Encore une fois, un génie de l'informatique fait l'actualité.

Et, encore une fois, il s'agit du terrain sacré de la préservation de nos informations personnelles sur Internet.

Une version du logiciel navigateur Safari aurait été bidouillée pour le traçage de l'utilisateur, en ignorant même d'éventuels paramétrages personnalisés en faveur de la discrétion. Pour une fois, le bidouilleur génial serait un salarié d'une grande entreprise de l'informatique. D'où scandale, procès, fric et fantasmes...

Revenons sur terre.

L'affaire Safari nous rappelle que les logiciels peuvent être bidouillés pour faire un peu autre chose que ce que nous leur demandons, et même carrément l'opposé de ce que nous leur demandons !

Le logiciel libre n'est pas LA solution. Pourtant, ce concept apporte une partie de solution, notamment par la publicité du code. Mais rien n'empêche un bidouilleur d'y dissimuler des suppléments mafaisants, et bien malin le professionnel chevronné qui pourra les détecter parmi des milliers de lignes ! Les régressions au fil des versions des logiciels piliers du "libre" témoignent de la difficulté de ce type d'exercice et manifestent malheureusement aussi le défaut de compréhension du problème. Ce sont les protestations d'utilisateurs qui provoquent les enquêtes, et les régressions restent définitivement inavouées ou publiées à la sauvette dans des forums hyperspécialisés après que les corrections soient effectuées.

De quoi serions-nous fondés à nous plaindre ? La plupart de nos logiciels d'utilisation courante sont gratuits et chaque utilisateur en accepte les "conditions d'utilisation" à ses risques et périls.

Tout de même, posons quelques questions super naïves : quelle autorité pourrait nous garantir que notre navigateur Internet préféré est "sain" ? Qui d'ailleurs aurait la capacité technique d'analyser en profondeur les versions successives des logiciels communiquant avec Internet ? Qui aurait l'autorité de faire publier les résultats de telles analyses dans quels medias indépendants ? Qui aurait ensuite le pouvoir de faire respecter quelles règles précises reconnues universellement, le pouvoir de faire appliquer quelles injonctions et pénalités significatives et immédiates aux contrevenants ?

A titre individuel, à condition d'y consacrer pas mal de temps, chacun de nous dispose du pouvoir de contrôler en détail tout le trafic de ses propres logiciels avec l'Internet, au moins le trafic vu par un proxy ou un pare feu suffisamment collaboratif (lui aussi potentiellement félon). De toute façon, ce contrôle individuel ne pourrait satisfaire que son propre usager sans déboucher sur aucune possibilité pratique d'influer sur son destin d'utilisateur cobaye, sauf en rêvant d'actions judiciaires collectives - sans espoir de concrétisation, voir les questions à la fin du paragraphe précédent. Quant à la création d'un organisme labelliseur des logiciels Internet, elle ne pourrait réussir que par une forme d'organisation collective et démocratique, propre à Internet, préservée de tous les autres pouvoirs, à inventer...

Donc, au total et encore une fois, l'affaire Safari relève d'un type d'événement faussement sensationnel, peut-être d'un épisode publicitaire des luttes sournoises entre les dieux de l'Internet, en tous cas d'une péripétie supplémentaire destinée à nous entretenir dans l'illusion qu'il existerait une morale du Web.

La réalité brute, c'est que tous les géants de l'Internet ont les moyens de connaître nos identités et nos comportements sans recourir à aucun bidouillage (le pompon, ce sont les réseaux sociaux où la fourniture des informations est volontaire), et qu'ils ne peuvent être taxés d'espionnage des individus puisqu'ils n'en font qu'une exploitation statistique. Le reste, c'est le vent de l'actualité et des affaires, avec leur dose de frayeurs distillées pour le bien-être de nos esprits soumis.