, en déséquilibre critique, noyé d'étincelles jusqu’à la perte de certains composants régulateurs, assurant à grande peine les exigences des nouveaux "liens sociaux" issus de la révolution numérique ?

D'où la question du jour : comment opérer une adaptation de ce moteur "aux défis du monde moderne" (et ses périls mortels), plutôt que de rechercher une réparation intégrale ou de rêver à une recréation miraculeuse à partir de rien ou de mirages théoriques ?

La possibilité de reconstitution du moteur dans un état historique est illusoire, notre monde des humains a changé en profondeur au cours de la révolution industrielle.

La possibilité d'inventer un moteur à neuf est illusoire, notre humanité n'a pas changé.

La révolution numérique comme suite de la révolution industrielle

L'étouffement présent du moteur relationnel de nos civilisations « modernes », on peut l'attribuer à la continuité entre la révolution industrielle et la révolution numérique : standardisation, massification, transfert d'activités humaines physiques et intellectuelles à des machines et à des logiciels, création progressive d'une "humanité augmentée" par les nouveaux pouvoirs mis à la disposition de chacun.

En abusant à peine : notre sentiment de libération personnelle et la mise à notre disposition de machines – esclaves se traduisent automatiquement en obsession de la libération et de la puissance : ivresse du pouvoir et simultanément angoisse du vide, aspiration à une forme d'esclavage dans le refuge de la pensée magique. Voir par exemple l’imposition de la « manie du héros » dans tous les domaines, la dénaturation des valeurs en mots d'ordre, l'idéalisation de la "machine intelligente", les glorifications de records absurdes et de comportements déviants, la banalisation du charlatanisme dans les sciences et les technologies… non pas en contraste mais en complète cohérence avec notre dépendance continuelle à notre smartphone.

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La révolution numérique est une suite naturelle de la révolution industrielle. C’est la révolution industrielle qui a créé les bases matérielles et les bases mentales de la révolution numérique. Les belles idées des débuts d'Internet, les idées de partage du savoir et de l'expérience entre individus égaux motivés par le progrès humain, ont été volatilisées au cours d'un processus d'industrialisation classique par centralisation des moyens, réduction de la concurrence, extension maximale de la cible des utilisateurs, création et entretien de l’addiction, maîtrise des normalisations et des rythmes d’avancées technologiques, etc.

Internet est devenu un super media dont dépendent tous les autres. En germe dès l'origine de son industrialisation, la mutation monstrueuse d'Internet en centrale d'observation instantanée des comportements et des pensées exprimées s'est opérée, alimentant en arrière plan toutes les possibilités organisées d'influence et de propagande. Dans les résultats de requêtes traitées par les moteurs universels de recherche, les encombrements de publicités personnalisées et parfois quelques lignes de réponses visiblement raccordées ne font que manifester à la marge les effets d’une boucle de rétroaction géante dont chacun de nous fait partie en tant qu’acteur et en tant que cible.

La première vague de la révolution industrielle, à partir de l'exploitation sans frein du charbon puis du pétrole et du gaz naturels, est "responsable" du pillage de la planète.

En prolongation de cette révolution industrielle, la révolution numérique est "responsable" de la surcharge du moteur relationnel de nos civilisations, de la mise hors circuit de certains liens sociaux au profit de liens portés par les nouvelles technologies – une autre forme de pillage, celui de nous-mêmes.

Que les nouveaux liens sociaux portés par les nouvelles technologies, produisent diverses formes d'asservissement mental individuel, ne serait-ce que par les effets du bombardement informationnel, et véhiculent principalement des "informations" diffusées par des médias influencés ou des individus manipulés, c'est une évidence par construction. Si nous ne faisons pas l'effort de prendre du recul pour tenter d’organiser notre propre réflexion, nous nous soumettons de fait à un processus de dressage (analogue à celui d'un centre de "redressement", version industrialisée du "village global" et des "réseaux sociaux" génériques). Les bons conseils des spécialistes du bien être par divers procédés de resourcement peuvent suffire à propager la nécessité d’une prise de recul, ils ne peuvent provoquer la réanimation d’une capacité de réflexion productive au-delà des réactions impulsives individuelles, en effet, les liens sociaux nécessaires à la réflexion productive ont disparu ou ont été dévoyés dans des cadres d’échanges instantanés. Est-ce un paradoxe que la pensée des humains de plus en plus "éduqués" se radicalise, que les records absurdes, les exploits monstrueux, les perspectives technologiques miraculeuses, se substituent aux représentations traditionnelles du progrès de l'humanité ?

La révolution numérique a caricaturé et encadré informatiquement ou carrément liquéfié les liens sociaux ordinaires dont l’entretien et les productions s’étalent dans la durée par des interactions temporaires entre des personnes choisies, avec des périodes intermédiaires de mûrissement dans le vécu – les liens qui font la capacité humaine à faire évoluer la société depuis les âges les plus anciens.

La révolution industrielle avait largement préparé cette évolution, par l'introduction des comptages ineptes dans les disciplines du développement humain, en préalable à la marchandisation des diplômes. Progressivement au cours de la révolution industrielle, s’est opérée l'industrialisation de l'acquisition massive des "connaissances" en substitution des compétences (dont l'acquisition progressive nécessite des expériences individuelles, des interactions dans la durée et dans la réalité de la vie), sauf dans quelques métiers « à vocation » sous protection d’institutions conservatrices. C'est ainsi que chaque pays met sa fierté dans la proportion des diplômés de l'Université dans sa population, sans s’alarmer que les "connaissances" si généreusement partagées et si précisément vérifiées ne peuvent en elles-mêmes nulle part être mises en oeuvre. Nos méthodes éducatives modernes persistent à ignorer la distinction entre ce qui relève de l'élevage initial (au sens noble) de l'enfance, ce qui relève des préalables à l’entrée dans un ensemble de métiers socialement reconnus, ce qui relève de l'entraînement et plus tard du perfectionnement dans un métier, enfin ce qui relève de la recherche et de l'ultime. Le modèle humaniste des Lumières a muté en modèle industriel de mandarinat de masse au nom d'un idéal de super humanité qui conduit à mépriser les sciences et techniques fondamentales réputées peu évolutives (par exemple la science des organisations, les techniques de la logistique, les techniques agricoles). Est-ce un paradoxe que nos sociétés "modernes" les plus évoluées, confites de savoirs et matériellement suréquipées, soient incapables de s'organiser face à des menaces nouvelles, au point de ne pas discerner les causes de leurs déficiences, mais que l'on y trouve des vedettes savantes sur tous les sujets ?

Choix de conception, grandes conséquences

Avec la révolution numérique, un cran supplémentaire de "modernité" est franchi par l'assimilation entre "connaissance" et "information", et de là automatiquement, par l'assimilation entre l'information elle-même et l’information de son existence. Ce cran supplémentaire est franchi par la combinaison entre un choix fondamental de conception du Web et l’usage des moteurs universels de recherche.

Le Web repose tout entier sur la capacité de créer, à l’intérieur des contenus, des « liens URL » vers d’autres contenus. Chaque « lien URL » est un pointeur unidirectionnel vers une information supposée immuable en contenu et en localisation, comme les renvois aux numéros de pages dans les index en fin d’ouvrage. On devrait plutôt dire « fil URL », mais l’usage a consacré le terme « lien URL »…. Quel que soit le bon terme, l’irréalité de l’hypothèse d’immuabilité des contenus et de leurs localisations aurait du restreindre l’usage du Web à des fonctions d’archivage à vocation de simple conservation comme dans un musée de collections figées. En effet, dans le monde vivant, des pages des ouvrages sont souvent réécrites, des pages disparaissent, les chapitres sont réorganisés, les ouvrages eux-mêmes se cannibalisent entre eux, s’éclatent et se multiplient…

En pratique, le défaut originel est plus que largement compensé par les possibilités offertes par les moteurs de recherche, très performants (surtout pour des requêtes simples comportant un, deux ou trois mots), au prix d'une centralisation des ressources, d'une consommation énergétique géante et d’investissements réguliers pour alimenter une croissance par nature illimitée. L'utilisateur d'un moteur de recherche s'assimile à un consommateur de pages de liens éphémères dont il aura négligé la plupart dans la minute, oublié les autres dans l'heure. A quelle fréquence, sur les pages d’un résultat de recherche, la seule information d'existence des contenus a-t-elle suffi à notre besoin de savoir ? A quelle fréquence, dans une contribution sur un réseau social, la citation d'un lien vers un contenu prétendument pertinent a-t-elle suffi à entretenir notre opinion pour ou contre cette contribution ? Dans nos vies urbaines pressées, la superficialité s’impose dans tous les domaines de notre pensée orientée par nos recours généralisés aux moteurs universels de recherche. Les résultats des recherches par des moteurs universels, interprétés dans une illusion encyclopédique, font vérité et raison. Quand ces résultats ne sont pas satisfaisants, c’est forcément que les questions ne sont pas pertinentes - hors jeu !

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Le moteur de recherche universel propose plus qu’une compensation de la primitivité du lien URL (unidirectionnel, instantané, sans possibilité de réplique ni de retour). Du point de vue de l’utilisateur d’un moteur de recherche universel, ce dernier, dans les apparences de son fonctionnement, ignore les liens URL du Web ! En effet, dans les apparences, tout se passe comme si le moteur universel exploitait un univers d’un seul tenant où tous les contenus seraient atteignables simultanément. Cependant, les faiblesses natives de la conception du Web ne pourraient être surmontées qu’imparfaitement et difficilement par les moteurs universels : par exemple, comment obtenir un résultat de recherche trié en fonction des dates de création ou dates de dernière modification de chaque contenu sélectionné ? Comment obtenir un tri des résultats de recherche en fonction des dates des liens URL existants qui pointent vers ces contenus ?

Au moins, pour la conservation du savoir et des oeuvres de la pensée humaine sous leurs formes matérielles, nos civilisations numériques ne font ni mieux ni pire que les civilisations anciennes. Sans avertissement, les livres (et plus généralement tous les contenus publiés) datant de quelques années en arrière disparaissent progressivement du Net. Cependant, quelques années après la disparition des contenus, un moteur universel de recherche retrouve leurs références et quelques citations et commentaires dans les cas d'ouvrages de grande diffusion ou de grande réputation. Seuls demeurent disponibles en leur état d’origine quelques ouvrages considérés comme historiques selon les critères de sélection du moteur de recherche. Par rapport aux époques des grandes bibliothèques et des centres de recopiage artisanal - époques où l'on brûlait régulièrement tous les livres, par accident ou délibérément -, la modernité se réduirait-elle à l'automatisme « intelligent » des moteurs de recherche ? A notre époque, pour les utilisateurs connectés, une panne d'Internet, la perte d'un de ses composants, une restriction d'usage des moteurs de recherche... ont le même effet qu’un incendie de bibliothèque.

Bref, nos sources de connaissance ne sont pas perdues, pas plus (mais pas moins) qu’aux époques historiques. Ce qui s’est perdu ou s’est dévoyé au cours de la révolution numérique en prolongement de la révolution industrielle est d’une autre nature : une partie de nos liens sociaux, justement ceux qui nous permettaient de nous adapter au réel de la vie plutôt que nous abandonner aux contraintes machinales des relations informatisées.

Pouvons-nous récréer des équivalents des liens sociaux perdus ou dévoyés, en nous servant des instruments créés au cours de la révolution numérique, et malgré les imperfections et pesanteurs de ces instruments ?

NB. Ce qui précède concerne le Web au sens strict, c’est-à-dire les mécaniques logicielles exploitant les liens URL entre des contenus du Web. Les super télécommunications et les plates formes des services aux utilisateurs connectés utilisent les canaux physiques d’Internet et passagèrement quelques interfaces Web - de plus, avec des protocoles spécifiques de connexion et de communication. Les super télécommunications comprennent notamment les conférences à distance et certaines messageries instantanées (voire certains « réseaux sociaux »). Ce sont clairement des exemples de « nets progrès » sociaux dans la mesure où ces instruments entretiennent des liens sociaux préexistants à la révolution numérique, par exemple en communautés de travail ou en groupes familiaux ou dans les relations avec des services gouvernementaux, et dans la mesure où ils évitent le gaspillage d’énergie et de ressources. En gros, ces divers services correspondent à ce qu’il est convenu d’appeler le Web 2.0, mais l’infrastructure Internet-Web demeure telle qu’à l’origine et les caractéristiques de cette infrastructure expliquent en grande partie les difficultés et lourdeurs de développement des interfaces d’utilisation des services à haut degré d’interactions (services bancaires aux clients, services gouvernementaux aux citoyens,..) en regard d’exigences minimales de convivialité, de fiabilité et de sécurité.

Petite discussion à fort potentiel

Le contexte est celui d’un groupe d’ »utilisateurs pilotes» dans un projet informatique d’entreprise, après une réunion (à distance) d’examen critique des spécifications du projet.

Voici un extrait d’une discussion privée devant une machine à café entre deux participants, quelques temps après la réunion du groupe au complet.

Alumy « Fred et Sylvie se sont encore bien joliment engueulés. A chaque fois, cela dure un quart d’heure, et cela fait au moins 3 fois qu’ils nous font le spectacle. Est-ce qu’il y aurait quelque chose entre eux ? »

Realy « Ta gueule, petit bonhomme. Prosterne-toi devant le noble combat pour la liberté dans la création des comptes de gestion. Fred veut une liste unique avec une latitude de choix dans chaque entité nationale. Sylvie refuse. «

Alumy « Dommage que leur discussion soit restée au niveau des grands principes et des règles de codification des comptes, je n’ai rien compris et je ne suis pas le seul « 

Realy « Ben oui, ils n’ont pas voulu étaler les petits arrangements locaux de leurs entités respectives. Ce sont deux experts reconnus dans leurs domaines. Ils n’allaient pas s’envoyer les torchons et les serviettes à la figure.»

Alumy « C’est torchons et serviettes, les adaptations de l’entreprise aux lois et règlements locaux, aux façons locales de gérer des affaires, le personnel, les sous-traitants ? Partout dans le monde, d’une manière ou d’une autre, tout se négocie et se paie, y compris la bonne image et le respect. Dans un pays, on peut avoir intérêt à perdre certains procès, dans un autre à les faire durer… »

Realy « D’accord, d’accord, d’accord ! La bagarre entre Fred et Sylvie, c’est un écran de fumée. Derrière, il y a la vraie question, celle de l’adaptation de l’entreprise à chaque réalité locale. Mais alors, il faudrait aussi tenir compte de l’adaptation locale des objectifs d’entreprise. Sinon, tout se résume aux frais de retranchement dans un bunker et à l’achat du désintérêt des nuisibles.»

Alumy « Moi, ce qui m’exaspère, c’est qu’il faut être hyper spécialiste pour imaginer concrètement les options, et pourtant Fred et Sylvie se sont bien énervés avec leurs arguties sur des micro détails de numérotation. Raison, Liberté, Chaos et allez donc, on se balance les grands mots comme des insultes… »

Realy « Ouais, heureusement que personne n’y comprend rien à part ces experts incapables d’expliquer leurs salades, cela évitera que la question remonte au comité de direction qui n’y comprendra rien non plus. »

Alumy « Et à la fin, on aura la solution imposée par l’informatique à zéro degré de liberté. »

Realy « Ou la décision par derrière d’un grand boss bien informé… Espérons qu’il aura voyagé dans sa carrière et compris ce qui se passe sur le terrain. »

Alumy « Tout cela, c’est de la littérature…»

….

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Cette discussion révèle plusieurs défauts de la conduite des réunions du groupe pilote :

  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon jamais une « engueulade polie » entre experts n’aurait pu se dérouler pour la nième fois dans le silence des autres participants enfermés dans leur propre incompréhension
  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon les belles théories n’auraient pas pu servir de prétexte au maintien d’un pseudo débat écartelé entre « les grands principes » et des détails d’apparence mineure
  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon la personnalisation des points de vue exprimés aurait été vite dépassée au cours d’une exploitation systématique de l’expérience et des compétences de tous les participants
  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon les éléments d’une éventuelle prise de décision auraient été dégagés au lieu de laisser s’élever un mur infranchissable de pseudo expertise
  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon, au pire, dans le cas probable où le problème initial aurait été mal posé, on aurait au moins identifié des questions en termes compréhensibles par tous
  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon aucun participant ne cultiverait après coup la perspective de « solutions » imposées par la logique interne d’un développement informatique ou par l’arbitraire d’un grand chef
  • l’absence d’une conduite de réunion digne de ce nom, sinon le groupe pilote se sentirait investi d’une responsabilité plus large que celle d’un groupe temporaire de figurants réunis pour cocher une case dans une liste de tâches aux produits formatés ; ce groupe se comporterait alors en tant que groupe responsable, publierait régulièrement des conclusions synthétiques et serait consulté pour les autres décisions à prendre dans la suite du projet

En prolongement de cette critique, d’autres questions peuvent surgir :

  • Quel peut-être le niveau réel d’utilisation des compétences et de l’intelligence des participants dans ce projet ? Entre 20 et 50 % ? Plus ou moins ?
  • Quelle est la probabilité que l’expérience des participants puisse servir à leurs successeurs dans la même entreprise dans 5 ans, quand il faudra changer de logiciel ou le refondre ?
  • Quelle est la probabilité que l’expérience des participants à ce projet puisse être connue de leurs homologues dans d’autres projets similaires, tout de suite ou plus tard ?
  • Comme il va, quelles sont les chances de « réussite » de ce projet ?

La « littérature », c’est notre nature humaine. Le petit exemple ci-dessus nous dit par contraste que nous ne sommes pas au bout des pouvoirs très ordinaires de cette « littérature ». Notamment, l’invention de nouvelles méthodes adaptées à la conduite des réunions à objectifs serait un progrès considérable dans beaucoup de domaines et de circonstances, et ce grand progrès ne serait pas bien difficile à concevoir. Sans fausse modestie, nous renvoyons aux billets de ce blog qui proposent un principe « trinitaire » de conduite des réunions à objectif et une étiquette des comportements, notamment afin d'échapper aux artifices de la rhétorique et aux fantômes de son contexte, tous deux hérités de la haute antiquité.

Pour un Web de liens sociaux fondateurs

Deux priorités et un avertissement se dégagent en synthèse :

  • un lien social est à reconstituer sur le Web : une forme de transmission artisanale des compétences.
  • un lien social est à créer : le débat organisé en vue de prises de décision (dans un sens très large) NB. Dans le cadre de projets, le lien du débat organisé peut contribuer très naturellement à la réalisation de transmissions artisanales de compétences.
  • un lien social n’est effectif que par une discipline consentie dans les interactions, soit une étiquette définie entre les personnes en fonction de leurs objectifs, qui ne peut être entièrement portée par un automatisme universel

En termes techniques, il s’agit de créer un Web des relations artisanales en sous-réseaux à multiples dimensions, à l’écart du Web industriel de la puissance et de l’addiction, en revenant aux bases d’Internet et au projet du Web originel.

Imaginons à l’échelle d’un pays ou d’un continent, les échanges entre des personnes contribuant à des transformations « écologiques » de leur logis et de leur environnement, par une multitude de projets régionaux apparentés entre eux dans leurs objectifs, avec des interconnexions entre les projets, des dépendances entre projets, des communautés de moyens et de personnes entre les projets. Imaginons ces échanges au-delà des transmissions de « bons trucs » ponctuels entre des directions des projets ou entre quelques spécialistes experts, par exemple pour le perfectionnement des personnes en charge de chaque fonction à l’intérieur des projets (pas forcément toutes mûries ni issues des mêmes écoles ou milieux) et le partage de leurs expériences. Imaginons les besoins spécifiques de recherche et de consultation des « informations » ainsi disponibles au bénéfice des participants de tous les projets, pour des questions dans l’instant et plus tard pour des capitalisations des expériences. Imaginons les besoins fréquents de restructuration des organisations de projets et les changements de thèmes prioritaires de chaque projet en fonction de leur avancement….

En regard de tels besoins de partages en réseaux étendus à géométries variables dans la durée, les actuels logiciels de collaboration sont des équivalents de jouets pour enfants en bas âge, des tableaux d’affichages et des dépotoirs animés qui, après chaque usage, sont détruits, oubliés, au mieux commémorés par des dessins en tant qu’événements ponctuels. En regard des besoins de capitalisation de l’expérience vécue dans un monde évolutif de personnes vivantes, les actuelles « gestions des contenus » sont des outils simplistes, inadaptés à la gestion des changements de ces contenus (sauf par ajout de blocs définitivement figés). Pour s’en persuader, il suffit d’observer la proportion des liens en « erreur 404 » dans les notes et renvois en bas des pages de l’encyclopédie Wikipedia, pour des articles de fond, d’histoire ancienne, et même à propos d’événements récents ou de célébrités contemporaines, alors que ces notes et renvois sont censés apporter des preuves de la pertinence des textes et images des articles. Dans un univers de relations vivantes en réseaux, en permanente restructuration, une gestion des liens relationnels serait un besoin premier, à ne pas confondre avec l’actuelle gestion des formes et des contenants. Cette gestion des liens n’existe pas dans le web actuel, dont les services demeurent entièrement fondés sur le lien URL unidirectionnel d’origine.

Pour répondre aux besoins de création de nouveaux liens sociaux au travers du Web, il ne peut être question de refonder le Web, par exemple à partir d’une hypothétique définition d’un lien URL étendu, il s’agit d’ailleurs sans fausse modestie d’encore bien plus que cela, car les enjeux « littéraires » importent ici plus que l’infrastructure technique. Il ne peut être question non plus de réaliser un sous univers du Web muni d’une gestion spécifique – cette réalisation (par qui au nom de qui) serait impossible dans un délai compatible avec les enjeux planétaires courants (ceux-là courent très vite) : voir l’annexe technique en fin de billet.

De manière réaliste, il faut donc nous débrouiller avec ce qui existe (notamment les moteurs universels de recherche), moyennant quelques adaptations de logiciels existants (les joujoux de la crèche collaborative), en misant par ailleurs sur l’instauration d’étiquettes de collaboration efficace sur le Web en vue de la capitalisation des expériences. C’est ce dernier point qui est crucial dans la création des liens sociaux, il est traité par ailleurs dans plusieurs billets de ce blog, nous n’abordons donc ici que le projet technique.

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En quelques lignes, voici quelques orientations techniques pour adapter un logiciel collaboratif ici interprété comme une variante de forum :

- invisibilité des contenus vis-à-vis des moteurs de recherche universels, sauf les pages explicitement ouvertes par l’administrateur (entre autres certaines synthèses, voir plus loin)

- indexation automatique de chaque contribution (projet, phase de projet ou phase d’audit, auteur, fonction de l’auteur dans le projet, date, type du produit / contrat /documentation concerné, nature de la contribution…) pour classement par un moteur local de requêtes internes (requêtes pré paramétrées)

- possibilité par le contributeur ou un administrateur de compléter ou modifier l’indexation de contributions individuelles ou groupées

- facilité d’écriture de synthèses (localement indexées) par un administrateur (ou un contributeur spécialisé) à partir de contenus d’un fil d’échanges, en remplacement, reprise ou complément de ces contenus ou à partir d’informations externes sur des événements extérieurs, réunions à distance, etc.

Une adaptation convenable d’un logiciel collaboratif fonctionnant sur des serveurs semble se situer dans le champ du possible, d’autant plus que toute l’instrumentation informatique existe déjà probablement quelque part en logiciel libre. Cette adaptation n’est cependant pas triviale ni au plan de la technique informatique ni surtout dans la mise en œuvre. Comme témoins de cette difficulté, on peut observer les forums de support aux utilisateurs de certains logiciels ou systèmes d’exploitation : la décomposition en sous forums par thème prédéfini ne compense pas l’absence d’un moteur local de requêtes à partir d’une indexation systématique fonctionnelle des contributions; de plus, la présentation des contributions successives par date à l’intérieur de chaque fil de discussion manifeste l’absence d’une synthèse finale rapidement accessible. Est-il admissible que, dans la vraie vie, pour un problème de bogue dans l’utilisation d’un logiciel ou d’un système d’exploitation, un moteur de recherche universel fournisse plus directement des réponses utiles que le parcours à l’intérieur d’un forum de support (quand il existe) ? On aura compris, sur cet exemple, que la réponse au besoin n’est pas seulement du domaine de la technique informatique, mais que cette dernière est décidément perfectible.

Pour ce grand progrès,
Pas de nouvelle technologie,
Aucune extension de bande passante,
Zéro levée de capitaux,
Un tout petit peu de génie,
Quelques pincées d’enthousiasme contagieux,

Le scandale est ailleurs

Ce n’est pas un paradoxe que nos sociétés modernes prétendument en réseaux, où l’information circule à toute vitesse – et pourtant il paraît que les besoins de circulation des informations augmentent indéfiniment - soient superficielles, avides de virtualités, comme si à présent tout le monde voulait courir plus vite que la mort, en répétition accélérée des élans historiques de démence collective qui ont produit les monuments d’éternité, les empires conquérants.… Rien dans ce début de siècle ne nous annonce une grande époque, ni en regard des époques historiques, encore moins après le siècle des guerres mondiales, de l’industrialisation généralisée, des grandes avancées scientifiques… et d’Internet et du Web. L’être humain social demeure un primitif. Une urgence de notre époque est de dépasser cette évidence, alors la recréation du lien social de transmission des compétences sera comprise comme une priorité.



Alertindirection.jpg Annexe technique : impasses de la capitalisation industrielle

Le standard HTML comprend un méta élément « robots », que l’on peut déclarer en tête de chaque page. Ce paramètre permet un réglage élémentaire du comportement théorique des moteurs de recherche pour chaque page publiée sur le Web. Les 6 valeurs possibles vont de l’invisibilité à l’indexation intégrale, en passant par l’autorisation donnée aux moteurs de suivre les liens inclus dans la page.

La gestion des liens, en tant que relations porteuses de sens entre des contenus, dans un super réseau social structuré en sous-réseaux d’étendues et durées de vie variables exigerait d’autres possibilités. Ces possibilités devraient être développées à plusieurs niveaux : choix explicites des utilisateurs (sans qu’ils aient obligation d’apprendre le HTML), actes d’administration des liens et des contenus à divers niveaux des sous-ensembles de contenus et selon les besoins des évolutions de ces contenus (y compris leurs coagulations en synthèses), automatismes d’une centrale de gestion des liens spécifique au super réseau social.

De toute évidence, il serait irréaliste d’envisager une extension de la conception originelle du Web, comme une révélation divine qui s’imposerait d’un seul coup. En revanche, le travail de conception et de réalisation de l’instrumentation adaptée à de tels super réseaux sociaux de collaboration et de capitalisation reste à peine esquissée alors qu’il existe un abîme ENTRE l’existant sur le Web (dont les actuels réseaux sociaux et les outils collaboratifs) et les logiciels spécialisés de gestion des projets, de maintenance des infrastructures, de conception assistée, de gestion des configurations, de gestion documentaire, etc. Cet abîme intermédiaire est celui de la capitalisation systématique de l’expérience, qui doit concerner une large population, pas seulement celle des participants directs à la réalisation de projets, mais aussi celle de leurs successeurs en charge de l’entretien des réalisations, celle des auditeurs en cours de projet et pendant l’exploitation des produits du projet, enfin surtout celle des utilisateurs.

Il est douteux qu’un effort de conception originale d’une gestion des liens adaptée à cette capitalisation sur le Web puisse aboutir dans un temps court s’il était confié à des spécialistes informaticiens, même avec l’assistance de consultants expérimentés et de groupes d’évaluation des prototypes successifs, d’autant plus que la créativité des informaticiens compétents pour ce genre d’ouvrage est absorbée par la stratégie informatique des puissances du Web dans une course artificielle aux innovations dans les piliers de l’informatique, notamment les plates formes de développement et les quasi standards associés, en versions multiples plus ou moins finies et performantes…

Le jour viendra-t-il où l’on s’apercevra que les logiciels, les réseaux, le Web lui-même, relèvent de l’industrie lourde, et que la négation de cette évidence contribue à cantonner l’utilité sociale du Web à celle d’un parc à jeux illuminé par des automates - jouets en rénovation perpétuelle ? Qui pourrait lancer une grande revue de projet du Web, une grande revue de projet des canaux et procédures de télécommunications, autrement dit et a minima une grande confrontation entre les objectifs et les réalisations technologiques dans une perspective anti-gaspillage ?

Pour ce qui concerne notre sujet, la conclusion s’impose : pas de grand développement informatique original, seulement des adaptations de logiciels libres. On y perdra en gloriole, on y gagnera sur tous les autres plans.

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