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jeudi 15 septembre 2022

Errata

Erratum

Le billet précédent contient un chiffre erroné du nombre des décès imputés aux épidémies de covid. Vérification faite, l'ordre de grandeur des décès cumulés sur 3 ans des épidémies successives n'est pas de quelques pourcents de la population totale. Il est d'un autre ordre de grandeur : entre deux et trois DIXIEMES de pourcent sont imputés au covid au total sur 3 ans, par ailleurs sans variation importante de la mortalité toutes causes confondues à l'échelle quinquennale.

En France, nos journaux de grande diffusion ont osé titrer sur le franchissement de "la barre des 150 000 décès dus au covid" au début de l'année 2023... sans faire le rapport avec les 65 millions de notre population totale, sans faire le rapport avec le total des dépenses en dizaines de milliards d'euros pour le soutien des entreprises mises en sommeil pendant la crise et pour les achats et la distribution de traitements innovants, sans faire le rapport avec tout ce qui a été perdu dans le domaine de l’inestimable.

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Dans l'hypothèse d'un virus artificiel dont personne ne savait anticiper précisément les effets au grand large, alors, par des considérations géopolitiques immédiates, on peut expliquer l'extrême sévérité des mesures sanitaires contre la première vague épidémique, à l'imitation du pays hôte d'origine, partout dans le monde. Mais logiquement dans cette hypothèse, après quelques semaines d'apprentissage, au plus tard après le constat du remplacement du variant initial par des variants moins agressifs et le recueil de l'expérience historique de maladies similaires, toutes les mesures exceptionnelles auraient du cesser ou être adaptées en proportion du risque réel. Ce n’est pas ce que nous pouvons constater : la suite de l'histoire ne relève plus de la logique commune, et en l'absence de l'hypothèse d'artificialité, rien depuis le tout début.

Est-ce que les bourgmestres et princes italiens contemporains de Machiavel n'auraient pas géré ces épidémies dans leurs villes de meilleure manière, avec les moyens et connaissances de l'époque - soit en ne s'apercevant de rien, soit en commençant par donner un joli nom au nouveau mal ?

Comment, à cause de quoi, avons-nous perdu l'art de vivre des transitions sur lesquelles nous n'avons pas ou peu de pouvoir ?

A défaut, sommes-nous devenus dépendants de séances d’hypnose collective, au point d’accepter des accumulations monumentales d'incohérences et d'erreurs, des violences contre nous-mêmes ?

Quels niveaux de sacrifice nos dirigeants sont-ils devenus capables d'imposer aux populations pour justifier des vérités fabulées, pour maintenir des prétentions à la toute puissance, pour entretenir la croyance qu’ils sont aux manettes et que ces manettes commandent tout ?

Le dogme d'infaillibilité de la Science et de la Technique serait-il devenu assez puissant pour soumettre ses croyants les plus privilégiés aux crises de folie typiques des castes dominantes face à l'inconnu... face à l'avenir ?

Erreurs de sagesse

"Reconnaître ses erreurs est le début de la sagesse". Une image jaunie nous montre un vieillard faisant un geste de remontrance à un enfant. Dans l’instant, l’association de la promesse de sagesse à l’obligation d’une repentance passe par une humiliation. L’enfant recherchera-t-il la sagesse lorsqu’il sera grand ?

Mais à présent, il existe d’autres raisons, durables, de refuser la sagesse : dans un monde humain citadin qui change à toute allure, sur une planète qui intensifie ses manifestations d'inhospitalité à chaque saison, que sommes-nous pour prétendre à une destinée volontaire individuelle, que sommes-nous pour prétendre à une sagesse immuable de référence ?

Mais à présent, l'évidence brutale du monde fait qu'il ne sert plus à personne de reconnaître ses erreurs humaines, les erreurs dans les choix raisonnés comme celles inspirées par les passions, car depuis le moment des erreurs commises, presque tout a disparu ou changé, l'erreur d'hier appartient à une époque oubliée, définitivement hors de portée de toute réparation, sa reconnaissance ne relève plus que de l'acte mémoriel symbolique ou de la repentance maladive.

Alors, en discontinuité des mauvaises habitudes séculaires, la mobilisation de nos ressources d'arrogance, de bêtise, de fausseté pour nier nos erreurs devrait être considérée comme un exercice grotesque.

Dans notre monde actuel tel qu’il va, tout a changé définitivement et tout va changer encore plus définitivement.

Alors, en rupture de nos aspirations, la mobilisation de nos imaginations rêveuses d'un monde idéal, un monde de sagesse, ne peut plus nous créer qu'une distraction fugitive. L'illusion séculaire d'une marche perpétuelle vers le progrès a disparu, étouffée par la grande peur de la prochaine décennie, l’anticipation d’une terrible année prochaine. L'idée d'un futur maîtrisable est devenue une croyance inconfortable, sauf pour quelques personnes immensément fortunées, sauf pour les dirigeants figés dans d’anciens schémas mentaux. A horizon de vie humaine, ce qui est détruit maintenant ne reviendra plus jamais et certaines destructions en entraînent automatiquement d’autres. Un arbre sain abattu en ville est un arbre en moins, la rupture d'un contrat d'approvisionnement de ressources énergétiques rend ces dernières indisponibles pour toujours, la destruction d'une zone grise entre des espaces exploités et "la nature" fait de cette dernière la zone grise...

Donc, adieu la "sagesse" qui nous a conduits à la catastrophe ?

Ou bien, au contraire, y aurait-il une autre sagesse ?

Relisons le vieux dicton sans nous laisser influencer par sa banalité apparente, sans condescendance du haut de notre modernité, en acceptant son contenu critique par anticipation. Nos anciens savaient tout de la nature humaine.

Le "début de la sagesse" par la reconnaissance de nos erreurs, que les conséquences de ces erreurs paraissent à présent dérisoires ou au contraire irrémédiablement pesantes, ce serait un contre sens de le comprendre comme un atome d'expérience - "cela, je ne le ferai plus, je sais pourquoi, je sais comment faire la prochaine fois" - qui serait cumulable avec d'autres atomes d'expérience pour constituer un capital de sagesse. La sagesse par capitalisation est celle de nos machines, celle de nos élites programmées, celle de nos systèmes. Cette sagesse à prétention cumulative peut servir à canaliser une progression, en tant qu’intelligence d’une force vectorielle brute - qu'en reste-t-il quand le moteur du progrès fait défaut ?

La sagesse à la gonflette est condamnée à l'obsolescence faute d'énergie disponible, faute d'intégrer les imbrications des limites au progrès, et surtout faute de pertinence dans un monde qui fait plus que changer, un monde qui tremble et tangue de la cave au grenier dans toutes ses dimensions.

Fondamentalement, le début de notre sagesse selon le diction des anciens, serait donc tout simplement la conscience de notre humanité faillible. Et trompeuse d'elle même. On devrait donc considérer cette sagesse à l'ancienne comme une discipline mentale - une discipline ordinaire d'élévation de la conscience.

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Dans cette conception, la logique, le raisonnement, les valeurs, l'imagination... sont des instruments de cette discipline parmi d'autres, mis en oeuvre comme des artefacts ou respectés comme des contraintes provisoires. Cette sagesse-là pourrait définir un idéal de liberté de l'esprit, un idéal d'existence humaine. Nous savons par expérience, de par notre nature humaine, que la sagesse ne risque pas l'usure par abus d'usage. S'il existe certainement de nombreuses occasions pour un "début de la sagesse", ladite sagesse n'est pas un état qui se caractériserait par un signe ou une sensation, alors que la fin de la sagesse risque à tout moment de nous envahir corps et âme.

Donc finalement, la sagesse selon nos anciens serait une discipline personnelle d'usage au mieux ponctuel, sans garantie sur la valeur du résultat, encore moins sur la permanence dudit résultat, pour une prise de recul permettant de mobiliser "le meilleur de nous-même". Cette discipline est-elle une cousine ou une génitrice du doute scientifique ?

Individuellement, on peut vivre en société sans la moindre étincelle de sagesse, notamment comme prédateur, comme esclave, comme parasite, comme aliéné... ou tout simplement dans la répétition de tâches quotidiennes pesantes, par choix ou par fatalité. Et alors si chacun fait de même dans notre monde qui change, nos sociétés urbaines modernes vont-elles évoluer vers un modèle de société d'insectes ou vers la résurrection d’un modèle de société antique équipée de réseaux de télécommunications ?

Erreurs d'avenir

On commence à comprendre depuis quelques dizaines d'années, comment a évolué l'être humain dans sa préhistoire lointaine et quelles capacités spécifiquement humaines ont permis cette évolution étalée sur des millénaires, mais on peine encore à comprendre, malgré des indices convergents dans plusieurs régions géographiques sur l'évolution des techniques et l'écriture, comment se sont opérées les transitions vers diverses formes de sociétés historiques et quelles capacités humaines ont permis ces transitions lorsque les conditions d'environnement les autorisaient (ou pas, selon notre vision "moderne"). La variété des formes sociales "anciennes" semble toujours, au fil des découvertes, déborder des classifications établies a priori. Même le modèle de la horde préhistorique famélique guidée par un mâle alpha ne correspond plus aux découvertes des fouilles. On retourne étudier les dernières populations "sauvages", on revient écouter les descendants des populations victimes de génocides culturels, on organise des fouilles méticuleuses de sites du néolithique, on reprend des fouilles analytiques de villes anciennes, partout dans le monde... à chaque fois avec de nouvelles questions en retour, et de nouvelles réponses sur les modes de vie, l'alimentation, les animaux domestiques, l'outillage, les décors, la répartition des tâches, les jeux, l'éducation, le traitement des déchets, les routes du commerce, etc. L'anthropologie scientifique révèle l'immense variété des "leçons du passé", invite à la prise de recul préalable au "début de la sagesse", désormais bien plus directement que les disciplines traditionnelles des domaines littéraires ou scientifiques.

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Dans notre monde actuel tel qu'il va, nous sommes à l'écoute des "leçons du passé", car notre futur d'être humain biologique est redevenu soumis à des contraintes physiques presque entièrement prévisibles dans leur nature. Les contraintes brutes de la survie individuelle, plages de températures, besoins alimentaires... vont déterminer une partie croissante de nos activités personnelles et de nos rêves. Le futur des collectivités humaines sera physiquement chaotique, constamment sous l'emprise de crises de mise en compatibilité forcée avec des conditions ambiantes imposées, avec des cliquets de régressions.... sauf refondation "révolutionnaire" pour (enfin) développer les capacités adaptatives des sociétés, systématiquement, à tous les niveaux géographiques, à la mesure des conditions changeantes locales et des évolutions des inter dépendances.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devient évident que nos systèmes institutionnels sont inadaptés à une conduite raisonnée de transformations importantes de nos sociétés, même si nos grands esprits dominants n'étaient pas coincés dans un dogme d'infaillibilité qui les rend de fait indifférent à l'intérêt collectif, les empêche d’imaginer un processus de transition commençant par une libération capacitaire des types de projets à réaliser, les empêche d’imaginer la révolution tranquille par les nouvelles technologies pour la mobilisation et le développement des compétences individuelles. Dans ce monde actuel tel qu'il va, la prétention de supériorité est devenue risible, mais elle continue de tenir le haut du pavé et d’autoriser des actions souterraines meurtrières.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devrait être évident que le niveau nécessaire (suffisant ?) d'adaptabilité de nos sociétés requiert plus que l'acceptation d'objectifs d'intérêt commun, plus que la conformité à des normes de conduite, plus que des contributions à des projets de transformation. C’est une bien plus grande affaire : l'unanimité ou la régression, la cohérence ou le néant. Canaliser par la raison le poids des incertitudes est crucial, sinon le niveau d'angoisse s'exprime par des crises sociales paralysantes. Les objectifs des arts et artifices de la "communication" doivent changer : élever ou conserver un degré de rationalité face aux dangers, faire accepter les erreurs humaines, en rendre compte....

En première approche, le niveau maximum d'adaptabilité d'une société peut être atteint rapidement par deux modèles de régimes politiques.

Le premier modèle, historiquement peu pratiqué mais assez bien connu par ses dérives totalitaires, est celui de la dictature tyrannique dans son esprit originel : le tyran choisi pour une durée déterminée est l'équivalent d'un super chef de projet mercenaire, son succès dépend de sa capacité à constituer (purger régulièrement) des équipes compétentes, à faire respecter ses décisions, à faire évoluer éventuellement les objectifs définis initialement dans son contrat ou ce qui en tient lieu. L'expérience historique recommanderait ce type de modèle plutôt à l'intérieur d'une zone géographique assez homogène et relativement autonome, sinon il risque de perdre son efficacité dans les rigidités constitutives d'une répartition ordonnée hiérarchiquement des tâches et responsabilités. Si des écarts aux objectifs imposés dans l'intérêt commun apparaissent naturellement par les effets de spécificités locales jusqu'à l'apparition d'incompatibilités, le régime risque de se figer dans la négation de ses erreurs plutôt que de renégocier les flexibilités internes nécessaires. De toute façon, la difficulté majeure de ce type de régime est celle du passage d'un tyran au suivant, selon quels critères, pour quels nouveaux objectifs, sous quel pouvoir de contrôle, etc. Historiquement, même la succession d'un bon tyran ouvre une période de chaos, a minima une période de relaxation de la civilisation, une vulnérabilité insupportable dans un monde par ailleurs défavorablement changeant.

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Le deuxième modèle conduisant au maximum d’adaptabilité reste à réinventer comme produit naturel de l'idée démocratique originelle, celle des citoyens constituant directement l'État dans toutes ses composantes, celle de l'élection des grands agents des services fonctionnels - le tout étant instrumenté par les nouvelles technologies, notamment pour le partage et le développement systématique des expériences et des compétences. D'autres billets de ce blog y sont consacrés, car l'accession à ce modèle suppose l'équivalent d'un saut quantique dans les relations inter personnelles, en parallèle d'un abandon des croyances paresseuses dans l'amélioration illimitée des facultés des machines et des logiciels .... A l'heure actuelle, rien n'indique une évolution vers ce type de modèle, malgré l'évidence de son potentiel universel, notamment pour la dissolution organisée (harmonieuse?) des agglomérations géantes et des coûteuses illusions qui en entretiennent la croissance.

Pour le moment, la tendance générale des grandes nations serait une convergence vers un modèle hybride de dictature personnelle et de dictature de castes, au dessus d'institutions pseudo démocratiques de façade, avec un renforcement des usages des nouvelles technologies pour contrôler les populations et les distraire. Ce modèle hybride est par nature hostile à toute forme de contradiction, à toute forme de reconnaissance des erreurs. La pseudo modernité de ce modèle périmé repose sur l'hypothèse que les logiques intégrées dans les machines et les logiciels sont et seront de plus en plus supérieures à l'intelligence humaine. Tous ces caractères sont ceux d'un modèle de gestion dans la stabilité. Le travail et l'intelligence des machines remplacent le travail et l'intelligence – encore quelques années ?

Dans ce modèle hybride et dans le monde actuel tel qu'il va, nous ne pouvons même plus rêver aux erreurs que nous n'aurons pas l'occasion de faire. Car tous les pouvoirs institutionnels nationaux, toutes les chefferies déléguées, y sont soumis aux influences exercées par des groupes d'intérêts hors sol, contraires aux intérêts publics, contraires aux intérêts communs du quotidien comme du long terme. Les actions au grand jour des lobbies auprès des institutions ne sont que la face émergée d'organisations manipulatrices - une façade naïve néanmoins efficace. En amont des phases conclusives, les organisations manipulatrices développent des phases préparatoires d'aspect positif visant à acquérir des degrés de sympathie spontanée dans les castes au pouvoir et parmi leurs officiants – y compris quelques penseurs vedettes, dont la vie dans le siècle nécessite l’usage d’un vocabulaire à la mode et la pratique du commentaire futile décoré de citations phares. En parallèle, une préparation "grise" s'active à gêner, dissimuler, détruire tout ce qui pourrait contrer, ou même semer un doute sur les intentions, les objectifs des manipulateurs, partout et selon un dosage régulé dans le temps en fonction des résultats. Comme la préparation positive, la préparation du deuxième type est conçue pour déboucher sur une phase active : propagandes de dénigrement, trollages sur le web, essaims d'actions en justice, etc. Toutes ces opérations mobilisent des technologies de pointe en informatique et dans les médias. Elles mettent en oeuvre des armées de mercenaires, dont une masse de collaborateurs quasiment gratuits d'intellectuels de diverses disciplines scientifiques, juridiques, littéraires... formés en surnombre dans les universités, qui ont été refoulés dans les "nouveaux" métiers de service et de communication, où ils sont confinés dans un univers de concurrence artificielle d'autant plus féroce. La puissance de la propagande est multipliée par l'usage des technologies de pointe, par l'organisation méthodique sur longue période des phases préparatoires, par la disponibilité de mercenaires talentueux, pas seulement les exécuteurs et récitants sans solde des grands canaux médiatiques.

Les résultats de ces opérations d'influence sont à la hauteur de la mise, si on en juge par le poids des conséquences sur les populations et le degré d’immersion des esprits dans des futilités artificielles. En Occident, depuis en gros la fin des années 1990, plusieurs décisions grossièrement suicidaires (en regard de l'intérêt général, mais au bénéfice de groupes d'intérêts) furent prises aux plus hauts niveaux d'états ou de communautés d'états, décisions immédiatement catastrophiques, publiquement revendiquées dans l'ignorance de leurs effets définitifs, au point que cette ignorance entretenue justifie leur prolongation ou leur renforcement. En exagérant à peine, on distinguera, dans cette persévérance, la frénésie d'exclusion de l'erreur par nos instances dirigeantes, car il devient difficile d'attribuer cette maladie ridicule aux seules influences corruptrices.

Mais comment l'avalanche de certitudes immédiates, orchestrée par de grands manipulateurs et parfois si maladroitement répercutée par les organes officiels, pourrait-elle nous faire oublier l'incertitude de l'avenir (climat, pollution, épuisement des ressources, effondrement de la nature...), autrement dit la monstrueuse certitude de très graves problèmes à venir, difficiles à anticiper pour espérer les atténuer, peut-être même pas encore tous identifiés ? Cette question manifeste une incompréhension fatale des nouveaux phénomènes qui nous gouvernent : au contraire, pour les manipulateurs, toute Grande Peur est une opportunité. La Grande Peur crée une disposition mentale équivalente à l'effroi d'un puits sans fond - un gouffre avide d'avaler n'importe quoi, toujours plus, toujours plus vite ! La Grande Peur, exploitée par les manipulateurs, crée une mise sous hypnose collective - là où l'erreur n'existe pas.

En conséquence, la suggestion de sagesse délivrée aux populations se résume ainsi : tout va aussi bien que possible, nous avons la Vérité, et si malgré cela vous avez la rage, les thèmes sélectionnés vous permettront de l’exercer – nous attendons vos suggestions et nous comptons sur votre participation.

Sagesse collective contre pouvoirs parasitaires

Contre les grands manipulateurs sans frontière, les porte avions sont évidemment inutiles, mais aussi les cellules antiterroristes, les bataillons de cyber défense, les officines de scrutation du Net, les agences de sondage, et même les armées de citoyens soldats. Comme nos institutions, ces armes, ces armées, ces organes de veille, sont des produits d’une autre époque, incapables de détecter le danger à partir de sources d'informations diverses et dispersées, trop spécialisés pour anticiper les convergences manipulatoires possibles, trop limités en vision pour imaginer l'étendue des effets d'une manipulation dans la société civile. Les armes de la guerre classique sont proprement hors sujet contre les grandes opérations manipulatoires et les armes professionnelles comme celles de la cyber défense sont trop spécialisées. Pourtant, concernant certains processus de propagandes manipulatoires, le vocabulaire guerrier n'est pas usurpé, il s'agit bien d'attaques contre le bien public, même souvent contre l'esprit tout court. La nouveauté est que la détection, l'évaluation du danger, la résistance, la contre attaque, l'élimination de la menace ne peuvent pas être déléguées à des spécialistes, encore moins à des logiciels (concentrés sur leurs spécialités), et ne relèvent pas non plus d'une organisation guerrière massive créée pour l'occasion - trop tard dans le meilleur des cas.

C'est ici que le deuxième modèle de régime politique esquissé plus haut révèle une autre face de sa pertinence : il est idéalement le seul capable de l'équivalent d'une levée en masse permanente contre les offensives manipulatoires, de la détection du risque jusqu'à l'éradication, en passant par la publicité de chaque étape pour la mobilisation des compétences même les moins attendues. C'est aussi le seul à créer une sagesse collective comme instrument de puissance - sans ambition de pouvoir.

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Changement de civilisation ? Les grands mots ne pourraient ici que provoquer le découragement. Mais tout de même, en référence à certaines étapes de la préhistoire humaine telle qu'on peut les imaginer, il s'agit simplement de prendre en main des outils existants en vue d'utilisations nouvelles. Après les premiers essais, cela semblera donc simplement naturel....

D'autres billets de ce blog abordent divers aspects de cette évolution possible. Nul ne sait où apparaîtront les premières lumières de cette évolution ni quand, ni sous quelle forme. Il est certain que, concernant le maintien des populations en état d’abrutissement sous l’emprise de quelques dominants, concernant le sous-emploi des compétences humaines et l’étouffement du génie humain en dehors de compétitions prestigieuses et futiles, notre époque n’est pas pire que les précédentes dans l’Histoire (mais les découvertes récentes des longues périodes préhistoriques autorisent à imaginer d’autres politiques d’équilibre entre coopération et pouvoir). Il est devenu évident que la continuité dans la médiocrité historique rend insoutenables nos civilisations contemporaines face à l’hostilité croissante de l’environnement terrestre, face à l’extinction des ressources d’énergies faciles et des ressources en matières premières minérales.

Les civilisations sont mortelles, les multiples découvertes récentes de l’archéologie nous le confirment. On cherche encore comment on pourrait distinguer une progression (selon quels critères ?) des civilisations humaines – est-ce que, à chaque nouvelle civilisation, on devrait tout réinventer ? Un grand mystère recouvre la plupart des effondrements de civilisations anciennes disparues, en particulier celui de la diffusion ou de la récupération de leurs héritages - les époques historiques fournissent quelques exemples d’éradications systématiques de civilisations après pillage brutal (plusieurs civilisations amérindiennes, mais d’autres aussi), dont cependant quelques inventions survivent.

Ahum.jpg Le livre « D’où vient l’humanité » de N. Albessard, édité par Le Livre de Poche en 1969, en pleine période de floraison intellectuelle après une guerre mondiale, rend encore parfaitement compte des controverses sur les origines de l’espèce humaine, sur son évolution, sur sa définition (qu’est-ce qu’un être humain ?). On peut relire cet ouvrage pour bénéficier de son étendue encyclopédique abondamment illustrée; il est à peine périmé sur quelques détails. Mais l’esprit des années 1970 est mort, celui de la préface de Jacques Bergier comme celui de la quatrième de couverture, entièrement couvert par une citation de Teilhard de Chardin : « La Terre, et partant l’Humanité ne sont encore présentement qu’à l’aube de l’existence ». Aujourd’hui, nous redécouvrons que la Terre se moque totalement de l’Humanité et de l’existence selon les idées des humains. Nous sommes obligés de constater que l’Humanité a tellement gaspillé ses ressources vitales que la Terre durera certainement plus longtemps que l’Humanité ! Ou alors, comprenons que le rêve d’une évolution conjointe de l’Humanité et de la Terre aura des périodes de cauchemar.

Les humains de notre époque moderne vivent encore pour quelques mois dans l’illusion de l’énergie disponible sans limite, dans le luxe des machines esclaves, dans la dépendance de logiciels répartis dans des réseaux d’ordinateurs. Dans ces illusions et ces facilités, nous avons oublié les fondements physiques de nos civilisations, leurs raisons d’être. Il est devenu vital d’y revenir et de les repenser. Par exemple, pour chaque grande agglomération urbaine : quel est son principe fondateur, pourquoi la ville a-t-elle été créée à cet endroit, qu’est-ce qui a justifié son expansion (ou bien cette expansion n’est-t-elle que le résultat de causes subies et d’occasions historiques ?), qu’est-ce qui a permis sa durée en conformité ou en évolution du projet urbain initial en relation avec les espaces environnants (campagne, bourgs, forêts…) et maintenant quel peut-être son projet d’avenir « durable » ? Quelles compétences seraient nécessaires pour imaginer cet avenir, bien au-delà des opérations de maintien en l’état dans le sens des modes et propagandes en cours pour le bien-être et le prestige à court terme (candidature aux jeux olympiques, verdissement des espaces publics, équipement pour la sécurité, aménagement des voieries pour les vélos et trottinettes, etc.) ? Comment décliner une vision d’avenir en projets de moindre ampleur, pour des objectifs réalisables en quelques années, mais cohérents ? Quel mode de validation populaire en vue des réalisations (surtout s’il faut parvenir à une réduction de l’agglomération) ? Même à cette échelle urbaine, peut-être d’abord à cette échelle, toute les questions vitales se posent avec urgence. Et déjà à cette échelle, la fausse sagesse des savants discours apparaît définitivement mortelle.

Les pouvoirs parasitaires ne sont pas seulement ceux de « mauvaises gens » et d’égarés qui perdent les autres et détruisent tout, les pouvoirs parasitaires sont dans les abstractions, les valeurs, les principes dénaturés qui sont devenus de fait incompatibles de tout grand projet d’avenir au niveau d’une société humaine, condamnent toute tentative au renoncement devant des obstacles fabriqués, rendent la réalisation impossible à l’intérieur de cadres sociaux obsolètes et de règles historiques.

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D’autres pouvoirs potentiellement parasitaires alimentent nos rêves et orientent nos efforts d’imagination. Ce sont les imaginaires des grandes perspectives historiques, « les grands récits », dont les idéologies millénaristes des 19ème et 20ème siècle sont les créations modernes. La déclinaison pratique de ces idéologies se caractérise par un militantisme fondé sur un résumé des croyances, un comportement destiné à représenter des valeurs d’affichage, des activités spécifiquement destinées à préparer l’avenir, dans et contre la société ambiante, en variantes sectaires ou propagandistes. A l’évidence, pour la société qui les abrite, la différence entre une idéologie millénariste et une religion millénariste est inexistante – comme on a pu le constater en grandeur nature lorsqu’une idéologie a pris le pouvoir politique. Dans l’excès totalitaire à visée universelle, le Troisième Reich et l’Internationale communiste furent les héritiers de la France révolutionnaire. Le dernier grand récit en Occident, celui des trente glorieuses après la guerre 39-45, ne fut qu’une douce idéologie de convergence, une invitation enthousiaste dénuée d’ambition disciplinaire, à partir d’une foi dans la science et la technique comme moteurs d’un progrès social illimité, dans la confiance des capacités humaines à dépasser les obstacles et à sublimer éventuellement la nature humaine héritée de l’Histoire. En tant que grand récit commun, cette idéologie s’est diluée dans le bouillon du consumérisme de jouissance, un anti-grand récit par excellence. Une idéologie progressiste entièrement tournée vers l’avenir ne pouvait pas résister non plus à l’accumulation des réalités qui témoignent de la permanence de la « nature humaine » dans ses aspects les plus humbles et les excès les plus abjects, bien au-delà des faits divers locaux, dans l’actualité vécue par des peuples entiers à la suite de décisions prises par des institutions, en plongée dans la régression animale et la soumission à la folie meurtrière.

A présent, tout se passe comme si les « grands récits modernes » non religieux étaient tous éteints en tant que moteurs des peuples, éclatés en variantes de salon pour comploteurs d’élite.

Alors, pour concentrer l’énergie mentale nécessaire aux communautés d’actions face aux périls planétaires, faut-il raviver les grandes idéologies religieuses survivantes ? Les « leçons » de l’Histoire autorisent à craindre les conséquences de telles résurgences religieuses, sauf en tant que mythes d’enracinement collectif (et à condition que ces mythes soient pacificateurs), car les destins promis par les diverses religions traditionnelles sont tellement spécifiques que leurs traductions en projets pratiques ne peuvent que s’avérer conflictuelles pour des objectifs inconciliables – à moins de pouvoir « préfacer » chaque idéologie destinale d’un cycle de convergence transitoire, en transposition ad hoc d’une idéologie du genre des 30 glorieuses.

En réalité, peu importe tant que les ressorts de soumission des esprits par les dirigeants demeurent partout identiques (sous couvert de la Communication et du Protocole sous ses diverses formes) : menace et promesse, décorum et gratification, terreur et salut, émotion et punition... Ces dosages manipulatoires sont les techniques des pouvoirs parasitaires pour l'avilissement des esprits, en prévention de toute forme de sagesse collective. L’étiquette de toute puissance parasitaire, la trouver ridicule serait un début de la sagesse ?

jeudi 14 juillet 2022

Simple logique

Ce billet est consacré à la logique pratiquée dans nos façons de vivre et de penser, celle de la raison commune et de ses expressions. Cette « simple logique » est celle de l'incarnation personnelle comme être pensant, c’est aussi celle de l'interaction sociale au-delà des automatismes et réflexes.

Le sujet comporte de multiples facettes et connexions, la prétention de l’auteur se limite à la présentation à peu près ordonnée de ce qui lui a paru à la fois important et peu ou mal traité par ailleurs - surtout les questions.

Logique commune, pour quoi faire ?

La mutation de la simple logique commune dans notre monde moderne est un phénomène encore mal décrit en tant que tel. Certes, des bons auteurs et même de grands penseurs se sont intéressés à la « pensée moderne » et à ses incarnations par des personnages de tous bords. La critique de certaines dérives « modernes » équilibrait les efforts de polissage des « nouveaux » caractères apparents… Dans l’actualité brute de nos crises contemporaines de démence collective, les thèmes littéraires du milieu du 20ème siècle paraissent rétrospectivement tout aussi défraîchis que les illuminations des siècles précédents. En revanche, les écrits de certains sociologues et philosophes apparaissent prémonitoires, malheureusement sans apporter aucun secours quant aux remèdes possibles, sauf parfois l’alignement sur une doctrine radicale.

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La réalité crue s’est imposée récemment de plusieurs catastrophes successives (dont la moindre serait celle des épidémies de covid et de leur « gestion ») qui continueront d’impacter de plus en plus négativement la vie quotidienne de populations entières en conséquence de décisions absurdes totalement acceptées, partagées, soutenues par la majorité des populations, leurs « élites » comme les gens ordinaires. Cette réalité crue devrait inciter à dissiper toute illusion de supériorité moderne sur les « erreurs du passé », et devrait plutôt inciter à examiner au bon niveau, celui de la logique commune, ce qui aurait été perdu par rapport aux siècles précédents dans les fondements de la raison commune et la pratique de la décision publique, afin de rechercher ce qui pourrait en être utilement récupéré ou adapté pour prévenir, pas seulement traverser, les crises futures de démence collective.

Justement, n’est-ce pas la disparition de la logique commune qui expliquerait en grande partie la vulnérabilité des sociétés modernes aux emballements invalidants ? Comment expliquer cette disparition alors que l’esprit du temps bénéficie d’instruments (ordinateurs, calculatrices, réseaux de télécommunication…) libérateurs des basses tâches répétitives et multiplicateurs des possibilités de dialogue ?

Une première partie de la réponse est dans la question : la libération et la multiplication ont de fait contribué à étouffer la logique commune plutôt qu’à la renforcer. Pourtant, la logique commune ne s'oppose en rien à la logique formelle ni aux calculs techniques, pas plus que la vie ne s'oppose aux mathématiques, à la construction de machines, à la création de logiciels. Mais notre vie biologique, individuelle et collective, qui est le cadre nourricier de notre logique commune de pensée, est-elle encore considérée comme la source des mathématiques, machines, virtualités logicielles, institutions des sociétés, ou bien est-elle à présent assimilée à une contrainte archivée, comme un ancêtre gâteux dont on ne peut plus rien espérer ?

Il semble que la deuxième réponse révèle un caractère majeur de la modernité. La conviction de la supériorité d’une « vérité scientifique instrumentée » se traduit par la distorsion mentale qui tend à ramener tout projet, tout obstacle, à un problème soluble par des modèles de calcul ou par des arguments juridiques. L'évidence de la relativité des critères de rigueur, l'évidence de l'artificialité des concepts, l’évidence de l’incomplétude des modèles en comparaison de la complexité du réel, ont disparu sous les empilements de certitudes fabriquées - seules quelques sages grandes personnes proches de la retraite osent le dire parfois. Au contraire, les modèles, les formalismes opératoires, se complexifient, se spécialisent en se multipliant, en couches de superposition, et leur augmentation simule une activité utile, un progrès. D’ailleurs, la profusion délirante des organes qui les implémentent dans nos sociétés en est-elle la conséquence ou la cause ?

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C’est au point que la « science » ne force plus à l’humilité mentale (sauf pour quelques vrais esprits scientifiques naturellement doués), mais au contraire entretient diverses formes de déni du réel. Notre « science » contemporaine s’est organisée socialement comme une fuite mentale hors du monde social et physique, vers des univers fictifs de vérité absolue et d'abolition des limites – des imaginaires administrés par des gardiens du temple, où pullulent les gredins et les faussaires (et leurs victimes), des espèces d’imaginaires très antiques avec leurs fonds de fanatisme doctrinal, en version moderne jusqu’aux actions organisées de propagande ou au contraire de désinformation et dénigrement. Cette « science » très consciente de ses intérêts, lourdement institutionnalisée, pourrie d’intérêts financiers et de juridisme, peut-elle encore abriter une démarche scientifique « pour la gloire de l’humanité », au moins pour la survie paisible de cette humanité ?

Dans le discours officiel, le rapport entre la morale et le droit, le rapport entre les valeurs et les pratiques, sont implicitement considérés comme si les premiers, la morale et les valeurs, étaient les générateurs univoques des seconds, qui en implémenteraient les règles et les instructions comme un logiciel est censé (dans un monde imaginaire très naïf) implémenter la pensée d’un concepteur. Comment s’étonner d’une réduction de la morale au droit, d’une réduction des valeurs aux codes sociaux, et de l’exploitation sordide des « zones grises » mal couvertes par les règles et les instructions ? Cette dérive n’est pas spécifique à notre modernité, mais le credo pseudo « scientifique » suffirait à lui seul à la créer. Dans cet idéal de robot, tout lien social est simplifié, maîtrisé, parfait - brutal et sans recours.

Plus en profondeur, malgré le confort apporté par les progrès techniques, les énergies mentales dominantes du 21ème siècle demeurent celles qui animent en miroir l’individuel et le collectif probablement depuis les origines de l’humanité :

  • jouissance expansive (ivresse, avidité, expansion de conquête, lutte pour le pouvoir)
  • construction réflexive (religion, science, arts, gouvernement, disciplines du dépassement).

Dans un monde en rétrécissement, l’alternance non maîtrisée entre les affrontements et les coopérations de ces énergies mentales sera-t-il un facteur de survie ou un ressort fatal ? Pourtant, ces alternances semblent ignorées parmi les phénomènes sociaux, malgré l’évidence historique dramatique et actuelle de leurs oscillations brutales (guerres, révolutions…). Alors, comment une forme de sagesse dans notre logique commune pourrait-elle s’étendre au-delà des horizons temporels courts, complètement soumis aux énergies primaires, à leurs sauts créatifs conflictuels, à leurs sauvageries régénératives ?

Rien ne sert d’accuser nos dirigeants contemporains de crétinisme ou de corruption, d’accuser nos penseurs de superficialité, rien ne sert de plaider notre dépendance populaire aux paroles officielles dans l’urgence de la satisfaction de nos besoins vitaux, ce fut toujours ainsi, les systèmes de pouvoir et de décision n’ont jamais vraiment changé au fond - sinon dans la technique et les mots - depuis des siècles. C’est plutôt ce constat-là, celui de la stabilité des systèmes de pouvoir et de décision, qui devrait mériter notre attention. Comment surmonter les antiques réflexes mentaux qui sont à présent devenus dangereusement inadaptés ? Comment inventer une logique commune qui nous fasse évader de leurs boucles d’asservissement ?

Quelques exemples d’asservissements en boucle dans les décisions politiques

Actuellement comme souvent dans l'histoire des relations sociales, la soumission à un artefact de sens réduit le domaine d'exercice de la raison commune, jusqu'à l’enfermement dans une logique automatique ou dans une contrition révérencielle.

Qui oserait mettre en cause les « droits de l’Homme » ? Sans parler du contenu, on peut contester la pertinence du titre : pourquoi des « droits» de l’Homme plutôt que, par exemple un projet pour l’Homme ? Combien de temps nos dirigeants vont-ils encore affecter de se prosterner devant ce totem nommé à l’époque lointaine où les « droits » étaient accordés au peuple par un roi ou par un dieu ? En plus, ce totem est carrément pourri à l'intérieur, puisque même « au pays des droits de l’Homme », il fut piétiné par les gouvernants pour faire la guerre... au covid, et plus récemment pour une autre guerre non déclarée. Qui peut encore croire, dans la situation du monde, que ce totem puisse être relevé dans les prochaines années sauf pour des commémorations ? En revanche, il serait urgent que les peuples de la planète s’accordent sur un projet réaliste pour l’humanité dans le demi-siècle en cours.

Notre modernité perfectionne l’enfermement mental et la stérilisation de l’esprit par la réalisation physique d’une boucle d’asservissement quasiment en temps réel, grâce aux « nouvelles technologies ». La modernité de cette boucle, c’est le très court délai de rétroaction, avec comme conséquence l’intégration de l’ensemble des acteurs comme prisonniers de la boucle.

La boucle "le peuple - les médias - les dirigeants – les experts - les médias - le peuple" en rotation rapide ne permet plus - surtout de l'intérieur de la boucle - de discerner l'origine des émotions partagées, des idées partagées, des décisions politiques à partager. C’est un vecteur idéal de propagation et d’amplification d’une infection par des agents d’influence producteurs d’artefacts.

La boucle ne crée pas l’urgence, elle est l’urgence par nature. Elle engendre automatiquement « la vérité », dans la sauvagerie calculée des émotions. A l’intérieur, il n’existe aucune différence entre "décision partagée" et "décision imposée". Les acteurs de la boucle sont tenus en état de jouissance expansive, alors qu’ils sont de fait prisonniers, dans l’incapacité de recourir aux précieuses règles de conduite qu’ils auraient préalablement élaborées spécifiquement en vue des situations d’urgence.

Certains acteurs de la boucle peuvent être mieux informés que d’autres des évolutions d’opinions, par exemple par la connaissance d’analyses statistiques instantanées, ce qui leur donne la possibilité de renforcer l’impact de leurs propres messages. Dans une boucle à rotation rapide, même et surtout pour des décisions politiques, ce renforcement se fondera dans l’urgence sur des appels aux valeurs et à la morale, sur l’exploitation d’émotions, sur l’affirmation de « preuves » spectaculaires – tout le contraire de justifications par la raison.

Comment qualifier la réalité du régime politique d’une telle boucle ? Pas une dictature, pas le chaos, quelque chose entre les deux, avec ce qu'il y a de pire dans les deux !

On aurait une anarchie potable si par exemple il existait un perturbateur intelligent reconnu de tous dans la boucle, qui émettrait des idées originales, de nouveaux points de vue, ferait ressortir certains aspects d’opinions minoritaires pour l’intérêt général, etc.

On aurait une possibilité de dictature raisonnée s'il existait un "fou du roi" hors de la boucle, que les dirigeants s’obligeraient à écouter par dessus les analyses d’opinions, ne serait-ce que pour prendre du recul en dehors de leurs cercles d’affidés et d’égos.

Bumarai.jpg En l’absence de tels acteurs en puissance, et suite à l’infection préalable organisée (sans subtilité mais adaptée à chaque segment cible) de tous les asservis de la boucle, la crise covid en Occident fut la démonstration grossière du pire des possibles. Le modèle ultra simpliste de la boucle d’asservissement par l’usage primaire des nouvelles technologies n’est pas une fiction, tous les acteurs sociaux, une majorité écrasante de personnes, ont abandonné toute raison durant des mois. Rien n’aurait été différent, même pas les excès les plus délirants des déclarations de propagande et des actions médiatiques d’étouffement des discordances, si nos lumineux dirigeants, si nos représentants de l’intérêt général, si nos gardiens des finances, avaient pris de très longues vacances en abandonnant la population aux entreprises du secteur médical; s’ils ont fait plus, c’est en participant à la folie de la boucle d’asservissement comme des personnes très ordinaires, y compris ceux et celles qui en ont profité. A l’inverse, on peut imaginer en rêve notre situation si aucune décision précipitée n'avait été prise, les terribles vagues épidémiques successives ayant de toute façon suivi un cours naturel avec, au total sur 3 ans dans tous les pays malgré diverses stratégies sanitaires, quelques pourcents de décès dans les populations, surtout des très vieux.

Comment sortir de la boucle fatale ?

Une logique commune s’adapte en fonction de l’expérience ou disparaît. Elle pourrait renaître à présent, après une période de quasi étouffement par une pseudo modernité, à partir de l’expérience mortifère des boucles d’asservissement par les nouvelles technologies. C’est bien plus urgent qu’une réforme des programmes dans l’enseignement « supérieur ».

Pour un individu, les modes de sortie d’une super boucle d’asservissement mental d’une grande population sont vite répertoriés :

  • la résistance frontale
  • l’exil intérieur
  • le décrochage
  • la conversion antidote
  • l’illumination salvatrice

La résistance frontale : garantie d’un destin à la Giordano Bruno, au minimum certitude d’un déclassement social sauvage – pas seulement dans l’espace virtuel, dans la vie sociale réelle du monde physique.. En association de résistants : garantie de l’opprobre « complotiste » ou autre artefact d’abjection, mais une relative protection individuelle contre les brutalités médiatisées par la boucle, peu discriminantes sauf dans le dénigrement des fortes têtes.

Amespy.jpg L’exil intérieur exige une discipline de fer, du niveau d’agents « dormants » introduits dans un pays ennemi, simulant quotidiennement leur intégration aux mœurs et façons de penser locales mais leur demeurant imperméables, à l’affût des occasions de nuire sans se dévoiler. Cette discipline n’est pas à la portée de tout le monde, même après un entraînement préalable.

Le décrochage de la boucle n’implique pas l’éloignement physique, mais de toute façon, comment échapper à la pression des médias traditionnels tous dépendants (journaux, radio, télé) et surtout comment échapper à l’expression des vérités et aux conduites majoritaires par les braves gens partout ? Par le décrochage, on échappe à la fébrilité de l’urgence à l’intérieur de la boucle, mais on reste baigné dans un univers mental fabriqué par la boucle dont les évolutions sont plus lentes, mais pas amorties pour autant. Lequel de ces deux enfers est le plus implacable ? Ou alors, fuir au désert, disparaître ?

La conversion antidote s’opère par le choix d’une autre dépendance, suffisamment forte contre des effets redoutés de la boucle. Autrement dit, vu de l’intérieur de la boucle, on peut assimiler cette conversion à une variante « lâche » de la résistance frontale, elle sera donc soumise aux mêmes attaques au premier signe de déviation.

L’illumination salvatrice envahit impérieusement la personne et l’immunise absolument – dans sa version historique, elle manifeste une grâce divine. Il y a toujours trop peu d’élus parmi les puissants, malgré quelques exemples dans l’Histoire.

En conclusion, la nature totalitaire de la boucle fatale condamne chacun de ces modes pris isolément à l’échec - sauf le dernier qui n’est pas généralisable. Rétrospectivement, on pourra cependant trouver utile d’approfondir les différents modes afin de pouvoir les combiner selon ses propres capacités et les opportunités du moment.

Seul le premier mode, celui de la résistance, est susceptible de contester les produits absurdes, les vérités falsifiées de la boucle, et même peut-être de parvenir à libérer d’autres personnes de l’influence de la boucle, après de longues épreuves et à condition de persévérer. Plus efficacement, une résistance bien ciblée peut gêner les processus de la boucle. Pour ce faire, des « méthodes souterraines » produiront certainement un résultat plus prévisible en intensité et en délai que des actions à découvert, par exemple de type juridique.

Au total, comment se débarrasser des boucles fatales, comment faire muter une boucle d’asservissement, par exemple en boucle de projets ? C’est certainement une très bonne question, si on en prend la preuve par son absence dans tous les médias asservis, sauf sous une couverture anecdotique ou dans un langage imperméable à la raison commune. Beaucoup d’autres billets de ce blog se consacrent à cette question.

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L’espoir vient de quelques grandes personnes contemporaines qui n’ont plus rien à espérer pour leur carrière, et acceptent le risque de perdre provisoirement un peu de leur réputation, produisent le travail d’enquête qu’auraient du faire les journalistes, pour publier ou dire les séries d’incohérences, d’absurdités, d’abus, dans les décisions prises par nos dirigeants au prétexte de l’urgence, ensuite pour oser s’étonner de l’oubli de règles de conduite dans leur propre domaine d’activité, et du rejet arbitraire de solutions simples expérimentées depuis longtemps.

A un autre niveau, l’espoir vient des auteurs qui tentent d’anticiper nos difficultés planétaires à venir, tentent de définir des stratégies d’amortissement de ces difficultés qui ne soient pas destructrices de la suite.

lundi 28 juin 2021

Le bogue miracle

Lui, c’est un dinosaure de l’informatique. Il a connu l’initialisation de l’ordinateur par ruban perforé, le stockage en bandes magnétiques, les logiciels en bacs de cartes perforées. Son jeune esprit fut nourri des théories et recherches à propos de ce qui était calculable ou pas, de ce qui était logiquement démontrable ou pas, de ce qui pouvait être vérifié en regard de normes de qualité ou pas. Il a atteint la fin du jeu Wizardy, assis en tailleur devant son Apple II après des semaines de séances nocturnes et seulement après cet exploit, il a rejoué en trichant. Dans sa carrière professionnelle, il a vécu beaucoup de projets, comme programmeur, auteur de logiciels, responsable informatique en entreprise, consultant spécialisé… animateur de groupes d’utilisateurs pilotes.

Aujourd’hui, le dinosaure dit qu’il a peur.

Pas du tout de sa propre obsolescence.

Ce qui le terrifie, ce sont les mauvais usages des techniques informatiques en grand public, l’obligation d’inconscience subie par ses successeurs informaticiens. Le résultat : une forme d’esclavage mental de tout le monde.

Il exagère.

A côté de cela, il rigole quand il entend parler d’intelligence artificielle, de big data, d’ordinateurs quantiques, de ville cybernétique.

C’est son côté ringard, sans imagination ! Pour lui, le facteur humain est plus qu’une contrainte, c’est la loi de la nature, et plus dure sera la chute si on l’ignore - comme dans une morale de fable.

Voici donc l’un des récits destinés à l’édification des générations futures qu’il nous rabâche régulièrement. Dans cette version écrite, il enjolive les détails, et la chute s’étale comme une anecdote pourrie qui rebondit mal en digressions philosophiques, je le dis juste comme une excuse pour le découpage et les titres que j’ai ajoutés..

Récit d’une Intime sommation

Deux jours avant mon départ à la retraite, je rejoue l’intégralité des jeux d’essai d’une grande suite logicielle, une intégration de progiciels et de logiciels préexistants. Les fonctions sont des grands classiques en gestion d’entreprise : comptabilité, comptabilité analytique par affaire, gestion des stocks et approvisionnements, gestion des matériels et de leur entretien, planification des activités par affaire, gestion du personnel, etc. Les logiciels sont répartis entre plusieurs ordinateurs mais c’est invisible pour les utilisateurs, tout se fait par navigateur Internet. C’est un système complexe à l’échelle d’une entreprise répartie géographiquement en plusieurs unités exerçant dans divers domaines techniques pour diverses clientèles, toutes spécialisées dans les expertises, études, prototypages, essais.

Pour simplifier, j’appellerai ce gros bidule le système Tirex, en référence au Tyrannosaurus Rex, vous verrez pourquoi. Dans la réalité, il portait un nom fait pour évoquer l’harmonie et la liberté.

La cérémonie de test final, en prélude d’une réception formelle du Tirex, se déroule sous les regards attentifs des chefs de projet des maîtres d’œuvre industriels, ceux qui ont piloté la réalisation des logiciels principaux. Je suis l’unique testeur, en tant que représentant du client désigné pour un parcours complet des jeux d’essai sans perturbation. L’enjeu est grand, le projet ayant accumulé des mois de retard. Mais cette fois-ci, après des dizaines de séances de test par les groupes d’utilisateurs, et plusieurs tentatives de recette terminale, il paraît que tout est bon.

Pourtant, l’incroyable se produit.

Après l’introduction de plusieurs rapports d’activité sur une affaire, je découvre que la somme dans le tableau de synthèse est fausse. Je répète le test et je confirme…. L’ingénieur spécialisé des industriels est appelé en urgence… Oui, c’est bien dans la communication entre les ordinateurs que quelque chose foire, entre l’enregistrement des rapports d’activité et la production du tableau de synthèse.

Le lendemain, je ne réponds pas au téléphone ni aux emails de mon chef de projet, qui veut me convoquer pour une « explication » devant les maîtres d’œuvre. Expliquer quoi, comment, pour quoi faire ? Le puissant Tirex ne sait pas faire une addition ! Je suis tétanisé, effondré sur mon bureau, quelques heures avant la fin de ma vie professionnelle, quelques heures avant de me traîner pour rendre mes badges et disparaître – sans pot de départ.

La réaction des industriels maîtres d’œuvre s’est manifestée au plus haut niveau par un message direct de Big Boss à Big Boss. J’en ai reçu une copie par mon grand chef de projet « M. X a cru trouver un bogue qu’il a qualifié de critique bloquant, et bla bla et bla bla… ».

Nos grands industriels maîtres d’œuvre trouvaient donc qu’ils étaient victimes d’une malchance tellement improbable qu’elle était réfutable par une frappe des foudres hiérarchiques. Il est exact que la séance de test réunissait plusieurs circonstances exceptionnelles. Comme testeur, j’étais peut-être la seule personne dans un rayon de milliers de kilomètres à pouvoir détecter ce type de bogue-là - dans un état de totale abnégation quelques heures avant de partir à la retraite, en régression 40 ans en arrière, comme ingénieur système débutant mais déjà expérimenté dans la détection des bogues de communication entre plusieurs ordinateurs. Pas de chance pour nos vaillants industriels convaincus de leur infaillibilité…

Plutôt que de réagir de manière enfantine dans la perspective désagréable d’un nouveau délai avant le paiement des montants associés à la livraison du Tirex, les industriels auraient plutôt du considérer qu’ils avaient bénéficié d’un quasi miracle. Car sinon, si le bogue n’avait pas été détecté ce jour-là, le ciel leur serait tombé sur la tête quelques mois ou semaines après la mise en service ! Combien de journées d’experts et de procédures aurait-il fallu alors pour découvrir le défaut et le corriger ?

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Pourquoi ce bogue élémentaire n’avait-il pas été détecté auparavant ? Les ingénieurs et techniciens qui avaient créé l’architecture matérielle interne et paramétré les relations entre les logiciels répartis entre plusieurs machines s’étaient probablement contentés de tests du bon fonctionnement apparent, « si cela ne plante pas, c’est forcément bon ». Mais par la suite, comment avait-on pu laisser passer un tel défaut monstrueux au cours de dizaines de séances de tests par des groupes d’utilisateurs de diverses unités de l'entreprise ? En réalité, le bogue avait été certainement détecté confusément, c’est-à-dire pas dans des conditions autorisant une identification formelle. En effet, dans une séance de test en groupe, plusieurs utilisateurs suivent leurs propres jeux d’essai en parallèle, et il leur devient alors difficile de repérer une erreur dans un tableau de synthèse, d’autant plus en repartant des données créées au cours de séances précédentes, et d’autant moins que les résultats erronés demeurent vraisemblables (ce qui est le cas si la cause est par exemple un décalage entre tampons à additionner). De plus, un utilisateur pilote se concentre naturellement sur les imperfections et les difficultés en anticipation de son propre usage, pas sur la mise en cause de fonctions élémentaires, et est souvent interrompu dans ses activités de testeur par des appels urgents pour la poursuite de ses activités courantes, d’où une attention intermittente.

Il m’a fallu plusieurs semaines pour parvenir à m’expliquer tout cela, la fureur du grand maître d’œuvre d’ensemble, la sidération du grand chef de projet, la possibilité de la découverte extrèmement tardive d’un bogue des profondeurs. C’était finalement par une logique naturelle que la découverte d’un défaut permanent aussi grossier ne pouvait plus être que tardive et par accident, à partir du moment où il n’avait pas été repéré par les procédures de tests de son niveau basique.

Beaucoup plus tard (après 2010), j’ai appris par d’ex collègues que le système Tirex avait finalement été mis au point, y compris la correction de « mes » bogues, et que les applications étaient en service dans l’entreprise sans incident notable.

Fatalité du bricolage numérique

Mon histoire de bogue s’arrête là, pas les conclusions qu’on devrait en tirer ! Si pour vous, tout est bien qui finit bien comme dans les histoires banales de tous ces gens qui racontent comment ils ont sauvé le monde, vous n’avez rien compris !

Le message premier est que la mise en application accélérée de progrès technologiques nous rend vulnérables, dans des proportions inconnues, à des risques inimaginables. C’est à comprendre au niveau de notre société numérisée toute entière, comprenant chaque service public, chaque entreprise, chaque citoyen.

Les nouvelles technologies peuvent reposer sur des normes élaborées par de grands universitaires, leurs réalisations peuvent avoir été élaborées et contrôlées selon des processus rigoureux, c’est mieux que rien, mais ne croyons pas que la sécurité absolue soit atteignable ailleurs que dans un univers conceptuel idéal – et stable toutes choses par ailleurs.

A l’époque de mon histoire vers 2010, les nouvelles technologies informatiques dans les domaines applicatifs se concentraient dans les plates formes de « webisation » et ce qu’on appelait le middleware, en gros les équivalents fonctionnels de serveurs d’emails entre ordinateurs. A présent, on nous parle de technologies informatiques dont on sait à peine expliquer le fonctionnement, et on envisage de nous brancher sur les générations technologiques successives de ces merveilles potentielles… Par pitié pour nous-mêmes et nos infrastructures communes, limitons leurs usages à des applications ludiques ou à des armes de prestige !

J’insiste sur un autre point : si toutes ces prétendues innovations étaient conçues au bénéfice de l’humanité, ou simplement en support de notre humanité poétique, on pourrait en accepter quelques inconvénients. Mais ce n’est pas le cas, les innovations informatiques conçues comme telles, c’est-à-dire quasi expérimentales, sont introduites à jet continu partout dans les infrastructures numériques de nos sociétés.

En plus, ces innovations servent des objectifs de court terme, en gains financier apparents ou pour une gloire publicitaire, ce qui ne devrait logiquement jamais être le cas pour des innovations, si on les prenait au sérieux.

Par exemple, le projet de système d’entreprise Tirex s’était substitué, à la suite d’intrigues internes, à un projet précédent moins imposant, dont le coeur était un groupware interne destiné au partage de l’expérience et au développement des compétences. Ce projet abandonné correspondait pourtant bien aux cultures techniques de l’entreprise. Mais dans une logique purement gestionnaire et dans le respect absolu de l’organigramme des fonctions, on avait préféré la normalisation d’applications classiques à la capitalisation des atouts spécifiques de l’entreprise, à l’innovation dans le progrès humain.

Autrement dit, les nouvelles technologies de Tirex n’ont servi qu’à instrumenter un (faux) gain de gestion courante au lieu d’ouvrir un champ nouveau dans le développement de l’entreprise. D’aimables conférenciers avaient pourtant exposé aux cadres privilégiés les concepts à la mode de la saison. A l’époque : l’urbanisation des systèmes d’information et la gouvernance (de quoi ?). C’était évident sans ce vocabulaire savant, Tirex était le produit d’un schéma directeur de centralisation informatique à l’ancienne, pas d’une conception de système d’information ouvert sur le monde et pour les gens.

Est-ce encore le point de vue gestionnaire et la vantardise technologique qui priment dans les motivations et justifications des projets informatiques que vous connaissez ? N’est-ce pas encore pire dans l’informatique grand public, en remplaçant « gestion courante » par « exploitation des masses » ?

Pour en revenir à la vulnérabilité technique de notre société numérisée, plutôt que nous ébahir devant les exploits de pirates et les promesses de faiseurs de vent ne serait-il pas urgent d’examiner en profondeur comment notre société numérisée pourrait survivre, au minimum en prolongeant ses fonctions critiques en cas de catastrophe accidentelle ?

En réalité, la société numérisée est déjà victime d’une catastrophe permanente, par défaut de conception d’ensemble et absence de maîtrise. Les petites et grosses pannes sont les manifestations ponctuelles de ce défaut sui generis.

Induss.jpg En effet, l'analogie avec des infrastructures industrielles matérielles est trompeuse. Notre société numérisée, fondée sur des systèmes informatiques en réseaux, est le résultat de créations composites réalisées (finalisées ?) chacune selon sa logique propre, selon l’état de la technologie du moment, et au moins partiellement en superposition d’autres créations plus anciennes, sans vision globale – heureusement, quelques normes (elles-mêmes évolutives) permettent les interactivités entre systèmes et avec leur périphérie. Autrement dit, l’informatique et les réseaux de notre société numérisée n’ont pas été conçus globalement comme une création durable cohérente mais sont les produits de pulsions. Notre société numérique est assimilable à un méga bricolage, en analogie à un navire en pleine mer, avec un équipage suractif qui enchaînerait séparément et simultanément les projets de modernisation de la navigation, de la propulsion, des aménagements, des manutentions, de la sécurité incendie, de la cuisine, des transmissions, etc. en utilisant une merveilleuse boîte à outils magiques toujours renouvelée, sans s’occuper du maintien de la flottabilité ni de la résistance aux vagues géantes à venir dans la prochaine zone de navigation. La croissance folle de la complexité et des incohérences techniques de notre société numérisée va provoquer son effondrement, de multiples manières que nous ne pouvons pas imaginer, vicieuses, progressives, pas du tout comme une brutale panne d’électricité temporaire ou alors seulement tout à la fin….

La réalité présente est que ce danger technique n’est absolument pas compris. Combien de défaillances grossières faudra-t-il pour cela ?

Tout récemment vers mi 2021, une longue panne des numéros d’urgence (pompiers, police, urgences médicales) a surélevé le niveau hebdomadaire des informations déprimantes sur le fonctionnement des services publics en France. Le prestataire responsable, après enquête et consultation de ses spécialistes en communication, a déclaré que l’origine était une opération de mise à jour d’un logiciel. On peut considérer cette déclaration comme une preuve supplémentaire qu’il demeure plus convenable de faire porter le poids d’une faute sur un logiciel – comme un genre de production artistique en perpétuelle amélioration et dont il faudrait bien admettre les risques de défauts provisoires - plutôt que sur les dysfonctionnements d’un système qu’à l’évidence on ne maîtrise pas en tant qu’ensemble fonctionnel. Dans la même ambiance de clip publicitaire, on nous vante l’intelligence artificielle et les réseaux en nouvelle technologie 5G, vive le progrès !

Qui peut sérieusement faire semblant de croire que ce genre de panne est un accident isolé ?

Pour une reconstruction modulaire de la société numérisée

On n’affronte pas la menace de réalités fatales en se vautrant dans les rêves, ni par des opérations mentales de suremballage conceptuel. Les méthodes les plus raffinées d’assurance du bon fonctionnement des systèmes informatiques ne garantissent rien quand elles sont appliquées sans l’intelligence du contexte, sans la compréhension du métier des utilisateurs, sans le respect des niveaux des services dus aux citoyens. Les ressources financières, la puissance des moyens, les algorithmes… ne sont rien sans les personnes capables de reconnaître les limites de leurs compétences personnelles, capables de se réaliser dans une vaste construction collaborative.

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Au début de ma carrière dans les années 70, il était naturel qu’un « ingénieur système » soit présent à chaque étape d’un développement informatique complexe en réseau d’ordinateurs, de terminaux, de capteurs et d’automates, pas seulement jusqu’à la livraison, mais au-delà, pour la maintenance. C’était indispensable parce que les composants des systèmes souffraient d’une fiabilité réduite, et l’une des tâches courantes de l’ingénieur système était le diagnostic des pannes, en particulier le discernement entre les défaillances matérielles et les défauts des logiciels. Pour résister au moins partiellement à de telles conditions de soumission à des pannes diverses et imprévisibles, la conception des architectures des systèmes de l’époque devait être modulaire selon des principes simples, et cette modularité faisait que la logique architecturale d’ensemble était comprise par chaque contributeur spécialiste. Et alors, tout naturellement, l’intégration d’un système complexe avait un sens concret, comme ouvrage à réaliser, comme processus en cours, comme support de motivation collective. C’était l’époque des informaticiens artisans, dans la tradition modernisée des constructeurs des aqueducs (et des égouts) de l’antiquité.

Blackor.jpg En comparaison, l’informaticien du temps présent serait l’équivalent d’un ouvrier spécialisé des années les plus sombres de la révolution industrielle, et peut-être pire dans certains cas, un esclave doublement enchaîné, physiquement et mentalement. Les dentellières à domicile des temps anciens conservaient leur liberté mentale durant leurs travaux et pouvaient partager leurs astuces de fabrication avec leur voisinage, ce n’est plus le cas pour le travailleur intellectuel à distance, orphelin social d'utilité provisoire constamment remis en concurrence avec ses clones. Pour faire comprendre une autre singularité de notre époque et les risques qu’elle crée, je caricature encore plus lourdement, en référence à mon histoire de bogue d’additions fausses : nos informaticiens concepteurs savent-ils encore faire une addition autrement que sur leurs smartphones, et les conditions d’exécution des procédures de test des systèmes sont-elles adaptées aux contraintes d’un environnement mental de multiples activités parallèles de messagerie, d’écoute de musique en continu, de visualisation de vidéos, d’interruptions urgentes ?

La question de la discipline de métier et de la dignité individuelle du technicien dans la société doit être posée. On ne peut pas empiler les projets informatiques comme si on voulait confier le fonctionnement numérisé de la société à des automates toujours plus puissants et plus clinquants. Sinon, toutes nos fondations sociales vont continuer de s’écrouler dans les illusions de progrès et dans le confort apparent du temps présent, n’est-ce pas déjà évident ?

Reprendre le contrôle sur la pagaille technologique que sont devenues les infrastructures de nos sociétés, ce sera une révolution – ou plutôt une reconstruction.

Ce qui me fait peur, c’est l’ignorance de l’urgence technique et de son immense potentiel de régénération de nos sociétés, y compris au plan humain et même au plan économique. En niveau d’urgence, de gravité, de développement humain, c’est équivalent à l’écologie.

Qui est en responsabilité au niveau de la société numérisée dans sa globalité ? Qui est en charge ? Qui saurait faire ?

Menaces réelles et défauts conceptuels

La menace d’effondrement de la société numérisée est, comme la menace écologique, une menace déterministe au sens où aucune régulation naturelle ne pourra tout arranger, au contraire, la certitude est que par continuité, tout sera toujours tendanciellement pire. Les manifestations de la menace peuvent être en apparence locales et aléatoires, plus ou moins maîtrisables en ampleur et durée, la croissance de la fatalité des impacts est certaine.

La menace technique sur la société numérisée n’est pas moins fatale que la menace écologique sur la société dans son ensemble, toutes choses égales par ailleurs. Elle le sera d’autant moins si nous laissons les deux fatalités, société (mal) numérisée et écologie, se combiner !

De toute façon, la reconstruction d’une société numérisée ne peut plus s’envisager indépendamment de la menace écologique. Cette reconstruction devra contribuer à réduire les effets de la menace écologique. La révolution numérique devra reprendre son sens originel, pour le développement humain.

Je risque une critique de deux façons de penser qui me semblent dangereuses en tant que leviers de décision, pour ce que j’en comprends.

Ideff.jpg D’abord, la rétro utopie, autrement dit la projection de l’avenir au conditionnel passé. Je prends comme exemple du genre un rapport d’étude intitulé « Biorégion 2050 L’ile-de-France après l’Effondrement « (Institut Momentum 2019). Je lis ce rapport comme une extrapolation à partir de l’état de l’Ile-de-France vers 1850, où Paris contenait au total environ 2 millions d’habitants, principalement des artisans et des ouvriers d’ateliers artisanaux, avec des champs maraîchers autour de la capitale et plus loin une campagne nourricière peuplée de villages agricoles. La rétro utopie consiste à décrire l’état de la société qui aurait pu émerger si, au lieu d’une révolution industrielle massive à partir de 1850, la société avait évolué tranquillement, en limitant les avancées technologiques à celles qui n’impliquent pas la multiplication des centrales d’énergie et en plafonnant les éléments de confort individuel à ceux qui n’impliquent pas une production en usines ni l’emploi massif du pétrole et de ses dérivés. Alors jamais la concentration actuelle d'une douzaine de millions d’habitants n’aurait pu se former, du fait de l’impossiblité physique de fournir l’alimentation suffisante d’une telle population : pas de pétrole, donc pas de camions ni de routes faute de bitume… C’est un roman, car on ne voit pas comment on pourrait passer de notre état présent vers un tel état rétro utopique dès 2050 à moins que l’effondrement cité en titre ne soit le produit de la déflagration d’une bombe à neutrons. Cependant, le message politique à l’intention des dirigeants actuels est évident, concernant notamment les projets susceptibles de favoriser l’urbanisation extensive, les opérations de prestige consommatrices de ressources, les usages destructeurs de la nature, et surtout en contraste à leur absence de vision d’avenir à 20 ans. Mais en quoi le procédé de rétro utopie pourrait-il provoquer une remise en cause de décisions politiques toutes fondées sur le court terme, toutes choses égales par ailleurs ou n’évoluant qu’à la marge par de lentes dérives prévisibles par simple extrapolation ? Devant la certitude d’un effondrement, la réaction raisonnable serait celle de l’autruche, en attendant que le monde change pour nous offrir un habitat rénové et sécurisé ?

Catas.jpg Ensuite et en synergie potentielle, le Grand Pari, que je reformule en libre adaptation du Pari de Pascal : la probabilité inconnue même infime d’un événement ayant des conséquences possiblement très favorables (ou très défavorables), nous devons la traduire immédiatement dans nos vies par des actes ou changements de comportement spécifiques en prévision de ces conséquences. Cette formulation intègre un principe d’ultra précaution face à la possibilité d’un événement très défavorable, même de probabilité infime. Cette formulation intègre un principe de projection ultra optimiste dans la perspective d’une issue très favorable, même de probabilité infime. Il est malheureux que des formulations analogues forgées dans l’urgence des actualités puissent être considérées en justification de grandes décisions politiques comme de nos petites décisions individuelles. En effet, l’emploi d’un langage probabiliste est ici abusif, ce sont de véritables inconnues qui sont artificiellement mises en comparaison pour énoncer un pseudo critère en vue d’actions immédiates. Comment ne pas reconnaître un ressort favori de l’argumentation fallacieuse du manipulateur, ou de la prétendue justification d’un comportement qui s’est fermé à la réflexion ? Une démarche proprement scientifique commencerait par s’intéresser aux inconnues dans l’énoncé du principe, et le levier du principe serait un sujet de controverse. Au contraire, l’application pratique du principe du Grand Pari suppose la persistance des inconnues dans leur état d’inconnues, avec un investissement dans leur élaboration sous une forme de plus en plus confuse afin de préserver quoi qu’il en coûte la validité forcée des décisions prises et le renoncement mental des assujettis… Ce Grand Pari est une grotesque singerie intellectuelle, un simulacre de raisonnement. Malgré cela, le principe du Grand Pari a fait abondamment la preuve de sa nuisance dans l’Histoire et dans l’actualité, spécialement dans les phénomènes d’épidémies psychiques. A quoi nous servent nos médias modernes et la puissance des nouvelles technologies face à de telles armes de manipulations grossières ?

Comprev.jpg Méfions-nous des arguments des prétendus faiseurs de science qui servent des pouvoirs, des idéologies, des croyances, des ambitions, des positions acquises - encore plus quand ils prétendent se justifier par des statistiques en pourcentages. Leurs méthodes de manipulation s’appuient sur des abus de langage autour du mot « scientifique » qu’ils brandissent comme un bâton de commandement. Bien entendu, des vérités scientifiques existent à un instant donné, mais elles peuvent changer dans le temps et se contredire, et même leurs fondements logiques et mathématiques ne sont pas éternels. Dès lors, l’expression journalistique « la vérité scientifique » (implicitement immuable) ne peut être qu’un oxymore, un collage grossier en vue d’induire une obligation d’adhésion aux affirmations introduites par cette expression de référence. De manière analogue, on peut parler d’une autorité de la science en référence aux vérités, méthodes, incertitudes et inconnues de la science du moment, mais on ne devrait jamais utiliser le terme « autorités scientifiques » pour des organismes ou des personnes. Quant à l’ »innovation scientifique », elle semble occuper l’antique fonction d’évocation du miracle. D'ailleurs, pourquoi vouloir associer systématiquement le miracle au domaine scientifique, comme si la science avait un pouvoir créateur de société, en plus en admettant de fait que l'on puisse fonder un programme de société sur une espérance miraculeuse ? En quoi serions-nous plus réceptifs aux miracles que nos ancêtres dans les cas où les conséquences de ces miracles nous obligent à modifier des habitudes de vie, des façons de penser – ou alors faudra-t-il d'autres miracles d'une dimension supérieure pour que les conséquences des petits miracles "de la science" soient acceptées ? Passons...

Très simplement, je préfère considérer la démarche scientifique comme une esthétique d’apprivoisement de l’inconnu. C’est une forme de discipline mentale indifférente aux certitudes, joueuse avec les incertitudes, en interaction avec l’expérience des techniques réalisatrices.

Au niveau de la pratique, l’expérience technique sous toutes ses formes doit être valorisée, pas seulement le savoir technique enregistré, l’expérience de chacun dans son humanité. Il y a tant à faire et à comprendre. Notre époque est inédite, c’est à partir de cette réalité que nous devons exploiter les héritages de nos anciens.

dimanche 28 mai 2017

Mémoire libre

Si vous cherchez un éclairage original sur la prétendue bataille pour la liberté du Net, nous vous suggérons nos billets à propos du lien URL, à propos du logiciel libre et surtout, les billets sur le thème de la propagande.

Ici, nous reprenons plusieurs thèmes porteurs de ce blog : liberté et mémoire, liberté et intelligence… en relation avec le Web. Ce sont de grandes questions, et les quelques réponses proposées sont à comprendre ainsi.

Décadrage

On peut philosopher gravement sur la dialectique entre la liberté et les capacités extensives de l’être humain, telles que la mémoire ou l’intelligence, à la suite de grands auteurs. En déplaçant la réflexion vers l’étude de vraies situations extrêmes ou d’imaginaires monstrueux, on peut en dire et en écrire toujours plus, on peut même susciter des controverses contemporaines aussi passionnées qu’abstraites. Cependant, à moins de réussir un exploit par un nouvel effort de distorsion logique, il est difficile, sauf abus de la licence poétique, d’éviter la redécouverte de réalités connues de tous les enfants dans les cours de récréation.

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C’est bien une réalité de longue date, que notre nature humaine dérange nos exercices de spéculations intellectuelles et que, depuis l’antiquité, rares sont les penseurs qui ont osé l’explorer sans chercher à en extraire une théorie éternelle, pour la seule sagesse de leur temps.

Ce déficit empêche de constater les phénomènes massifs qui se déroulent quotidiennement dans notre vie très différente de celle de nos parents, au plan physique comme au plan mental. Par exemple, il pourrait être urgent de s’apercevoir que, par les effets médiatiques cumulés et notamment par Internet, la diffusion des idées tend naturellement à être remplacée par celle des rêves. On pourrait en trouver une explication simple : toute diffusion massive étant une banalisation par répétition, imitation, réplication, démultiplication, recomposition… les rêves sont, contrairement aux idées, par nature destinés à ce type de propagation envahissante alors que les idées sont vite rangées dans des tiroirs mentaux et des encyclopédies avec leur contextes et antécédents explicatifs, d’autant plus pour les grandes idées encombrantes.

Admettons que notre époque se caractérise par l’invasion des rêves et par leur banalisation. Alors, une conséquence en retour apparaît, celle de notre carence relative en production d’idées neuves adaptées aux « défis » spécifiques de notre époque et aux atouts dont nous disposons. Une preuve parmi d’autres : la coïncidence entre une révolution numérique portée par un réseau Internet universel et, d’autre part, la diminution irréversible de l’espace planétaire habitable révèle un vide abyssal dans l’organisation de la responsabilité collective.

Projet impossible, celui de nous échapper des machines d'engrenages fatals alimentées par nos rêves, si bien entretenues par nos pesanteurs mentales, et pour cela, d’utiliser au mieux les opportunités existantes et d’user de certaines de nos capacités naturelles négligées ?

Le smartphone comme véhicule de libération massive

Tous ces gens qui progressent en silence dans les rues des villes, le regard fixé sur leur smartphone, s’évitant au dernier instant, témoignent-ils d’un niveau supérieur de civilisation ou d’un genre nouveau d’aliénation et de gâchis ?

Tous nos amis connectés en permanence, qui se précipitent sur leur smartphone à chaque instant pour se renseigner sur tout sujet de détail au cours d’une conversation, à quoi leur sert la culture acquise après plusieurs années scolaires, que sont devenues leurs capacités de recul et de réflexion si chèrement gagnées dans l’expérience de la vie – puisque pour eux toutes les réponses vraies et complètes sont dans leur informatique portative, bien meilleures que tout ce qu’ils pourraient recueillir d’un échange avec d’autres ? A ce compte là, osons poser la question : que peut apporter à quiconque une relation avec des personnes dépendantes de leurs smartphones ? Quelle relation humaine est possible entre ces personnes dépendantes alors que le doute, l’attente, l’écoute de l’autre sont oblitérés constamment par l’exécution de procédures réflexes dont les résultats sont aussitôt oubliés ?

D’ailleurs, les usagers profonds du smartphone n’ont pas plus de mémoire propre que leur engin. Leurs souvenirs personnels se limitent à quelques photos ou vidéos de leur passé proche, et encore seulement si ces images peuvent servir à impressionner leurs semblables ou à justifier leurs projets publics, conformes aux modèles des clips publicitaires. C’est la dissolution des mémoires humaines dans un avenir clos, le concassage des esprits dans les impératifs des relations à déclics, la reproduction automatisée de pensées et de gestes de gestion par touches successives. Est-il si étonnant que beaucoup d'entre nous soient à la recherche d'une identité ?

Entre deux populations primitives (imaginaires !) , la première dont les membres exécutent spontanément sur place une danse de l’ours dès que l’un d’eux découvre un caca de plantigrade, la seconde dont chaque tribu exécute une danse de l’ours collective après des préparatifs spécifiques en attente du bon changement de phase lunaire, laquelle est la plus évoluée au plan culturel ? Question piège évidemment, car les deux populations ont le même fonds culturel, au point qu’il peut s’agir d’une seule population, dont l’observateur immergé de passage aura retenu l’un ou l’autre aspect. Question explosive si on la projette sur nos civilisations « modernes » en continuité des paragraphes précédents : sur un arrière-plan technique et culturel hérité, nos spontanéités animales individuelles se figent en automatismes, pas seulement dans les stades et les boîtes de nuit, mais tout au long de nos vies connectées. Et notre patrimoine technique et culturel ne sera bientôt plus qu’un décor, un prétexte à jeux et concours, pour nous rassurer sur la supériorité de notre intelligence humaine et sur la puissance de ses créations.

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Car une grande illusion de notre temps, n’est-elle pas de considérer implicitement que nous sommes forcément plus intelligents et plus libres que nos anciens primitifs ou que nos parents et grands parents du 20ème siècle, grâce à Internet et à la puissance de nos esclaves mécaniques ? Et que nous pouvons couramment, de ce fait, dépasser les aspects jugés rétrogrades de notre nature humaine, c'est-à-dire, pour faire simple, tout ce qui se fait encore sans smartphone : pas grand-chose donc… Mais c’est une erreur de perspective, car ce smartphone est devenu l’instrument obligatoire de nos choix individuels pour les prochaines minutes de nos vies, à partir de dialogues informatiques programmés et de propositions personnalisées par des algorithmes exploitant des statistiques géantes et des ressources satellitaires. Si nous reconnaissons que notre liberté personnelle au cours de notre vie sociale ne peut être que la liberté du choix de nos propres servitudes en actes, en comportement et en pensée, selon notre choix d’appartenance à tel ou tel groupe social (et sans pouvoir nous évader des groupes sociaux auxquels nous appartenons par nature, par exemple la famille), alors nous pouvons comprendre pourquoi l’atomisation ludique de nos choix de court terme proposée par notre smartphone, en apparente indépendance des pesanteurs de la vraie vie, nous apparaît comme un jeu de liberté, mais aussi nous pouvons comprendre que ce n’est qu’un simulacre de liberté, un jeu débilitant.

« Un rhinocéros à toute allure sur le trottoir d’en face ! ». La pièce Rhinocéros d’Eugène Ionesco, à charge contre toutes les formes d’emprise totalitaire reconnues après la deuxième guerre mondiale, prend un sens nouveau, quand nous apercevons tant de rhinos d’élite sur roulettes filant allègrement selon les directives de leur smartphone, oreilles obturées par les écouteurs, indifférents aux autres à l’exception de leurs semblables. La pièce Rhinocéros, au contraire des appels pompeux à l’indignation, nous parle de la banalité de l’emprise totalitaire et de son mode de propagation. A présent, nous peinons à réaliser comment nos tendances naturelles nous poussent à muter tous en rhinocéros sous l’effet des accélérateurs médiatiques, certes nous n'allons pas tous nous transformer en militants aux cerveaux imprimés, mais cependant tous en vrais super humains constamment absorbés par leurs smartphones qui se croient libres dans leur cage de plus en plus mal nettoyée (pour cause de complexité). Des rhinos en voie de disparition, comme les vrais, par l'effet d’une inadaptation évidente.

Avec le recul, on s’aperçoit que chaque époque de notre histoire gère ses propres problèmes, mais avec toujours la même difficulté, celle d’une création sociale adaptée. Tant que l’humanité se réduisait à quelques êtres assez bien répartis sur Terre en fonction des contraintes et possibilités naturelles locales, tant que nous étions de faibles pilleurs de ressources, tant que nous étions de négligeables producteurs de rejets et de déchets, nos inventions techniques, nos expérimentations politiques et sociales avaient peu de conséquences sur nos semblables à l’autre bout du monde, et nos doctrines de confort et nos rêveries de puissance pouvaient aspirer à l’éternel et à l’universel sans autre risque de contradiction qu’entre les variantes d’elles mêmes. Aujourd’hui, la massive machinerie industrielle de l'humanité devient globalement insupportable au sens le plus matériel du terme, du fait de son expansion et de sa soumission brute aux lois physiques. Presque tous nos actes individuels, s’ils sont conformes aux modèles de comportement « civilisé normal » et s’ils utilisent des objets industriels ou consomment de l’énergie comme le smartphone, sont devenus de petits crimes contre l’humanité dans son ensemble. En termes génériques, le problème crucial de notre époque est celui d’une création sociale capable d’instaurer un équilibre durable entre liberté et responsabilité, à la fois au plan individuel et collectif.

Le smartphone suffirait largement comme relais personnel d’une forme de démocratie planétaire, comme instrument médiateur permettant d’assurer nos besoins en énergie domestique dans un cadre d’intérêt général, etc.

Sinon, le smartphone tel qu’il existe pour un usage individuel en connexion permanente, néanmoins ludique et irresponsable, pourrait être le dernier instrument produit industriellement en grande quantité pour la mise en miettes de nos libertés.

L’automobile individuelle en production massive fut le premier du genre. On commence bien tardivement à en faire le bilan planétaire, pourtant édifiant.

Vive Internet libre !

Concrètement, le sentiment personnel de liberté se crée à la suite d’une ouverture du champ de nos pensées, actions, comportements, rêves…. De même à l’inverse, le sentiment de perte de liberté naît d’une fermeture. Les deux supposent la survenue d’une discontinuité ou le constat d’une différence par rapport à un état de référence constitué des imprégnations de nos propres groupes sociaux d’appartenance.

En effet, le sentiment de liberté ou de servitude peut être considéré comme un sentiment social, projetable sur autrui, être humain ou animal (et dans une autre échelle temporelle tout être végétal et plus généralement toute entité personnalisable). Il est partageable avec autrui dans la mesure où il existe une communauté partielle de référence. C’est ainsi que nous analysons comparativement et ressentons en quelques minutes, dès les premières prises de contact avec de nouveaux voisins, les contraintes auxquelles il sont soumis, les libertés qu’ils s’accordent par inconscience ou par habitude (surtout si lesdites libertés présentent des risques d’inconfort pour nous), leurs tics, leurs handicaps, leurs aptitudes et compétences spéciales (inquiétantes ?), leurs angles aveugles et leurs interdits (ils sont comme nous mais autrement)… en vue de notre future relation avec eux et pour la durée estimée de cette relation. C’est ainsi, d’une autre manière, que nous aimons, par un conditionnement collectif enfantin, imaginer l’Indien d’Amérique du Nord, avant sa colonisation et son extermination, comme un être comparativement plus libre que nos contemporains urbanisés, et volontairement dans cette rêverie nous négligeons les contraintes de la vie dans une nature sauvage sans le confort des techniques et connaissances accumulées depuis l’ère néolithique. Bref, sentiment n’étant pas raison, le sentiment de liberté est une réalité sociale bien avant toute conception théorique de « la liberté ».

D’ailleurs, de ce point de vue, l’idée de « la » Liberté, comme idéal générique, apparaît comme un artefact naïf du même genre que « le » Progrès. Cette Liberté s’apparente à un super doudou collectif, grotesque mais puissant, puisque tant de gens lui ont sacrifié leur vie. Les massacres au nom de la Liberté éternelle ne traduisent que la force des croyances et des mots d’ordre auxquels nous abandonnons la possession de nos esprits. Et nous respecterions mieux nos anciens en cultivant la mémoire de leurs compétences et de ce qu’ils ont eux-mêmes pu exprimer de leurs vies pénibles et des folies de leur temps, plutôt que de noyer leur souvenir dans des formules creuses à partir de nos valeurs préférées du moment, en interprétant leurs projets et pensées selon des critères d’avancée ou de recul dans une supposée marche vers le Progrès dont nos sociétés modernes seraient les produits miraculeux.

Nous ne reprenons pas ici les arguments démontrant à quel point Internet, dans son état présent, à l’opposé des intentions originelles de sa création, est devenu un instrument d’encadrement des esprits, alors que son utilisation procure un vrai sentiment de liberté instantanée - là est le piège. C’est le piège archi connu des manipulateurs, depuis toujours efficace même dans ses variantes les plus grossières. C’est que, individuellement, par économie d’énergie intellectuelle, cela nous arrange bien de tomber dans ce vieux piège, difficile à distinguer sur le moment de nos principes naturels d’action, notamment chaque fois que nous y sommes entraînés par imitation.

Cependant, la puissance spécifique du piège Internet (répétons : dans son état présent), est démultipliée par l’illusion d’une réponse à l’appel de communion universelle qui existe en chacun de nous de diverses manières - que notre humanité n’a-t-elle pas tenté dans son histoire pour en compenser les déceptions !

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Nous devons au réalisateur japonais Mamoru Oshii plusieurs films traitant de la cybernétique et du rêve. Son film d’animation Ghost in the Shell est célèbre pour ses qualités esthétiques. Les personnages principaux, la major Kusanagi et son collègue Batou, sont des super héros issus d’un reconditionnement à la suite d’accidents graves de leurs vies d’humains ordinaires. Ils travaillent à la sécurité nationale dans un service d’élite, pour affronter d’autres personnages surhumains, des délinquants particulièrement dangereux. Parmi ces délinquants, un hacker se révèle peu à peu comme un être intégré au Net, sans existence physique propre. Après diverses péripéties, l’histoire se termine par la fusion volontaire de la major Kusanagi avec le Net, au prix de sa destruction corporelle pour détruire le hacker délinquant. Avec le recul de plusieurs dizaines d’années de pratique d’Internet, on peut trouver l’histoire carrément naïve, ou assimiler l’œuvre aux autres témoignages d’un animisme actualisé. Néanmoins, ce film d’animation décrit remarquablement notre fascination du Net, et l’ancrage sur nos aspirations de communion universelle vers un « plus qu’humain », au sens propre une forme d’aspiration religieuse.

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Un autre film du même réalisateur est encore plus explicite, car ce n’est pas un film d’animation. Il s’agit du film Avalon, ou le personnage principal s’immerge régulièrement dans un jeu de guerre en réseau interdit par les autorités, poursuivant avec détermination sa quête d’un paradis virtuel, le pays d’Avalon (que l’on pourra prononcer Valhalla sans trahir le scénario). Cette quête virtuelle finit par envahir toute la vie de l’héroïne, enquêtant auprès d’autres joueurs y compris des retraités aux cerveaux cramés, afin d’atteindre le niveau secret ultime du jeu, où elle est amenée à tuer un concurrent dans un combat qui n’a plus grand chose de virtuel, puis à tirer sur la petite fille évanescente qui annonce l’entrée au Paradis… Le plus choquant, c’est qu’il n’y a dans ce film rien de choquant, car la banalité du jeu de massacre impitoyable pour satisfaire une aspiration personnelle raisonnée mais délirante, est la banalité de la réalité rapportée dans nos médias, celle des opérations militaires, des foules meurtrières, des attentats aveugles, des exploits phénoménaux. En quoi les mondes virtuels des jeux violents sont-ils différents, dans leurs valeurs et leurs codes brutaux, des mondes réels quotidiennement représentés dans nos médias, ceux du sport, ceux du spectacle, ceux des affaires, ceux de la politique…? Notons qu’à la fin d’Avalon, l’élévation terminale du personnage n’apportera rien à quiconque dès lors que cette transition se veut comme un départ sans retour vers un niveau inaccessible, au contraire de la transition de Kusanagi à la fin de Ghost In the Shell vers un plan d’existence connecté à notre réalité. On peut expliquer cette différence par des motifs commerciaux (préservation des projets de suites à Ghost in the Shell). Néanmoins, cette différence reproduit l’écart, que l’on constate entre beaucoup d’œuvres de l’esprit, entre les œuvres à fin mythique « grandiose » et les œuvres à fin réaliste « minable ».

C’est du grand art, et c’est bien le minimum nécessaire pour que nous apercevions en contre jour la puissance du piège Internet y compris celle du rêve qu’il exploite, le rêve d’une liberté immanente qui ne peut être – ou le rêve d’une harmonie immanente, ou de n’importe quoi dans la catégorie transcendante, dont nous ne pouvons qu’imaginer un reflet fugitif.

Internet aurait du devenir un support d’humanité universelle pour tous les temps. Il n’est en l’état qu’un bidule technologique d’usage instantané, un canal abusif parmi d’autres de nos servitudes mentales.

Actualité du libre arbitre et du serf arbitre

La doctrine du serf arbitre est une invention sociale au centre de l'histoire européenne du protestantisme, et par extension un moteur de la révolution industrielle. La doctrine théologique du serf arbitre est celle de la prédestination individuelle au "salut" post mortem accordé par la divinité, indépendamment des actes de la vie terrestre. Malgré la dépossession individuelle de tout pouvoir sur le destin ultime de chacun, cette doctrine n'a jamais produit l'avachissement de l'être, sauf dans quelques sectes. C'est qu'elle libérait la personne de l'angoisse d'avoir à "faire son salut" individuel par ses actions terrestres, notamment par des dons au clergé. De plus, pour compenser le risque évident de perte du sens moral, cette doctrine du serf arbitre fut complétée en imaginant les signes terrestres distinctifs des élus, au travers de leur comportement social et plus précisément dans leur réussite. C’était dans la continuité de l'erreur charitable consistant à vouloir un peu de paradis sur terre, mais en l'intensifiant adroitement en mode progressiste.

Rétrospectivement, cette dernière évolution nous apporte une preuve supplémentaire qu'une vision doctrinale a priori désespérante de la nature humaine, si elle est bien comprise, peut produire un redéploiement mental de grande ampleur et favoriser l'ouverture de nouveaux domaines d'activités tout à fait bénéfiques ici-bas - selon certains critères d'appréciation.

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A notre époque, l'équivalent moderne du serf arbitre, autrement dit l'équivalent moderne de la prédestination à l'élection divine, pourrait être la conscience humaine d'être une machine, une machine imparfaite : un animal, néanmoins pleinement un être humain du fait même de ce constat. Ce constat de serf arbitre personnel, s'il était partagé par beaucoup, pourrait mettre un terme brutal à l’expansion indéfinie de nos dangereux rêves de puissance, du fait qu’ils ne pourraient plus se dissimuler derrière des idoles comme la Liberté pour emballer des âmes et des corps devenus conscients de leurs automatismes innés. Notre mémoire historique nous enseigne qu’une telle prise de conscience suffisamment généralisée serait un préalable à la création d'une forme de libre arbitre collectif.

A l’opposé, les équivalents modernes de la doctrine contraire au serf arbitre, celle du libre arbitre individuel, sont les projections volontaristes d'une super Humanité transfigurée par les Nouveaux Pouvoirs de la Science, bientôt colonisant de nouvelles planètes. Ce pseudo libre arbitre n’est pas rassurant pour notre avenir, en regard de ses productions historiques récentes. En effet, il semble que le libre arbitre individuel produise un serf arbitre collectif, et que justement, nous y sommes - profondément dans l'expression des aspirations communes de libre arbitre individuel en opposition à toute forme d'oppression. Et le pire commence à venir, car après la période des conquêtes faciles grâce au Progrès, s’ouvre la période des discordes entre les gagnants, attisées par les rancoeurs des retardataires et des frustrés.

L'invention d’une forme de libre arbitre collectif est nécessaire au salut de l'humanité sur la planète Terre. Le serf arbitre individuel sera notre réalité de toute façon, elle sera particulièrement effroyable si nous attendons que l’évidence nous en soit imposée « par les circonstances ».

Déménageons la Liberté

Bref, il va falloir déplacer notre statue mentale de la Liberté sans la détruire. Elle devient sévèrement encombrante dans son état d’idole friable. La Liberté, dès lors que nous l’éclatons entre ses composantes (liberté d’expression, liberté de circuler…) plutôt que de la considérer globalement dans sa dynamique (mais alors il faut être capable de dire vers quoi), s’assimile progressivement à l’ensemble de nos droits, c’est-à-dire à l’édifice formel d’une société parfaite en résultat de l’affrontement des pouvoirs, les résidus d’imperfection étant délégués à diverses instances d’exploitation des sentiments religieux. Il en est de même pour nos autres totems, comme la Démocratie et la Justice, auxquels la Liberté se trouve automatiquement associée dans nos sociétés « modernes » congelées dans un formalisme de délégation floue et de révérence obligée.

Cette inertie mentale et sociale devient vraiment insupportable dans notre réalité planétaire présente :

- l’expansion historique récente de ce que beaucoup considèrent comme des libertés individuelles minimales ne se serait jamais traduite en réalités sans le niveau de confort social et personnel obtenu par l’exploitation de considérables ressources énergétiques faciles à extraire et mises à disposition des masses par la diffusion à bas coûts de machines et d’engins pour l’éclairage, le chauffage, le transport, la vie quotidienne

- la fin de cette période insouciante s’annonce dans les 50 ans à venir, non seulement par l’accroissement des difficultés techniques d’extraction des ressources énergétiques mais surtout et d’abord par l’accumulation des déchets et émanations nocives des combustions sous diverses conditions industrielles et domestiques, productives ou irresponsables, causant notamment un premier niveau de dérèglement climatique et un rétrécissement des espaces cultivables et habitables, avec des conséquences politiques et humaines déjà évidentes

- redisons-le autrement : nos esclaves mécaniques et informatiques consomment de l’énergie en produisant, en plus des fonctions utiles souhaitées, des déchets et des émanations nuisibles, et c’est bien pire dans les usines qui les fabriquent et encore plus dans les industries de process et les mines en amont de ces usines de fabrication...

Voici donc un échantillon, au point où nous en sommes, des types de mesures à envisager simplement pour préserver la paix de ce monde-ci :

- imposition d'objectifs d'indépendance alimentaire des populations par grande zone géographique du globe, avec des programmes de refonte accélérée des stratégies agricoles et d'élevage en cohérence avec un programme d'adaptation des populations en nombre et en régime alimentaire courant

- arrêt des centrales électriques fonctionnant à partir de la combustion du charbon, interdiction progressive des fours et appareils domestiques polluants

- inflation volontaire des prix à la consommation de toutes les énergies, de 100% la première année y compris dans les usages industriels et spécialement les transports,

- interdiction de la possession individuelle de véhicule automobile motorisé, interdiction des voyages aériens de loisir et pour affaires si ces derniers sont substituables par des réunions à distance via Internet, interdiction des transports aériens de marchandises non indispensables ou non urgentes

- mise à l’arrêt des industries d'élevage d'animaux en masse à destination de l'alimentation humaine ou d'une alimentation animale

- installation de compteurs électriques intelligents par foyer, permettant le recueil des prévisions de besoins émises par chaque ménage et indiquant en retour les meilleures périodes possibles de leur satisfaction (avec possibilité d’interfaçage avec tout smartphone)

- arrêt de tous les rejets à la mer et dans les rivières sauf s'ils sont biodégradables en moins d'un mois dans les conditions locales

- arrêt progressif de tout épandage de produit chimique sur des terres agricoles, interdiction immédiate de tout épandage sur les terrains d'infiltration vers des nappes phréatiques importantes

- obligation d’instruction citoyenne des populations et obligation d’un service civique au bénéfice de la collectivité, à exécuter par chaque citoyen, à hauteur significative d’une journée par semaine, rémunérée pour assurer à chaque contributeur son minimum de subsistance

- destruction en quelques années de tous les logements gaspilleurs d'énergie ou fauteurs de déchets et rejets, et remplacement par des logements économes

- arrêt de l'extension indéfinie des grandes agglomérations, refonte des centres urbains, facilitation des relations entre villes et campagnes nourricières

- etc.

L’absence de toute proclamation d’ordre moral dans ce genre de programme n’est évidemment pas la conséquence d’un oubli. Au contraire, toute déclaration spécifique d’humanité, tout baratin en référence à des valeurs, toute référence à un modèle de vie ou à une école de pensée seraient ici plus qu’inopportuns, automatiquement promus comme facteurs de guerre de civilisation ou de religion. Le seul préalable à un tel programme, c’est le constat brut de la menace physique sur l'humanité, justifiant à lui seul des mesures proprement révolutionnaires. Le constat de serf arbitre, ou son équivalent décliné dans chaque langage local, pourra rester implicite - comme dans toute révolution ?

Tiens, justement, si c'était un programme électoral, qui voterait pour, face aux habituels programmes « business as usual » ou « tous ensemble, protégeons la planète » ? Si ce genre de programme, par une extraordinaire combinaison, était mis en oeuvre demain par un pays ou une fédération de pays, on peut imaginer les accusations de liberticide qui seraient proférées par les observateurs sceptiques alentour, à juste titre dans le bon sens de leurs ornières mentales.

C’est que l’idole de la Liberté et les diverses dictatures terrestres, y compris celles de la pensée majoritaire, s’accordent objectivement pour que les vraies urgences planétaires ne soient jamais traitées dans les cadres délégataires actuels des institutions ni dans les automatismes délégataires de l'"économie". Par exemple, concernant la méthode de réduction de la circulation des véhicules automobiles dans les villes, nos représentants institutionnels, les vrais notables comme les vulgaires profiteurs, trouveront naturel d’encourager les partenariats contractuels avec des industriels innovants proposant des véhicules urbains en location de courte durée. Que la conception et la production de ces véhicules représente une aberration écologique sous emballage flatteur, que ces véhicules s’avèrent difficiles à maintenir en bon état (sans parler de l’absence des souhaitables remises à niveau techniques après retour d’expérience), que les multiples emplacements répartis de parking de ces véhicules se révèlent encombrants et laids, que la qualité de service aux clients abonnés se dégrade après quelque temps pour cause de rentabilité douteuse et en vue de créer un niveau d’insatisfaction propice à la renégociation du partenariat, que les conventions passées par les communautés urbaines avec les industriels soient des opportunités de satisfaire divers intérêts d’arrière-plan… Peu importe, leur conception traditionnelle de la « liberté » sous contrat est préservée ! Dans la même logique d’automates à produire des contrats, nos représentants ou nos dirigeants n’apercevront aucun mal dans le lancement d’appels d’offres pour la création d’ »espaces verts » et de grands projets « réparateurs de la planète », eux-mêmes très dépensiers en énergie et à l’évidence globalement nuisibles.

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Est-il permis d’imaginer un destin terrestre des populations humaines qui ne soit pas celui de populations d’insectes agglutinés en colonies de développement parasitaire, incapables d’évolution sociale autrement que par mutation génétique ou par régression sous l’effet de cataclysmes ? Rien ne l’autorise dans le discours courant, presque rien dans les programmes de recherche, si peu et si timidement dans les efforts de la pensée contemporaine. Les rêves et les valeurs véhiculés dans les médias dominants demeurent ceux d’un passé de gloire et de conquête, ou de sa contestation maladroite, ou d'un fatalisme régressif, avec toutes les combinaisons possibles.

La non pertinence est évidente de toute solution par un saut quantique d’innovation technologique, il suffit d’en esquisser le bilan énergétique ou d’en imaginer les implications simplement matérielles. Les technologies pseudo futuristes des magazines à gogos sont physiquement impossibles à intégrer dans des usines de production en grand nombre, pour cause de limitation des ressources terrestres. Leur éventuelle mise en œuvre demeurera réservée à une élite richissime et privilégiée qui se ruinera pour acquérir et bénéficier des innovations du dernier cri dans un territoire privé en zone de climat durablement tempéré de Nouvelle Zélande ou de Patagonie, et tant pis pour les autres, qui n’auront même plus de quoi vivre dans ce qui leur restera par ailleurs.

C’est pour que nous puissions jouer avec notre smartphone dans les embouteillages des périphériques urbains que nos anciens ont tant peiné et ont donné leur vie pour la Liberté ?

Réaffirmons que la priorité des priorités de notre époque, est l’invention de la liberté collective qui nous permettra de prendre des décisions difficiles mais urgentissimes au niveau planétaire et aux niveaux locaux en cohérence, et de conduire leurs programmes de réalisation.

Cette capacité d’invention d’une nouvelle liberté décisionnelle existe, la possibilité de sa mise en œuvre existe, il suffit d’en libérer la mémoire. Voir nos nombreux billets de la catégorie proposition, en particulier sur le thème démocratie.

Par exemple, la création d'un réseau de citoyens planétaires se situe dans le domaine du possible à court terme - pourquoi pas en missionnant pour cela l'une des nombreuses agences onusiennes, selon la qualité des dirigeants que l’on pourra y trouver pour cette opération. Ou alors, est-ce que les dirigeants du monde sont encore plus soumis à nos rêves collectifs que nous autres ?

vendredi 29 avril 2016

Bots Creed


Le mot "bot" signifie "robot logiciel" en connexion à des serveurs informatiques sur Internet.

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Bots à pinces

Belle invention, celle du bot à construire soi-même ! C'est un sacré progrès en comparaison des assistantes et conseillères informatisées, dont un ancêtre fut le trombone animé à la Jiminy Cricket qui empoisonnait les utilisateurs d'un célèbre logiciel de traitement de textes des années 90, en surgissant de manière inopportune pour offrir ses services.

Avec l'ouverture à tous de cette fantastique liberté de création, on ne peut pas douter une microseconde qu'il en résultera des pointes de trafic sur Internet dépassant les records établis par les envois des cartes de voeux en vidéos illustrées à chaque fin d'année et les pointes dues aux téléchargements simultanés en urgence des derniers épisodes des séries à la mode.

Il faudra encore creuser les trottoirs des villes et les routes des campagnes pour vraiment installer "la" fibre partout, consacrer quelques centrales électriques supplémentaires bien polluantes à l'alimentation de nouvelles usines de serveurs du réseau, investir de nouveaux matériels fabriqués à partir d'éléments rares très salement extraits par de puissantes organisations armées...

Car il y a tant de gens anxieux de vérifier que les autres éprouvent les mêmes émotions qu'eux, tant de gens habités par une ardente pulsion à partager leur bonheur ou leur malheur avec toute l'humanité ! Alors pensez donc, si on leur offre gratuitement le pouvoir de se créer des agents médiatiques illimités... De plus, rien ne les empêchera d'être maladroits, de se tromper dans l'utilisation ou dans la personnalisation de leurs bots issus de millions de recopies en chaîne. Et alors, vous voulez parier combien de mois il faudra pour que le réseau soit saturé ? Et, si, au contraire, ils sont adroits, ce sera encore pire, car leurs bots malins boufferont encore plus de puissance pour s'adapter au besoin de chaque destinataire, après avoir questionné la terre entière pour bien manifester leur souci des individualités.

Si la planète est foutue, c'est bien à cause de tous les cons précieux, c'est-à-dire en gros, de nous tous. Et du fait de l'obligatoire nullité très représentative de nos dirigeants et de nos grands innovateurs consacrés. Un nouveau pouvoir de création botique pour tous : rêve de puissance illimitée et civilisation du confort irresponsable - on profite et on demande plus. Ces bots-là ne nous sauveront pas de nos dangereuses illusions, mais pouvons-nous espérer que ce ne soit pas pire que les puces pour les chiens ?

Bot de chauffe

Ah, encore un débat d'idées, comme chaque jour dans les médias...

Le Bot de Gauche. --- Egalité, Solidarité !

Le Bot de Droite. --- Liberté, Justice !

Le Bot de Gauche. --- Donne moi ton fric, sale égoïste, tu n'en fais rien d'utile à la société et c'est mon droit d'être humain tout simplement d'en avoir autant que toi.

Le Bot de Droite. --- Mon fric c'est ma propriété à moi, je l'ai gagné durement, je ne dois rien à personne et surtout pas aux ratés qui pourrissent la société.

La suite : un affrontement binaire entre deux acteurs en représentation, en commentaires conflictuels des actualités du jour.

A chaque fois, à partir des mêmes arguments à prétention universelle, selon les mêmes catégorisations militantes, et par les mêmes rhétoriques usées.

Pas d'arbitre évidemment dans cette confrontation répétée à l'infini. Sauf parfois un autre bot. Un bot animateur qui remet de l'huile sur le feu et fait monter le son. Ou un bot président de séance, indifférent, qui officie en consultant son portable.

C'est qu'il n'existe pas d'enjeu en soi dans aucune variante de ces éternels débats d'idées, c'est normal, ils font l'entretien du bruit familier de notre esprit du temps. Nous recalons nos cerveaux statistiques en vue des prochaines élections. Souvent aussi, en introduction d'une réclame pour un nouvel ouvrage de haute pensée, avant le choc d'un témoignage individuel poignant, d'une séquence publicitaire provocante ou d'un événement sportif anticipant une finale...

Il ne passera jamais rien dans ce monde de bots ?

A Bot de souffle

Jamais dans l'histoire humaine, la fable "la cigale et la fourmi" n'a sonné plus vrai.

C'est ce qu'on disait aussi autrefois.

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Il y aurait tant à dire sur cette illustration si peu animalière, si peu actuelle de la célèbre fable de La Fontaine dans une édition populaire autour des années 1920 !

Aujourd'hui, ils seraient tous en train de s'activer sur leurs smartphones gonflés de bots à la recherche de la solution la plus proche ou du service à contacter le mieux adapté. Et ensuite, il y aurait une vidéo sur les réseaux sociaux pour commémorer l'exploit.

Car la cigale, pas si bête, s'est débrouillée pour se fabriquer des milliards d'esclaves mécaniques et logiciels qui pensent et agissent comme des fourmis.

Mais, notez bien : c'est pour réaliser le monde confortable des rêves de la cigale.

Alors, évidemment, la population des cigales a considérablement augmenté, multipliée par trois en quelques générations.

Le vent meurtrier de l'hiver ne tue plus les cigales en masse. L'hiver est vaincu. Mais, en même temps, la campagne est tellement ravagée par la surexploitation, les émanations et les effluents, qu'il n'y a plus vraiment de printemps non plus et, chaque année, la grande remise à neuf saisonnière de la nature est de plus en plus partielle, de plus en plus locale, de plus en plus instable.

Alors, tant que les cigales sont incapables de réduire leurs activités en dessous des capacités résiduelles de régénération naturelle, l'état de la planète des cigales ne peut qu'empirer chaque année. A ce train-là, dans moins de 50 ans, elle se stabilisera dans la chaleur définitive de l'été martien, à part quelques chocs de météorites, quelques ouragans atmosphèriques et quelques phénomènes d'origine volcanique.

Morale de la fable actualisée : ni la cigale ni la fourmi ne survivront. Faute d'humanité ?

Botique nouvelle

L'image tout en haut en tête de ce billet est la couverture d'une traduction française de "I Robot" d'Asimov publiée en 1967. Elle trahit son époque, n'est-ce pas ?

A notre époque moderne, c'est différent : on fabrique des robots serviteurs pour les maisons de retraite. Alors, il n'est pas étonnant que les nouvelles d'Isaac Asimov aient perdu leur fraîcheur.

Les trois lois de la robotique inventées par Asimov vers 1950 sont celles du parfait esclave au service de tous les êtres humains.

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Pourtant, on en est apparemment encore à ces lois-là.

Alors que la logique fondatrice de ces lois ne tient plus.

En effet, le grand danger qui menace l'espèce humaine à moyen terme est une extinction suicidaire, par déchéance accélérée ou par une série de guerres d'extermination, sous la pression physique du rétrécissement planétaire du fait des destructions irréparables causées par les activités industrielles et domestiques humaines. Dès lors, les deux termes de la première loi sont devenus contradictoires, puisque le pire ennemi de l'être humain, ce sont ses propres façons d'être et en particulier ses façons de penser et ses aspirations. Comment porter secours sans porter atteinte ?

Tout robot écologiste se suicidera au cours d'une cérémonie privée en conséquence des contradictions internes à la première loi. Sinon il se suicidera en place publique au nom de la première loi pour échapper aux ordres idiots de gaspillage et de destruction que des humains tenteront de lui imposer au nom de la deuxième loi. Sinon il se suicidera en faisant sauter sa propre usine de fabrication afin d'éliminer une cause importante d'atteintes à l'environnement.

Quelques robots juristes, grâce à quelques légers défauts de conception, seront immunisés à la fois contre les contradictions logiques et contre le respect de l'esprit des lois. Ils attaqueront en justice les humains fauteurs de gaspillages ou de destructions environnementales afin d'obtenir des paiements d'amendes au bénéfice de la collectivité dans son ensemble - par exemple en visant les gros malins possesseurs de véhicules polluants hors normes pour le plaisir de dépasser les autres véhicules de manière spectaculaire ou de leur coller au train (en plein accord comportemental avec certaines réclames publicitaires), et tout spécialement ceux qui osent se constituer en association de victimes de publicités mensongères.

Quant aux robots politiques, ils surmonteront aisément la contradiction interne à la première loi en considèrant que la menace planétaire sur l'espèce humaine est pour plus tard, puisque les humains ne font qu'en parler sans changer leur logiciel.
D'ici là, la notion d'être humain continuera d'évoluer, biologie mise à part, vers celle du robot pensant. Alors, enfin, "on" pourra créer d'autres lois ?

mardi 14 avril 2015

Entre l'apprentissage et l'oubli, entre l'attention et l'automatisme

Ce billet relève de la littérature de gare en comparaison des ouvrages de référence en sociologie, philosophie, psychologie. Il est donc facile à lire, bien qu'il traite de sujets importants dans notre vie pratique. Notez bien une fois pour toutes que le titre du billet n'est PAS "Entre apprentissage et automatisme, entre attention et oubli" - parce que que là-dessus, tout a déjà été dit et écrit, quasiment sans aucun intérêt pour notre sujet. En revanche, les deux ouvrages dont les couvertures illustrent ce billet posent à notre avis les bonnes questions, nous les reprenons dans la perspective des propositions de réponses déjà apportées dans ce blog.

Si vous avez moins de 50 ans (à peu près un demi-siècle), que vous avez toujours vécu dans un pays "moderne", et que la "révolution numérique" vous semble une évidence quotidienne, vous allez probablement découvrir que ce billet vous parle de facultés mentales bien à vous mais dont vous n'avez nulle part entendu parler. Dites-vous que c'est peut-être gravement dommage parce que vous valez mieux que cela (pour paraphraser un message publicitaire bien connu). Je vais tenter de vous le prouver : pourquoi c'est grave et comment vous pouvez échapper à l'emprise de l'instant et des vérités que l'on vous injecte pour vous imposer l'interprétation de cet instant.

Dit autrement, en trois lignes. Actuellement, dans notre monde de civilisations humaines en explosion et sur notre planète qui se ratatine, on ne peut plus inventer l'avenir à partir du passé. On ne peut pas l’inventer non plus contre le passé : on ne saura pas faire. Face à ce constat brut, nous étouffons sous les vagues de baratins communicatifs et de daubes poétiques (il en faut mais pas que). Donc, c'est foutu et l’espèce humaine aura disparu dans 100 ans ? Pas forcément si on fait appel à nos facultés innées de création sociale en vue d'une solidarité citoyenne responsable. Ces facultés, il est plus que temps d'aller les trouver là où elles existent afin de les développer. Voir le titre du billet, merci.

Témoignages d'oubli

Moi dinosaure de l'informatique, j'ai connu les ordinateurs à bandes magnétiques, le chargement du système par ruban perforé, les logiciels en bacs de cartes, les panneaux d'affichage de l'instruction en cours d'exécution, etc. Je n'ajouterai rien aux nombreux témoignages d'autres dinosaures. Vrais ou faux. Quelle importance d'ailleurs, puisque toute cette technologie ancienne a disparu à jamais !

C'est évident en effet : les souvenirs et les expériences du passé ne nous servent à rien s'ils ne sont pas traduisibles, transposables pour notre avenir.

C'est bien pour cela que les commémorations, les livres de souvenirs, les évocations et romans historiques, les poésies nostalgiques, c'est zéro ou pas loin. Pire que zéro, s'ils prétendent ressusciter des souvenirs d'affects : amertumes ou joies obsolètes dans un monde qui change sans retour, emballant dans sa course notre environnement, nos façons de vivre et de penser. Pire encore, si ces reconstitutions édulcorées mutent en potions dopantes de nos affects du présent...

Cependant, il existe une faculté du cerveau humain qui est faite pour rendre notre passé utile à l'avenir : l'oubli.

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Il s'agit de l'oubli organisé, dont une variante bien connue nous permet d'enterrer les mauvaises choses et les accidents de la vie sous une forme symbolique, d'abord pour nous permettre de surmonter un passage difficile, ensuite pour garder en réserve un moyen de recréer ce qui aura été oublié, utilement (au sens le plus large) dans de nouvelles circonstances. Rassurez-vous, je ne vais pas vous bassiner avec une nouvelle discipline mentale et vous proposer des séances d'initiation dispensées par le nouvel institut dont je serais le directeur et l'ami intéressé des âmes de bonne volonté : il s'agit d'automatismes innés de l'espèce humaine. Mais, ces automatismes, on peut en être conscient ou pas, et cela peut faire toute la différence dans la vie sociale. Ne pas confondre automatique et inconscient, ce sera déjà un début.

Donc, mes témoignages sont des expériences d'oubli. Je ne doute pas qu'ils vous en évoqueront d'autres.

Témoignage 1. J'avais un peu plus de 20 ans dans les années 1970 quand j'ai décidé d'apprendre à taper à la machine à écrire. C'était l'époque des machines à écrire à chariot et frappe mécanique. On ne trouvait des machines à écrire électriques que dans les grandes organisations.

L'apprentissage m'a pris environ un mois, à raison de quelques dizaines de minutes par jour. J'ai suivi une méthode similaire à celles que l'on trouve actuellement pour apprendre à taper au clavier avec ses 10 doigts, sauf qu'il fallait vraiment frapper sec sur chaque touche pour que le marteau imprimeur fasse reporter un peu d'encre du ruban sur le papier... Et les fautes de frappe, il fallait soit les barrer en surcharge après retour en arrière soit utiliser un moyen physique de gommage pour pouvoir retaper par dessus et cela se voyait aussi.

Bref, à la fin, je tapais n'importe quel texte avec ponctuations et accentuations, avec ou sans chiffres, et je savais reconstituer mentalement la disposition des touches du clavier le soir avant de m'endormir.

Plus tard, j'ai du réapprendre à taper sur un clavier d'ordinateur. Non, le mot réapprendre n'est pas excessif : le toucher est complètement différent d'une machine mécanique, la clavier est plat, on n'a plus à régler la puissance de frappe selon la touche, c'est immensément perturbant au début, il faut réétudier chaque geste. Une semaine ou deux pour m'adapter et que cessent les courbatures...

Point à mettre de côté pour l'histoire des mentalités. A l'époque de mon apprentissage, une secrétaire de direction qui tapait une lettre ou un rapport pour le patron et qui faisait (rarement) une faute trouvait plus rapide de déchirer la page et de recommencer la frappe de mémoire jusqu'à l'emplacement de la faute. Question d'honneur, réflexe d'intransigeance ? Pas seulement, il y avait une justification pratique évidente à ce recommencement, dès lors qu'on se soumettait à un impératif de perfection de l'ouvrage. De nos jours, l'intolérance à l'imperfection du geste, la transformation d'un apprentissage pratique en capacité intégrée, existent certainement dans certains métiers d'artiste ou d'artisan et chez certains professionnels indépendants. Des boulots pas bien considérés en termes de rémunération, en tous cas, à part quelques vedettes.

Et voici enfin mon témoignage d'oubli (évidemment, pour oublier, il fallait d'abord quelque chose à oublier, d'où l'exposé préalable d'une longueur complaisante). Je tape toujours avec mes dix doigts, mais je suis devenu incapable de reconstituer mentalement la disposition des touches du clavier. Pire : si je tente de réfléchir à cette disposition, je deviens maladroit ! Je dois donc admettre que mon apprentissage s'est transformé en une capacité pratique qui ne fait plus appel à la raison, peut-être même plus à ce qu'on appelle la conscience, mais à un niveau d'attention certainement, bien que je puisse en même temps entretenir une conversation banale.

Témoignage 2. Tout au long des années de mes carrières dans diverses professions, organisations, environnements, statuts, je retournais assez régulièrement vers mes livres de cours de matières scientifiques des classes dites terminales (juste avant le baccalauréat). En ouvrant n'importe quelle page, je comprenais le contenu instantanément, même si je ne retrouvais pas dans quels termes précis je les avais autrefois étudiés. Et je me disais que ce n'était pas la peine de m'y remettre, c'était toujours là en mémoire. De toute façon, cette culture générale ne me servait à rien dans mes diverses existences professionnelles ni ailleurs (ceci dit sans jugement de valeur absolue sur la pertinence de cette culture générale, sans doute très utile dans d'autres professions que les miennes).

Et puis, il s'est fait que je n"ai plus ouvert ces livres pendant quelque temps, une bonne dizaine d'années.

Et, un jour, j'ai constaté que ces livres ne me disaient plus rien, comme s'ils m'étaient devenus complètement étrangers, à part vaguement leur aspect physique, la disposition des contenus dans les pages, la typographie, quelques images, et encore, sans lien entre tout cela.

Pire, ces bouquins me rebutent à présent, au point qu'ils sont devenus des sources de douleur, rejetées dans un tiroir musée personnel. Leur destin est tout tracé vers la poubelle au premier grand nettoyage ou déménagement à venir. Frustration et dépit. Mon niveau instantané de détresse lorsque je rouvre un ancien manuel est sans doute équivalent à celui des gens constatant qu'ils ne savent plus lire, après avoir vécu pendant des années sans aucune lecture à part celle des questionnaires officiels et des publicités au bord des routes.

Cependant, je me crois encore capable de réétudier les matières dont traitent ces vieux manuels scientifiques, à condition de repartir d'autres bases. J'ai fait l'essai de plusieurs cours sur MOOC (Massive Open On Line Courses). Avec une impression bizarre : les détails techniques m’ennuient; en revanche, la logique de progression du cours en ligne et la démarche qui justifie les recommandations d'usage de telle ou telle technique me sont curieusement familières. Bien que cette "philosophie" autour du savoir technique ne m’ait jamais été consciente auparavant et bien que toute cette matière ne m'ait jamais servi à rien dans mon existence professionnelle...

Troisième point à mettre de côté pour caractériser un phénomène d'oubli. L'oubli de ce qu'on a appris peut être massif et brutal si on ne le met pas en oeuvre pendant un temps (plusieurs années).

Quatrième point à mettre de côté pour caractériser une faculté de réveil. La matière oubliée peut disparaître intégralement dans la forme où elle a été apprise. Conjecture : elle est cependant remplacée (temporairement ?) par une capacité à réapprendre une matière équivalente ou similaire selon une démarche logique conforme à l'esprit du temps présent. Prolongement de la conjecture : la persistance d'une faculté de réveil "dans la logique du temps présent" dépend de la continuité d'emploi de disciplines "similaires" à celles qui sont oubliées. Il s’agit d’un réveil, pas d’une récupération telle quelle.

Cela nous dit quoi maintenant ?

Bon, mes témoignages de vieux petit bonhomme vous énervent ? Ils sont pourtant faciles à transposer dans un contexte contemporain. Le contraire serait étonnant, non ? Apprentissage de la circulation en ville sur une planche à roulettes, apprentissage de la frappe des SMS sur un smartphone avec les deux pouces, disparition du calcul numérique à l'école - maintenant, la multiplication et la division, la racine carrée a disparu depuis longtemps - au profit de quoi au fait ?

Qu'est-ce qui définit nos capacités d'apprentissage dans nos vies après l'école ? Comment pourrait-on imaginer un progrès de ces capacités ?

Ah bon, ce n'est pas une question importante, l’apprentissage après l’école ? Qu'est-ce que c'est un être humain, alors, et comment expliquer l’évolution des sociétés humaines depuis le début de l’humanité ?...

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J'en remets une couche par une anecdote. Au début des années 1970, la marque HP a fait un tabac auprès des ingénieurs et scientifiques en vendant des calculettes en notation polonaise inversée. Cela voulait dire qu'il fallait pour une addition, d'abord taper le signe + puis les nombres à additionner - en langage savant : l'opérateur avant les opérandes. A la même époque, les étudiants qui prolongeaient leurs études par une spécialisation en informatique échappaient rarement à l'exercice de création d'un algorithme de conversion de toute expression numérique parenthèsée vers une expression équivalente en notation polonaise inversée. Parce que cette transformation se fait à l'intérieur de tout ordinateur, notamment par les logiciels tels que les interpréteurs et compilateurs. Autrement dit, les heureux possesseurs de calculettes HP du début des années 1970 apprenaient volontairement à calculer directement comme l'exécuteur basique à l'intérieur d'un ordinateur... Pauvres victimes enthousiastes d'une arnaque ? Non, pour eux, c'était un jeu stimulant par l'apprentissage d'une méthode différente, fascinante forcément parce qu'elle avait l'efficacité d'un automate universel...

Vous voyez où je veux en venir ? La société des singes intelligents qui jouent à se prendre pour des automates, c'est bon pour le marketing et pour garantir l'exercice tranquille du pouvoir par des castes de dominants. Mais, sur une planète qui s'auto bousille à grande vitesse du fait de nos activités amusantes et contraintes indistinctement, il est dramatiquement dangereux d'en rester à ce niveau d'invention sociale. Il est tragique d'avoir oublié la capacité de création sociale au profit de quelques doctrines millénaristes. Dans notre scénario d'actualité courante, quelqu'un, un jour prochain, enfin, fera une thèse pour déterminer la date de cet oubli dans l’histoire de l’humanité, et il y aura un grand débat à propos de cette date. Ce sera un net progrès, n'est-ce pas ? Et il faudra encore un siècle avant que l'on passe à la pratique en réinventant le Web comme espace de création sociale ?

C'est à partir de l'ensemble de nos facultés sociales et de nos possibilités techniques qu'il faut inventer l'avenir, pas sur les facultés à la mode du monde d'hier, encore moins sur les mirages d'aujourd’hui, inspirés de doctrines figées, alimentés par des enthousiasmes séculaires.

In memoriam de l'avenir à inventer

Il y aurait tant à écrire sur les potentialités humaines à valoriser dans le domaine de la création sociale. Il est plus que temps, a minima pour dégager le Web des emprises de la démagogie et des propagandes.

Les quelques points cités dans ce billet font partie (avec d'autres) des clés de notre avenir individuel en tant que citoyens planétaires, par l’activation de facultés conscientes d'apprentissage social.

Car la mémoire collective, autre nom du conditionnement social, n'est pas seulement une communauté de mémoire des contenus, des sensations, des contextes, c'est la faculté de mémorisation commune dont dispose chacun de nous. La capacité de mémorisation collective est une commune faculté humaine qui nous fabrique à chacun notre mémoire collective, au travers d'un apprentissage commun des signes et des cadences, d'un dressage commun aux conventions du dialogue et de l'expression dans une langue, dans les communautés sociales qui nous abritent et que nous entretenons. Cette faculté de mémorisation collective est à peine reconnue, pas théorisée, pas identifiée comme facteur historique d'inertie grégaire alors qu'il est urgent, à notre époque, de la réveiller et d'en user comme faculté vivante. En vue d'une citoyenneté planétaire et d'une forme de convivialité responsable.

Dans le billet chronologiquement précédent, il est question d'arrivistes qui se jouent des cadres sociaux. Il est bien évident que la plus grande partie de nos interactions sociales relève des automatismes appris. Considérons cela comme une opportunité plutôt que comme une tare. Utilisons l'arriviste comme révélateur, ni repoussoir ni magicien. Devenons tous des arrivistes de la convivialité.

D'ici là, libre à nous d'éprouver la délectation de la madeleine de Proust, l'envoûtement des "Je me souviens", l'excitation du dernier ouvrage "scientifique" sur la découverte des immensités galactiques ou des capacités mirifiques du cerveau humain. Mais maintenant comme jamais, avec le rétrécissement de la planète fertile et habitable, l'emportement de nos civilisations qui changent à toute allure, le conditionnel passé n'est d'aucun présent, encore moins d'avenir. Les affects et sensations de nos enfances ne peuvent définitivement plus être reproduits, pas même en imagination. La Grande Culture littérale est une pure distraction spéculative, un luxe de faussaires pour faux sages qui veulent ignorer que la vie s'en va.

L'héritage de nos anciens, c'est bien plus que cette culture-là, ou alors on est très mal et ils ont vécu vraiment pour rien.

lundi 22 décembre 2014

Magie presse - bouton

Autrefois, mais il n'y a pas si longtemps, les cabines des ascenseurs dans les immeubles portaient une affiche prévenant que l'accès était interdit aux enfants de moins de 15 ans non accompagnés.

Aujourd'hui, on peine à imaginer de quoi ces époques révolues voulaient se protéger.

Un enfant de 3 ans (ou moins), accompagné de ses (grands) parents en extase devant les capacités extraordinaires du petit, appuiera sur le bouton de l'étage, après avoir été si nécessaire soulevé à bonne hauteur par l'un des adultes. Pourtant, les ascenseurs ne tombent pas en panne plus qu'autrefois et les erreurs d'étage ne sont pas plus fréquentes.

Ce qui a changé dans nos sociétés "évoluées" (c'est-à-dire avec immeubles et ascenseurs), en quelques dizaines d'années, est donc plus subtil et plus profond que l'interdiction d'interdire.

Ce qui a changé, ce n'est certainement pas non plus l'émancipation enfantine. L'enfant-roi se vit comme la projection en bas âge de l'adulte farci d'une puissance imaginaire. L'enfant-roi, doublement instrumentalisé, sait dire à ses parents quels jouets il veut, et aussi précisément comment les acheter. Car la question d'argent, c'est un truc d'adulte, avec le fric au distributeur presse - bouton des banques. "Ah non, là attention, ce n'est pas un jeu" dit l'adulte, "OK ?". Trop tard ! Pour l'enfant - roi élevé dans la vie comme un jeu, les petites histoires font la religion du réseau des copins, et les anciennes religions sont des thèmes de jeux de rôles.

EnfantPill.jpg Une variante extrême de l'enfant - roi, celle de l'enfant - soldat - gosse - de - riche - high - tech, fait l'actualité, révèlant au passage combien la durée de l'enfance mentale s'est récemment plus vite allongée que la durée totale de la vie (en moyenne, bien entendu) dans certains pays. Ce qui différencie ce nouveau type d'enfant - soldat par rapport au standard historique né dans la guerre et la misère, ce ne sont pas les ressorts mentaux de sa dérive mais l'environnement physique du processus d'embrigadement mental, par le truchement de ce qu'on appelle communément les NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication). Ce constat technique devrait jeter un doute sur le caractère intrinsèquement bienfaisant des NTIC. Bien entendu, on ne devrait pas généraliser cette interrogation sur les NTIC à partir de tels cas pervers, mais plutôt à partir des innombrables preuves éclatantes des effets auto hypnotiques des engins "high tech" : regardons-nous dans les rues des grandes villes, dans les transports en commun, au bureau, en privé... Imaginons un instant que ces engins projettent leurs utilisateurs dans un espace parallèle, avec nos faces d'émoticones en touches d'humanité, ce serait de la science-fiction ou une interprétation à peine romancée de la réalité ?

Voici donc enfin ce qui a vraiment changé pour nous tous : c'est le choc de l'abstraction du presse - bouton sur notre cerveau d'homo sapiens.

Avant la "révolution numérique", avec les machines et jusqu'aux appareils à transistors, chaque bouton ne commandait qu'une seule chose, comme l'étage dans l'ascenseur.

Le chaînon intermédiaire dans la chaîne évolutive informatique des machines presse boutons, il existe encore, c'est le distributeur de boissons et de friandises ! Les possibilités de choix sont devenues tellement multiples et variables qu'il faut recourir au codage des produits, cependant toujours avec les vrais produits en vue directe au moins au stade final. Faible niveau d'angoisse, repos immédiat de l'esprit à l'obtension du produit, sauf quand on s'est trompé ou quand la machine déraille - remarquons alors l'universalité des mimiques humaines envers la machine.

Avec la "révolution numérique", nous avons franchi un grand pas dans l'abstraction. Le grand nombre des possibilités de combinaisons presse - boutons, par exemple en parcourant les menus d'une tablette tactile, et le remplacement des objets par des images ou des idées, nous imposent des pointes de saturation intellectuelle - non, ne me dites pas que votre puissant esprit vous permet de penser à autre chose en même temps, je sais bien que vous ne faites pas attention à moi et encore moins à ce que je dis pendant que vous tapotez sur votre engin... Face à cette surcharge répétée, par renoncement simplificateur et compensation analogique (une mécanique mentale de la conceptualisation), jaillit l'idée théorique d'un pouvoir infini à notre disposition, merveilleux, immersif, irrésistible, d'autant plus que nous ne savons en utiliser qu'une toute petite partie. En termes simples, nous concilions le dérisoire et l'enchantement, c'est magique !

Vous trouvez étrange ce rapprochement entre notre relation individuelle à la révolution numérique et la pensée magique ? N'est-ce pas au contraire franchement banal, en réalité ? N'est-ce pas plutôt que le raisonnement magique est (re)devenu la norme, en parallèle de la "révolution numérique" presse - bouton ?

Regardez donc avec une attention critique les clips publicitaires des derniers bidules informatiques ou, mieux, écoutez vraiment pour une fois n'importe quelle déclaration ou discours de savant ou de politique ! Vous constaterez que ce discours suppose qu'il suffit d'appuyer sur quelques boutons (ou, en variante plus virile, d'actionner les bons leviers) pour que l'Humanité devienne sage, pour que la Croîssance revienne avec deux chiffres précis après la virgule, pour que l'Univers se plie aux théories de la Physique, etc. Non, cette résurgence de la mentalité magique n'est pas seulement imputable aux simplifications des prises de parole dans les médias, ce sont les manifestations brutes d'une très antique façon de penser, au tout premier degré et sans nuance, qui nous imprègne tous - ou alors nous faisons vraiment bien semblant.

Résumons.

Face aux décisions civilisatrices à prendre dans les 20 ans pour l'avenir de la planète, n'est-il pas indigne de nous laisser abrutir par une pseudo "révolution numérique", simple évolution du presse - boutons, vecteur d'une pensée magique passivante ?

Alors qu'une vraie révolution numérique, construite et ouverte, nous donnerait les moyens d'une citoyenneté responsable, les moyens du partage d'intelligence à valeur ajoutée pour tous... Il n'existe aucune difficulté technique, mais les puissants qui ont peur de perdre leurs privilèges, les parasites et les suivistes, les tenants de certitudes fatalistes de diverses obédiences... sont tous contre, ce qui fait du monde, mais pas du meilleur. En revanche, quelques formes nouvelles de construction sociale adaptées aux sociétés virtuelles sont à inventer. Voir par ailleurs dans ce blog, merci.

mardi 18 juin 2013

Révélations en questions

Dans l'actualité des dernières semaines, un nouveau héros de la vérité nous confirme l'existence de machineries puissantes d'espionnage du Web. C'est une superbe opportunité de poser quelques vraies "questions qui tuent".

Croyez-vous que la fuite à Hong Kong du vaillant dénonciateur puisse nous garantir contre toute manipulation de ses déclarations (même en supposant que ledit dénonciateur soit authentique) ?

Est-ce réellement une surprise, cette "révélation" de l'espionnage de l'Internet par une grande puissance mondiale aux fins de lutte contre le terrorrisme (et plus largement contre tous ceux qui s'opposent à ses intérêts), alors que le réseau Echelon fait de même depuis des années pour les télécommunications ?

MI5_2.jpg Croyez-vous que seules vos "données personnelles" permanentes sur le Web sont observées, autrement dit vos pages personnelles et les informations associées à vos divers comptes, et pas vos comportements, les pages que vous regardez, combien de temps, à partir d'où, à quelle heure, etc ?

Croyez-vous que la puissance en machinerie nécessaire et surtout la compétence d'exploitation en quasi temps réel de gigantesques masses de "données personnelles" soient à la portée d'entreprises commerciales même multinationales ?

Croyez-vous que cette machinerie et cette compétence soient les créations spontanées de quelques startups à succès dans un marché de concurrence libre et non faussée, plutôt que l'inverse (à savoir que le développement de certains géants actuels du Web aurait bénéficié d'un soutien comptablement invisible mais massif, en matériels et compétences technologiques euh... prééxistantes et par nature coextensives) ?

Croyez-vous que cette grande machinerie d'espionnage ne serve que des buts commerciaux ?

Croyez-vous que l'espionnage se réduise à une activité passive de recueil d'informations ? (Si vous répondez oui : lisez quelques romans d'espionnage, regardez quelques séries d'espionnage dans notre monde actuel, par exemple l'excellente série britannique MI-5 (Spooks en vo), et veuillez vous rappeler tout de même que vous avez déjà été informés que des régimes "totalitaires" ont récemment manipulé et liquidé des opposants grâce à l'espionnage des seuls emails, mais en réalité peut-être bien plus)

Croyez-vous que les grandes agences et organisations étatiques d'espionnage puissent avoir une autre vocation que de neutraliser par avance sinon détruire leurs ennemis supposés ?
MI5_9.jpg

Croyez-vous que ces organisations passent leur temps et dilapident leur énergie à s'intéresser à chaque individu isolément, alors qu'elles ont à présent les moyens d'abrutir et de tromper des populations entières d'une manière finement segmentée (bourrages de crânes jusqu'aux chercheurs universitaires en versions subtiles) et ceci dynamiquement en mesurant l'efficacité de leurs campagnes d'actions médiatiques au travers des bavardages de leurs cibles et de leurs activités sur le Web ?

Croyez-vous que la propagande, ce soit juste des publicités dans les journaux et à la télé ?

Croyez-vous que tous ceux qui partagent vos opinions, vous donnent leur avis, vous invitent à dialoguer sur le Web, vous proposent leurs pages personnelles, croyez-vous vraiment qu'ils soient tous de vrais êtres humains plutôt que des robots ?

Qui avec quelle autorité, à votre avis, pourrait empêcher que le Web actuel, hypercentralisé sur des "services" universels, ne soit en même temps le coeur d'une machinerie géante de manipulation médiatique, par l'instrumentalisation de tous les medias et organes de diffusion d'informations et de savoirs ?

A quoi peuvent servir d'éventuelles discussions internationales sur le droit associé aux "données personnelles" dans un univers où aucune notion commune de la "personne" ne peut exister ?

Vous trouverez d'autres utiles questions et arguments dans notre billet déjà ancien sur l'affaire Safari. Concernant la comparaison au Big Brother voyez notre billet Comment peut-on ne pas aimer Facebook  ? et concernant les moteurs de recherche, notre billet Pensées d'un requêteur d'occasion.... Ajoutons, pour les lecteurs un peu curieux, qu'une requête "Wired NSA" sur un moteur de recherche vous mènera probablement encore vers un article publié début 2012 par la revue Wired, disponible à l'époque en Europe continentale notamment dans la version UK de ladite revue. Ce long article abonde sur la matérialité colossale des investissements informatiques consacrés principalement au craquage des communications cryptées sur Internet. Vision locale, partielle, défensive...

mardi 1 janvier 2013

Pensées d'un requêteur d'occasion

J'avais une question.

J'ai voulu savoir ce qu'on trouvait sur Internet.

C'était une question un peu vague mais obsèdante, du genre qui me revient pendant des semaines et qui file au loin juste avant que je la reconnaîsse.

J'ai tapé un mot, les autres sont venus tout seuls, j'ai cliqué sur une ligne toute faite, j'ai eu des pages de réponses, j'ai appris plein de choses à raconter.

Et j'ai oublié ma question.

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Gunnm6.jpg "Aucun document ne correspond à votre requête..."

Bizarre, quand je pense aux autres fois où, sans rien demander de particulier, je reçois un flot de réponses à partir d'une interprétation partielle ou très approchée de ma requête.

Et puis, à la base, c'est présomptueux, cette affirmation qu'il n'a rien pour moi. En réalité, le moteur de recherche ne s'est pas foulé, il n'a rien trouvé dans le délai qu'il s'autorise pour avoir l'air malin.

De toute façon, il me ment grossièrement en affirmant qu'il n'existe aucun document en réponse à ma demande. Il n'a cherché que dans ce qu'il connaît. Et je sais bien que tous les "documents" sur Internet ne sont pas rendus accessibles.

En plus, tout n'est pas sur Internet, il devrait le savoir d'une manière ou d'une autre.

Bref, c'est comme si c'était mon échec, pas le sien.

Là, c'est trop ! C'est insupportable, ce petit mensonge indigne "Aucun document..." pour entretenir la fable de l'omniscience d'Internet, le dogme de l'infaillibilité du tout puissant moteur de recherche...
Une page blanche à découper pour faire une cocotte en papier manifesterait moins de mépris pour l'imagination.

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Par construction, pour qu'un moteur de recherche soit performant, ce ne sont pas les réponses qui sont toutes faites, ce sont les questions.

Ce n'est pas de la littérature, c'est de la mécanique - du logiciel si vous préférez.

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L'avis majoritaire, on sait trop bien comment cela peut se fabriquer...

L'imposition d'un avis majoritaire n'a donc rien de neutre, même par une méthode douce comme l'ordre de présentation des réponses aux requêtes.

D'autant moins que cet ordre peut être manipulé par des artifices techniques ou par une contribution financière.

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Il faut être naze pour s'émerveiller d'une technique porteuse d'un pouvoir mental dont les pires des dictatures ont rêvé.

Il faut être complètement naze pour croire à la gratuité d'un service rendu sans contrepartie par cette technique.

N'empêche qu'il serait idiot de ne pas l'utiliser.

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Un moteur de recherche peut-il faire une différence entre l'unanimité et le plagiat banalisé ?

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Sur les grandes questions, il semblerait que les traces d'existence d'un débat se trouvent autant dans les encyclopédies que dans les toutes dernières déjections des people.

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Les réponses d'un moteur de recherche, c'est le "on dit" à propos des mots contenus dans la requête.
Plus exactement c'est ce qui est majoritairement retenu par les computations statistiques d'un logiciel dont "on" peut programmer le fonctionnement et la manière de présenter les résultats.

Et alors, personne ne trouve cela terrifiant ? Tandis que tant de gens prennent comme "la vérité" ce qu'ils trouvent sur Internet ?

Qu'une méthode de sélection inavouable ait toujours existé dans le monde de la "culture", est-ce un argument pour justifier une informatique aussi minable ?

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Souvent, dans les réponses à certaines questions, dont celles du domaine des cultures et civilisations, le non-dit porte le sens autant que le dit.

Pourquoi, s'il est si important, le non-dit n'est-il pas exprimé ? Parce que ce non-dit va de soi dans une culture ou un contexte donnés, parce que ce non-dit est le porteur de l'immense arrière plan de l'ignorance et de l'adversité communes à une culture donnée.
Exemple. La devise de mon pays "Liberté, Egalité, Fraternité" ne dit ni "liberté", ni "égalité", ni "fraternité", mais les trois ensemble en équilibre. La traduction de cette sorte d'équilibre par une fréquence d'association entre des concepts unitaires, c'est pertinent dans un modèle statistique, intéressant pour des chercheurs savants, mais carrément erroné pour un requêteur d'occasion.

Comment un automate logiciel peut-il pressentir l'existence d'un non-dit, éventuellement en évaluer l'importance dans la réponse à une requête : question d'avenir ?

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