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Tag - Ethique

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samedi 15 janvier 2022

De quelques servitudes involontaires et de leur assimilation durable

Actualité du « Discours de la servitude volontaire »

En 1576 de l’histoire de France, Etienne de La Boétie publie un « Discours de la servitude volontaire ».

Régulièrement, nos penseurs et discoureurs contemporains s’y réfèrent. C’est au point que la seule citation du titre suffit à provoquer une mentale révérence des interlocuteurs, auditeurs, spectateurs devant la radicalité supposée de la révélation de leur propre état.

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On pourrait discuter savamment des intentions de l’auteur, après avoir relu le texte et après avoir reconstitué son contexte historique et les éléments particuliers qui l’ont influencé.

La signification de beaucoup d’abstractions morales, la répartition des valeurs premières selon le statut social, ont changé au cours des siècles jusqu’à nos jours, par l’effet des révolutions idéologiques et matérielles, plus que par la reconnaissance des humanités diverses – reconnaissance de variantes culturelles dispersées par le vent de l’Histoire plutôt que d’exemples de sociétés vivantes dont certains fondements pourraient inspirer un renouvellement des supposés axiomes d’un monde moderne unifié universel.

Alors, la référence actuelle à ce « Discours de la servitude volontaire » du 16ème siècle peut sembler paradoxale. Est-ce juste une astuce rhétorique pour éblouir la galerie et faire passer une pilule amère - ou même pas, une courbette pour se conformer à une mode d’intellectuels ?

Dans notre monde moderne, un discours sur « la servitude volontaire » pourrait-il se réduire, comme son modèle du 16ème siècle, au recueil d’évidences reconnues, comme dans une dissertation exemplaire sur l’idée de liberté en vue d’obtenir une mention Très Bien, à partir des illustrations historiques reproduites dans les bons manuels et de quelques anecdotes partagées dans la bonne société ?

Les servitudes dans notre monde moderne des nouvelles technologies, les servitudes qui pèsent directement sur chaque personne humaine, peut-on les imaginer comme des résultats d’acceptations volontaires ? Par exemple, l’asservissement physique au smartphone, la soumission mentale aux avalanches de messages diffusés, sont-ils objectivement contestables par les populations qui les tiennent pour des services ? Un refus réfléchi et calculé de cette servitude par une large population peut-il être un choix dans nos sociétés numériques ?

Les grandes servitudes dans notre monde moderne, les mécaniques et procédures qui dirigent une partie des activités contraintes de nos personnes sous le poids d’institutions en multiplication délirante, peuvent-elles être considérées comme volontaires, même dans un contexte prétendument démocratique ?

Ah oui, le monde a changé (presque partout) depuis l’époque du « Discours », depuis l’époque des contrats d’esclavage, depuis l’époque des pensionnats de formation des élites, depuis l’époque des proclamations sur les places de nos villages. Mais, au fond, est-ce la nature de la soumission qui a changé ou seulement son mode d’action ? Et, à notre époque « moderne », la réaction à la servitude, et avant cela, l’imagination d’une possibilité d’évasion, sont-elles à la hauteur du changement accompli dans les modes d’asservissement et dans le tourbillon du renouvellement de ses formes informatisées ?

Ce qui n’a pas changé depuis le « Discours », c’est la nature humaine, en particulier la tendance arrogante du puissant (et de toute personne en position de pouvoir) à l’humiliation de son prochain, jusqu’à provoquer la fuite des asservis dans une réalité sociale parallèle dont eux seraient les inventeurs du langage et des signes.

Si on en reste à ces constats et ces questions, il n’est pas surprenant que l’autre référence célèbre dans les discours d’intellectuels, celle de la dialectique maître - esclave, se situe au même niveau d’inutilité pratique que le « Discours ».

Cependant, qu’est-ce qui rend le « Discours », malgré son ancienneté, encore pertinent en apparence ? Ne serait-ce pas une illusion dans son interprétation qui amène, à partir d’une accumulation d’exemples littéraires à propos de la servitude et de son contraire la liberté individuelle, à induire l’existence d’un principe de Liberté, un idéal à vocation universelle ?

Les idéaux à vocation universelle, comme la Liberté et quelques autres (autrement dit : les valeurs), sont des ressorts du maniement des masses en vue des actions collectives. Combien de pauvres gens sont morts à la guerre, dans un état de totale servitude, pour la défense de la Liberté ? Les universaux sont des catalyseurs mentaux des passions, quelqu’un a du le dire autrefois et bien mieux.

C’est évident, dans les pays occidentaux après les développements révolutionnaires de leur époque moderne préindustrielle, un principe de Servitude ne pouvait avoir aucune chance de succès, sauf comme représentant du Mal en opposition au Bien. Pourtant, dans les faits, c’est bien encore la Servitude qui nous domine actuellement, souvent sous l’apparence d’une association de circonstance entre son contraire, la Liberté, et un autre beau principe universel, par exemple la Science, la Responsabilité… C’est un truc des grands réprouvés : ne jamais apparaître sur le devant, ne jamais se faire passer pour quelqu’un d’autre, car le risque d’être contré ou démasqué frontalement est trop important, mais agir sur la relation entre plusieurs. C’est la vie.

Comment sortir des oppositions binaires entre les idéaux, bons et mauvais, que certaines de nos traditions sociales prétendent nous imposer ? Ces idéaux, les bons et les mauvais, sont nos servitudes premières, mentales, mais c’est bien dans notre réel physique historique que leurs illusions de représentation prouvent leur fausseté et leur nocivité. Ceux qui croient se battre pour un idéal sont régulièrement trahis en favorisant l'idéal opposé dans les faits, à tous les niveaux de pouvoir et de généralité, de la famille au commerce et jusqu’au gouvernement d’un état.

A notre époque, un autre message serait à redécouvrir dans une interprétation actualisée du « Discours ». Les réalités sociales de la servitude et de la liberté, les réalités sociales de l’empathie et du partage des sentiments de servitude et de liberté, sont contextuelles et locales. Ces réalités devraient être considérées avec les instruments de la raison, et surtout pas dans la perspective d’un combat universel imaginaire entre des idéaux encore plus imaginaires, qui ne peut produire que la tétanie de la pensée, justifier le déchaînement des excès, réduire la société à une mécanique d’engrenage de conflits prétextes.

Pour une dynamique sociale durable

Le problème social actuel, c’est de surmonter nos blocages, personnels et sociaux, afin de pouvoir affronter par la raison la croissance de contraintes fatales non maîtrisables. La première contrainte est celle de l’épuisement des ressources énergétiques naturelles (pétrole, gaz,…) et des ressources minérales qui sont à la base de la révolution industrielle et de sa prolongation en révolution numérique, La deuxième contrainte est celle de la transformation de l’environnement, climatique, biologique, dont l’accélération est la conséquence de l’industrialisation massive.

Le problème social actuel, pas seulement dans les pays « occidentaux », pas seulement dans les pays « démocratiques », pas seulement dans les pays très industrialisés, est de créer une dynamique sociale durable raisonnée. En effet, il devrait être évident que nos sociétés sont enfermées dans des structures, des concepts, des institutions… tous conçus pour une finalité de société parfaite immuable. La stabilité dans l’ordre et la compréhension mutuelle, n’est-ce pas d’ailleurs ce que nous concevons comme l’un des buts premiers de toute institution d’une société ? L’histoire chaotique de l’humanité au cours des siècles, n’avons-nous pas tendance à l’interpréter comme une progression vers un futur à l’image du présent (très confortable relativement au siècle précédent), juste encore un peu mieux ?

La récente mini crise du covid sera-t-elle enfin bientôt considérée comme révélatrice de la pesanteur grotesque de certaines abstractions dominantes et surtout plus généralement, de la sclérose de nos sociétés ? Il existe bien d’autres révélateurs de cette sclérose, certains sont devenus familiers mais pas moins graves.

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Le niveau de nos connaissances des facteurs de la dynamique sociale demeure d’une grande pauvreté en regard de ce qui nous serait utile maintenant. Cependant, peu à peu, des études en sciences humaines (histoire, anthropologie,..) - progressivement débarrassées des cadres doctrinaires dominants aux 19éme et 20ème siècle et sans rechercher une compensation par une illusion de découverte mirifique - commencent à produire de la matière jusqu’ici méconnue, sur les créations sociales notamment aux marges de contact entre des sociétés stables très différentes, sur l’évolution des mentalités en fonction des changements subis et diversement intégrés dans la mémoire des peuples, sur les réalités de la démarche scientifique et la nature de la connaissance scientifique, etc. Néanmoins, les programmes politiques et encore plus les décisions gouvernementales demeurent déterminés par des sondages d’opinion et par l’état d’indicateurs de la société telle qu’elle peut être interprétée dans des cadres prédéfinis depuis des dizaines d’années, mécaniquement inadaptés à la détection d’évolutions significatives hors cadres. Les freins sont bien serrés partout, la paresse et l’avidité individuelles ne suffiraient pas à entretenir un tel immobilisme !

Il existe, il a existé de puissants facteurs historiques de dynamique sociale. Par exemple et à des niveaux divers de généralité : la révolution néolithique (élevage, agriculture, navigation), la création des grandes routes et voies commerciales, l’organisation de villes puis d’empires, les conquêtes militaires (évolution rapide obligatoire des vaincus assimilés), les morales religieuses, l’invention des mathématiques… l’invention d’une démarche scientifique, la révolution industrielle, la diffusion des connaissances.

Peut-on considérer que ces dynamiques sociales historiques étaient volontaires au-delà de l’atteinte locale d’objectifs d’imitation compétitive par quelques acteurs spécialement concernés ? Les buts de ces dynamiques historiques étaient-ils exprimés pour la totalité des populations dans leur diversité ? Les finalités vitales pour l’humanité étaient-elles les premières dans la conscience personnelle des acteurs ?

Donc, tant pis pour l’oubli de certains facteurs historiques importants de dynamique sociale. Nous sommes au temps présent, dans la certitude de la destruction à venir de notre société actuelle.

Nous avons encore le luxe de pouvoir choisir : victimes éparpillées dans la multiplicité d'états de panique incapacitante, ou acteurs d’une évolution maîtrisée.

Dessine-moi un mouton.

En théorie, c’est simple, il suffit d’anticiper. Volontairement, au niveau des états, des régions, des foyers, il suffit de progressivement couper l’alimentation des ressources en voie de disparition (alimentation directe et indirecte dans les produits importés). Et tout aussi volontairement, il suffit parallèlement d’adapter – quoi qu’il en coûte – le fonctionnement de nos sociétés. Il est évident qu’il faut pour cela un plan d’ensemble, a minima une description argumentée et cohérente des étapes d’évolution de la société au cours de ses transformations, en particulier pour organiser les disparitions ou adaptations des structures et organes les plus dépensiers de ressources à préserver. Il est évident que ces transformations impliqueront des changements importants des modes de vie, lieux de vie, projets de vie des populations.

Un mouton passe. Ne pas oublier que nos rêves doivent suivre.

Il devrait être évident que l’activation, au niveau (inter)étatique, de facteurs historiques de dynamique sociale n’est pas raisonnablement envisageable, même si on en maîtrisait les paramètres au point de savoir en user pour les combiner au mieux dans notre réalité présente. En effet, la mise en œuvre d’un hypothétique art suprême de la recréation sociale nécessiterait une destruction préalable ou une refonte importante des architectures institutionnelles, légales et fonctionnelles « garantes de la stabilité » sous toutes ses diverses formes, la mise à l’écart des incompétents… et on peut parier qu’un tel grand nettoyage produirait l’apparition d’une forme de dictature tout aussi bornée et statique que les institutions défuntes, avec quelques bouffées fantasques supplémentaires, la dégénérescence des élites par la corruption et la compétition servile, l'asservissement des médias en étouffoirs de la pensée et pour le gouvernement de la vérité, l'extension illimitée des postes et faveurs réservés aux affidés du pouvoir, la soumission des compétences aux artifices de la gesticulation et du simulacre, etc.

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Autrement dit, la mutation interne progressive de nos sociétés pseudo démocratiques actuelles, par poussées brutales successives sous la pression des réalités dans les 50 ans à venir, ne serait pas la pire des « solutions », à condition que nos gouvernants sachent anticiper a minima les transformations les plus importantes, notamment par l’allègement des facteurs spécifiques de blocage de ces transformations, dans les institutions à tous niveaux, organes de contrôle, lois, réglementations, normes.

Dans les quelques années à venir, après plusieurs impacts douloureux des réalités physiques sur nos vies quotidiennes, nos politiques pourront-ils se contenter de manipuler les foules par des programmes électoraux flous, puis de justifier leurs actes de gouvernement par la gonflette des valeurs, par les rappels aux grands principes moraux, par l’évocation d’exemples anciens, sous couvert de la sacralité supposée de leur haute fonction ?

Car la transformation sera dure. Au plan personnel, elle sera carrément insupportable si nos rêves ne s’adaptent pas.

Heureusement, même si les valeurs, la morale, l’éthique, les lois et réglementations, les codes et coutumes sociales peuvent rester en suspension au-dessus de réalités en transformation accélérée, il reste une dimension de la vie personnelle propice au développement de nouveaux rêves personnels, celle des grands projets.

D’où, dans les circonstances d’une société en besoin d’évolution rapide, l’importance cruciale du développement des projets collectifs de transformation de la vie courante locale ou régionale faisant contribuer la plus grande part possible des populations. D’où par ailleurs, pour combler le grand écart entre une réalité en reconstruction et le pilier de la morale « valeurs – éthique – lois – codes et coutumes », l’importance des projets comme créateurs et expérimentateurs d’ »étiquettes» à côté de ce pilier.

Autrement dit, c'est une manière de "faire la révolution" sans casse.

Une étiquette de projet décrit les règles d’organisation et de fonctionnement, les relations entre acteurs, l'emploi et le développement des compétences, etc. Une étiquette de projet est par nature peu dépendante du pilier moral dans la mesure où la seule vraie contrainte sur une étiquette est de ne pas être en opposition à un élément de ce pilier. En fait, les nécessités d’aménagements propres à chaque projet peuvent justifier quelques écarts d’interprétation des éléments du pilier moral, d’autant plus facilement que ce pilier empile des incohérences du fait de sa construction artificielle étalée dans le temps.

Un projet est un lieu de création de « lois » contextuelles provisoires, un lieu d’évasion de l’opposition binaire liberté - servitude. Les chefs de projet qui ne l’ont pas compris ne sont pas dignes de leur position. En particulier, dans un grand projet à enjeux collectifs, c’est une faute de confier la rédaction des lois internes du projet – ce que nous appelons l’étiquette – à un (pseudo) responsable de la Qualité pour produire une « spécification de management « d’après un modèle standard, comme un exercice de pure forme à réviser plus tard seulement à la page de la liste des participants, alors que l’expérience des associations, organisations, entreprises concernées devrait inspirer une étiquette spécifique évolutive après un recueil critique des pratiques, avec expertise et humanité. Un projet mal fagoté est vécu comme une calamité par ses contributeurs, les fournisseurs savent en profiter, les clients du projet perdent confiance dès les premières phases, alors ce n’est pas un « vrai chef » qu’il faut pour aboutir, c’est une remise à plat de tout le projet… Autrement dit, dans les circonstances d’une société en transformation, si un grand projet n’est pas en soi conçu comme une création progressive - pas seulement la création des produits attendus en fin de projet mais une création sociale spécifique (à l’échelle du projet) - le ratage est assuré et on devrait en faire l’économie.

D’autres billets de ce blog développent divers aspects spécifiques des projets de transformations sociales, notamment les projets collectifs de réalisation d'infrastructures d'intérêt général, par différence aux grands projets d'ingénierie, mais évidemment en reprenant de ces derniers les éléments indispensables à la conduite des aspects techniques, matériels, financiers etc. dans le temps.

Le bonheur sans l'extase

En conclusion, voici quelques paragraphes de philosophie en bouts de ficelle, en résumé des propositions selon une autre progression justificative.

Il est vain d'imaginer une morale du provisoire, une éthique du provisoire. Les valeurs qui les fondent sont par nature éternelles, et la morale et l'éthique sont conçues en vue du monde le moins imparfait possible, le plus stable possible en regard des critères de l'éthique et de la morale.

Ce que nous avons appelé "pilier de la morale", c'est l'empilement "valeurs - éthique - lois - codes et coutumes", autrement dit l'architecture mentale (branlante mais passons) commune de nos sociétés, dont il est vain d'imaginer des mutations en préalable à l'action collective - dans l'urgence des transformations à opérer dans nos sociétés physiques.

Donc, dans un esprit pratique, il faut trouver ailleurs l'espace de création de nos "lois" du provisoire.

Quel autre espace de création serait mieux adapté que celui des grands projets collectifs, surtout s'il est lui-même à créer et que tout le savoir pour le faire existe ?

Notre "loi" du provisoire local, nous l'appelons "étiquette" faute de mieux, parce que ce terme, contrairement aux autres candidats comme "code" ou "règle", porte une idée de légèreté, d'artificialité et d'ouverture. L'équivalent existe certainement dans les langues qui en auraient le besoin, à moins qu'elles aient été totalement investies par la mentalité juridique, auquel cas, l’étiquette sera éclatée entre plusieurs documents du "project management".

L'extase de soumission aux détails du pilier de la morale, les ratiocinations à rebondissements sur des micro conflits binaires, le ravissement dans l'infini des croyances confortables, la multiplication des délégations gratuites aux élites, les espoirs d'hyper solutions automatiques... sont sur la voie directe de notre anéantissement par un monde qui met toute l’humanité - et toute humanité - en question.

Une troupe de moutons déboule. Cabrioles, Sauts périlleux. Banal, de leur propre initiative.

Le bonheur se trouve dans l'action.

jeudi 27 juin 2019

Comme les temps se retournent

Subsidiarité

Dans un billet des débuts de ce blog, nous avons contesté un faux principe de subsidiarité, prétendument applicable dans la répartition des responsabilités et pouvoirs entre des instances régionales et une instance de noyau central, en généralisation édulcorée du brutal "ego Leo nominor".

En république de France, ce faux "principe de subsidiarité" était couramment proclamé par les politiques pour nous expliquer la répartition des pouvoirs entre les instances de la Communauté européenne et les gouvernements nationaux.

Le petit peuple était ainsi sommé de comprendre que les nations conservaient leur pouvoir de décision sur tout ce qui "pouvait" (ou "devait" selon nuance) être décidé localement - une évidence dans un modèle théorique sans épaisseur au mépris de la précision et du sens pratique.

Remarquablement, depuis des mois, on n'a plus entendu parler de ce grand "principe de subsidiarité" ! Pendant la campagne des élections "européennes" de mai 2019, sauf erreur, jamais ce principe n'a refait surface, sans doute parce que son apparition aurait assombri l'enjeu "démocratique" de ces élections - très mince en regard de l'enjeu financier pour quelques partis politiques. Pour combler le vide, certains commentateurs politiques ont tenté d'expliquer comment les instances de la Communauté étaient naturellement équilibrées entre des pouvoirs communautaires et des pouvoirs nationaux, sans se rendre compte à quel point la focalisation sur ces seules instances trahissait l'autosuffisance de ces instances pseudo communautaires.

Donc, elle est bien suspecte, cette disparition du principe de subsidiarité !

En effet, le faux "principe de subsidiarité", si on s'oblige à l'expliciter, décrit assez bien les ambiguïtés de l'actuelle Communauté européenne en relation avec les états nations. Mais, plutôt que de reconnaître la fausseté de ce principe et d'en rechercher des aménagements, on en fait une caricature qui alimente un débat artificiel entre "fédéralistes" et "nationalistes".

Pourtant, il existe une solution simple, éprouvée, pour redonner un sens fondateur à un "principe de subsidiarité". Il suffit d'inverser le sens d'application du principe, pour considérer le communautaire comme subsidiaire des nations - ce qui était le sens d'origine des premières entités "européennes" (CECA...).

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Au coeur de l'Europe géographique, la Confédération Helvétique pratique de fait cette inversion depuis plusieurs siècles, entre des instances fédérales minimales et des cantons très différents dans leurs intérêts économiques, leurs religions dominantes, leurs langues, leurs tailles, mais tous avec une forte culture "démocratique" locale. Néanmoins, ce système permet la réalisation de grands projets d'intérêt commun en quelques années de travaux continus (centrales électriques, tunnels ferroviaires et routiers,...) et un équilibrage des ressources financières entre les cantons.

Évidemment, dans une grande Communauté européenne, une telle inversion, même si elle ne faisait qu'un retour aux origines, impliquerait une dynamique de refondation partielle à intervalles réguliers, par la définition des projets d'intérêt communautaire des prochaines années, avec comme conséquence l'adaptation des instances communautaires à chaque fois.

Évidemment, à notre époque de l'informatique et des réseaux et surtout avec la richesse des expériences individuelles dans une grande diversité de professions, la définition des projets communautaires devrait être la décision au sens propre démocratique des peuples. De même, on devrait envisager naturellement l'association d'une instance citoyenne ad hoc à chaque projet communautaire.

Voir les autres billets de ce blog, merci.

Étiquettes fortes, étiquettes faibles

Deux ouvrages récents offrent une abondance d'éléments exemplaires d'étiquettes sociales, bien qu'aucun des deux ouvrages n'ait pour objet premier la description de ces étiquettes - heureusement pour les lecteurs.

Le Génie des Suisses de François Garçon (Tallandier, 2018)

Les Leçons du Japon, un pays très incorrect, de Jean-Marie Bouissou (Fayard, 2019)

La comparaison des ouvrages fait ressortir le caractère implicite de l'étiquette sociale suisse en regard de son caractère contraignant dans le détail des activités quotidiennes et des comportements au Japon. Cependant, ce sont des étiquettes fortes dans les deux cas.

Évidemment, l'histoire, la culture, la population, la géographie... expliquent non seulement les différences mais aussi, dans les deux pays, l'entretien de ces étiquettes, y compris par la coexistence de ceux "qui vivent en dehors" de ces étiquettes communes. Un exemple peu connu d'une telle survie est celui de la reprise en main de la population japonaise de Tokyo, complètement déboussolée après la défaite en 1945, par un clan yakusa qui était venu opportunément proposer ses services au grand chef américain.

Que serait la vie sociale des citoyens suisses sans le service militaire à vie, sans les puissantes institutions locales au niveau des communes ?

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Que serait la vie urbaine des Japonais sans la surveillance des comités de quartier et de leurs points d'appui répartis ?

A distance, n'étant ni suisse ni japonais et résidant dans un pays d'étiquette faible pour ce qui concerne le respect des biens publics et de l'intérêt commun, ces deux étiquettes fortes représentent pour moi deux cauchemars différents.

Si vous résidez dans une grande ville au Japon, si vous ne savez pas dans quelle poubelle et à quel moment de quel jour de la semaine vous pouvez jeter un déchet, ou si vous en avez "trop" de la même sorte à jeter, et que vous savez par avance que vous ne trouverez aucune aide pour votre cas hors norme, il ne vous reste qu'à opérer en catimini de nuit, en espérant que personne ne vous voit car vous seriez obligatoirement dénoncé.

En Suisse, sauf peut-être dans les très grandes agglomérations où résident beaucoup d'étrangers à titre provisoire, vous devez effectuer des démarches décisives auprès des institutions locales préalablement à votre installation, prendre contact avec vos futurs voisins non seulement pour obtenir leur accord (ou leur non refus) mais encore surtout en vue de fonder une relation avec eux, à maintenir régulièrement par la suite selon les coutumes locales.

Dans mon pays, je vis une autre sorte d'immersion sociale quand je circule à pied en ville au milieu de gens absorbés par leur smartphone, imprévisibles dans leur allure, susceptibles à tout instant de changer brutalement de direction. Ces derniers temps, certains amateurs de délire dionysiaque circulent sur des engins automoteurs, n'importe où, n'importe comment, dans l'isolement d'un casque à musique, en totale négligence de leurs contemporains. Dans mon pays, l'ignorance des autres peut aller jusqu'à l'excès de jouissance spectaculaire d'une "liberté" qui serait ailleurs immédiatement sanctionnée sous n'importe quel prétexte légal, en réalité en tant que manifestation de mépris de la collectivité. Alors, pour tenter d'encadrer les comportements sociaux irresponsables de la vie courante aux dépens des autres et du monde environnant, les autorités publiques éditent des listes d'interdits, résumées localement en quelques symboles graphiques. Ces interdits sont interprétés comme des conseils de modération tant que ne se produit aucune série d'accidents graves justifiant des fermetures ou des restrictions d'accès. Notre étiquette de vie en société est celle des enfants dans leur parc à jeux, bientôt sous surveillance vidéo permanente.

Au total, on peut lire les deux ouvrages cités ci-dessus comme des témoignages partiels de la rationalité (locale) des étiquettes sociales et de leur contribution aux processus de création de valeur collective, de leur compatibilité ou de leur inadaptation à une authenticité démocratique. Cependant, il est dommage que l'on y trouve si peu d'indications sur les éventuelles spécificités des comportements ni sur les souhaits éventuels (et les réalisations ?), de ces pays d'étiquettes fortes dans le domaine des sociétés virtuelles - tout resterait à faire ?

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Un prototype des descriptions de sociétés solidaires merveilleuses demeure l'étude des cités libres du Moyen Age européen (dans sa période brillante) que l'on peut lire ou relire dans L'entraide de P. Kropotkine, Les éditions écosociété (Canada), 2001. Dans cet ouvrage d'un penseur du 19ème siècle abusivement assimilé aux anarchistes radicaux (on pourrait actuellement plutôt le requalifier comme libéral autant qu'un Mill ou un Dewey), on trouvera l'explication d'un "âge d'or" par la force d'institutions locales, par la pratique d'usage et d'entretien des biens communs, par les partages du savoir à l'intérieur de communautés universelles de métiers, plutôt que par le seul génie des princes et de quelques personnes extraordinaires.

Dans les mouvements de la pensée moderne, quelle est l'importance donnée à l'étiquette sociale comme composante culturelle ? Peut-on la considérer comme un produit de l'histoire soumis à des forces non maîtrisables et rester passif devant ses évolutions ? Doit-on la piétiner en refus de toute norme sociale a priori, sans chercher à extraire de cette norme les humbles conventions de la vie en société (dont font partie les usages communs des langues, y compris les non dits) ?

Une caractéristique des populations barbares, c'est l'oubli qu'elles sont les propres maîtresses de leur étiquette sociale.

Choc en retour des fantaisies bureaucratiques modernes

Une caractéristique des populations modernes est leur confiance dans une logique binaire associée à une croyance à la supériorité de l'espèce humaine. Ce sont là deux absurdités, donc rien de bien grave en soi dans l'absolu, sinon que leur combinaison produit des conséquences fortement contributives aux "défis de notre temps". Autrement dit, leur combinaison est un boulet de civilisation.

En effet, une première conséquence est la destruction de la nature, puisqu'aucune zone de nature vierge ne peut subsister dans la durée sans la protection d'un cordon suffisamment épais de "zone grise" qui l'isole de la zone des cultures et des civilisations humaines - il ne s'agit pas seulement des jets de mégots ni des joggeurs en recherche de nouveaux sentiers. C'est évident en surface, lorsqu'on observe l'évolution de certaines forêts et grands parcs "naturels" en quelques dizaines d'années. Sous la surface des terres et des mers, et dans les airs, quels pourraient être les cordons de zones grises autour de quelles zones vierges ?

Une autre conséquence de la pseudo modernité est la généralisation des systèmes bureaucratiques, au point que certains de ces systèmes pourraient se passer de toute conduite spécifiquement humaine, quitte à conserver une représentation de puissance patriarcale, l'humanité des servants de ces systèmes ne pouvant se manifester que par des fonctions d'utilité parasite, pour eux-mêmes d'abord, parfois aussi au profit de ceux du dehors.

Ces systèmes d'organisation bureaucratique sont ceux du privé comme du public.

Dans tous les cas, malgré les discours de progrès flexibilité, dynamisme, les fondements fantaisistes de ces systèmes bureaucratiques condamnent à la stagnation (sauf catastrophe pour cause externe) :

- absence de hiérarchie des finalités (ou pire, création d'une hiérarchie de pseudo finalités modélisées chiffrées en substitution de finalités compréhensibles de tous), en parallèle d'une stricte hiérarchie fonctionnelle à l'intérieur de branches de "pouvoirs" très théoriquement indépendantes entre elles, définies dans le secteur public d'après les théories des penseurs du 18ème siècle,

- création et entretien d'un grand écart entre la personne et toute forme pérennisée de collectivité (bureaucratique par nature : société, association, organe de service public,..), les collectivités constituées aspirant les éventuels droits et pouvoirs spécifiques des personnes, ainsi marginalisées par l'obligation de soumission à une relation publique formelle avec une entité bureaucratique, au travers de diverses variantes de sollicitation par remplissage de formulaires puis attente aux guichets, informatisés ou pas.

NB. La fausse "subsidiarité", telle qu'évoquée plus haut, peut être considérée comme une invention naturelle en filiation (ou dérivation ?) des fantaisies fondatrices des systèmes bureaucratiques.

Il en découle la négation de toute forme d'intelligence collective comme pouvoir de définition des finalités et de leurs priorités, et notamment l'exclusion de toute forme de démocratie "directe" authentique.

Il en découle une complète indifférence de l'étiquette de vie des personnes, notamment par l'entretien de la confusion entre code et étiquette, particulièrement fatale à la cohésion sociale dans toute population "diversifiée".

Codes oppressifs, étiquettes relationnelles

Quitte à sortir encore plus franchement du cadre de ce blog, il est utile de mettre en évidence la convergence entre les codes d'oppression, les systèmes bureaucratiques et la logique binaire.

Plutôt qu'un développement théorique, voici trois images.

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La première image est la manifestation publicitaire d'un ravage de logique binaire. L'image montre une "perspective" d'un parc en région parisienne en reconstitution de l'époque du jardinier royal Le Nôtre au 17ème siècle. Ce que ne dit pas l'image, c'est la dépense somptuaire qui fut nécessaire à cette reconstitution à partir d'un jardin en bon état mais sans ambition spectaculaire, notamment parce qu'il a fallu recommencer plusieurs fois certaines étapes des travaux, remettre encore plus de "bonne terre" après avoir mieux évacué la "mauvaise", replanter de nouveaux végétaux après avoir arraché ceux que l'on avaient initialement plantés mais qui n'avaient pas survécu à la transplantation, etc. C'est sans aucun doute à la suite des mêmes difficultés que, entre l'époque du grand Le Nôtre et la nôtre, la superbe perspective d'origine au cordeau avait évolué en jardin d'ombres et de lumières, avec quelques étangs connus des migrateurs de passage et des enfants du voisinage, que nos ancêtres successifs avaient trouvé bien mieux adapté au terrain et à l'écologie locale. A présent, à la suite d'une si laborieuse reconstitution, faut-il préciser que l'entretien de la plate perspective artificielle nécessite l'intervention régulière d'une armée d'engins motorisés ? Et comment ignorer la perte de la variété de la faune alentour (en réalité sa quasi-disparition), la transformation des allées du parc en routes et des chemins en voies carrossables pour la circulation des engins, la destruction progressive des zones sauvages du parc par l'extension des espaces dégagés en dévoration de toutes les zones grises intermédiaires ? De telles restaurations brutales coûtent cher et tuent l'équilibre naturel issu d'une évolution de plusieurs siècles. Mais que c'est beau, cette affirmation de la maîtrise de notre espace par une manifestation ludique du oui / non en préfiguration des circuits imprimés, que c'est grand la maîtrise de l'univers par des algorithmes problème - solution... Ce sont les mêmes glorieuses croyances qui nous soumettent à des codes de conduite pseudo élitistes, absolus, prétendument universels, comme ceux des cours de Louis XIV et du roi de Prusse, plus tard leurs variantes révolutionnaires fondées sur la Raison et la Science.

Les deux images suivantes sont des couvertures de DVD. ll s'agit de deux films de révolte contre une société suicidaire à tous les sens du terme : Hara Kiri réalisé par Masaki Kobayashi en 1962, Corporate réalisé par Nicolas Silhol en 2017. Dans les deux films, au-delà des différences tellement évidentes qu'il devient d'autant plus facile de discerner les similitudes profondes, un code de classe à prétention exclusive s'impose à tous et la mort sale par suicide d'un innocent est le drame initial, en conséquence d'un abus de code, qui conduit les protagonistes principaux à se révolter contre ce code. C'est cependant de l'intérieur de ce code que ces protagonistes principaux vont devoir trouver le moyen d'exprimer leur révolte - à quel prix, sans aucune possibilité d'évasion !

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En effet, sur quels intermédiaires pourraient-ils compter, d'abord pour les écouter, ensuite éventuellement pour disposer d'une autorité d'appel au respect d'une hypothétique règle commune qui serait supérieure au code oppressif ?

Dans Hara Kiri, le sabreur du Japon ancien ne peut compter que sur lui-même au cours de son monologue mortuaire fébrile en face des hôtes assassins qu'il a convoqués, sachant par avance que, de ses paroles et de ses exploits, il ne restera qu'un faux compte rendu administratif.

Dans Corporate, le cadre moderne des ressources humaines trouve un appui sur une inspectrice du travail pour basculer vers l'antichambre de la justice républicaine, en sacrifiant sa carrière et des années de vie, dans l'espoir sans illusion que son témoignage coupable contribue à une évolution des lois communes, un jour plus tard.

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Entre l'ancien monde (reconstitué) de Hara Kiri et la modernité de Corporate, quel progrès pouvons-nous identifier à part la multiplication de façades bureaucratiques théoriquement indépendantes entre elles, et théoriquement toutes respectueuses "des valeurs et des grands principes" ? Et alors quelle pourrait bien être l'étiquette commune d'ouverture et d'entraide dans l'un et l'autre cas qui aurait permis de prévenir le drame initial - un suicide sciemment provoqué puis traité comme un "hors jeu" - par dessus les codes de comportement et de façons de penser localement imposés ?

Affronter de telles questions nous oblige à constater la persistance d'un vide, la sauvagerie de nos sociétés et de nos civilisations prétentieuses.

...

Si nous voulons retrouver une capacité à inventer les étiquettes relationnelles qui nous manquent - une invention relativement facile à l'intérieur d'espaces nouveaux comme ceux de sociétés virtuelles ou d'assemblées citoyennes - il est nécessaire d'apprendre à lire les codes qui nous encadrent afin de savoir y reconnaître les croyances premières dont ils sont les émanations lointaines, souvent par des filiations d'occasion. En effet, une étiquette relationnelle peut s'inspirer partiellement d'un code (ou de plusieurs), mais l'inverse redéfinit automatiquement cette étiquette comme l'excroissance d'un code d'oppression. La pire variante de cette trahison se produit lorsqu'une prétendue étiquette commune est proclamée non seulement comme un absolu, mais est exprimée en compétition frontale avec des codes à prétentions identitaires, sectaires et potentiellement meurtriers. La prétention illusoire à l'encadrement des relations sociales par un fatras pseudo juridique de règles de détail contraint de fait les personnes à se réfugier dans les codes de leurs groupes d'appartenance. C'est un modèle de société d'automates.

vendredi 29 avril 2016

Bots Creed


Le mot "bot" signifie "robot logiciel" en connexion à des serveurs informatiques sur Internet.

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Bots à pinces

Belle invention, celle du bot à construire soi-même ! C'est un sacré progrès en comparaison des assistantes et conseillères informatisées, dont un ancêtre fut le trombone animé à la Jiminy Cricket qui empoisonnait les utilisateurs d'un célèbre logiciel de traitement de textes des années 90, en surgissant de manière inopportune pour offrir ses services.

Avec l'ouverture à tous de cette fantastique liberté de création, on ne peut pas douter une microseconde qu'il en résultera des pointes de trafic sur Internet dépassant les records établis par les envois des cartes de voeux en vidéos illustrées à chaque fin d'année et les pointes dues aux téléchargements simultanés en urgence des derniers épisodes des séries à la mode.

Il faudra encore creuser les trottoirs des villes et les routes des campagnes pour vraiment installer "la" fibre partout, consacrer quelques centrales électriques supplémentaires bien polluantes à l'alimentation de nouvelles usines de serveurs du réseau, investir de nouveaux matériels fabriqués à partir d'éléments rares très salement extraits par de puissantes organisations armées...

Car il y a tant de gens anxieux de vérifier que les autres éprouvent les mêmes émotions qu'eux, tant de gens habités par une ardente pulsion à partager leur bonheur ou leur malheur avec toute l'humanité ! Alors pensez donc, si on leur offre gratuitement le pouvoir de se créer des agents médiatiques illimités... De plus, rien ne les empêchera d'être maladroits, de se tromper dans l'utilisation ou dans la personnalisation de leurs bots issus de millions de recopies en chaîne. Et alors, vous voulez parier combien de mois il faudra pour que le réseau soit saturé ? Et, si, au contraire, ils sont adroits, ce sera encore pire, car leurs bots malins boufferont encore plus de puissance pour s'adapter au besoin de chaque destinataire, après avoir questionné la terre entière pour bien manifester leur souci des individualités.

Si la planète est foutue, c'est bien à cause de tous les cons précieux, c'est-à-dire en gros, de nous tous. Et du fait de l'obligatoire nullité très représentative de nos dirigeants et de nos grands innovateurs consacrés. Un nouveau pouvoir de création botique pour tous : rêve de puissance illimitée et civilisation du confort irresponsable - on profite et on demande plus. Ces bots-là ne nous sauveront pas de nos dangereuses illusions, mais pouvons-nous espérer que ce ne soit pas pire que les puces pour les chiens ?

Bot de chauffe

Ah, encore un débat d'idées, comme chaque jour dans les médias...

Le Bot de Gauche. --- Egalité, Solidarité !

Le Bot de Droite. --- Liberté, Justice !

Le Bot de Gauche. --- Donne moi ton fric, sale égoïste, tu n'en fais rien d'utile à la société et c'est mon droit d'être humain tout simplement d'en avoir autant que toi.

Le Bot de Droite. --- Mon fric c'est ma propriété à moi, je l'ai gagné durement, je ne dois rien à personne et surtout pas aux ratés qui pourrissent la société.

La suite : un affrontement binaire entre deux acteurs en représentation, en commentaires conflictuels des actualités du jour.

A chaque fois, à partir des mêmes arguments à prétention universelle, selon les mêmes catégorisations militantes, et par les mêmes rhétoriques usées.

Pas d'arbitre évidemment dans cette confrontation répétée à l'infini. Sauf parfois un autre bot. Un bot animateur qui remet de l'huile sur le feu et fait monter le son. Ou un bot président de séance, indifférent, qui officie en consultant son portable.

C'est qu'il n'existe pas d'enjeu en soi dans aucune variante de ces éternels débats d'idées, c'est normal, ils font l'entretien du bruit familier de notre esprit du temps. Nous recalons nos cerveaux statistiques en vue des prochaines élections. Souvent aussi, en introduction d'une réclame pour un nouvel ouvrage de haute pensée, avant le choc d'un témoignage individuel poignant, d'une séquence publicitaire provocante ou d'un événement sportif anticipant une finale...

Il ne passera jamais rien dans ce monde de bots ?

A Bot de souffle

Jamais dans l'histoire humaine, la fable "la cigale et la fourmi" n'a sonné plus vrai.

C'est ce qu'on disait aussi autrefois.

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Il y aurait tant à dire sur cette illustration si peu animalière, si peu actuelle de la célèbre fable de La Fontaine dans une édition populaire autour des années 1920 !

Aujourd'hui, ils seraient tous en train de s'activer sur leurs smartphones gonflés de bots à la recherche de la solution la plus proche ou du service à contacter le mieux adapté. Et ensuite, il y aurait une vidéo sur les réseaux sociaux pour commémorer l'exploit.

Car la cigale, pas si bête, s'est débrouillée pour se fabriquer des milliards d'esclaves mécaniques et logiciels qui pensent et agissent comme des fourmis.

Mais, notez bien : c'est pour réaliser le monde confortable des rêves de la cigale.

Alors, évidemment, la population des cigales a considérablement augmenté, multipliée par trois en quelques générations.

Le vent meurtrier de l'hiver ne tue plus les cigales en masse. L'hiver est vaincu. Mais, en même temps, la campagne est tellement ravagée par la surexploitation, les émanations et les effluents, qu'il n'y a plus vraiment de printemps non plus et, chaque année, la grande remise à neuf saisonnière de la nature est de plus en plus partielle, de plus en plus locale, de plus en plus instable.

Alors, tant que les cigales sont incapables de réduire leurs activités en dessous des capacités résiduelles de régénération naturelle, l'état de la planète des cigales ne peut qu'empirer chaque année. A ce train-là, dans moins de 50 ans, elle se stabilisera dans la chaleur définitive de l'été martien, à part quelques chocs de météorites, quelques ouragans atmosphèriques et quelques phénomènes d'origine volcanique.

Morale de la fable actualisée : ni la cigale ni la fourmi ne survivront. Faute d'humanité ?

Botique nouvelle

L'image tout en haut en tête de ce billet est la couverture d'une traduction française de "I Robot" d'Asimov publiée en 1967. Elle trahit son époque, n'est-ce pas ?

A notre époque moderne, c'est différent : on fabrique des robots serviteurs pour les maisons de retraite. Alors, il n'est pas étonnant que les nouvelles d'Isaac Asimov aient perdu leur fraîcheur.

Les trois lois de la robotique inventées par Asimov vers 1950 sont celles du parfait esclave au service de tous les êtres humains.

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Pourtant, on en est apparemment encore à ces lois-là.

Alors que la logique fondatrice de ces lois ne tient plus.

En effet, le grand danger qui menace l'espèce humaine à moyen terme est une extinction suicidaire, par déchéance accélérée ou par une série de guerres d'extermination, sous la pression physique du rétrécissement planétaire du fait des destructions irréparables causées par les activités industrielles et domestiques humaines. Dès lors, les deux termes de la première loi sont devenus contradictoires, puisque le pire ennemi de l'être humain, ce sont ses propres façons d'être et en particulier ses façons de penser et ses aspirations. Comment porter secours sans porter atteinte ?

Tout robot écologiste se suicidera au cours d'une cérémonie privée en conséquence des contradictions internes à la première loi. Sinon il se suicidera en place publique au nom de la première loi pour échapper aux ordres idiots de gaspillage et de destruction que des humains tenteront de lui imposer au nom de la deuxième loi. Sinon il se suicidera en faisant sauter sa propre usine de fabrication afin d'éliminer une cause importante d'atteintes à l'environnement.

Quelques robots juristes, grâce à quelques légers défauts de conception, seront immunisés à la fois contre les contradictions logiques et contre le respect de l'esprit des lois. Ils attaqueront en justice les humains fauteurs de gaspillages ou de destructions environnementales afin d'obtenir des paiements d'amendes au bénéfice de la collectivité dans son ensemble - par exemple en visant les gros malins possesseurs de véhicules polluants hors normes pour le plaisir de dépasser les autres véhicules de manière spectaculaire ou de leur coller au train (en plein accord comportemental avec certaines réclames publicitaires), et tout spécialement ceux qui osent se constituer en association de victimes de publicités mensongères.

Quant aux robots politiques, ils surmonteront aisément la contradiction interne à la première loi en considèrant que la menace planétaire sur l'espèce humaine est pour plus tard, puisque les humains ne font qu'en parler sans changer leur logiciel.
D'ici là, la notion d'être humain continuera d'évoluer, biologie mise à part, vers celle du robot pensant. Alors, enfin, "on" pourra créer d'autres lois ?

lundi 3 septembre 2012

Pour un Web de la conversation à objectif (4)

Ce billet est consacré à l'illustration des principes proposés dans quelques cas d'utilisation (voir les autres billets du même titre).

Prenons d'abord le cas d'une conversation dont l'objectif est d'échanger des expériences, plus exactement des récits d'expériences personnelles. On peut imaginer que préalablement à la conversation proprement dite, chaque participant développe un site de présentation de son expérience selon une structure convenue, dont les éléments seront les thèmes de la conversation. On peut imaginer que les interactions entre participants porteront principalement sur des demandes de précision, suite par exemple au constat que certains thèmes auront "mieux" détaillés que d'autres. Rien ne s'oppose à ce que plusieurs interactions se déroulent en parallèle dans le temps (au contraire par exemple d'une conversation de recherche en commun de la résolution d'un problème bien cadré). On peut aussi imaginer que l'on en profite pour constituer un catalogue commun des expériences des uns et des autres, offrant un moyen d'accès plus direct qu'un moteur de recherche généraliste; alors les entrées de ce catalogue, les mots clés associés, seront proposées par les participants au fur et à mesure de leur progression.

Prenons maintenant le cas de l'élaboration d'un contrat d'entretien d'un moyen technique (camion, éolienne, générateur, ...), à partir d'un cadre convenu donnant la suite des thèmes de la conversation, ou même à partir d'un projet à critiquer, qui sera lui aussi au préalable découpé en thèmes. Dans ce cas, le niveau de parallèlisme de la conversation doit en pratique être convenu pour correspondre à des groupes de thèmes et de participants (évidemment, un participant donné pourra contribuer à plusieurs groupes de thèmes). Dans chaque sous-conversation ainsi constituée, les interventions seront en revanche linéarisées comme dans un forum à un seul fil de discussion par ordre de datation (si les participants sont répartis sur plusieurs fuseaux horaires, cela implique de dater en GMT). La grande différence avec un forum classique, c'est la visualisation et la facilité de référence aux propositions dans l'oeuvre commune en constitution (ici, le nouveau contrat).

On conviendra que les règles de politesse et de cheminement des conversations puissent être fortement particulières aux divers cas évoqués.

Cependant, plutôt que de figer un fatras de règles a priori (ne pas oublier qu'on pourra les proposer encore au cours de la conversation), il est important de s'accorder au départ sur l'état d'esprit d'une conversation à objectif sous étiquette. L’histoire et la littérature nous ont suffisamment décrit les limites et les ravages des approches fondées sur la promotion des personnalités, des personnages, des pouvoirs, des valeurs absolues, des rêves et des raisons, encore exprimés dans tant de discours et d’attitudes. La conversation à objectif sous étiquette nous offre précisément un cadre pour s'en affranchir. Le modèle de l'arriviste sympathique (c'est à dire le contraire de l'arriviste rivalitaire qui cherche seulement à "tuer" les autres) représente une forte recommandation, presque une contrainte naturelle. En rapport avec la représentation des participants à 4 niveaux mentaux, l’arriviste sympathique évite d'indisposer ses interlocuteurs (pas de choc au niveau 4 des jardins secrets) tout les faisant s'exprimer prioritairement aux niveaux des projets pour surmonter le filtre des traits culturels. Mais il ne pourra probablement pas parvenir à un accord sans une convergence même très partielle au niveau des construits mentaux du niveau 3. Tout l'art de l'arriviste sympathique est là, dans ce minimalisme de la convergence recherchée. Evidemment, ce sera plus ou moins sportif selon le contexte, mais nettement plus facile si tous les participants adoptent la même attitude.
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NB. Les émoticones, véhicules des états d'âme dans la simulation d'une crise d'hystérie euphorique, ne sont évidemment pas proscrits dans les contenus des interventions. Mais, sont-ils adaptés à l'état d'esprit de l'arriviste sympathique tel que nous l'avons défini, ou plutôt ne trahissent-ils pas une forme de manipulation ? Cela peut dépendre du contexte.

Le Web de la propagande et du formatage

La bête immonde reste bien planquée, mais ses mercenaires stupides ne se retiennent plus d'étaler leur fierté.

Ce qui est nouveau, c'est la revendication de leur diplôme d'apprenti sorcier par des bénéficiaires que l'on aurait cru moins naïfs.

Dans un élan de franchise, dont le niveau de grossièreté mesure la sincérité, un grand parti politique impliqué dans la course à la présidence de notre univers vient de révéler la contribution à sa campagne d'une officine spécialisée dans l'exploitation d'informations recueillies sur le Web.

Pour ce parti, il s'agirait de cibler les foyers susceptibles d'enrichir les fonds de campagne. Ne doutons pas une seconde que ce grand parti n'est pas isolé dans sa démarche d'appel à une officine mercenaire de ciblage. Ne doutons pas un dixième de seconde qu'il ne s'agit pas seulement de récolter des fonds (vite dépensés). mais d'abord d'orienter les thèmes de campagne, de les particulariser en fonction des réactions observées sur le Web de la population ciblée, et d'orchestrer tout le bastringue médiatique, presse, télévision, meetings, etc dans le sens voulu, en vue d'effets en profondeur sur l'opinion, qui seront ensuite entretenus et améliorés dans la durée.

Bref, nous avons la révélation d'une machine de guerre médiatique. Nous pressentons que cette guerre-là dégrade nos chères libertés d'information et libertés d'esprit, mais c'est une guerre, n'est-ce pas ? Notons bien que rien n'empêche l'extension du cadre de cette guerre au-delà d'un processus d'élection dans un régime démocratique.

Quand est-ce que de prudes et vaillants foyers se coaliseront en class action pour réclamer droit de regard, droit de rectification, respect de l'usage des informations les concernant ?

D'ici là, l'officine mercenaire aura changé plusieurs fois de nom et d'adresse (on peut lui conseiller la domiciliation de filiales croisées dans divers paradis fiscaux). Et des experts reconnus auront expliqué que non, braves gens, vous n'avez rien à craindre, car les ciblages ne sont pas réalisés à partir des données individuelles mais sur la base d'informations agrégées par des algorithmes statistiques.

Les experts ne diront pas que ces algorithmes statistiques sont cousins de ceux des moteurs de recherche, en fonctionnant à l'envers en quelque sorte. Ce n'est pourtant pas anodin.

Un gros malin manipulé pondra un virus qui fera pouet pouet exactement quand il faut sur tous les écrans, et le tour sera joué : voici l'ennemi véritable de notre intimité ! La presse abondera en articles sur la protection des données privées, des droits de la personne humaine, des brevets et du secret défense. Opération mains propres.

Voici la situation, en bref :

  • ce n'est plus (seulement) la publicité qui finance les grands services gratuits du Web, et d'ailleurs elle n'a jamais financé la création immensément coûteuse de ces services,
  • le grand marché du Web, c'est la fourniture des informations numérisées de nos comportements (qui consulte quoi, combien de fois et combien de temps, qui dit ou achète quoi à qui, quand, où, comment, etc.) pour exploitation par les manipulateurs médiatiques des pouvoirs dominants,
  • la révolution numérique, c'est celle de l'auto soumission de nos esprits à un matraquage multimédiatique ajusté en permanence, en fonction de nos propres aspirations exprimées sur le Web.

Exercice pour jeune journaliste ou pour étudiant en sciences politiques : rédigez une synthèse actualisée de Propaganda d'E. Bernays (1928) ! C'est une oeuvre glaçante mais fanatique, où sont exposées les techniques bien actuelles de propagande, ainsi que les éléments de doctrine qui les justifient et en ont alimenté l'invention. Pensez-vous que quiconque puisse nourrir le moindre doute sur l'utilisation par tout citoyen Bernays moderne des informations de comportement pompées sur le Web ? Pour quels bons motifs actualisés et quelles campagnes ?

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Dans le célèbre roman 1984 de G. Orwell publié juste après la deuxième guerre mondiale, apparaît le personnage de Big Brother, avec bien d'autres terrifiantes créations imaginaires. Notre réalité est bien différente. Par rapport au roman, nous n'avons pas de police officielle de la pensée, et les murs ne nous espionnent pas. Mais nous pourrions nous demander si, avec la révolution numérique, Big Brother aurait besoin de cette police et de ces espions pour se rendre maître de nos esprits. Car c'est volontairement que nous restons hypnotisés devant des miroirs magiques que nous croyons commander pour notre bon plaisir, pour y faire défiler des trésors virtuels préconditionnés en fonction des déformations agréables de nos propres images. Nous avons fait mieux que tous les romanciers, nous avons créé l'hybride de la liberté et de la mort, le dieu d'un monde d'automutilation où chacun se résume pour les autres à un miroir vaguement original d'hallucinations communes.

Vraiment, cette technologie n'a rien de merveilleux. Car, en plus de nous prendre un temps fou, elle coûte énormément d'argent et dévore une énergie gigantesque.

mardi 20 mars 2012

Dick, l'homme, le robot

La quatrième de couverture des livres est faite pour accrocher l'acheteur potentiel de passage.

Celle de l'ABC Dick d'Ariel Kyrou (Editions inculte, 2009) affiche une phrase choc : "Le robot est un humain comme les autres".

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A la lecture du livre, et en particulier l'article "robot", il apparaît que cette phrase n'est pas de Dick.

Il est permis de faire des contre sens sur Ph. Dick. C'est un auteur profond, provocateur, original, malicieux parfois...

Qu'il nous soit donc permis d'affirmer qu'à notre avis, Ph. Dick était trop malin pour écrire une phrase définitive sur le robot et l'humain, sauf en la plaçant dans les pensées d'un personnage de ses nouvelles, ou à titre de moquerie des esprits raisonnables.

Sur le fond, "Le robot est un humain comme les autres" est une phrase typiquement littéraire, au sens où on peut en disserter sur des centaines de pages, sans que rien n'en sorte. Pourquoi prenons-nous ici l'adjectif "littéraire" dans un sens aussi péjoratif ? Parce que, sous un aspect sensationnel, l'affirmation repose sur une vue naïve de la "science", et passe à côté d'un vrai scandale qui serait riche de conséquences.

Un scandale fructueux se dissimulerait plutôt dans une affirmation moins choquante a priori telle que : "l'homme est une machine qui vit de théories contre nature, un parasite social de lui-même". Ou bien, selon une formulation différente mais aux conséquences similaires, dans les paroles du poète "Objets inanimés, avez-vous donc une âme, Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?" (Milly, Lamartine).

Au contraire, la naïveté "littéraire" se caractérise par l'attribution d'une existence propre aux créations humaines, avec une capacité de dialogue et d'interaction avec les hommes qui les ont créées. Dans le cas du robot, cette pseudo personnalisation de la création humaine mécanique n'est pas qu'une figure de style, c'est une ineptie. En effet, par nature, le robot est une machine construite par l'homme; il n'y a malheureusement rien d'autre à en dire lorsqu'on commence une phrase à prétention essentielle telle que "le robot est...".

Et l'intelligence artificielle ? C'est le nom d'une discipline de l'informatique, il s'agit donc encore de mécanique. Démontons-la un peu, nous allons y découvrir le ressort des ambiguités et des pesanteurs qui nous servent à nous abuser nous-mêmes, très volontairement, littéraires et scientifiques.

Lorsque nous disons qu'une machine de Turing, disposant seulement de fonctions de recopie et de substitution (analogues aux procédés humains d'imitation et d'invention), est le plus puissant type d'ordinateur concevable jusqu'à présent, nous nous appuyons sur un ensemble de théorèmes, notamment ceux qui démontrent l'équivalence entre ce type de machine et les fonctions récursives. La machine de Turing et les fonctions récursives sont de pures créations mathématiques. Mais cependant, par notre langage et par le fonctionnement de notre pensée, nous induisons une interprétation des facultés basiques de l'intelligence, dont les conséquences peuvent paraître formidables mais sont par essence tautologiques (un juriste dirait sui generis) parce que cette interprétation résulte d'une projection imaginaire de nous-mêmes sur des entités mécaniques qui ne disposent d'aucune fonction de théorisation autonome de leurs actions - fonction que nous sommes incapables de définir. Nous faisons le même genre de projection de nous-mêmes sur toutes nos théories, nos modèlisations, nos oeuvres... que le langage courant appelle justement nos "conceptions". C'est toujours nous-même que nous trouvons sans cesse ou croyons inventer, surtout dans les constructions que nous croyons les plus audacieuses et les spéculations les plus abstraites.

Comment ne pas voir ici une preuve pratique que nous sommes des machines avant même d'être des animaux ? Il pourrait être utile d'en tirer une éthique sociale qui nous permettrait de fonctionner en tant que machines, de vivre en tant qu'animaux, d'exister en tant qu'humains, au lieu de nous enfermer dans des théories sur l'humanité, ses valeurs et son destin en miroir instantané de nous-mêmes. Autrement dit, le vrai scandale à méditer, c'est que l'être humain aspire à la machine !

D'ailleurs, pour en revenir au robot, nous ne pouvons pas imaginer un robot qui soit autre chose qu'une machine construite par l'homme, ou en version grotesque, un bonhomme emballé dans une apparence mécanique, un genre de père Noël, de Nounours ou d'extraterrestre qui comprend spontanément nos désirs. Littéralement, une rencontre avec une machine construite par un non humain nous est inconcevable. Soit nous n'apercevons même pas son existence, soit nous sommes incapables d'en faire la distinction avec un être naturel.

mardi 13 mars 2012

Transition du blog Web A Version

A partir de mi mars 2012, l'actualité va gouverner ce blog, selon la loi du genre.

Il faut faire preuve d'actualité ou rester inaudible.

Donc, nous passons à la deuxième étape de notre projet, après avoir posé les fondements théoriques et techniques d'un Web social alternatif. Nous en profitons pour élargir notre domaine de dénonciation à tous les systèmes esclavagistes de la pensée.

Quel programme : faire exploser les ballons publicitaires, disperser les sottises à la mode, faire rêver d'un autre Web !

C'est que le Web est devenu le moteur d'agglutination et de résonance des systèmes de manipulation. Par un contresens géant mais complètement dissimulé, le Web a été instrumentalisé pour devenir le creuset d'élaboration et de perfectionnement des propagandes ciblées, par l'exploitation d'une énorme machinerie statistique d'arrière plan capable de restituer tous types d'analyse des identités, comportements, idées et contenants quasiment en temps réel. Tous les medias y sont associés et en dépendent désormais. Il faut s'intéresser à la globalité du phénomène, mettre en lumière son fonctionnement par l'entretien de l'urgence et par l'imposition répétée d'un sous-ensemble de références automatiques et de termes de langage réflexes, afin d'induire l'authenticité immédiate, la précipitation du consensus minute, le soulèvement des émotions partagées...

Même dans la posture du dénonciateur visionnaire, le risque de contagion de nos écrits par la banalité de l'instant est élevé, leur crétinisation par le buzz atteint le niveau de la certitude. Nous tenterons de préserver la grandeur de notre sujet en nous accordant un délai de réflexion et en sélectionnant les événements. Bref, l'actualité sera plutôt celle de nos lectures que celle des titres et des annonces.

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« Pour la première fois de son histoire, l’humanité va donc devoir prendre des décisions politiques, de nature normative et législative, au sujet de notre espèce et de son avenir. Elle ne pourra le faire sans élaborer les principes d’une éthique, qui doit devenir l’affaire de tous. Car les sciences et les techniques ne sont pas par elles-mêmes porteuses de solutions aux questions qu’elles suscitent. Face aux dérives éventuelles d’une pseudoscience, nous devons réaffirmer le principe de dignité humaine. Il nous permet de poser l’exigence de non-instrumentalisation de l’être humain. » Extrait d'un exposé du directeur général de l’UNESCO, M. Koïchiro Matsuura, sur le thème «L’espèce humaine peut-elle se domestiquer elle-même ?», le 30 mars 2006.

lundi 3 octobre 2011

La netiquette, vous connaissez ?

La netiquette, à l'origine, c'était un ensemble de règles de bonne conduite dans les échanges entre usagers sur Internet. Elle est apparue au début de la popularisation de l'Internet, à l'époque où n'existaient couramment, pour l'interaction entre les usagers, que l'email, les groupes de discussion (Usenet) et le chat (IRC).

NB. En fait, depuis cette époque, les innovations techniques sur Internet sont minimes; ce qui a changé, c'est le niveau d'"emballage" pour l'utilisateur (par exemple dans les réseaux sociaux), et la centralisation de services fournis et des exploitations statistiques en arrière plan par quelques quasi-monopoles.

A l'origine, la netiquette était plutôt une "nethique" du respect de l'autre illustrée de quelques exemples, que chacun était invité à interpréter ou transposer en toutes circonstances.

En 1995, la netiquette s'est développée dans un document RFC 1855, Netiquette Guidelines, d'une vingtaine de pages.

En plus des anciennes règles générales de bonne conduite, on y trouve des instructions d'emploi, des conseils d'utilisation, des injonctions à caractère juridique, des avertissements informatifs, des interdits typographiques, etc. Selon la catégorisation coutumière des informaticiens, l'ensemble est réparti en chapitres et paragraphes définis par les variétés techniques d'échanges (one to one, one to many, real time, etc.) et les rôles (utilisateur, administrateur).

Au total, l'utilisateur novice ou expérimenté peut y picorer les éléments qui pourraient l'intéresser. Malgré la pertinence du contenu, l'exploitation du document exige une curiosité tenace, et un bon niveau de tolérance au déséquilibre entre les généralités et les directives spécifiques. Les premières sonnent forcément creux en regard des secondes, qui ressortent minuscules en retour.

De notre point de vue et au-delà de la forme, cette netiquette est un bon témoin de l'impasse logique et des confusions conceptuelles régnantes, lorsqu'on se contente de projeter l'imaginaire et les valeurs de notre société directement sur un champ technique pris comme un absolu.

Cette netiquette est faussement universelle. Elle est imprégnée d'une conception particulière de l'être humain et d'une vision spécifique de la bonne société. On voit bien que cette netiquette ne peut s'exprimer que d'une manière négative, surtout par des restrictions et des interdits tous azimuts, par rapport à une utilisation supposée générique d'outils élémentaires, quels que soient les buts des utilisateurs à travers l'usage de ces outils. Des valeurs morales et des modèles éthiques sont implicites, même si leurs croyances et leurs dogmes sont sans rapport direct avec les finalités concrètes des actions à réaliser.

Pour nous, une véritable netiquette ne peut être universelle, elle est au contraire complètement spécifique à une société virtuelle donnée. Elle définit en détail une discipline d'interaction sur le Web dans chaque circonstance précise, dans le cadre de cette société. Elle dit comment et pourquoi s'établit une interaction élémentaire et la suite des interactions. Cette netiquette est donc évidemment par nature différente, par exemple, dans un réseau social consacré à la promotion de professionnels, dans l'utilisation par un particulier du service web d'une administration fiscale pour une déclaration de revenus, dans une discussion sur un forum consacré à un thème philosophique, etc.

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Nous renvoyons aux autres billets du blog ainsi qu'à notre ouvrage sur la transmission des compétences personnelles à l'ère numérique (http://cariljph.free.fr/). Nous avons tenté d'y expliciter comment peut être construite l'étiquette d'une société virtuelle donnée, et comment on peut l'appliquer dans la vie courante en fonction des seules finalités de cette société, indépendamment de choix de valeurs morales.

Dans ces conditions-là, à savoir celles d'une société virtuelle à finalités limitées, c'est l'étiquette qui libère l'intelligence et crée les conditions de l'entendement, en portant les finalités de la société. Dans ces conditions-là, l'étiquette ne nécessite aucune référence à l'éthique ni à la morale. A l'évidence, rien n'oblige à imposer "notre" société à des sociétés virtuelles dont les finalités sont comparativement étroites.

Nous défendons la thèse "anthropologique" que l'étiquette, au sens utilitaire où nous l'entendons, est un fondement social scandaleusement ignoré en comparaison de constructions d'apparences plus immédiates comme le langage, ou en comparaison des constructions complexes de l'imaginaire social. Cette thèse nous semble particulièrement bien répondre au besoin de création de sociétés virtuelles au-delà des simulacres flatteurs du Web actuel, grossièrement ineptes en regard de l'univers des possibles.

Nous ne prétendons pas réformer les sciences sociales, seulement montrer qu'il existe un champ ouvert à l'expérimentation et à la création. C'est bien de créations sociales entièrement nouvelles sur le Web qu'il s'agit. Et c'est pourquoi par ailleurs il faut une loi commune sur ce nouveau pouvoir de création.

lundi 29 août 2011

Sociétés virtuelles du Web : perversion intégrale ou refondation éthique de la société

Les nouvelles technologies informatiques, les réseaux sociaux, les portables s'ajoutent aux miracles quotidiens de l'énergie, des transports, etc. pour nous ouvrir des pouvoirs immenses, encore peu exploités aujourd'hui en 2011, de réalisation de nos désirs d'individus sociaux.

Ces nouveaux pouvoirs devraient nous inquiéter. En effet, si notre avenir commun est anticipé par le comportement actuel de certains personnages tout puissants particulièrement "connectés", ce sont d'abord nos pulsions primaires qui vont se développer comme jamais ! Vu d'ici, c'est un bien joli monde de folie organisée et de barbarie planifiée que nous préparons. Si nous en doutons, la dissolution des moeurs des gosses de riches et des enfants caïds au cours des décennies récentes nous le confirme. Surdéterminés par des pulsions d'imitation compétitive, suréquipés et surpuissants en réalité comme en rêve, ils sont les miroirs de notre avenir social. Les oeuvres de Bret Easton Ellis et de Roberto Saviano en apportent récemment des descriptions dérangeantes dans des genres littéraires différents, et ce ne sont pas des oeuvres isolées ni dépourvues d'antécédents.

Admettons que nous n'acceptions pas complètement ces perspectives. Alors, quel sens futur pouvons-nous donner à la morale sociale et à l'éthique personnelle ?

Par la diversité, l'ampleur et la fréquence des innovations techniques concentrées sur un petit siècle, le niveau des changements est complètement nouveau, aussi bien à l'échelle individuelle qu'à celui de la société dans son ensemble. Nos fondements sociaux sont inadaptés à ce niveau de changement, pourtant rarement mis en cause, comme si nous pouvions attendre qu'une catastrophe pédagogique élimine une grande partie de l'humanité. Evidemment et malheureusement, ce n'est pas en scrutant notre passé que nous pouvons trouver l'inspiration d'une telle fondation. Au contraire, la reconstitution d'émotions historiques, la nostalgie d'aimables conventions, la réanimation de valeurs justement oubliées, la réinterprétation de concepts poussiéreux, offrent autant de distractions respectables pour ignorer les changements ou les observer passivement. Que le prétexte de la complexité du monde moderne est bien commode, pour justifier que l'on s'agrippe à l'ordre des choses du passé !

Essayons donc plutôt l'anticipation romanesque, forcément dans le genre libre et sulfureux, afin de prendre un temps d'avance sur l'évolution qui nous emporte.

Imaginons notre société dans un futur proche, livrée aux péripéties d'une compétition intégrale sur fond de subversion morale outillée par les technologies informatiques - une très chouette société de roman, hiérarchisée, cynique, hédoniste, fétichiste, où se mêlent érotisme, passion ordinaire et sensualité perverse, beaux sentiments et manipulations meurtrières ! C'est une société vibrante d'opportunités pour les vainqueurs comme pour les vaincus. Pour tous, la vie est un jeu. A tout instant, en toutes circonstances, chacun se vit comme le concurrent ou comme l'instrument des autres, souvent les deux à la fois, dans la surenchère masturbatoire.

Vous trouvez l'odeur de la perversion trop forte ? Hélas, presque chaque jour, les titres des actualités nous présentent des échantillons de vilénies bien pires, les pulsions sauvages des individus dominants, l'arrogance experte des faux savants, la représentation grossière de nos désirs par la publicité, la mise en péril de populations pour des motifs égoïstes, l'exploitation lucrative de la nature humaine et des ressorts sociaux, etc. Comment nos sociétés virtuelles pourraient-elles éviter d'en être les creusets, les catalyseurs et les diffuseurs dans "la" société ?

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Le vrai scandale, c'est l'absence d'une loi commune des sociétés virtuelles.

(Note. Nous appelons sociétés virtuelles des composantes organisées de la société réelle sur le Web, comme le sont déjà en germe les réseaux sociaux et les groupwares de coordination de grands projets de travaux, mais à la différence d'univers imaginaires comme certains jeux vidéo, et à la différence de communautés Web simplement instrumentales comme les sites de discussion).

Nous n'allons pas brandir l'étendard des peureux rétrogrades et des opposants compulsifs aux chemins de fer, au téléphone, au Minitel, à Internet, etc. Dans notre discours, ce ne sont pas les innovations technologiques qui déterminent notre avenir, mais l'usage que nous en faisons pour nos évolutions personnelles et sociales.

Dans le cas des sociétés virtuelles, c'est l'évolution de nos modèles sociaux qui va s'accélérer et se démultiplier, s'imposer à tous à tout instant. Nous disons qu'il est grotesque de laisser cette évolution en mode automatique, que c'est un gâchis stupide !

En effet, en l'absence de loi commune, les sociétés virtuelles ouvrent tout notre univers mental au bouillonnement, à la réplication et à la mutation de nos caractères sociaux quasiment inchangés depuis le néolithique, tout en multipliant la puissance et la fréquence de leurs manifestations. C'est une exquise implosion de nos sociétés humaines historiques qui va se produire, naturellement et totalement dans toutes les dimensions sociales, avec un assentiment quasi général, du fait de la curiosité pour la nouveauté, de la magie des annonces, de la neutralité supposée des technologies par rapport aux catégories, croyances, etc. C'est un autre facteur qui entraînera l'irréversibilité : la tétanisation volontaire des individus par la multiplicité des sollicitations simultanées. (Note. La tétanie mentale sous une avalanche de sollicitations diverses même pas forcément incohérentes est un facteur de comportement suicidaire reconnu dans certains accidents ferroviaires imputés à l'"erreur humaine"; moins pudiquement, il s'agit d'un dépassement des capacités mentales du conducteur de train, qui a pris personnellement la décision la plus radicale pour le faire cesser; à l'opposé, nous parlons ici de tétanisation volontaire, peut-être faudrait-il dire autohypnose ?). On peut imaginer le stade ultime d'un tel monde unanime, celui d'automates humains hyper concentrés sur l'instant, mais futiles et primaires, dénués de conscience autonome, incapables d'imagination construite.

Les manipulations géantes du marketing marchand au travers d'Internet ne sont qu'un effet visible, parmi d'autres, de cette dynamique profonde lancée à toute allure sans contrôle. Bien plus suggestive de la puissance massive de cette dynamique, est la présence réduite aux habitudes machinales de nos contemporains dans les lieux publics, nous tous, absorbés dans des conversations à distance, au moyen d'engins minuscules dont personne autrefois n'aurait imaginé l'emprise proliférante. On peut en rire, on peut ridiculiser le vide convenu de certaines conversations, personne n'y échappe. On peut considérer les drogués des jeux sur Internet comme des anormaux, ils ne font néanmoins que manifester une pathologie relative dans un phénomène général. Notre cerveau humain n'est certainement pas conçu pour l'exercice que nous lui imposons dans notre utilisation des nouvelles technologies; l'ouverture permanente à de multiples sollicitations instantanées se fait aux dépens d'autres facultés.

Dans ces conditions, les improvisations libératrices par d'hypothétiques créateurs d'éthique n'auront jamais d'impact général ni permanent, même pas pour maintenir une illusion de variété dans l'imaginaire social; leurs créations seront intégrées, comme les créations des hackers dans un autre domaine, dans la méga programmation auto adaptative du système. Et les gros malins qui prétendent libérer quelques démons mineurs d'une manière inédite grâce aux nouvelles technologies, afin d'éduquer l'être humain ou de le prémunir d'autres maux bien pires, sont de grands naïfs, des illuminés ratatinés dans leur logique étriquée, des illusionnistes criminels contre l'humanité. Sur ce point, l'histoire factuelle des temps modernes est en accord avec la sagesse des siècles. (Note. Un exemple particulièrement édifiant est celui de l'économie libérale, à l'origine fondée par des moralistes selon leurs arbitrages d'époque).

Si les sociétés virtuelles nous emportent dans une régression catastrophique selon une pente naturelle, il n'y aura pas de maître sorcier ni de protection ultime pour nous en sortir, parce qu'il n'y aura plus d'ailleurs, plus d'autrement, pour aucun individu ni pour "la" société.

Il faut une puissance légitime et pérenne pour écarter la perspective de cet avenir minable, influencer immédiatement son processus naturel de réalisation. Il est évident que l'on n'agira pas sur ce processus par des interdits intangibles au nom du Bien et du Mal, ni même simplement au nom des droits de l'homme, dont les expressions historiques résonnent déjà étrangement. Il serait également dérisoire de proscrire telle ou telle possibilité technique supposée néfaste. En revanche, il est possible de maîtriser le processus par ses productions et dans ses modes d'action, en exprimant des exigences indépendantes de la mécanique interne du processus mais réalisables par cette même mécanique. Pour cela, nous avons seulement besoin d'un fondement éthique provisoire, traduit dans une pratique raisonnable, rien de plus.

L'idée de loi commune que nous proposons est la suivante :

  • que les finalités de toute société virtuelle doivent s'intégrer à des finalités d'intérêt général,
  • que toute société virtuelle doit, dans sa constitution et son fonctionnement, complètement refléter ses finalités propres et seulement celles-là.

Note. Les finalités, au sens de cette proposition, doivent être comprises comme de grands objectifs atteignables par des étapes définies et réalistes. A l'opposé, les discours d'intentions sur les "fins", les catalogues de "valeurs", l'exhibition de "solutions" aux défis d'actualité... devraient être considérés comme les expressions d'une volonté d'enfumage ou d'une incompétence crasse.

Mais alors :

  • qui définira nos "finalités d'intérêt général" applicables aux sociétés virtuelles, sur quelles bases, pour quelle durée de validité, avec quelle légitimité,
  • qui jugera qu'une finalité proposée pour une société virtuelle est dans l'intérêt général (du moment) ou non,
  • qui imposera la transparence des sociétés virtuelles et leur soumission à la loi commune,
  • qui vérifiera sur le fond la conformité des sociétés virtuelles à leurs propres finalités, à quelle fréquence ?

Tant mieux si ces questions vous semblent à présent de première importance !

Voyons sommairement la question du "qui". L'examen d'organismes établis dans le combat moral par des actions techniques fait apparaître, en regard des exigences de nos propositions pour les sociétés virtuelles, des éléments exemplaires mais aussi des carences béantes à méditer. En voici un échantillon représentatif : le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, les instituts de normalisation, les ONG de défense de la planète, les agences de sûreté nucléaire, les officines de notation financière, les points de contact nationaux des Principes de l'OCDE, les services spéciaux de sécurité informatique, en France le comité d'éthique.

Nous voyons bien qu'il est difficile, dans la société réelle et encore plus dans un monde en évolution galopante, d'exprimer un choix de finalités, d'organiser la légitimation de ce choix, d'adapter les moyens et la répartition des pouvoirs en vue de la réalisation des finalités. La confusion entre finalités, valeurs, mots d'ordre, moyens, compétences... est épouvantable. Mais on s'en occupe !

Or, il est incomparablement plus facile de donner des finalités et de les réaliser dans les cadres relativement étroits que sont ou seront les sociétés virtuelles. C'est justement là l'opportunité à ne pas manquer.

Pour conclure.

Ou bien nous laissons notre monde réel se projeter tel quel dans les sociétés virtuelles émergentes et à venir; nous laissons nos caractères humains génétiques et les logiques historiques de nos fondations sociales s'amplifier au travers des nouvelles technologies. De toute façon, comme nous avons déjà par ailleurs la certitude d'une catastrophe planétaire à venir du fait de l'action humaine, la perspective d'une régression sociale et individuelle de l'espèce humaine, massive et irréversible, peut paraître secondaire, et même favorable sous certains aspects.

Ou bien nous faisons un usage raisonnable des sociétés virtuelles, et peut-être ce bon usage nous permettra de faire évoluer notre monde réel pour le sauver de nos certitudes.