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Tag - Politique

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samedi 24 décembre 2022

Politique de transition

Pourquoi une transition politique est nécessaire

Selon plusieurs experts, la transition que nos sociétés devrait entreprendre dans les 10 ans serait un « grand dérangement ».

Par « grand dérangement », comprenons : transferts de populations des grandes villes vers des lieux en équilibre avec une production agricole, organisation raisonnée de rationnements divers, réintroduction de techniques proto industrielles de production, organisation du partage des véhicules, etc.

Dans les 10 ans, vous délirez ? Ce qui semble présentement encore plus délirant, c’est de perpétuer des systèmes politiques, des idéaux et des modes de vie… qui empêchent d’imaginer toute transition raisonnée, petite ou grande, en maintenant nos sociétés dans une totale incapacité d’anticipation (sauf aux plans symboliques et déclamatoires).

Si une transition de nos sociétés, grande ou petite, doit être réalisée, elle ne pourra pas se faire dans la continuité de nos idéaux et systèmes politiques. Ils ne sont pas faits pour cela ! Ces idéaux et institutions ont été conçus dans un monde autorisant la prédation illimitée de la « Nature » et sont, au moins dans les pays de longue tradition industrielle, fondés sur des valeurs dont le sens ne peut être séparé d’un idéal d’individu « libre » interprété parfois jusqu’à l’absurde par delà toute capacité de jugement dans un univers imaginaire de ressources infinies.

Le choix est de s’organiser maintenant pour réaliser une transition contrôlée ou de risquer pire qu’une récession, à tous les sens du terme, de pire en pire chaque année jusqu’au chaos. Même si on croit fermement à la mise à disposition universelle dans 50 ans d’une nouvelle source d’énergie quasi-gratuite et non polluante, le constat d’accroissement des contraintes pesant aujourd’hui sur notre vie quotidienne est déjà sans pitié pour les imprévoyants.

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Vivre ou subir, telle est la question.

Notre maison commune commence à défaillir faute d'entretien, alors que nos gouvernants continuent d’empiler des trains de lois, enchaîner les budgets de crise, subventionner des dossiers industriels fabriqués pour récolter des subventions, planifier des consolidations extensives de grandes concentrations urbaines, soutenir des régimes étrangers violents et malades, arbitrer dans les textes législatifs entre les valeurs totémiques partisanes, imposer de lourdes décisions dictées par des manoeuvres d’influence... Ce spectacle coûteux serait juste grotesque s’il n’avait pas de conséquences dramatiques de plus en plus apparentes sur nos vies - conséquences définitives en l’absence de croissance économique. Le prix à payer et les contraintes pour maintenir l’avenir de nos sociétés dans un carcan de béton deviendront de plus en plus élevés.

Dans les cadres institutionnels actuels, personne ne pourrait faire mieux que nos dirigeants actuels, même s’ils étaient munis des compétences adaptées. En France (et ailleurs), les circonstances physiques et morales qui ont permis, presque sans faille, la réussite d’un Plan dans les années 50-60 n’existent plus.

Nos institutions politiques à tous les niveaux, sauf peut-être le niveau le plus local parce qu’il « vit sur le terrain », sont inadaptées à la construction progressive raisonnée, dans l’action, de nouveaux projets de société. Il est inutile de refaire une liste des déficiences constatées, nos institutions et nos politiques contemporains ne sont ni meilleurs ni pires que par exemple ceux de l’entre deux guerres en Europe, et cette seule évidence suffit à qualifier leur incompétence face aux menaces pesant sur nos sociétés, encore plus à mesure que les contraintes s’aggravent, et d’autant plus que ces menaces et ces contraintes n’émanent plus seulement de causes humaines plus ou moins négociables mais de causes physiques (tensions sur les sources d’énergies de la révolution industrielle sauf les plus polluantes, épuisement de certaines matières premières industrielles, appauvrissement des surfaces agricoles, pollution de l’atmosphère, empoisonnement des eaux et des océans, etc.).

En résumé, il apparaît une première urgence : combler le déficit de compétence de nos dirigeants et de nos institutions en vue d’un Programme de Transition composé de projets cohérents dans le temps, dans l’espace et dans divers domaines.

Quelques préalables au Programme de Transition

Pour un début de crédibilité dans la gestion de grands projets publics à l’échelle d’un pays ou d’une grande région, le bagage commun à tout personnage politique doit être adapté, à partir du bagage classique de l’ingénieur.

A minima, un socle de formation commune :

  • les méthodes et les organisations de gestion des grands programmes, le phasage des projets comportant une (grande) part d’incertitude, les méthodes d’élaboration et de gestion des contrats associés aux différentes phases
  • un peu de « science » en logistique et maintenance
  • la connaissance des relations internationales contractuelles existantes, traduites en flux physiques vitaux (matières premières, alimentation, énergies…) en balance de carences nationales ou régionales
  • une connaissance historique et géographique élargie au continent d’appartenance, spécialement au plan culturel de la vie quotidienne des peuples, leur vie sociale, les valeurs profondes des gens « ordinaires »

Évidence première dans l’organisation d’un Programme de Transition : l’obligation de privilégier le collectif – pas la représentation du peuple, directement la population citoyenne - pas seulement dans la définition des choix principaux ou les répartitions d’objectifs, mais DANS L’ACTION et continuellement.

Certes, il existe des alternatives qui permettent d’ignorer ou sciemment dépasser cette obligation. Ces alternatives sont bien connues, on peut dire qu’elles ont à chaque fois fait la preuve de leur nocivité contre les populations. Tout récemment, malgré de nombreux précédents historiques, des peuples entiers ont bénéficié d’un échantillon de telles alternatives, dont l’instauration d’un confinement pour cause d’épidémie. En positif, retenons seulement que rien n’est impossible !

La conduite de grands projets dans le cadre du Programme de Transition, au niveau d’une nation ou région, implique au contraire :

  • la définition d’un « grand récit » collectif (par-dessus les valeurs de référence héritées des « Lumières »), autorisant implicitement des adaptations, par exemple du droit de propriété ou de prérogatives locales, si nécessaire pour réaliser les projets de transition
  • la définition d’un cadre de vie et d’un objectif de mode de vie aussi précisément explicités que possible, adapté par région géographique et agricole, à partir des spécificités, atouts et carences relativement à l’objectif
  • la reconnaissance préalable des risques et difficultés, par des expérimentations limitées dans l’espace et les objectifs (villages tests, régions pilotes)
  • la définition d’un cadre cohérent de convergence des grands projets régionaux, sur la base d’objectifs physiques, de consommations de matières premières et d’énergies,
  • la soumission de toutes les institutions et organes publics, de niveau national, régional… aux projets, au sens d’une contribution citoyenne comme les autres acteurs selon les compétences et outils disponibles mais sans prérogative a priori
  • la définition des rôles et des pouvoirs des citoyens acteurs clients, comme contributeurs à la maîtrise d’ouvrage et à la réalisation des projets selon les étapes et les compétences (à détecter, y compris dans les entreprises et chez les artisans)
  • la constitution d’un système de partage de l’expérience vivante entre les projets
  • la définition des modes d’interactions décisionnelles entre les acteurs clients et chaque direction de projet
  • la définition des contrôles étatiques à réaliser par étape des projets
  • l’exercice d’une responsabilité directe des décisionnaires des finalités et des cadres des grands projets devant les populations, selon des formes adaptées (à définir selon les cultures) mais qui ne doivent pas se réduire à des sondages (ni à des élections) et doivent permettre avant tout la reconnaissance raisonnée des erreurs éventuelles et les modifications correspondantes des cadres définis, ou à l’inverse leur confirmation motivée
  • la concentration de l’usage de la culture juridique sur l’élaboration puis la gestion continue des contrats, conventions, etc. (contrats avec des fournisseurs mais aussi entre organes et entités diverses, publics, semi-publics, etc.)
  • le refus de toute prise de décision impactant une population sous l’influence d’émotions, d’intérêts particuliers, d’idéologies historiques…

Petite ou grande révolution ?

Forçons le trait. Imaginons un Programme de Transition qui occuperait tout l’espace politique et institutionnel.

Il s’agirait alors d’une révolution différente (pas totalement…) de la Grande Révolution française de 1789, mais largement au même niveau de « dérangement » (au fait, pourquoi cette si Grande Révolution a-t-elle échoué durant ses premières années si on la juge rétrospectivement comme un Grand Programme : avons-nous le loisir de nous contenter d’arguments de principe comme finalités en référence à la seule Raison, pouvons-nous croire encore à des lois parfaites et à un code parfait qui réformeraient d’un coup la société à partir des conceptions d’un organe de pouvoir central en turbulence, pouvons-nous laisser le soin à des exécuteurs locaux d’imposer ces lois et ce code par la terreur ?).

Une grande question s’impose après l’évocation historique de la Grande Révolution : dans ce Programme de Transition, que faisons-nous des grands (et moyens) personnages qui peuplent actuellement nos institutions politiques et leurs abords ? La réponse est évidente : reconversion après formation à la gestion des grands projets. Tant pis pour les ambitieux qui n’auront pas su imaginer leur nouvelle activité ou qui refuseront de se retrousser les manches et considérer leurs contemporains comme des citoyens également porteurs de compétences plutôt que des administrés sans valeur propre. Dans les grands projets de transition, il existe un vaste champ d’activités pour les « intellectuels », dans les travaux nationaux ou régionaux préparatoires et surtout dans les étapes de réalisation et les ajustements en retour à opérer face aux réalités et obstacles. Citons par ailleurs trois types d’activités requérant à la fois culture et flexibilité mentale, voire un zeste d’inventivité :

  • la relation permanente du projet avec des acteurs qui sont aussi des clients, la recherche et l’entretien du vivier de compétences imposent de dépasser les méthodes de la « Communication » manipulatoire et des questionnaires bureaucratiques
  • le contrôle de la qualité du projet doit impliquer les acteurs clients pour leur propre édification dans leur responsabilité, en relation avec le système de partage des expériences
  • la définition, la négociation, la gestion des contrats avec les entreprises, artisans, indépendants, nécessite une triple compétence pratique, juridique et technique.

En termes moins aimables : une société vraiment en mouvement ne supportera plus ses anciens parasites… La grande époque des communicants et médias mercenaires, des cabinets de conseil en stratégie et management, des maîtrises d’ouvrage déléguées, des auditeurs omnipotents, des experts en partenariat public privé… est terminée. Celle des tout puissants services d’administration des finances aussi, car ni les priorités ni les objectifs du Grand Programme de Transition ne s’expriment plus en termes monétaires.

La ferveur technocratique déployée pour s’assurer de sa propre perfection par la stricte application de méthodes et procédures ne pourra plus leurrer personne. Tout au contraire, les chefs de projet devront rechercher les méthodes et procédures les mieux adaptées sur le terrain (c’est-à-dire d’abord les mieux adaptées à la population concernée), donc s’attacher plus à l’esprit qu’à la lettre, pour affronter des difficultés à nulles autres pareilles depuis très longtemps à cette échelle dans l’histoire : une mutation sociale par volonté populaire. Les chefs de projets à tous niveaux pratiqueront l’art du dosage entre autorité, animation, et consultation afin que chacun donne le meilleur de soi-même.

Retour sur quelques spécificités d’un Programme public de Transition

Pour ce qui concerne l’arsenal des techniques de gestion des projets, il n’y a rien à inventer… sauf un système d’information de partage de l’expérience qui permette les échanges réciproques entre les participants des divers projets à tous niveaux - y compris le niveau citoyen, faut-il le préciser ?

En effet, une erreur fatale serait d’enfermer les gestions des projets dans des tours d’ivoire (« war rooms » et logiciels pour spécialistes); en décalquant des modèles inspirés de grands projets d’ingéniérie. La pratique de la gestion des projets existe depuis l’époque des pyramides et probablement bien avant. C’est une science humaine de l’action collective. Dans un Programme public de Transition, le client, le maître d’ouvrage et (en partie) les réalisateurs des tâches sont confondus, ce qui fait exploser les schémas relationnels classiques à l’intérieur des projets et implique une adaptation des schémas contractuels.

Dans un Programme public de Transition, l’implication du citoyen dans la décision et dans l’action n’est pas une contrainte. L’implication du citoyen ne doit pas non plus être considérée comme un moyen, que l’on obtiendrait par exemple au travers d’une quelconque machination de séduction manipulatoire. L’implication du citoyen est un objectif premier. Pour cet objectif, on décalera d’autres objectifs ou on y renoncera. En retour, le Programme s’adresse constamment à chaque conscience citoyenne : qu’est-ce que vous pouvez faire pour le projet, qu’est-ce que vous avez fait pour le projet ?

La conduite des réunions décisionnelles devra se conformer au contexte potentiellement ou effectivement « révolutionnaire ». Le modèle classique de la conduite de réunion est à proscrire. Ce modèle classique, de fait un modèle de direction et d’influence plus que d’animation au sens propre, est indigne dans le cadre de projets impliquant des citoyens contributeurs à plusieurs niveaux (celui de la maîtrise d’ouvrage comme client, celui des tâches fonctionnelles dans la gestion des projets selon compétence, celui de la réalisation des tâches selon compétence…). Le sujet de la conduite des réunions décisionnelles est par ailleurs assez abondamment abordé dans ce blog. Il est proposé d’instituer un mode de conduite par trois animateurs professionnels. L’un des animateurs se consacre à la progression vers les objectifs de la réunion et au respect des règles de sa bonne tenue. Un autre animateur suscite et fait exprimer les avis personnels en fonction des compétences disponibles dans l’assemblée. Un autre animateur propose des voies d’approfondissement, notamment par l’exploitation du capital d’expérience.

Ailleurs dans ce blog, le problème évident des relations internationales, en particulier avec les pays voisins est évoqué, en termes de leadership contrôlé – un leadership autant que possible partagé mais sans naïveté : on n’est plus dans un jeu international à somme croissante ni même nulle et les cadres internationaux préexistants ne sont pas les bons. Là encore et surtout, ce sera vivre et créer ou subir.

Anoel.jpg De quelques objections

Le Programme public de Transition est ici envisagé comme un programme défini et dirigé, en partie réalisé, totalement contrôlé par la puissance publique et par la population. Il est évident que ce Programme fait appel au secteur privé par contractualisation de tâches comme éventuellement pour la réalisation coordonnée d’ensembles de tâches.

Cependant, au-delà du réveil de mauvais souvenirs historiques dans certains pays, cette conception rencontre des objections que l’on ne pourra jamais considérer comme définitivement écartées, car elles se reposeront à tous les niveaux sur le terrain en cours de réalisation.

En régime d’économie libérale, l’objection mère de toutes les objections repose sur deux arguments.

Premièrement, l’Etat dépasserait son domaine de compétence (au sens juridico administratif du terme) en assurant la maîtrise d’ouvrage d’un Programme public, encore plus s’il assure de fait la maîtrise d’œuvre d’ensemble impliquant une prise de responsabilité directe sur la réalisation

Deuxièmement, ce sont les entreprises, plus généralement le « secteur privé », qui devraient assurer la réalisation du Programme, et de fait ce sont elles qui l’assureront de toute façon, alors on peut à la rigueur discuter d’une élaboration étatique du Programme à grands traits et d’une forme de contrôle de sa réalisation, mais pas de la définition détaillée du Programme et encore moins de ses modes de réalisation.

En régime d’économie libérale, ces objections sont totalement fondées « en principe », au point qu’elles devront être considérées dans toutes les décisions importantes au cours de la réalisation matérielle des projets.

Cependant, en pratique, ces objections, si on doit en déduire des orientations générales dans tous les projets, ne tiennent pas une seconde dans le contexte d’un Programme de Transition sociale de grande ampleur. En pratique, ce qui est fondamental, c’est de proscrire les attitudes doctrinaires, car selon les circonstances, selon les types d’enjeux, selon les niveaux et types de risque, selon la répartition des compétences et des moyens, et selon d’autres critères qui apparaîtront en situation réelle, l’un ou l’autre type de solution, totalement étatique, partagée, totalement contractualisée devra pouvoir s’imposer.

Même dans le cas extrême d’un état édredon qui choisirait systématiquement d’acheter les « solutions » proposées par les structures d’influence de grands groupes, il lui resterait la tâche majeure consistant à « dégager le terrain » pour la mise en œuvre de ces solutions, notamment par la mise au pas de la population, notamment par le consentement à l’adaptation de normes, règlements, lois, ensuite très certainement par l’acceptation tacite du piratage puis désactivation de tous les organes étatiques et services publics susceptibles de gêner l’exécution des plans. Dans un Programme de grande ampleur sociale, ce retrait étatique équivaudrait à la disparition pure et simple de l’état en tant qu’émanation d’un peuple, sauf comme tiroir caisse à la merci des actions juridiques que ne manqueraient pas de multiplier les entités contractantes afin d’obtenir le maximum de bénéfices de leur position dominante et de minimiser leur responsabilité. La fin est connue : il n’y aurait que des victimes, certaines très riches, les autres très pauvres.

A l’extrême opposé, un état illuminé par un esprit révolutionnaire commencerait par nationaliser tous les grands industriels, a minima tous les moyens d’exploitation, fonciers, matériels et procédés, logiciels et brevets – idem pour les exploitations agricoles. Tout le monde connaît les échecs historiques de ce type de solution simplificatrice prise dans l’enthousiasme ou sous la contrainte. On pourrait cependant imaginer une voie raisonnée par négociation préalable après définition du domaine des biens d’intérêt commun, éventuellement la définition d’un statut intermédiaire de ces biens entre public et privé. A grande échelle nationale ou régionale, cette voie reste à inventer. A petite échelle, elle peut se présenter comme une opportunité locale à saisir sans séisme juridico administratif préalable, notamment pour sortir certains métiers de la menace permanente de misère et faillite.

En résumé : conserver de la mesure en toute décision (autrement dit : prévoir que l’on peut se tromper et comment corriger) mais ne pas hésiter à dépasser les bornes de la conformité aux doctrines ou aux habitudes.

Conclusion

En résumé, une refondation de toute « la » politique s’impose pour une transition maîtrisée (autant qu’une maîtrise soit possible) de nos sociétés à la hauteur des enjeux et contraintes qui vont s’accentuer fortement dans les 10 ans. Cette refondation est à préparer maintenant, vers une politique de l’action en relation directe avec les citoyens comme « clients », et par les citoyens comme acteurs.

Ou alors qu’on ne nous parle plus jamais de démocratie.

La question de l’adaptation des institutions politiques « centrales » se pose différemment selon les pays, au point qu’une dictature éclairée (au sens antique d’un organe désigné temporairement pour une mission avec pleins pouvoirs), aussi bien qu’un régime d’assemblées peut, entre autres, convenir à la définition du cadre et au contrôle des réalisations des grands projets nécessaires. Le problème premier est celui de la création continue et de la mise en oeuvre des compétences pour concevoir, diriger, réaliser des actions cohérentes et réalistes en fonction des ressources et à la bonne échelle.

jeudi 15 septembre 2022

Errata

Erratum

Le billet précédent contient un chiffre erroné du nombre des décès imputés aux épidémies de covid. Vérification faite, l'ordre de grandeur des décès cumulés sur 3 ans des épidémies successives n'est pas de quelques pourcents de la population totale. Il est d'un autre ordre de grandeur : entre deux et trois DIXIEMES de pourcent sont imputés au covid au total sur 3 ans, par ailleurs sans variation importante de la mortalité toutes causes confondues à l'échelle quinquennale.

En France, nos journaux de grande diffusion ont osé titrer sur le franchissement de "la barre des 150 000 décès dus au covid" au début de l'année 2023... sans faire le rapport avec les 65 millions de notre population totale, sans faire le rapport avec le total des dépenses en dizaines de milliards d'euros pour le soutien des entreprises mises en sommeil pendant la crise et pour les achats et la distribution de traitements innovants, sans faire le rapport avec tout ce qui a été perdu dans le domaine de l’inestimable.

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Dans l'hypothèse d'un virus artificiel dont personne ne savait anticiper précisément les effets au grand large, alors, par des considérations géopolitiques immédiates, on peut expliquer l'extrême sévérité des mesures sanitaires contre la première vague épidémique, à l'imitation du pays hôte d'origine, partout dans le monde. Mais logiquement dans cette hypothèse, après quelques semaines d'apprentissage, au plus tard après le constat du remplacement du variant initial par des variants moins agressifs et le recueil de l'expérience historique de maladies similaires, toutes les mesures exceptionnelles auraient du cesser ou être adaptées en proportion du risque réel. Ce n’est pas ce que nous pouvons constater : la suite de l'histoire ne relève plus de la logique commune, et en l'absence de l'hypothèse d'artificialité, rien depuis le tout début.

Est-ce que les bourgmestres et princes italiens contemporains de Machiavel n'auraient pas géré ces épidémies dans leurs villes de meilleure manière, avec les moyens et connaissances de l'époque - soit en ne s'apercevant de rien, soit en commençant par donner un joli nom au nouveau mal ?

Comment, à cause de quoi, avons-nous perdu l'art de vivre des transitions sur lesquelles nous n'avons pas ou peu de pouvoir ?

A défaut, sommes-nous devenus dépendants de séances d’hypnose collective, au point d’accepter des accumulations monumentales d'incohérences et d'erreurs, des violences contre nous-mêmes ?

Quels niveaux de sacrifice nos dirigeants sont-ils devenus capables d'imposer aux populations pour justifier des vérités fabulées, pour maintenir des prétentions à la toute puissance, pour entretenir la croyance qu’ils sont aux manettes et que ces manettes commandent tout ?

Le dogme d'infaillibilité de la Science et de la Technique serait-il devenu assez puissant pour soumettre ses croyants les plus privilégiés aux crises de folie typiques des castes dominantes face à l'inconnu... face à l'avenir ?

Erreurs de sagesse

"Reconnaître ses erreurs est le début de la sagesse". Une image jaunie nous montre un vieillard faisant un geste de remontrance à un enfant. Dans l’instant, l’association de la promesse de sagesse à l’obligation d’une repentance passe par une humiliation. L’enfant recherchera-t-il la sagesse lorsqu’il sera grand ?

Mais à présent, il existe d’autres raisons, durables, de refuser la sagesse : dans un monde humain citadin qui change à toute allure, sur une planète qui intensifie ses manifestations d'inhospitalité à chaque saison, que sommes-nous pour prétendre à une destinée volontaire individuelle, que sommes-nous pour prétendre à une sagesse immuable de référence ?

Mais à présent, l'évidence brutale du monde fait qu'il ne sert plus à personne de reconnaître ses erreurs humaines, les erreurs dans les choix raisonnés comme celles inspirées par les passions, car depuis le moment des erreurs commises, presque tout a disparu ou changé, l'erreur d'hier appartient à une époque oubliée, définitivement hors de portée de toute réparation, sa reconnaissance ne relève plus que de l'acte mémoriel symbolique ou de la repentance maladive.

Alors, en discontinuité des mauvaises habitudes séculaires, la mobilisation de nos ressources d'arrogance, de bêtise, de fausseté pour nier nos erreurs devrait être considérée comme un exercice grotesque.

Dans notre monde actuel tel qu’il va, tout a changé définitivement et tout va changer encore plus définitivement.

Alors, en rupture de nos aspirations, la mobilisation de nos imaginations rêveuses d'un monde idéal, un monde de sagesse, ne peut plus nous créer qu'une distraction fugitive. L'illusion séculaire d'une marche perpétuelle vers le progrès a disparu, étouffée par la grande peur de la prochaine décennie, l’anticipation d’une terrible année prochaine. L'idée d'un futur maîtrisable est devenue une croyance inconfortable, sauf pour quelques personnes immensément fortunées, sauf pour les dirigeants figés dans d’anciens schémas mentaux. A horizon de vie humaine, ce qui est détruit maintenant ne reviendra plus jamais et certaines destructions en entraînent automatiquement d’autres. Un arbre sain abattu en ville est un arbre en moins, la rupture d'un contrat d'approvisionnement de ressources énergétiques rend ces dernières indisponibles pour toujours, la destruction d'une zone grise entre des espaces exploités et "la nature" fait de cette dernière la zone grise...

Donc, adieu la "sagesse" qui nous a conduits à la catastrophe ?

Ou bien, au contraire, y aurait-il une autre sagesse ?

Relisons le vieux dicton sans nous laisser influencer par sa banalité apparente, sans condescendance du haut de notre modernité, en acceptant son contenu critique par anticipation. Nos anciens savaient tout de la nature humaine.

Le "début de la sagesse" par la reconnaissance de nos erreurs, que les conséquences de ces erreurs paraissent à présent dérisoires ou au contraire irrémédiablement pesantes, ce serait un contre sens de le comprendre comme un atome d'expérience - "cela, je ne le ferai plus, je sais pourquoi, je sais comment faire la prochaine fois" - qui serait cumulable avec d'autres atomes d'expérience pour constituer un capital de sagesse. La sagesse par capitalisation est celle de nos machines, celle de nos élites programmées, celle de nos systèmes. Cette sagesse à prétention cumulative peut servir à canaliser une progression, en tant qu’intelligence d’une force vectorielle brute - qu'en reste-t-il quand le moteur du progrès fait défaut ?

La sagesse à la gonflette est condamnée à l'obsolescence faute d'énergie disponible, faute d'intégrer les imbrications des limites au progrès, et surtout faute de pertinence dans un monde qui fait plus que changer, un monde qui tremble et tangue de la cave au grenier dans toutes ses dimensions.

Fondamentalement, le début de notre sagesse selon le diction des anciens, serait donc tout simplement la conscience de notre humanité faillible. Et trompeuse d'elle même. On devrait donc considérer cette sagesse à l'ancienne comme une discipline mentale - une discipline ordinaire d'élévation de la conscience.

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Dans cette conception, la logique, le raisonnement, les valeurs, l'imagination... sont des instruments de cette discipline parmi d'autres, mis en oeuvre comme des artefacts ou respectés comme des contraintes provisoires. Cette sagesse-là pourrait définir un idéal de liberté de l'esprit, un idéal d'existence humaine. Nous savons par expérience, de par notre nature humaine, que la sagesse ne risque pas l'usure par abus d'usage. S'il existe certainement de nombreuses occasions pour un "début de la sagesse", ladite sagesse n'est pas un état qui se caractériserait par un signe ou une sensation, alors que la fin de la sagesse risque à tout moment de nous envahir corps et âme.

Donc finalement, la sagesse selon nos anciens serait une discipline personnelle d'usage au mieux ponctuel, sans garantie sur la valeur du résultat, encore moins sur la permanence dudit résultat, pour une prise de recul permettant de mobiliser "le meilleur de nous-même". Cette discipline est-elle une cousine ou une génitrice du doute scientifique ?

Individuellement, on peut vivre en société sans la moindre étincelle de sagesse, notamment comme prédateur, comme esclave, comme parasite, comme aliéné... ou tout simplement dans la répétition de tâches quotidiennes pesantes, par choix ou par fatalité. Et alors si chacun fait de même dans notre monde qui change, nos sociétés urbaines modernes vont-elles évoluer vers un modèle de société d'insectes ou vers la résurrection d’un modèle de société antique équipée de réseaux de télécommunications ?

Erreurs d'avenir

On commence à comprendre depuis quelques dizaines d'années, comment a évolué l'être humain dans sa préhistoire lointaine et quelles capacités spécifiquement humaines ont permis cette évolution étalée sur des millénaires, mais on peine encore à comprendre, malgré des indices convergents dans plusieurs régions géographiques sur l'évolution des techniques et l'écriture, comment se sont opérées les transitions vers diverses formes de sociétés historiques et quelles capacités humaines ont permis ces transitions lorsque les conditions d'environnement les autorisaient (ou pas, selon notre vision "moderne"). La variété des formes sociales "anciennes" semble toujours, au fil des découvertes, déborder des classifications établies a priori. Même le modèle de la horde préhistorique famélique guidée par un mâle alpha ne correspond plus aux découvertes des fouilles. On retourne étudier les dernières populations "sauvages", on revient écouter les descendants des populations victimes de génocides culturels, on organise des fouilles méticuleuses de sites du néolithique, on reprend des fouilles analytiques de villes anciennes, partout dans le monde... à chaque fois avec de nouvelles questions en retour, et de nouvelles réponses sur les modes de vie, l'alimentation, les animaux domestiques, l'outillage, les décors, la répartition des tâches, les jeux, l'éducation, le traitement des déchets, les routes du commerce, etc. L'anthropologie scientifique révèle l'immense variété des "leçons du passé", invite à la prise de recul préalable au "début de la sagesse", désormais bien plus directement que les disciplines traditionnelles des domaines littéraires ou scientifiques.

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Dans notre monde actuel tel qu'il va, nous sommes à l'écoute des "leçons du passé", car notre futur d'être humain biologique est redevenu soumis à des contraintes physiques presque entièrement prévisibles dans leur nature. Les contraintes brutes de la survie individuelle, plages de températures, besoins alimentaires... vont déterminer une partie croissante de nos activités personnelles et de nos rêves. Le futur des collectivités humaines sera physiquement chaotique, constamment sous l'emprise de crises de mise en compatibilité forcée avec des conditions ambiantes imposées, avec des cliquets de régressions.... sauf refondation "révolutionnaire" pour (enfin) développer les capacités adaptatives des sociétés, systématiquement, à tous les niveaux géographiques, à la mesure des conditions changeantes locales et des évolutions des inter dépendances.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devient évident que nos systèmes institutionnels sont inadaptés à une conduite raisonnée de transformations importantes de nos sociétés, même si nos grands esprits dominants n'étaient pas coincés dans un dogme d'infaillibilité qui les rend de fait indifférent à l'intérêt collectif, les empêche d’imaginer un processus de transition commençant par une libération capacitaire des types de projets à réaliser, les empêche d’imaginer la révolution tranquille par les nouvelles technologies pour la mobilisation et le développement des compétences individuelles. Dans ce monde actuel tel qu'il va, la prétention de supériorité est devenue risible, mais elle continue de tenir le haut du pavé et d’autoriser des actions souterraines meurtrières.

Dans notre monde actuel tel qu'il va, il devrait être évident que le niveau nécessaire (suffisant ?) d'adaptabilité de nos sociétés requiert plus que l'acceptation d'objectifs d'intérêt commun, plus que la conformité à des normes de conduite, plus que des contributions à des projets de transformation. C’est une bien plus grande affaire : l'unanimité ou la régression, la cohérence ou le néant. Canaliser par la raison le poids des incertitudes est crucial, sinon le niveau d'angoisse s'exprime par des crises sociales paralysantes. Les objectifs des arts et artifices de la "communication" doivent changer : élever ou conserver un degré de rationalité face aux dangers, faire accepter les erreurs humaines, en rendre compte....

En première approche, le niveau maximum d'adaptabilité d'une société peut être atteint rapidement par deux modèles de régimes politiques.

Le premier modèle, historiquement peu pratiqué mais assez bien connu par ses dérives totalitaires, est celui de la dictature tyrannique dans son esprit originel : le tyran choisi pour une durée déterminée est l'équivalent d'un super chef de projet mercenaire, son succès dépend de sa capacité à constituer (purger régulièrement) des équipes compétentes, à faire respecter ses décisions, à faire évoluer éventuellement les objectifs définis initialement dans son contrat ou ce qui en tient lieu. L'expérience historique recommanderait ce type de modèle plutôt à l'intérieur d'une zone géographique assez homogène et relativement autonome, sinon il risque de perdre son efficacité dans les rigidités constitutives d'une répartition ordonnée hiérarchiquement des tâches et responsabilités. Si des écarts aux objectifs imposés dans l'intérêt commun apparaissent naturellement par les effets de spécificités locales jusqu'à l'apparition d'incompatibilités, le régime risque de se figer dans la négation de ses erreurs plutôt que de renégocier les flexibilités internes nécessaires. De toute façon, la difficulté majeure de ce type de régime est celle du passage d'un tyran au suivant, selon quels critères, pour quels nouveaux objectifs, sous quel pouvoir de contrôle, etc. Historiquement, même la succession d'un bon tyran ouvre une période de chaos, a minima une période de relaxation de la civilisation, une vulnérabilité insupportable dans un monde par ailleurs défavorablement changeant.

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Le deuxième modèle conduisant au maximum d’adaptabilité reste à réinventer comme produit naturel de l'idée démocratique originelle, celle des citoyens constituant directement l'État dans toutes ses composantes, celle de l'élection des grands agents des services fonctionnels - le tout étant instrumenté par les nouvelles technologies, notamment pour le partage et le développement systématique des expériences et des compétences. D'autres billets de ce blog y sont consacrés, car l'accession à ce modèle suppose l'équivalent d'un saut quantique dans les relations inter personnelles, en parallèle d'un abandon des croyances paresseuses dans l'amélioration illimitée des facultés des machines et des logiciels .... A l'heure actuelle, rien n'indique une évolution vers ce type de modèle, malgré l'évidence de son potentiel universel, notamment pour la dissolution organisée (harmonieuse?) des agglomérations géantes et des coûteuses illusions qui en entretiennent la croissance.

Pour le moment, la tendance générale des grandes nations serait une convergence vers un modèle hybride de dictature personnelle et de dictature de castes, au dessus d'institutions pseudo démocratiques de façade, avec un renforcement des usages des nouvelles technologies pour contrôler les populations et les distraire. Ce modèle hybride est par nature hostile à toute forme de contradiction, à toute forme de reconnaissance des erreurs. La pseudo modernité de ce modèle périmé repose sur l'hypothèse que les logiques intégrées dans les machines et les logiciels sont et seront de plus en plus supérieures à l'intelligence humaine. Tous ces caractères sont ceux d'un modèle de gestion dans la stabilité. Le travail et l'intelligence des machines remplacent le travail et l'intelligence – encore quelques années ?

Dans ce modèle hybride et dans le monde actuel tel qu'il va, nous ne pouvons même plus rêver aux erreurs que nous n'aurons pas l'occasion de faire. Car tous les pouvoirs institutionnels nationaux, toutes les chefferies déléguées, y sont soumis aux influences exercées par des groupes d'intérêts hors sol, contraires aux intérêts publics, contraires aux intérêts communs du quotidien comme du long terme. Les actions au grand jour des lobbies auprès des institutions ne sont que la face émergée d'organisations manipulatrices - une façade naïve néanmoins efficace. En amont des phases conclusives, les organisations manipulatrices développent des phases préparatoires d'aspect positif visant à acquérir des degrés de sympathie spontanée dans les castes au pouvoir et parmi leurs officiants – y compris quelques penseurs vedettes, dont la vie dans le siècle nécessite l’usage d’un vocabulaire à la mode et la pratique du commentaire futile décoré de citations phares. En parallèle, une préparation "grise" s'active à gêner, dissimuler, détruire tout ce qui pourrait contrer, ou même semer un doute sur les intentions, les objectifs des manipulateurs, partout et selon un dosage régulé dans le temps en fonction des résultats. Comme la préparation positive, la préparation du deuxième type est conçue pour déboucher sur une phase active : propagandes de dénigrement, trollages sur le web, essaims d'actions en justice, etc. Toutes ces opérations mobilisent des technologies de pointe en informatique et dans les médias. Elles mettent en oeuvre des armées de mercenaires, dont une masse de collaborateurs quasiment gratuits d'intellectuels de diverses disciplines scientifiques, juridiques, littéraires... formés en surnombre dans les universités, qui ont été refoulés dans les "nouveaux" métiers de service et de communication, où ils sont confinés dans un univers de concurrence artificielle d'autant plus féroce. La puissance de la propagande est multipliée par l'usage des technologies de pointe, par l'organisation méthodique sur longue période des phases préparatoires, par la disponibilité de mercenaires talentueux, pas seulement les exécuteurs et récitants sans solde des grands canaux médiatiques.

Les résultats de ces opérations d'influence sont à la hauteur de la mise, si on en juge par le poids des conséquences sur les populations et le degré d’immersion des esprits dans des futilités artificielles. En Occident, depuis en gros la fin des années 1990, plusieurs décisions grossièrement suicidaires (en regard de l'intérêt général, mais au bénéfice de groupes d'intérêts) furent prises aux plus hauts niveaux d'états ou de communautés d'états, décisions immédiatement catastrophiques, publiquement revendiquées dans l'ignorance de leurs effets définitifs, au point que cette ignorance entretenue justifie leur prolongation ou leur renforcement. En exagérant à peine, on distinguera, dans cette persévérance, la frénésie d'exclusion de l'erreur par nos instances dirigeantes, car il devient difficile d'attribuer cette maladie ridicule aux seules influences corruptrices.

Mais comment l'avalanche de certitudes immédiates, orchestrée par de grands manipulateurs et parfois si maladroitement répercutée par les organes officiels, pourrait-elle nous faire oublier l'incertitude de l'avenir (climat, pollution, épuisement des ressources, effondrement de la nature...), autrement dit la monstrueuse certitude de très graves problèmes à venir, difficiles à anticiper pour espérer les atténuer, peut-être même pas encore tous identifiés ? Cette question manifeste une incompréhension fatale des nouveaux phénomènes qui nous gouvernent : au contraire, pour les manipulateurs, toute Grande Peur est une opportunité. La Grande Peur crée une disposition mentale équivalente à l'effroi d'un puits sans fond - un gouffre avide d'avaler n'importe quoi, toujours plus, toujours plus vite ! La Grande Peur, exploitée par les manipulateurs, crée une mise sous hypnose collective - là où l'erreur n'existe pas.

En conséquence, la suggestion de sagesse délivrée aux populations se résume ainsi : tout va aussi bien que possible, nous avons la Vérité, et si malgré cela vous avez la rage, les thèmes sélectionnés vous permettront de l’exercer – nous attendons vos suggestions et nous comptons sur votre participation.

Sagesse collective contre pouvoirs parasitaires

Contre les grands manipulateurs sans frontière, les porte avions sont évidemment inutiles, mais aussi les cellules antiterroristes, les bataillons de cyber défense, les officines de scrutation du Net, les agences de sondage, et même les armées de citoyens soldats. Comme nos institutions, ces armes, ces armées, ces organes de veille, sont des produits d’une autre époque, incapables de détecter le danger à partir de sources d'informations diverses et dispersées, trop spécialisés pour anticiper les convergences manipulatoires possibles, trop limités en vision pour imaginer l'étendue des effets d'une manipulation dans la société civile. Les armes de la guerre classique sont proprement hors sujet contre les grandes opérations manipulatoires et les armes professionnelles comme celles de la cyber défense sont trop spécialisées. Pourtant, concernant certains processus de propagandes manipulatoires, le vocabulaire guerrier n'est pas usurpé, il s'agit bien d'attaques contre le bien public, même souvent contre l'esprit tout court. La nouveauté est que la détection, l'évaluation du danger, la résistance, la contre attaque, l'élimination de la menace ne peuvent pas être déléguées à des spécialistes, encore moins à des logiciels (concentrés sur leurs spécialités), et ne relèvent pas non plus d'une organisation guerrière massive créée pour l'occasion - trop tard dans le meilleur des cas.

C'est ici que le deuxième modèle de régime politique esquissé plus haut révèle une autre face de sa pertinence : il est idéalement le seul capable de l'équivalent d'une levée en masse permanente contre les offensives manipulatoires, de la détection du risque jusqu'à l'éradication, en passant par la publicité de chaque étape pour la mobilisation des compétences même les moins attendues. C'est aussi le seul à créer une sagesse collective comme instrument de puissance - sans ambition de pouvoir.

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Changement de civilisation ? Les grands mots ne pourraient ici que provoquer le découragement. Mais tout de même, en référence à certaines étapes de la préhistoire humaine telle qu'on peut les imaginer, il s'agit simplement de prendre en main des outils existants en vue d'utilisations nouvelles. Après les premiers essais, cela semblera donc simplement naturel....

D'autres billets de ce blog abordent divers aspects de cette évolution possible. Nul ne sait où apparaîtront les premières lumières de cette évolution ni quand, ni sous quelle forme. Il est certain que, concernant le maintien des populations en état d’abrutissement sous l’emprise de quelques dominants, concernant le sous-emploi des compétences humaines et l’étouffement du génie humain en dehors de compétitions prestigieuses et futiles, notre époque n’est pas pire que les précédentes dans l’Histoire (mais les découvertes récentes des longues périodes préhistoriques autorisent à imaginer d’autres politiques d’équilibre entre coopération et pouvoir). Il est devenu évident que la continuité dans la médiocrité historique rend insoutenables nos civilisations contemporaines face à l’hostilité croissante de l’environnement terrestre, face à l’extinction des ressources d’énergies faciles et des ressources en matières premières minérales.

Les civilisations sont mortelles, les multiples découvertes récentes de l’archéologie nous le confirment. On cherche encore comment on pourrait distinguer une progression (selon quels critères ?) des civilisations humaines – est-ce que, à chaque nouvelle civilisation, on devrait tout réinventer ? Un grand mystère recouvre la plupart des effondrements de civilisations anciennes disparues, en particulier celui de la diffusion ou de la récupération de leurs héritages - les époques historiques fournissent quelques exemples d’éradications systématiques de civilisations après pillage brutal (plusieurs civilisations amérindiennes, mais d’autres aussi), dont cependant quelques inventions survivent.

Ahum.jpg Le livre « D’où vient l’humanité » de N. Albessard, édité par Le Livre de Poche en 1969, en pleine période de floraison intellectuelle après une guerre mondiale, rend encore parfaitement compte des controverses sur les origines de l’espèce humaine, sur son évolution, sur sa définition (qu’est-ce qu’un être humain ?). On peut relire cet ouvrage pour bénéficier de son étendue encyclopédique abondamment illustrée; il est à peine périmé sur quelques détails. Mais l’esprit des années 1970 est mort, celui de la préface de Jacques Bergier comme celui de la quatrième de couverture, entièrement couvert par une citation de Teilhard de Chardin : « La Terre, et partant l’Humanité ne sont encore présentement qu’à l’aube de l’existence ». Aujourd’hui, nous redécouvrons que la Terre se moque totalement de l’Humanité et de l’existence selon les idées des humains. Nous sommes obligés de constater que l’Humanité a tellement gaspillé ses ressources vitales que la Terre durera certainement plus longtemps que l’Humanité ! Ou alors, comprenons que le rêve d’une évolution conjointe de l’Humanité et de la Terre aura des périodes de cauchemar.

Les humains de notre époque moderne vivent encore pour quelques mois dans l’illusion de l’énergie disponible sans limite, dans le luxe des machines esclaves, dans la dépendance de logiciels répartis dans des réseaux d’ordinateurs. Dans ces illusions et ces facilités, nous avons oublié les fondements physiques de nos civilisations, leurs raisons d’être. Il est devenu vital d’y revenir et de les repenser. Par exemple, pour chaque grande agglomération urbaine : quel est son principe fondateur, pourquoi la ville a-t-elle été créée à cet endroit, qu’est-ce qui a justifié son expansion (ou bien cette expansion n’est-t-elle que le résultat de causes subies et d’occasions historiques ?), qu’est-ce qui a permis sa durée en conformité ou en évolution du projet urbain initial en relation avec les espaces environnants (campagne, bourgs, forêts…) et maintenant quel peut-être son projet d’avenir « durable » ? Quelles compétences seraient nécessaires pour imaginer cet avenir, bien au-delà des opérations de maintien en l’état dans le sens des modes et propagandes en cours pour le bien-être et le prestige à court terme (candidature aux jeux olympiques, verdissement des espaces publics, équipement pour la sécurité, aménagement des voieries pour les vélos et trottinettes, etc.) ? Comment décliner une vision d’avenir en projets de moindre ampleur, pour des objectifs réalisables en quelques années, mais cohérents ? Quel mode de validation populaire en vue des réalisations (surtout s’il faut parvenir à une réduction de l’agglomération) ? Même à cette échelle urbaine, peut-être d’abord à cette échelle, toute les questions vitales se posent avec urgence. Et déjà à cette échelle, la fausse sagesse des savants discours apparaît définitivement mortelle.

Les pouvoirs parasitaires ne sont pas seulement ceux de « mauvaises gens » et d’égarés qui perdent les autres et détruisent tout, les pouvoirs parasitaires sont dans les abstractions, les valeurs, les principes dénaturés qui sont devenus de fait incompatibles de tout grand projet d’avenir au niveau d’une société humaine, condamnent toute tentative au renoncement devant des obstacles fabriqués, rendent la réalisation impossible à l’intérieur de cadres sociaux obsolètes et de règles historiques.

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D’autres pouvoirs potentiellement parasitaires alimentent nos rêves et orientent nos efforts d’imagination. Ce sont les imaginaires des grandes perspectives historiques, « les grands récits », dont les idéologies millénaristes des 19ème et 20ème siècle sont les créations modernes. La déclinaison pratique de ces idéologies se caractérise par un militantisme fondé sur un résumé des croyances, un comportement destiné à représenter des valeurs d’affichage, des activités spécifiquement destinées à préparer l’avenir, dans et contre la société ambiante, en variantes sectaires ou propagandistes. A l’évidence, pour la société qui les abrite, la différence entre une idéologie millénariste et une religion millénariste est inexistante – comme on a pu le constater en grandeur nature lorsqu’une idéologie a pris le pouvoir politique. Dans l’excès totalitaire à visée universelle, le Troisième Reich et l’Internationale communiste furent les héritiers de la France révolutionnaire. Le dernier grand récit en Occident, celui des trente glorieuses après la guerre 39-45, ne fut qu’une douce idéologie de convergence, une invitation enthousiaste dénuée d’ambition disciplinaire, à partir d’une foi dans la science et la technique comme moteurs d’un progrès social illimité, dans la confiance des capacités humaines à dépasser les obstacles et à sublimer éventuellement la nature humaine héritée de l’Histoire. En tant que grand récit commun, cette idéologie s’est diluée dans le bouillon du consumérisme de jouissance, un anti-grand récit par excellence. Une idéologie progressiste entièrement tournée vers l’avenir ne pouvait pas résister non plus à l’accumulation des réalités qui témoignent de la permanence de la « nature humaine » dans ses aspects les plus humbles et les excès les plus abjects, bien au-delà des faits divers locaux, dans l’actualité vécue par des peuples entiers à la suite de décisions prises par des institutions, en plongée dans la régression animale et la soumission à la folie meurtrière.

A présent, tout se passe comme si les « grands récits modernes » non religieux étaient tous éteints en tant que moteurs des peuples, éclatés en variantes de salon pour comploteurs d’élite.

Alors, pour concentrer l’énergie mentale nécessaire aux communautés d’actions face aux périls planétaires, faut-il raviver les grandes idéologies religieuses survivantes ? Les « leçons » de l’Histoire autorisent à craindre les conséquences de telles résurgences religieuses, sauf en tant que mythes d’enracinement collectif (et à condition que ces mythes soient pacificateurs), car les destins promis par les diverses religions traditionnelles sont tellement spécifiques que leurs traductions en projets pratiques ne peuvent que s’avérer conflictuelles pour des objectifs inconciliables – à moins de pouvoir « préfacer » chaque idéologie destinale d’un cycle de convergence transitoire, en transposition ad hoc d’une idéologie du genre des 30 glorieuses.

En réalité, peu importe tant que les ressorts de soumission des esprits par les dirigeants demeurent partout identiques (sous couvert de la Communication et du Protocole sous ses diverses formes) : menace et promesse, décorum et gratification, terreur et salut, émotion et punition... Ces dosages manipulatoires sont les techniques des pouvoirs parasitaires pour l'avilissement des esprits, en prévention de toute forme de sagesse collective. L’étiquette de toute puissance parasitaire, la trouver ridicule serait un début de la sagesse ?

lundi 4 mai 2020

Pour un petit pourcentage

Voici, pour une fois, un billet d'actualité locale.

Pour un déconfinement de la société

La seule perspective d'une épidémie nouvelle, contre laquelle n'existe aucun remède et sur laquelle on ne sait rien (même pas à ce jour comment elle se propage), fait que toute notre société s'est mise à l’arrêt pendant plusieurs semaines début 2020, à part les services de santé et quelques fonctions vitales.

Il semble qu'au total les pertes humaines potentielles soient faibles, si on les évalue brutalement en pourcentage de la population totale. Même si ce n'était pas finalement le cas, la vulnérabilité de notre société "démocratique moderne" apparaît proprement terrifiante, déjà pour quelques pourcents d'écart à son ordinaire, lorsque la cause de cet écart relève de l'étrange ou de l'inimaginable. La société "démocratique moderne" se révèle, à cette occasion, plus instable que les anciennes sociétés historiques, dans son fonctionnement physique et encore plus dans son mental.

A l'écoute forcée des médias, nous pouvons apprendre à distinguer les vrais scientifiques des notables imbus, à faire la différence entre les durs à la tâche et les représentants de leurs propres intérêts, entre les tristes et les faiseurs de frisettes.

Nous pouvons constater la péremption des plus bavards de nos experts en économie nationale et internationale, dont le modèle de référence se limite à la comptabilité pour le petit commerce et à la gestion des monnaies de pièces fondues en métaux précieux.

Nous pouvons constater le vide des usages d'Internet dans la vie démocratique.

Nous pouvons constater les distorsions de nos médias de grande diffusion, notamment à l'occasion de pseudo débats, et par l'invasion sur certaines chaînes de très élaborés pseudo reportages à visée de réclame publicitaire ou de désinformation.

Nous pouvons observer les maladresses de nos dirigeants dans les incertitudes, avec l'apparition inévitable de goulots d'étranglement multiples à gérer en double organisation centralisée et locale, pour l’alimentation en matériels et en produits sanitaires, puis pour la remise en fonction de quelques secteurs d’activités. Le niveau de science logistique de nos dirigeants n'atteindrait-il même pas celui du magasinier – connaissent-ils l’existence d’une branche des mathématiques consacrée à la gestion des files d’attente ? Les statistiques sanitaires publiées ne permettent pas de comprendre les différents flux et processus autour des centres de soins et encore moins à l’intérieur, sans aucune possibilité d'appréhension de la gestion des ressources rares dans l’ignorance des temps d’attente et de passage. Ce n’est certainement pas à notre intelligence que s’adressent les médias en nous diffusant quotidiennement le cumul des décès et le cumul des hospitalisations depuis la date de début du comptage. Sommes-nous condamnés à l’attitude hystérique d'un conducteur d'automobile qui fixerait son rétroviseur par peur de ce qu'il découvrirait devant lui par une vue d’ensemble ? Alors, c’est évident, « tout devient possible »….

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C'est pourtant la maîtrise d'une science logistique qui a permis de construire les sociétés humaines, de surmonter leurs environnements parfois difficiles, de réaliser de grands projets (aussi de grandes folies), dans la pesanteur du monde physique et dans les approximations du réel, du social et de l'humain. C'est pourtant cette science-là qui est la base de la vie physique et fonctionnelle de toute société humaine - mais certes pas directement à la base de ses "grandes idées".

Osons constater que nos sociétés modernes ont oublié leurs bases pratiques et que les besoins associés de finalités concrètes en termes de vie quotidienne ont été enfouis au prétexte de leur supposée banalité - par compensation magique, les concepts en couples de jumeaux ennemis, tels que résilience et complexité, recouvrent la misère de la pensée.

Osons constater que nos sociétés modernes, dans la dynamique confortable des progrès industriels par l'usage des ressources énergétiques naturelles, reposent encore sur d'antiques croyances et principes imprescriptibles y compris dans les directions que prennent leurs prétendues technologies de pointe. Les débats d'idées engraissent le sommeil de nos esprits ; ce sont des spectacles sans enjeu, confinés au commentaire sans fin de l’actualité en l’absence d’une expression de finalités propres de nos sociétés. Les échanges ne peuvent que se rétracter au seul énoncé des intouchables croyances et principes qui représentent nos fondements sociaux – quelques mots en vrac y suffisent. Qui osera observer les diverses méthodes rhétoriques d’évasion devant les incohérences entre ces certitudes exclusives profondes et réputées communes, d'autant plus imbriquées et grossières ?

Notre nature humaine aurait-elle tellement changé dans la modernité qu'une société humaine puisse survivre sans expliciter ses finalités propres, comme si elle pouvait se tenir sur des fondations artificielles, par l'exercice de virtualités issues directement de ses croyances de référence ?

Nos « valeurs » qui font automatiquement « sauver des vies » sans demander l'avis des intéressés, quel que soit le coût pour la société et quelles que soient les séquelles des survivants, de quelle illusion de sagesse absolue sont-elles les produits ? La noblesse inconditionnelle de ces « valeurs » ne pourrait-elle plus s’affirmer que par le mépris des tâches banales d’organisation et des compétences correspondantes, autrement dit par l’ignorance de la pratique de ces valeurs ? Pourquoi la pratique de ces valeurs sanctuarisées serait-elle tenue hors de portée de la décision du citoyen ordinaire de la même façon que, par exemple, les grands projets de travaux publics ? Pourquoi toutes les décisions vraiment importantes sur nos vies seraient-elles prises sans consultation du peuple citoyen par ailleurs pourtant si chèrement éduqué ? Qui peut encore défendre, dans les nations de tradition démocratique, le maintien de l'équilibre présent entre responsabilité du peuple et compétence des dirigeants - autrement dit entre irresponsabilité confortable du peuple et spécialisation étroite des notables dirigeants et de leurs entourages ?

Osons constater que l'héritage mental profond des croyances dans nos sociétés, autrefois facteur de stabilité (temporaire) et de sentiment de puissance (face aux « barbares »), les rend dangereusement fragiles, en substitution de finalités pratiques assumées.

Osons constater que notre époque est celle du conflit entre l’intérêt général des sociétés humaines et nos croyances, nos grands principes, nos droits imprescriptibles, nos vérités fondamentales (réputés stables localement et plus respectables que les personnes) – ces sanctuaires mentaux abritent les simulacres de justification des actions collectives, et les enferment de fait dans un conditionnement mental devenu criminel envers toute vie sur notre planète.

Tous ces thèmes étant déjà développés dans d'autres billets de ce blog, ils ne sont ici rappelés que pour leur pertinence en regard du besoin d'un grand déconfinement de nos sociétés humaines.

La science - fiction comme instrument de libération mentale

Les événements planétaires des prochaines années causeront des pertes localement bien au-dessus de quelques pourcents, quels que soient, par exemple, les "progrès" dans la conquête de la planète Mars ou le développement de l'Intelligence Artificielle, tant que l'humanité sera soumise au monde physique.

C'est évidemment sur les sciences sociales et les sciences dites appliquées (dont la logistique) qu’il faut porter l’effort, pour actions immédiates, dans la nécessité de réduire notre dette physique vis à vis de la planète.

Dans cette entreprise, sur quelles références pouvons-nous nous appuyer ?

Volontairement, fuyons les oeuvres consacrées comme porteuses de lumière : leurs citations répétées leur ont donné trop de pesanteur et les seuls noms des auteurs déclenchent des appréciations réflexes binaires.

Dans l'instant, évitons aussi, au privilège de la légèreté indispensable à une approche de sujets vraiment sérieux, les ouvrages monumentaux qui tentent de nous donner une profondeur et une étendue de la vision dans un format académique.

Les livres d'histoire seraient a priori les meilleurs candidats, mais à part des ouvrages romancés consacrés à tel ou tel épisode, ils passent vite sur les périodes douloureuses de notre pauvre humanité, ou alors c'est pour leur donner un sens, autrement dit parler d'autre chose. C'est très ennuyeux les morts entassés, les souffrances répétées, l'absence de remède et la désespérance, l'effondrement progressif de la société et de ses valeurs construites, le surgissement des substituts, la soumission brutale de notre vie physique à l'animalité, à la crasse et à l'isolement, le sursaut mental dans les imaginaires de gloire et de revanche minables. Mais c’est le sujet à traiter !

De fait, les archéologues sont les seuls à s'intéresser à notre humanité ordinaire mais à l'échelle des millénaires, alors que nous n'avons pas un siècle en délai de préavis avant que notre planète ne nous donne brutalement congé en cas de prolongation de notre appropriation abusive et de nos dégradations irréparables.

Pour exciter notre capacité d'imagination face à l'inimaginable, il nous reste la littérature et la filmographie dite de science - fiction. L'évidence de cette source référentielle n'est plus une originalité, puisque nous sommes à présent de toute façon projetés en science-fiction dans notre réalité. Dans l’actualité d’une menace virale inconnue, le terme science - fiction perd son caractère auto contradictoire.

Une difficulté d'exploitation des oeuvres de science-fiction comme sources référentielles réside dans l'obligation d'y rechercher les correspondances pertinentes mais forcément partielles avec notre actualité, ce qui exige l'effort d'un pas de côté. Dans leurs contextes de création, les critiques sociales implicites d’une époque dans un lieu donné s’appuient en contre point sur une expression forcément « datée » de valeurs et principes éthiques de référence. Ce décalage bien apparent dans les œuvres de science – fiction est favorable à la distanciation. Sous cet angle, les oeuvres un peu anciennes de science - fiction sont plus exploitables, d’autant plus que les oeuvres récentes ont tendance à s'auto caricaturer sur le modèle de matchs entre le Bien et le Mal, leur contenu original de science - fiction se réduisant à un assemblage de thèmes recyclés dans des décors et costumes en conception assistée par analyse factorielle.

A titre d'exemples, ce billet est illustré des pochettes de couverture de deux films en DVD : l'Invasion des profanateurs (version 1978) et Soleil vert (1973).

L'intérêt présent de l'Invasion des Profanateurs n'est pas perceptible dans son titre. L'analogie avec une invasion virale devient évidente dès que le processus d'invasion se dévoile comme une reprise de chaque corps humain pendant son sommeil par un hôte extra planétaire qui en fait une sorte de néo humain zombie (on retrouve le développement d'une idée semblable dans de nombreuses autres œuvres, notamment les premières séries Stargate). Dans le film, l'organisation mise en place par les envahisseurs incarnés en néo humains présente des similarités avec celle de nos périodes de confinement (puis déconfinement en fonction des capacités des centres de conversion). L'une des scènes les plus marquantes rassemble des néo humains figés sur place, gueules grandes ouvertes (mais ils pourraient aussi bien porter un masque de protection), montrant du doigt des aborigènes égarés, en saturant l'atmosphère d'un cri d'alarme à haute fréquence. Au-delà des correspondances scénaristiques et esthétiques, les questions suscitées par ce film pourraient être :

  • comment détecter qu'un dangereux agent nouveau est dispersé partout dans l'atmosphère, avant qu'une partie de l'humanité ne présente des symptômes graves de maladie... avant que toute l'humanité ne soit de fait condamnée ?
  • comment organiser des mesures de sécurité sanitaire sans bloquer toute vie sociale, quand toute la population dispose de moyens modernes de télécommunication ?
  • comment assurer le strict respect de mesures de sécurité sanitaire, par la prescription, par une surveillance, par une pression sociale ?
  • comment assurer que les personnes "guéries" n'ont pas été irrémédiablement dégradées à partir d'un certain stade ou durée de traitement, et qui pourra en juger pour quelles décisions préventives sous quel contrôle ?

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Soleil vert est souvent cité comme un film prémonitoire des dérives vers une société autoritaire en cas de surpopulation planétaire. On peut y trouver matière à des questions encore plus actuelles, par exemple :

  • ne devrait-on pas, dans nos vénérables Constitutions (ou équivalents), citer comme crime d’Etat la diffusion de mensonges portant préjudice à la société dans son ensemble ou l’une de ses composantes, y compris par rétention volontaire d’information, y compris par l’absence de reconnaissance d’une erreur, à l’exclusion de toute forme de censure ?
  • dans un monde fini qui se dégrade encore plus à chaque instant du fait des activités humaines, comment ne pas explicitement renoncer aux grands principes d'humanité lorsqu’ils s’opposent à l’intérêt général planétaire ?
  • qui pourrait être chargé de définir l'intérêt général planétaire, avec quel mandat, à partir de quelle "réalité", celle des experts ou celle des gens ordinaires ?
  • en quoi un régime de "démocratie représentative" serait-il plus pertinent pour faire respecter l'intérêt général planétaire qu'une oligarchie de manipulateurs ou qu'une dictature affirmée ?
  • comment surmonter l'incompatibilité logique entre certaines actions à faire réaliser dans cet intérêt général et les "simplifications traditionnelles" qui nourrissent l'esprit des gens ordinaires : en ouvrant le champ mental des populations, par exemple, par une transition vers une forme de démocratie directe, ou en planifiant centralement l’effraction (mentale) et le viol (mental), au risque d’un blocage social imprévisible ?

Pour une reconfiguration destinale

Environ 97,5 % de la population humaine ne se pose jamais aucune question fondamentale relative à la société, dans l'excuse des tâches quotidiennes et dans la commodité de son auto manipulation en espérance d'une forme vague d'ascension victorieuse.

Au cours de l'épidémie planétaire actuelle, il est déjà apparent que le petit nombre de personnes qui se poseront de "bonnes questions" (dont celles qui ne peuvent jamais recevoir de réponse absolue) dans le vacarme des désinformations, seront vite confortées dans les haines et les enthousiasmes de circonstance diffusés par les canaux de communication de leurs pays et confessions. La reprise de leurs activités d’avant l'épidémie sera ressentie par eux comme une libération, pour laquelle ils accepteront des sacrifices dans le sens des émotions collectives.

On ne peut pas espérer que d’éventuelles successions de catastrophes entrecoupées d’intermèdes calmes finiraient par provoquer un sursaut de conscience solidaire globale entre des populations survivantes, plongées dans la stupeur avant le repli dans leurs traditions et les diverses formes cérémonielles de reconstitution des groupes sociaux pendant les pauses entre les cataclysmes. Ce serait toujours à la fois trop tard et trop tôt.

Par contre, à l’occasion d’un choc planétaire relativement isolé et de faible ampleur, l’opportunité pourrait être saisie d’un redéploiement de notre sens destinal implicite commun, celui qui tient ensemble nos diverses croyances opératoires au moins depuis les époques historiques pour le seul grand « bien » de l’espèce humaine. Un petit pas de côté, un grand pas pour l’humanité : conservons nos valeurs et nos croyances, réinterprétons-les dans la construction de l’intérêt général planétaire – donc pas seulement celui de l’espèce humaine - en finalités et actions prioritaires. Nous savons très bien opérer ce genre de bricolage physico – psycho - social, nous avons toujours su faire, même aux époques historiques, en petit à de multiples occasions où notre espèce n’était que localement en péril. C’est une caractéristique de l’être humain.

Le basculement initial du sens destinal peut être simplement exprimé par analogie avec un scénario de science – fiction. A ce moment du film, par un retournement dans le scénario, nous nous découvrons en Monstres immatures et désordonnés, mais efficaces ravageurs de surface grâce à nos machines. Il reste seulement 3 minutes sur la bobine en cours, mais le film dans sa totalité s’étend à l’échelle multi millénaire de la tectonique des plaques, une particularité de la planète qui lui donne une éventuelle ultime capacité de régénération autonome d’une biologie de surface. Ce n’est qu’un passage, tout ira bien à la fin. Quelqu’un voudrait prouver le contraire ?

jeudi 27 juin 2019

Comme les temps se retournent

Subsidiarité

Dans un billet des débuts de ce blog, nous avons contesté un faux principe de subsidiarité, prétendument applicable dans la répartition des responsabilités et pouvoirs entre des instances régionales et une instance de noyau central, en généralisation édulcorée du brutal "ego Leo nominor".

En république de France, ce faux "principe de subsidiarité" était couramment proclamé par les politiques pour nous expliquer la répartition des pouvoirs entre les instances de la Communauté européenne et les gouvernements nationaux.

Le petit peuple était ainsi sommé de comprendre que les nations conservaient leur pouvoir de décision sur tout ce qui "pouvait" (ou "devait" selon nuance) être décidé localement - une évidence dans un modèle théorique sans épaisseur au mépris de la précision et du sens pratique.

Remarquablement, depuis des mois, on n'a plus entendu parler de ce grand "principe de subsidiarité" ! Pendant la campagne des élections "européennes" de mai 2019, sauf erreur, jamais ce principe n'a refait surface, sans doute parce que son apparition aurait assombri l'enjeu "démocratique" de ces élections - très mince en regard de l'enjeu financier pour quelques partis politiques. Pour combler le vide, certains commentateurs politiques ont tenté d'expliquer comment les instances de la Communauté étaient naturellement équilibrées entre des pouvoirs communautaires et des pouvoirs nationaux, sans se rendre compte à quel point la focalisation sur ces seules instances trahissait l'autosuffisance de ces instances pseudo communautaires.

Donc, elle est bien suspecte, cette disparition du principe de subsidiarité !

En effet, le faux "principe de subsidiarité", si on s'oblige à l'expliciter, décrit assez bien les ambiguïtés de l'actuelle Communauté européenne en relation avec les états nations. Mais, plutôt que de reconnaître la fausseté de ce principe et d'en rechercher des aménagements, on en fait une caricature qui alimente un débat artificiel entre "fédéralistes" et "nationalistes".

Pourtant, il existe une solution simple, éprouvée, pour redonner un sens fondateur à un "principe de subsidiarité". Il suffit d'inverser le sens d'application du principe, pour considérer le communautaire comme subsidiaire des nations - ce qui était le sens d'origine des premières entités "européennes" (CECA...).

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Au coeur de l'Europe géographique, la Confédération Helvétique pratique de fait cette inversion depuis plusieurs siècles, entre des instances fédérales minimales et des cantons très différents dans leurs intérêts économiques, leurs religions dominantes, leurs langues, leurs tailles, mais tous avec une forte culture "démocratique" locale. Néanmoins, ce système permet la réalisation de grands projets d'intérêt commun en quelques années de travaux continus (centrales électriques, tunnels ferroviaires et routiers,...) et un équilibrage des ressources financières entre les cantons.

Évidemment, dans une grande Communauté européenne, une telle inversion, même si elle ne faisait qu'un retour aux origines, impliquerait une dynamique de refondation partielle à intervalles réguliers, par la définition des projets d'intérêt communautaire des prochaines années, avec comme conséquence l'adaptation des instances communautaires à chaque fois.

Évidemment, à notre époque de l'informatique et des réseaux et surtout avec la richesse des expériences individuelles dans une grande diversité de professions, la définition des projets communautaires devrait être la décision au sens propre démocratique des peuples. De même, on devrait envisager naturellement l'association d'une instance citoyenne ad hoc à chaque projet communautaire.

Voir les autres billets de ce blog, merci.

Étiquettes fortes, étiquettes faibles

Deux ouvrages récents offrent une abondance d'éléments exemplaires d'étiquettes sociales, bien qu'aucun des deux ouvrages n'ait pour objet premier la description de ces étiquettes - heureusement pour les lecteurs.

Le Génie des Suisses de François Garçon (Tallandier, 2018)

Les Leçons du Japon, un pays très incorrect, de Jean-Marie Bouissou (Fayard, 2019)

La comparaison des ouvrages fait ressortir le caractère implicite de l'étiquette sociale suisse en regard de son caractère contraignant dans le détail des activités quotidiennes et des comportements au Japon. Cependant, ce sont des étiquettes fortes dans les deux cas.

Évidemment, l'histoire, la culture, la population, la géographie... expliquent non seulement les différences mais aussi, dans les deux pays, l'entretien de ces étiquettes, y compris par la coexistence de ceux "qui vivent en dehors" de ces étiquettes communes. Un exemple peu connu d'une telle survie est celui de la reprise en main de la population japonaise de Tokyo, complètement déboussolée après la défaite en 1945, par un clan yakusa qui était venu opportunément proposer ses services au grand chef américain.

Que serait la vie sociale des citoyens suisses sans le service militaire à vie, sans les puissantes institutions locales au niveau des communes ?

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Que serait la vie urbaine des Japonais sans la surveillance des comités de quartier et de leurs points d'appui répartis ?

A distance, n'étant ni suisse ni japonais et résidant dans un pays d'étiquette faible pour ce qui concerne le respect des biens publics et de l'intérêt commun, ces deux étiquettes fortes représentent pour moi deux cauchemars différents.

Si vous résidez dans une grande ville au Japon, si vous ne savez pas dans quelle poubelle et à quel moment de quel jour de la semaine vous pouvez jeter un déchet, ou si vous en avez "trop" de la même sorte à jeter, et que vous savez par avance que vous ne trouverez aucune aide pour votre cas hors norme, il ne vous reste qu'à opérer en catimini de nuit, en espérant que personne ne vous voit car vous seriez obligatoirement dénoncé.

En Suisse, sauf peut-être dans les très grandes agglomérations où résident beaucoup d'étrangers à titre provisoire, vous devez effectuer des démarches décisives auprès des institutions locales préalablement à votre installation, prendre contact avec vos futurs voisins non seulement pour obtenir leur accord (ou leur non refus) mais encore surtout en vue de fonder une relation avec eux, à maintenir régulièrement par la suite selon les coutumes locales.

Dans mon pays, je vis une autre sorte d'immersion sociale quand je circule à pied en ville au milieu de gens absorbés par leur smartphone, imprévisibles dans leur allure, susceptibles à tout instant de changer brutalement de direction. Ces derniers temps, certains amateurs de délire dionysiaque circulent sur des engins automoteurs, n'importe où, n'importe comment, dans l'isolement d'un casque à musique, en totale négligence de leurs contemporains. Dans mon pays, l'ignorance des autres peut aller jusqu'à l'excès de jouissance spectaculaire d'une "liberté" qui serait ailleurs immédiatement sanctionnée sous n'importe quel prétexte légal, en réalité en tant que manifestation de mépris de la collectivité. Alors, pour tenter d'encadrer les comportements sociaux irresponsables de la vie courante aux dépens des autres et du monde environnant, les autorités publiques éditent des listes d'interdits, résumées localement en quelques symboles graphiques. Ces interdits sont interprétés comme des conseils de modération tant que ne se produit aucune série d'accidents graves justifiant des fermetures ou des restrictions d'accès. Notre étiquette de vie en société est celle des enfants dans leur parc à jeux, bientôt sous surveillance vidéo permanente.

Au total, on peut lire les deux ouvrages cités ci-dessus comme des témoignages partiels de la rationalité (locale) des étiquettes sociales et de leur contribution aux processus de création de valeur collective, de leur compatibilité ou de leur inadaptation à une authenticité démocratique. Cependant, il est dommage que l'on y trouve si peu d'indications sur les éventuelles spécificités des comportements ni sur les souhaits éventuels (et les réalisations ?), de ces pays d'étiquettes fortes dans le domaine des sociétés virtuelles - tout resterait à faire ?

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Un prototype des descriptions de sociétés solidaires merveilleuses demeure l'étude des cités libres du Moyen Age européen (dans sa période brillante) que l'on peut lire ou relire dans L'entraide de P. Kropotkine, Les éditions écosociété (Canada), 2001. Dans cet ouvrage d'un penseur du 19ème siècle abusivement assimilé aux anarchistes radicaux (on pourrait actuellement plutôt le requalifier comme libéral autant qu'un Mill ou un Dewey), on trouvera l'explication d'un "âge d'or" par la force d'institutions locales, par la pratique d'usage et d'entretien des biens communs, par les partages du savoir à l'intérieur de communautés universelles de métiers, plutôt que par le seul génie des princes et de quelques personnes extraordinaires.

Dans les mouvements de la pensée moderne, quelle est l'importance donnée à l'étiquette sociale comme composante culturelle ? Peut-on la considérer comme un produit de l'histoire soumis à des forces non maîtrisables et rester passif devant ses évolutions ? Doit-on la piétiner en refus de toute norme sociale a priori, sans chercher à extraire de cette norme les humbles conventions de la vie en société (dont font partie les usages communs des langues, y compris les non dits) ?

Une caractéristique des populations barbares, c'est l'oubli qu'elles sont les propres maîtresses de leur étiquette sociale.

Choc en retour des fantaisies bureaucratiques modernes

Une caractéristique des populations modernes est leur confiance dans une logique binaire associée à une croyance à la supériorité de l'espèce humaine. Ce sont là deux absurdités, donc rien de bien grave en soi dans l'absolu, sinon que leur combinaison produit des conséquences fortement contributives aux "défis de notre temps". Autrement dit, leur combinaison est un boulet de civilisation.

En effet, une première conséquence est la destruction de la nature, puisqu'aucune zone de nature vierge ne peut subsister dans la durée sans la protection d'un cordon suffisamment épais de "zone grise" qui l'isole de la zone des cultures et des civilisations humaines - il ne s'agit pas seulement des jets de mégots ni des joggeurs en recherche de nouveaux sentiers. C'est évident en surface, lorsqu'on observe l'évolution de certaines forêts et grands parcs "naturels" en quelques dizaines d'années. Sous la surface des terres et des mers, et dans les airs, quels pourraient être les cordons de zones grises autour de quelles zones vierges ?

Une autre conséquence de la pseudo modernité est la généralisation des systèmes bureaucratiques, au point que certains de ces systèmes pourraient se passer de toute conduite spécifiquement humaine, quitte à conserver une représentation de puissance patriarcale, l'humanité des servants de ces systèmes ne pouvant se manifester que par des fonctions d'utilité parasite, pour eux-mêmes d'abord, parfois aussi au profit de ceux du dehors.

Ces systèmes d'organisation bureaucratique sont ceux du privé comme du public.

Dans tous les cas, malgré les discours de progrès flexibilité, dynamisme, les fondements fantaisistes de ces systèmes bureaucratiques condamnent à la stagnation (sauf catastrophe pour cause externe) :

- absence de hiérarchie des finalités (ou pire, création d'une hiérarchie de pseudo finalités modélisées chiffrées en substitution de finalités compréhensibles de tous), en parallèle d'une stricte hiérarchie fonctionnelle à l'intérieur de branches de "pouvoirs" très théoriquement indépendantes entre elles, définies dans le secteur public d'après les théories des penseurs du 18ème siècle,

- création et entretien d'un grand écart entre la personne et toute forme pérennisée de collectivité (bureaucratique par nature : société, association, organe de service public,..), les collectivités constituées aspirant les éventuels droits et pouvoirs spécifiques des personnes, ainsi marginalisées par l'obligation de soumission à une relation publique formelle avec une entité bureaucratique, au travers de diverses variantes de sollicitation par remplissage de formulaires puis attente aux guichets, informatisés ou pas.

NB. La fausse "subsidiarité", telle qu'évoquée plus haut, peut être considérée comme une invention naturelle en filiation (ou dérivation ?) des fantaisies fondatrices des systèmes bureaucratiques.

Il en découle la négation de toute forme d'intelligence collective comme pouvoir de définition des finalités et de leurs priorités, et notamment l'exclusion de toute forme de démocratie "directe" authentique.

Il en découle une complète indifférence de l'étiquette de vie des personnes, notamment par l'entretien de la confusion entre code et étiquette, particulièrement fatale à la cohésion sociale dans toute population "diversifiée".

Codes oppressifs, étiquettes relationnelles

Quitte à sortir encore plus franchement du cadre de ce blog, il est utile de mettre en évidence la convergence entre les codes d'oppression, les systèmes bureaucratiques et la logique binaire.

Plutôt qu'un développement théorique, voici trois images.

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La première image est la manifestation publicitaire d'un ravage de logique binaire. L'image montre une "perspective" d'un parc en région parisienne en reconstitution de l'époque du jardinier royal Le Nôtre au 17ème siècle. Ce que ne dit pas l'image, c'est la dépense somptuaire qui fut nécessaire à cette reconstitution à partir d'un jardin en bon état mais sans ambition spectaculaire, notamment parce qu'il a fallu recommencer plusieurs fois certaines étapes des travaux, remettre encore plus de "bonne terre" après avoir mieux évacué la "mauvaise", replanter de nouveaux végétaux après avoir arraché ceux que l'on avaient initialement plantés mais qui n'avaient pas survécu à la transplantation, etc. C'est sans aucun doute à la suite des mêmes difficultés que, entre l'époque du grand Le Nôtre et la nôtre, la superbe perspective d'origine au cordeau avait évolué en jardin d'ombres et de lumières, avec quelques étangs connus des migrateurs de passage et des enfants du voisinage, que nos ancêtres successifs avaient trouvé bien mieux adapté au terrain et à l'écologie locale. A présent, à la suite d'une si laborieuse reconstitution, faut-il préciser que l'entretien de la plate perspective artificielle nécessite l'intervention régulière d'une armée d'engins motorisés ? Et comment ignorer la perte de la variété de la faune alentour (en réalité sa quasi-disparition), la transformation des allées du parc en routes et des chemins en voies carrossables pour la circulation des engins, la destruction progressive des zones sauvages du parc par l'extension des espaces dégagés en dévoration de toutes les zones grises intermédiaires ? De telles restaurations brutales coûtent cher et tuent l'équilibre naturel issu d'une évolution de plusieurs siècles. Mais que c'est beau, cette affirmation de la maîtrise de notre espace par une manifestation ludique du oui / non en préfiguration des circuits imprimés, que c'est grand la maîtrise de l'univers par des algorithmes problème - solution... Ce sont les mêmes glorieuses croyances qui nous soumettent à des codes de conduite pseudo élitistes, absolus, prétendument universels, comme ceux des cours de Louis XIV et du roi de Prusse, plus tard leurs variantes révolutionnaires fondées sur la Raison et la Science.

Les deux images suivantes sont des couvertures de DVD. ll s'agit de deux films de révolte contre une société suicidaire à tous les sens du terme : Hara Kiri réalisé par Masaki Kobayashi en 1962, Corporate réalisé par Nicolas Silhol en 2017. Dans les deux films, au-delà des différences tellement évidentes qu'il devient d'autant plus facile de discerner les similitudes profondes, un code de classe à prétention exclusive s'impose à tous et la mort sale par suicide d'un innocent est le drame initial, en conséquence d'un abus de code, qui conduit les protagonistes principaux à se révolter contre ce code. C'est cependant de l'intérieur de ce code que ces protagonistes principaux vont devoir trouver le moyen d'exprimer leur révolte - à quel prix, sans aucune possibilité d'évasion !

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En effet, sur quels intermédiaires pourraient-ils compter, d'abord pour les écouter, ensuite éventuellement pour disposer d'une autorité d'appel au respect d'une hypothétique règle commune qui serait supérieure au code oppressif ?

Dans Hara Kiri, le sabreur du Japon ancien ne peut compter que sur lui-même au cours de son monologue mortuaire fébrile en face des hôtes assassins qu'il a convoqués, sachant par avance que, de ses paroles et de ses exploits, il ne restera qu'un faux compte rendu administratif.

Dans Corporate, le cadre moderne des ressources humaines trouve un appui sur une inspectrice du travail pour basculer vers l'antichambre de la justice républicaine, en sacrifiant sa carrière et des années de vie, dans l'espoir sans illusion que son témoignage coupable contribue à une évolution des lois communes, un jour plus tard.

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Entre l'ancien monde (reconstitué) de Hara Kiri et la modernité de Corporate, quel progrès pouvons-nous identifier à part la multiplication de façades bureaucratiques théoriquement indépendantes entre elles, et théoriquement toutes respectueuses "des valeurs et des grands principes" ? Et alors quelle pourrait bien être l'étiquette commune d'ouverture et d'entraide dans l'un et l'autre cas qui aurait permis de prévenir le drame initial - un suicide sciemment provoqué puis traité comme un "hors jeu" - par dessus les codes de comportement et de façons de penser localement imposés ?

Affronter de telles questions nous oblige à constater la persistance d'un vide, la sauvagerie de nos sociétés et de nos civilisations prétentieuses.

...

Si nous voulons retrouver une capacité à inventer les étiquettes relationnelles qui nous manquent - une invention relativement facile à l'intérieur d'espaces nouveaux comme ceux de sociétés virtuelles ou d'assemblées citoyennes - il est nécessaire d'apprendre à lire les codes qui nous encadrent afin de savoir y reconnaître les croyances premières dont ils sont les émanations lointaines, souvent par des filiations d'occasion. En effet, une étiquette relationnelle peut s'inspirer partiellement d'un code (ou de plusieurs), mais l'inverse redéfinit automatiquement cette étiquette comme l'excroissance d'un code d'oppression. La pire variante de cette trahison se produit lorsqu'une prétendue étiquette commune est proclamée non seulement comme un absolu, mais est exprimée en compétition frontale avec des codes à prétentions identitaires, sectaires et potentiellement meurtriers. La prétention illusoire à l'encadrement des relations sociales par un fatras pseudo juridique de règles de détail contraint de fait les personnes à se réfugier dans les codes de leurs groupes d'appartenance. C'est un modèle de société d'automates.

Des projets dans la terreur du lendemain

Ce billet aborde une question devenue banale du fait de l'absence prolongée de réponse pratique : comment peut-"on" éliminer certains de nos comportements individuels dont la somme est responsable de la destruction progressive de toute vie sur la planète (y compris la nôtre) ?

NB. La question est envisagée dans un cadre "européen occidental". Les réponses sont proposées également dans ce cadre, malgré quelques tentatives de généralisation.

Ce billet reprend, sous un autre angle, des éléments déjà présentés dans ce blog, pour montrer comment ces éléments peuvent être mis en cohérence.

Le possible est entre deux impossibles

Changer nos comportements individuels et nos modes de vie pour nous adapter à une contrainte planétaire en développement étalé sur un siècle... cela semble tout simplement impossible en l'état de nos sociétés.

Ne perdons pas notre temps à rechercher les causes de cette impossibilité dans nos doctrines et théories dominantes, économiques, religieuses, et toutes les autres. Ne perdons pas notre temps à mettre en cause nos élites, nos personnalités de référence, nos stratifications sociales, nos petits arrangements. Ne perdons pas notre temps à nous chercher des excuses personnelles.

En effet, en l'absence provisoire d'une forte contrainte, les racines de l'évidente impossibilité d'évolution de nos modes de vie se trouvent dans notre nature humaine en relation avec le temps et la durée, telle qu'elle a été façonnée par la "culture".

Remarquons que, dans l'hypothèse où un changement de nos comportements individuels serait possible, il devrait se propager dans les faits par des relations interpersonnelles. Nous allons donc réutiliser le modèle très simple de relations interpersonnelles déjà présenté dans ce blog, le modèle CHOP, afin d'imaginer comment une telle propagation pourrait s'opérer.

En l'occurrence, nous en retenons la segmentation de nos contenus mentaux individuels selon l'échelle des durées nécessaires à leurs évolutions, comme elles se révèlent au cours d'interactions entre des personnes :

  • le niveau des fonctions d'interaction directe avec autrui, les quasi-réflexes intégrés de communication par apprentissage
  • le niveau des projets construits sur semaines, mois, années, présentables / proposables / opposables / dissimulables à autrui
  • le niveau des façons de penser, des trésors de l'expérience et de la culture, des valeurs, des doutes, des mystères, etc.

L'échelle de temps du 3ème et dernier niveau, celui des croyances, est la plus longue, au point qu'une remise en cause personnelle à ce niveau peut causer une forme d'ébranlement mental et ne peut donc pas être fréquemment imposée de l'extérieur sous peine de dérèglement de la personne (à l'inverse, ce choc peut être un objectif, par exemple dans un régime totalitaire ou dans le cas d'embrigadement dans une secte). Justement du fait de sa relative stabilité, le 3ème niveau n'est soumis à aucune exigence de cohérence logique interne.

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Il est courant qu'un comportement personnel exprimé dans le cadre des fonctions d'interaction du premier niveau ne soit pas en ligne avec tel ou tel élément particulier du 3ème niveau. En effet, par la répétition fréquente des actes physiques et des combinaisons mentales habituels, l'intégration des interprétations prescriptives des éléments du 3éme niveau dans l'arrière plan de la vie courante devient progressivement implicite, au point que les filiations sont perdues (si jamais elles ont existé) - d'où l'angoisse créée par toute remise en cause d'un élément du 3ème niveau, même dans les cas où cette remise en cause ne change rien ou pas grand chose dans nos vies quotidiennes.

Pour le moment en 2019 (sauf dans quelques régions précurseurs du globe terrestre pour le malheur de leur population), la monstrueuse menace planétaire "écologique" est installée tranquillement au 3ème niveau de nos esprits individuels. Les grands discours et les scénarios d'alarmes qui résonnent dans le monde occidental demeurent conceptuels, illustrés de solutions irréfléchies, promoteurs de mesures ponctuelles censées soumettre les échéances catastrophiques à des modèles chiffrés, donc assez dilatoires pour maintenir la menace au grenier de nos esprits. Devant l'incommensurable, notre humanité se réfugie dans l'approche progressive des mystères et des terreurs, celle du temps qui passe et qui finit par tout résoudre. Nous faisons semblant d'espérer apprivoiser le monstre en lui jetant quelques miettes dans son grenier, alors que, dans ce cas, le temps ne résoudra rien, au contraire. C'est que ce "cadavre au grenier" qui grandit de jour en jour n'est pas la nième représentation d'un remords en voie de décomposition à la suite de meurtres perpétrés dans notre belle famille, celui-là est d'une autre nature, et on peut tout craindre du jour où il occupera une "trop" grande partie de nos greniers, au point de venir hanter directement le niveau de nos actes instantanés sans aucun espoir de rémission, si nous ne lui avons pas d'ici là construit sa propre demeure.

Donc, il apparaît que, pour obtenir un changement de nos comportements dans un délai compatible avec les urgences, il faut "faire descendre" le monstre au niveau des projets, des grands projets collectifs !

Selon notre modèle (rappelons qu'il est focalisé sur les relations inter personnelles), le niveau intermédiaire, celui des projets, est aussi celui de la contribution individuelle à un projet collectif dans une durée, une progression et un cadre "raisonnés" (au sens où ils sont construits et assimilés collectivement), au-delà ou en parallèle des seuls projets personnels. C'est à ce niveau qu'il faut s'adresser pour des actions concrètes à l'échelle de temps convenable.

Autrement dit, aujourd'hui en 2019, si nous pouvons encore nous définir un avenir "digne", c'est par la création des grands projets qui nous imposeront des évolutions volontaires de nos comportements et modes de vie.

Cela vous paraît trop simple ? C'est vrai : les prêcheurs de l'impossible en font des tonnes, c'est justement à cela qu'on les reconnaît !

Note. Le modèle CHOP est très volontairement trop fruste pour intégrer les ressources de la psychologie et les théories sociologiques sur le collectif par rapport à l'individu.

Note. Les pseudo grands projets futuristes tels que la migration de nos élites sur Mars, le développement de nouvelles technologies révolutionnaires, la transition énergétique vers de prétendues énergies vertes... relèvent-ils de la distraction spectaculaire ou déjà de la tentative d’évasion ?

Tous les grands projets ne sont pas de grands projets libérateurs

Pour éviter les confusions, il faut dire quelques mots sur ce qui nous est présenté dans les actualités comme "grands projets". En caricaturant à peine, ce sont des opérations de circonstance, conduites par des politiques ou des personnalités affidées, à la suite d'un lobbying de plusieurs années par des intérêts privés. Au mieux, on nous parlera de prestige "national" en vue de consolider des savoir faire et d'acquérir des positions commerciales pour des entreprises privées dans "la grande compétition mondiale". Au pire, il s'agira d'alimenter les finances de certaines entreprises et de quelques politiques corrompus sous un prétexte de bien public ou de modernisation. Au cours de la réalisation de ces "grands projets", les décideurs au niveau de la puissance publique sont des politiques (ou à défaut des "personnalités" qui n'ont jamais vécu la vie ordinaire du commun), avec une équipe d'assistants et de conseillers censés maîtriser à la fois les techniques et la gestion des contrats sur le long terme - ce qu'ils ne sont pas en position de faire dans le cadre de leurs missions, même en admettant qu'ils en aient la moindre compétence. Les destructions définitives de l'environnement que l'on n'a pas évitées, les prévisibles gênes causées aux populations durant les travaux, les éventuels désastres collatéraux sont "traités" par des spécialistes de la communication. Cette description est-elle exagérée ou encore en dessous de la réalité ?

Nous avons proposé dans un billet précédent une approche systématique de la définition des grands projets, par un point de vue d'"urbaniste logisticien" bien que ces grands projets concernent évidemment autant les campagnes que les villes.

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Les grands projets que nous évoquons sont destinés à produire une évolution volontaire de nos modes de vie. La légitimité de ces projets ne peut reposer que directement sur "nous", chacun de "nous", pas sur des savants, des experts, de prétendues élites. En priorité avant de rechercher les compétences pour les réalisations, il faut obtenir la reconnaissance, par toute la population concernée, de la légitimité de ces projets.

Dans notre monde actuel déjà en bascule du seul fait de sa clôture, face aux menaces planétaires d'effondrement des sociétés humaines dans les 20 ans, la légitimité de prises de décisions sur le long terme par nos dirigeants et nos représentants élus est nulle : ils n'ont pas été choisis pour cela. Seule la réalité brutale de "nouvelles" contraintes pourrait leur donner une assise de légitimité de fait au sens patriarcal du terme - donc trop tard et sans doute pour le pire car alors même nos plus brillants élus "démocrates", sommés d'agir au-delà de leurs mandats, auront recours à un "chef naturel", en répétition de réflexes historiques.

C'est pourquoi l'invention d'une forme adaptée de démocratie "directe" aux plus hauts niveaux du pouvoir est indispensable aux prises de décisions sur le long terme et sur les grands projets qui en sont les produits.

Maintenant.

De l'obsolescence fatale de nos régimes démocratiques

Il s'agit de régimes politiques conçus d'après les idées de notables à perruques du 18ème siècle : écriture à la plume d'oie, transports à traction chevaline, populations illettrées à 80 %, etc.

Il est inutile de discuter de l'authenticité "démocratique" des institutions dites représentatives ou de tenter de les refonder, elles ne sont ni démocratiques (au sens premier du pouvoir exercé directement par le peuple sur son propre destin) ni représentatives (de quoi ou de qui, et surtout pour quoi faire ?). En revanche, ces institutions regorgent de personnes expérimentées dans la direction des affaires publiques, qu'il serait dommage d'abandonner toutes à leur état d'élites gaspillées dans des tâches de gestion déclamatoire ou des exercices de restriction mentale.

Relevons quelques expressions courantes en politique : "faire en sorte que...", "d'abord regarder le monde tel qu'il est...", "conserver la démocratie...", "fonder la légitimité démocratique...", "gouverner nos institutions...", "gouverner le peuple...", "gérer l'efficacité du pouvoir...", "réfléchir aux solutions...", "trouver des réponses aux défis...", "tous ensemble...", "protéger les manifestations légitimes...", "soumettre le projet au conseil constitutionnel...", "à la tête de la plus grande démocratie du monde,...", "la loi Trucmuche fut une révolution dans son domaine...", "augmentons la dose de démocratie participative".

Jamais, dans un vrai régime démocratique de peuple souverain, personne n'aurait l'idée d'employer de telles formules !

Ces expressions traduisent l'ignorance crasse des fondamentaux d'origine de "la" démocratie, malheureusement commune à trop de politiciens, de commentateurs, de penseurs, d'animateurs des médias. Elles résonneraient à l'identique dans tout contexte de pouvoir à prétention absolue, dans un univers mécanique où il existerait toujours une solution à tout problème dans le sens du Progrès, qu'une population subjuguée ne pourrait qu'accepter, d'autant plus joyeusement qu'elle y serait invitée par la vertu magique du "tous ensemble..." ou conduite par la magie d'un dirigeant providentiel.

L'accentuation récente de cette dérive est-elle seulement le résultat d'une contamination de la pensée politique par le langage des affaires et des compétitions sportives, ou un début de réaction grotesque à la Grande Peur du siècle ?

Tout se passe comme si l'énormité des menaces écologiques planétaires justifiait la combinaison d'une paralysie socio économique et d'une hystérie mentale dans laquelle nous restons piégés, faute de capacité à créer de grands projets libérateurs.

A chaque votation dans nos pays pseudo démocratiques, les panneaux d'affichage des prospectus électoraux sont accolés en formation de danse macabre, témoignages poignants des aspirations de nos sociétés à la petite semaine. Serait-ce la manifestation d'un inconscient collectif en faveur d'une Grande Peste ?

Au seul motif esthétique, "le système" mériterait un renouvellement en profondeur. De plus, à l'époque d'Internet et des communications à distance à disposition d'une population éduquée, son obsolescence fonctionnelle est devenue scandaleuse.

De la démocratie directe pour les grandes décisions difficiles

Les plus importantes spécificités d'une démocratie "directe" adaptée à notre époque, en contraste aux représentations artificielles courantes, seraient à peu près les suivantes, pour ce qui concerne les grandes décisions sur le long terme :

- la sélection pour une durée limitée des personnes participantes aux assemblées citoyennes par tirage au sort parmi les "citoyens responsables et vaccinés, avec une expérience de la vie" (plutôt que des élections sur la base de débats conflictuels à partir de théories historiques et de l'exploitation des actualités)

- la reconnaissance de la nécessité d'une (courte) formation préalable des personnes sélectionnées en vue d'assurer la pertinence de leur participation en assemblée (plutôt que le passage par des voies universitaires puis l'adoubement par un parti)

- la recherche de la légitimité des décisions (plutôt que la répétition des axiomes de la légitimité de "nos" institutions, de la légitimité de "nos" représentants par la magie du processus électoral, de la légitimité des lois après un vote majoritaire, etc)

- la prise en compte systématique des possibilités d'erreur de décision ou des mauvaises exécutions (plutôt que l'axiome de la Loi que nul ne doit ignorer y compris les détails incompréhensibles des spécialistes)

- la recherche de la contribution de chaque personne participante, en fonction de ses propres compétences personnelles et expériences de la vie, à l'élaboration des décisions (plutôt que les affrontements oratoires sur des bases doctrinales ou partisanes)

- l'encadrement du processus des contributions et d'élaboration des décisions, à la fois dirigiste, universaliste et soucieux des personnes - voir nos propositions de conduite tripartite - (plutôt qu'une présidence théâtrale ou purement régulatrice)

- la recherche du développement des compétences personnelles des contributeurs au cours du processus de décision en assemblée (plutôt que des "carrières politiques")

- l'audition d"experts" en vue d'obtenir les éclairages divers sur des questions précises (plutôt que l'aménagement de multiiples ouvertures aux influences des lobbies et les interventions spectaculaires en commissions parlementaires)

- la concentration sur les grandes orientations, sur la définition et le contrôle de réalisation de grands projets sur 5-10 ans au moins à l'échelle régionale (plutôt que les batailles entre gestionnaires ministériels ou les projets de loi en réponse à des problèmes d'actualité)

- le respect de la répartition des tâches et responsabilités entre les assemblées démocratiques et les institutions et organes chargés de projets ou d'activités gestionnaires, dont les dirigeants pourront être choisis ou élus sur la base de leurs compétences prouvées (plutôt que les nominations par copinage).

Dit autrement, cette démocratie "directe" permettra de créer ou recréer notre pouvoir collectif de décision sur l'avenir par l'invention des grands projets d'adaptation de nos sociétés matérielles et de nos modes de vie, à diverses déclinaisons territoriales - un niveau de coordination mondiale serait évidemment souhaitable, mais il serait naîf d'attendre sa création.

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Du fait qu'elle comble un vide, une telle version moderne de démocratie directe est compatible avec le maintien d'institutions "démocratiques" classiques (au sens le plus large). D'ailleurs, avec un minimum de sens politique, un roi ou un président - roi saura y reconnaître une source de vrai pouvoir et saura y chercher la légitimité de ses propres décisions "au nom du peuple", avec en prime son propre affranchissement d'éventuelles dettes partisanes personnelles.

En effet, on ne devrait jamais envisager une instance de démocratie directe comme organe de gestion ni comme instance de soutien au gouvernement des affaires courantes.

La gestion, c'est une spécialité de gestionnaire, ce n'est pas la vocation d'une assemblée citoyenne. C'est manifester le mépris de sa propre administration et une pauvre conception du peuple souverain que d'inviter une assemblée citoyenne à décider d'une taxe, de son périmètre, de son niveau, de la justification de ses critères d'exemption. Les questions d'actualité sont du ressort d'un gouvernement, pas d'une assemblée citoyenne. Une opération militaire est du ressort d'un chef des armées, pas d'une assemblée citoyenne.

Ne pas confondre non plus "assemblée citoyenne" avec "panel représentatif du peuple", pour en faire, par exemple une nième instance de débat sur des questions d'éthique, même sur des questions d'une actualité censément brûlantes pour tout un peuple - trop souvent des impasses artificiellement montées en épingle. Répétons : la vocation de l'assemblée citoyenne, ce sont les décisions sur notre avenir de vie à 10-15 ans.

En revanche, tout grand projet d'intérêt général doit être défini et se dérouler en association étroite avec une assemblée citoyenne ad hoc, sous la direction d'une vraie maîtrise d'ouvrage professionnelle, libre d'obligation partisane.

Une méthode de définition de tels projets d'intérêt général a été proposée dans des billets antérieurs, la caractéristique de ces projets étant l'ouverture de degrés de liberté sous les nouvelles contraintes de notre époque de transition.

Une difficulté préalable à la fondation de toute démocratie "directe", au sens propre fondamentale, est la définition de ce qu'on entend par "citoyen responsable avec une expérience de la vie". En effet, la capacité contributive à une assemblée s'évalue par des critères plus stricts que ceux de la seule citoyenneté d'un pays. En premier, chaque citoyen contributeur doit pouvoir exercer sa capacité à écouter les autres, les comprendre, afin d'en tirer des leçons pour soi-même. La contribution dans une assemblée citoyenne requiert donc forcément une capacité de remise en cause personnelle, possiblement ponctuellement jusque dans ses convictions profondes, mais en retour avec la possibilité de découvertes personnelles considérables - ce qui doit être la normalité. S'il faut des semaines pour constater qu'une personne est inadaptée, par exemple parce qu'elle se limite à "représenter" une présomption de supériorité (ou l'inverse), une doctrine de vérité absolue, un courant partisan, un intérêt catégoriel ou particulier, tout le monde aura perdu.

Nous renvoyons aux autres billets de ce blog traitant de l'étiquette relationnelle et de la conduite des assemblées.

samedi 12 janvier 2019

Du pourquoi au comment

Face aux évidences des catastrophes à venir dans le monde des humains, les questions « pourquoi ce monde ne peut pas continuer comme cela » et « que serait un monde meilleur » ayant été abondamment traitées par ailleurs en dehors de ce blog, ce billet se consacre à la question du « comment faire maintenant » à partir des bases suivantes :

  • on ne changera pas nos comportements humains profonds, façonnés au cours des millénaires
  • ce monde-ci est sans avenir pour nos civilisations industrielles humaines en l’état, dans le resserrement physique de la planète en tant qu’habitat vivable, mais nous ne renoncerons jamais dans l’instant au confort de ces civilisations (le mot important ici, c’est : jamais !)
  • compte tenu des deux points précédents, il est très peu probable que l’introduction d’innovations technologiques, même prétendument de rupture, puisse apporter un élément de solution, encore moins La Solution, tout au plus un répit ou son impression

Autrement dit : comment faire pour nous remettre en état d’inventer plusieurs avenirs dans la continuité de nos civilisations humaines industrielles, pour nous tels que nous sommes en héritage de nos ancêtres ?

Par avance, l’auteur réclame l’indulgence pour son manque de hauteur de vue dans la définition du problème et dans le niveau des solutions proposées par la suite. Ces temps-ci, le manque de hauteur est partagé par une masse grandissante de gens simples, vraiment lassés des émotions obligatoires et des leçons pompeuses. La morale des chiffres ne suffit plus à calmer l’angoisse du vide.

Ce billet est par ailleurs certainement représentatif de l’état d’exaspération du citoyen contribuable d’une mégalopole européenne, en conséquence de sa soumission au voile d’ignorance des élus et des porteurs de la pensée, face au constat quotidien de sa propre inadaptation. Pour l’habitant d’une mégalopole, la réalité vécue de la croissance, c’est celle des absurdités.

Trancher le nœud gordien ? Développer l’innovation du siècle ? A d’autres !

Recherche des potentialités à taille humaine

Entre les descriptions des possibles prochaines évolutions de nos sociétés humaines décrites par des graphiques d’indices socio économiques et les simulations des changements planétaires régis par des paramètres physiques, c’est le vide. Il existait autrefois, à la place de ce vide, quelques utopies d’architectes urbanistes et quelques chapitres d’études prospectives consacrés à quelques aspects de la vie quotidienne. A présent : champ libre aux charlatans de toutes sortes sur les prochaines décennies.

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Prenons ce vide-là comme l’aveu d’une évidence criante : celle de l’écroulement de nos civilisations modernes, avec lenteur pour l’instant, mais déjà sans majesté. Cette évidence est d’une totale banalité, si on considère le nombre des civilisations brillantes du passé qui se sont écroulées sur place après avoir largement dépassé leur niveau supportable d’impertinence, à la fois au monde et à l’être humain. Si notre monde contemporain est condamné à brève échéance comme il va, ce n’est pas faute d’intelligence ni par défaut de bonnes intentions, ni par absence de moyens…. Ni par manque d’agitation : la trépidation sur place fait partie du scénario catastrophique ! Aucune pseudo révolution ne permettra d’y échapper. Pas plus qu’autrefois l’édification de monuments d’éternité pour quelques élites.

Cette massification de nos civilisations ne peut être assimilée à une « augmentation de complexité » qui serait spécifique à notre monde moderne, et qui autoriserait la croyance en une possible maîtrise de ladite complexité par une super intelligence informatique ou par une meilleure sélection des meilleurs aux postes de pouvoir… Dans la mesure de notre humanité présente et face aux menaces de notre époque, cette « complexité » doit s’appeler « lourdeur». Les témoignages bruts, puants, écrasants de la démesure artificielle de nos civilisations industrielles abondent en regard de leurs environnements et de leurs populations.

Dans ces conditions, dans l’impossibilité évidente d’affronter l’immensité du vide d’avenir à l’échelle de nos civilisations, il nous reste à tenter de l’apprivoiser en l’assimilant à un assemblage de petits vides à échelle humaine, que nous trouverons moyen d’exploiter comme des potentialités.

Justement, nous allons découvrir une telle décomposition dans les spécificités modernes de l’alourdissement de nos civilisations industrielles.

L’introduction d’innovations technologiques successives à destination des masses (l’automobile, le courant électrique, le téléphone, la radio, la télévision, l’informatique…) s’est réalisée de fait par superpositions successives en imposant les règles, infrastructures et conditions nécessaires à leurs fonctionnements respectifs. Nos campagnes, nos villes, nos vies en ont été transformées sans prise de recul sur ce processus, alors que cette succession de superpositions a provoqué un recouvrement – progressivement et parfois jusqu’au blocage - de possibilités de décision sur nos choix de société, la contraction de biens et de services communs, en même temps qu’elle a produit des sentiments de liberté dans nos vies, tout en les soumettant à des offres de bien être massivement consenties sans réflexion.

De plus, la succession - révolution industrielle puis révolution numérique - sur deux ou trois générations, s’est déroulée trop rapidement pour être digérée par nos capacités humaines d’adaptation mentale en société. Le discours ambiant nous répète que nous sommes à l’époque du changement, de la flexibilité, de la souplesse. La réalité est plutôt la submersion de nos esprits par un Grand Rêve obligatoire et par l’émotion collective – un genre de saut dans le vide, ou dit autrement en termes plus sympathiques, une forme de déficience collective partiellement contrôlée, à reconnaître pour sa contribution à l’entretien des lourdeurs spécifiques de notre monde contemporain, aussi pour ses potentialités latentes.

Un examen méthodique des récentes successions d’innovations permettra de les considérer comme des projets non terminés ou dévoyés, imparfaitement réalisés ou incompris. On pourra en déduire des solutions partielles à la fois réalistes et radicales pour débloquer nos sociétés en vue de leur allègement. Une méthode d’examen méthodique de rétro conception existe déjà ou presque, en adoptant un point de vue d’urbaniste logisticien. Ce point est repris en conclusion du présent billet et sera développé dans un prochain billet.

Cependant, toute solution technique, surtout la mieux ancrée dans la rationalité, sera rejetée tant que nous resterons prisonniers des entraves mentales que nous avons en partie nous-mêmes créées pour surmonter les effets de la superposition de la révolution numérique à la révolution industrielle, en réaction rapide mais peu réfléchie au dépassement de nos facultés naturelles d’adaptation.

Décrassage avant départ

C’est évidemment pour les assumer que nous devons reconnaître nos entraves mentales d’apparition récente (ou de renforcement récent). En effet, même après une prise de conscience de ces entraves, nous ne pourrons pas nous en libérer facilement, sachant qu’il est vain d’espérer modifier les ornières mentales héritées de nos ancêtres des ères passées. A minima, comme il s’agit d’entraves neuves, nous pouvons les détendre un peu, juste ce qu’il faut pour dégager un espace indispensable au mouvement.

Faisons les présentations en 5 paragraphes schématiques.

1/ L’assimilation entre révolution industrielle et progrès

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La machine et son automate de régulation remplacent progressivement la force physique animale (parfois humaine) et la direction humaine de cette force. C’est la rupture d’un équilibre multimillénaire entre les humains et le règne animal et le règne végétal – un équilibre établi péniblement au cours des âges sur la base d’un apprentissage, d’une domestication réciproque, d’évolutions conjointes, de compétences cultivées diversement selon les environnements et les expériences. De nos jours, c’est plus qu’une rupture d’équilibre, c’est une perte sèche de compétences. Quelques expressions de regrets commencent tout juste à poindre.

Malgré un début de prise de conscience des risques de destructions irrécupérables, le Progrès sert toujours à justifier l’usage illimité de la force des machines. Par exemple, on lance encore, dans les communes pavillonnaires autour de nos grandes agglomérations, de grands travaux d’aménagement urbain en réalisation de projets des années 70-90 à peine actualisés. Ces chantiers monstrueux se terminent typiquement par la « création » d’espaces verts, ou par la « création » d’une « réserve naturelle » pour quelques espèces protégées ou réintroduites, ailleurs et loin, en compensation théorique de la disparition préalable d’une flore et d’une faune locales résiduelles. Les mesures d’accompagnement de ces brutalités manifestent le niveau piteux de notre générosité collective humaine face à la « Nature sauvage » mise en esclavage - et nous avec, évidemment.

2/ Notre dépendance individuelle à notre dose quotidienne de submersion mentale

Le dévoiement de la révolution numérique par les marchands et les apprentis sorciers a produit un instrument de manipulation mentale jusqu’au risque de quasi-démence temporaire de l’individu par le cumul d’effets de saturation faussement libérateurs – dans divers états aisément manipulables pour le meilleur comme le pire.

Alors que notre humaine animalité faisait notre être pensant, notamment par sa capacité sociale à cultiver ses rêves pour pouvoir les réaliser, et par sa capacité à « stocker » provisoirement ses rêves (on peut interpréter ainsi les croyances, les théories, les « idées », etc.), cette révolution numérique dévoyée se superpose à la révolution industrielle - qui déjà à elle seule suffisait à mettre en danger l’habitabilité de notre planète - en étouffant une partie fondatrice de notre nature pensante.

L’introduction massive d’objets informatiques connectés dans nos vies quotidiennes complète et encadre cette dépendance.

3/ La fascination devant la magie des institutions

Nos institutions pseudo démocratiques sont des produits de l’Histoire pas seulement récente, celle du fond des âges. Ces institutions ont à peine évolué en traversant la révolution industrielle, pas du tout en traversant la révolution numérique, alors que cette dernière offre des perspectives d’évolution vers des institutions authentiquement démocratiques.

Pour le moment, les traits d’autorité patriarcale demeurent centraux dans nos institutions, sous diverses formes selon les pays. Les pratiques magiques ne font pas qu’envelopper les rites d’apparat républicain, elles sont le quotidien des institutions, malgré l’assimilation « moderne » de la puissance publique à une direction d’entreprise, et du fait de cette assimilation trompeuse, d’autant plus sous une forme inconsciente, décalée.

La quotidienneté des pratiques magiques jusque dans les plus hautes sphères de nos sociétés, une exagération ? Il suffit d’observer « les actualités ». Pour nos dirigeants, la résolution d’un problème ou d’une crise, se traduit par la recherche de la bonne combinaison de boutons magiques sur leur tableau de commandes, afin qu’aussitôt en retour un algorithme leur présente des prévisions rassurantes des indicateurs habituels. C’est un jeu de déplacement de potentiels (des masses monétaires par exemple) pour une modification marginale des répartitions entre diverses catégories d’acteurs économiques ou politiques. Certains dirigeants osent qualifier leur jeu de « réforme ».

Mots d’autorité, formules d’invocation, discours de manipulation, c’est l’art moderne de la « communication », une composante de tout « management » moderne, une magie scolaire presse-bouton, qui devrait être réservée à des représentations théâtrales devant des populations étrangères.

Dans le discours politique moderne, les grands mots disent le pouvoir, mais les chiffres disent la fausseté, et les pourcentages la division, l’excuse, la tromperie. Trop de ministres gestionnaires ne savent plus dire le sens de l’Etat, alors ils font des discours explicatifs aux citoyens dans les mêmes termes que des dirigeants d’entreprise à leurs employés. Le résultat en est que l’incompétence personnelle du gestionnaire ressort des critères ordinaires de jugement, et que le citoyen, qui n’est ni un employé ni un client, ressent le mépris et perçoit la trahison. L’émergence de partis extrémistes et de personnalités politiques délirantes est un réflexe vital des peuples. Il existe pourtant d’autres possibilités de régénérer des institutions démocratiques croulantes, certainement pas dans la déshérence des anciennes magies.

GG.jpg Un événement récent a violemment fait ressortir, par effet de contraste, la banalité sommitale des pratiques magiques actuelles : le centenaire de la Grande Guerre 1914-1918. C’était une occasion unique de fonder le projet du prochain siècle pour un avenir planétaire, de revitaliser certaines organisations ou institutions internationales existantes, et de mener une offensive radicale d’élimination des pirates, parasites et mauvais joueurs – dont quelques états moralisateurs - qui exploitent à leur profit les zones grises et la diversité des législations. Il y avait dix mille manières de le faire à la hauteur de l’héritage de la Grande Guerre, après avoir recueilli cet héritage pour lui donner une signification pour nous maintenant dans ce monde-ci qui a tellement changé. Au lieu de cela, nos puissants dirigeants ont multiplié les cérémonies mémorielles et les discours d’émotion convenue jusqu’aux formes les plus ennuyeuses de contrition rétrospective. Et parmi les pauvres « idées » qui en ont finalement surgi pour l’avenir, il y eut celle que notre monde irait mieux si les vainqueurs de 14-18 faisaient des excuses aux vaincus ou, au moins, acceptaient de partager avec ces ex vaincus quelques avantages honorifiques acquis à la suite d’un autre conflit avec les mêmes… Quelqu’un avait appuyé sur un vieux bouton usagé que l’on croyait coincé à force d’avoir été enfoncé autrefois.

Mourante est la magie par laquelle se tiennent encore nos institutions étatiques dans la solennité de leur autodestruction. Le glacis dépenaillé de nos rêves inconsistants s’effiloche au-dessus de sinistres décharges de conserves périmées.

C’est donc bien naturel qu’elle nous émeuve, cette magie en danger.

4/ L’enthousiasme obligatoire pour des mirages technologiques

Les anticipations médiatisées à base de nouvelles technologies révolutionnaires et les découvertes scientifiques probables dans les 10 ans sont les avatars des prophéties religieuses et des antiques spéculations cosmologiques – à présent inspirées par nos divinités contemporaines.

Une grande voie balisée pour se construire une réputation, y compris dans les domaines dits scientifiques, demeure celle des grands prêtres des temps anciens. Elle passe par une association rigoureuse entre la gestion de la trésorerie alimentée par les subsides et l’ajustement de la dose de charlatanisme dans la communication.

L’un des piliers de la religion commune de la modernité est la croyance en l’infini potentiel de l’informatique, notamment par sa flexibilité d’adaptation, au prétexte qu’il s’agirait de logiciel au lieu de matériel. Cette croyance devrait pourtant s’évanouir au seul constat que le logiciel se fabrique aussi avec de la sueur humaine et qu’il est contenu dans du matériel. La conséquence logique en serait alors que les objets informatiques cumulent les défauts de pérennité du matériel et les imperfections de nos facultés mentales, d’autant plus que la fabrique du logiciel est soumise aux mouvements d’évolution des systèmes et plates formes de développement, eux-mêmes composés de matériels et de logiciels. Et que dire alors des objets informatiques en réseaux, qui doivent être conçus en cohérence entre eux (a minima leurs interfaces), et conserver cette cohérence malgré les évolutions des autres logiciels et matériels ! En réalité, en particulier pour ce qui concerne les « objets intelligents en réseau », la bonne analogie serait celle d’une industrie lourde à cycle de vie plutôt court, sachant que, sauf pour les matériels, on ne peut réparer un défaut par simple remplacement de pièce défectueuse… Bref, l'informatique n'est jamais La Solution, simplement une technique parmi d'autres; la sagesse recommanderait que l’informatique soit employée seulement sur des fonctions où ses avantages sont évidents en complémentarité de l’humain, et avec une extrême précaution lorsqu'il s'agit de fonction vitale pour la société.

5/ La dissolution de notre être fragile dans un idéal machinal

"T'en fais pas, je gère". Elle ou il replace son casque sur ses oreilles et reprend sa marche précipitée sur le fil directionnel de son smartphone. Après un échange de paroles programmées en fonction du mode choisi par chacun, on se quitte en reprenant le cours de son propre logiciel. Cela fait longtemps que je ne m'en fais plus sur ton « t’en fais pas ». D’ailleurs, je soupçonne que tu n’as jamais su l'écrire sans faute d’orthographe et que demain, à la place de « je gère », tu m’exhiberas un idéogramme du genre qui fait bien sentir le fossé entre les générations. Aucune importance : entre dinosaures, pourquoi s’en faire puisqu’on saura toujours comment faire, bien mieux et bien plus facilement qu’hier ?

Car, après des siècles obscurs, c’est à présent la Raison qui nous conduit scientifiquement. Nos droits et nos lois, nos façons de vivre en sont l’émanation évidente en démocratie apaisée. Dans notre course au Progrès, ces droits, ces lois, ces façons de vivre sont en continuelle évolution - c’est pour cela qu’il faut des poètes et des contestataires, et c’est pour cela que nous cultivons notre réceptivité collective à l’émotion, car toute émotion reconnue comme émotion légitime par la Raison donne naissance à une nouvelle loi.

Dans les organes institutionnels de décision, le dogme de l'infaillibilité « scientifique » sert à fortifier les légitimités vacillantes sous un masque de sérénité dans l’exercice de l’autorité. Après la publication d’un train de décisions, après un délai variable selon le domaine et les conditions, un autre dogme s’impose face aux remontées du « terrain », celui de l’obsolescence criante : pas le temps de reconnaître qu'on s'est trompé (un peu, beaucoup…, mais on sait la faute à qui), pas le temps de réfléchir pourquoi, pas le temps d’amender les imperfections (lesquelles ?) en douceur, et d’ailleurs ce serait trop « complexe », alors on publie d’abord quelques modifications marginales pour manifester la volonté de changer dans le sens du Progrès et des derniers sondages d’opinion, tandis que l’on commande un rapport à des experts en les abreuvant des idées qui résonnent dans les couloirs, et suite à la remise du rapport que personne n’a pris le temps de lire au-delà du résumé, on lance un autre train de décisions scientifiquement justifiées. Automatiquement, la Machine institutionnelle réalise ainsi la destruction progressive de tout ce qui est sans défense, sans statut, sans personnalité légale, par doses d’écrasement, au nom de sa propre Droiture universelle. La Machine institutionnelle du Progrès imprime, massicote, entasse et comprime. Elle a une imagination folle pour s’améliorer depuis qu’elle a découvert Internet - bientôt le smartphone !

Constatons que nos entraves mentales se renforcent mutuellement pour former un ensemble auto bloquant. Mais chacune est suffisamment neuve pour conserver une élasticité propre. Nous renvoyons aux nombreux billets de ce blog qui proposent des exploitations de cette élasticité au mieux de cette propriété temporaire.

Comment passer de la culture de l’émotion à la culture du déplacement

Voyons à présent « comment faire maintenant ».

Il nous faut un saut culturel, tout le monde le dit.

Et surtout, du concret, c’est urgent.

Un grand saut dans le vide, pour de vrai ? Cela semble difficile à organiser, les références historiques sont particulièrement désastreuses… Alors, laissons de côté les consolations de la poésie, les subtilités des philosophies, les vaticinations sur le futur, les explorations du psychisme humain et de ses processus de sublimation, et surtout les promesses de révolution pour de bon. Ce sont de vieux trucs de notre humanité millénaire, des jouets enfantins, à considérer pour ce qu’ils sont – certainement pas pour les jeter, on y revient toujours. Mais ils ne nous ouvrent aucun espace de liberté mentale, ils sont au contraire faits pour voiler la « vraie » nature (surtout la nôtre) que par construction de nous-mêmes nous ne pouvons ni percevoir ni comprendre, en aimable singerie du processus de naissance de nos idées en couverture du vide.

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Une « transition écologique » ? Il faudrait d’abord produire un programme cohérent, au-delà des réactions émotives. Où voyez-vous poindre une idée de projet concret d’une telle transition globale vers autre chose qu’un rafistolage à grand renfort de « nouvelles technologies » ? Cela vous rassure que nos premiers de cordée promoteurs de l’écologie dans nos institutions ou dans nos start-ups consultent régulièrement les actualités du jour et les cours de Bourse sur leur smartphone, exactement comme faisaient tous les profiteurs des bulles financières avant les crises ? Cela vous satisfait d’écouter ou de regarder des reportages sur l’émergence de nouvelles sources d’énergie « verte », prétendument réalisées par des installations industrielles dont la fabrication génère une pollution géante en consommant une énergie colossale, et dont le fonctionnement intermittent impose une surveillance à distance et une répartition fréquemment recalculée de la production par la mise en œuvre permanente de capteurs connectés, de réseaux informatiques, de logiciels spécifiques, complexes, vulnérables… ? Pouvez-vous concevoir par quelle logique, l’agriculture industrielle, la pêche industrielle, qui continuent de détruire les capacités planétaires de régénération naturelle jusqu’au fond des océans, vont demain pouvoir nourrir l’humanité, dont une partie souffre de malnutrition y compris dans des pays paisibles aux économies florissantes ? Comment supportez-vous la désespérance des derniers rapports d’étude sur l’évolution de l’environnement naturel, toujours soumis aux activités humaines productrices des déchets, émanations, dégradations encouragées par la promotion des formes les plus parasitaires de notre bien être ? Ce monument de ratage est une preuve supplémentaire que nos entraves mentales et nos systèmes institutionnels nous mènent à l’effondrement.

Il nous reste les ressources de notre culture innée d’être humain. Ce n’est pas rien. Si nous parvenons à en mobiliser une partie pour effet immédiat dans nos vies quotidiennes, nous pourrons assurer la cohérence de nos actions dans le monde réel sans préalable, à condition que nos machines institutionnelles ne serrent pas les freins.

Ce qui est proposé ici, c’est d’exploiter la « culture pratique du déplacement » commune à toute l’humanité depuis ses origines.

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Le développement de la culture du déplacement – la « logistique » selon son appellation technique moderne - remonte loin : organisation des déplacements en groupes de chasseurs cueilleurs entre les points de stationnement temporaires et leurs stockages, conception des villages, plus tard des villes avec leurs services communs d’acheminement ou de dégagement (voieries, canalisations, égouts…), adaptation de la répartition des tâches selon le contexte et l’environnement, approvisionnements et mouvements des armées, démultiplication et flexibilité des échanges par la monnaie et les instruments de mesure… Cette discipline logistique telle qu’elle fut pratiquée par nos ancêtres, dans diverses civilisations autour du globe, fournit l’un des fils conducteurs des enquêtes anthropologiques par des techniques de pointe, à la recherche des processus d’inventions et d’adaptations qui ont permis la construction progressive de grandes civilisations.

Dans notre monde contemporain, les technologies nouvelles trouvent souvent leur première application pratique en logistique, notamment dans le domaine des capteurs, des bases de données, de l’intelligence artificielle, des réseaux informatiques. Chacune de ces technologies nouvelles occupe une niche définie en fonction de son apport propre. Il n’est pas raisonnablement imaginable, compte tenu de l’imprévisibilité des aléas et des besoins, de confier à une super intelligence la direction d’ensemble. En effet, la pratique d’activités logistiques – pensons par exemple à la gestion quotidienne d’une cantine scolaire -, est soumise couramment à des aléas qui se combinent entre eux en situations inédites : accidents, pannes de matériels, coupures d’alimentations, absences de personnels, défauts d’approvisionnements, retards des financements, contextes épidémiques, changements des normes à respecter, etc. Il faut imaginer des réponses à l’imprévisible et faire contribuer des personnes compétentes.

En résumé, nous n’avons pas à développer une culture du déplacement puisqu’elle existe déjà en tant que discipline du monde réel, héritée du fond des âges, vivante, commune à toute l’humanité.

C’est pourquoi, une méthode d’urbaniste logisticien nous semble adaptée à l’examen critique de nos civilisations, au long de leurs canaux de circulations matérielles et immatérielles, après les superpositions subies des voieries, canalisations, stockages, sources d’énergie, etc. imposées par l’installation des moyens nécessaires à la diffusion massive des révolutions industrielles et numériques. En observant les circulations physiques et informatiques dans leur intégralité (y compris pour maintenance et entretien courant), cet examen révèle les inadaptations, congestions, blocages, gaspillages, d’abord en termes physiques et en termes de dépenses énergétiques, ensuite en termes de robustesse et de flexibilité dans l’obtention d’un résultat à l’heure et à l’endroit prévus – et tout cela pas seulement dans un objectif de « qualité du service au client » mais d’une amélioration continue de chaque élément d’une solidarité logistique. Clairement, le fil directeur d’un tel examen critique n’est pas le respect des « valeurs » morales et juridiques, encore moins l’intérêt de court terme d’un agent économique particulier ou d’une institution. En vue de réaliser des aménagements, on doit pouvoir considérer les lois et le droit comme des contraintes aménageables – dans une mesure raisonnable, car de même qu’on ne refait pas la société d’un coup de baguette magique, on doit cependant pouvoir envisager l’adaptation de quelques textes de référence, en leur évitant l’incohérence, l’inintelligibilité, la laideur….

Nous donnons dans un prochain billet un éclairage sur l’application d’une telle méthode dans un but d’aménagement de la mobilité individuelle, autrement dit le « problème de l’automobile ». C’est bien un problème de déplacement, non ?

dimanche 10 juin 2018

Parlez-moi de mon âme

L’Histoire de l’Humanité sur Terre s’achève. C’est une Histoire de l’Humanité tout court qui prend la suite, puisque cette Histoire là, toujours écrite par des humains, sera aussi celle de la planète Terre.

Il semble que beaucoup de gens ne saisissent pas encore ce que cela peut signifier, ni pourquoi l’Humanité dans son ensemble se trouverait devant le choix urgent d’assumer sa responsabilité planétaire ou d’abandonner chacun de nous aux jeux terriblement sérieux de ses activités et de ses rêves à l’intérieur de sociétés infantiles. Surtout, on se demande comment ce choix pourrait se faire, alors que « l’Humanité dans son ensemble » n’a pas d’adresse, malgré l’existence de réseaux planétaires de télécommunication, malgré quelques proclamations solennelles à prétention universelle.

Il y eut pourtant dans l’Histoire quelques décisions à vocation planétaire prises au nom de l’Humanité dans son ensemble. Comme la vocation planétaire de telles décisions historiques n’apparaît que rétrospectivement compte tenu de notre découverte tardive du monde physique et comme l’Humanité en tant qu’espèce n’a été reconnue qu’encore plus tardivement dans toutes ses variantes, rien n’empêche de rechercher des exemples dans un passé relativement lointain, d’autant plus que l’évidence de la pesanteur des convictions et des croyances communes de l’époque pourra nous amener à considérer certaines de nos convictions et croyances contemporaines comme les reprises directes ou modernisées des anciennes – découverte certainement utile en préalable à une prise de décision éclairée concernant notre avenir à tous.

La Controverse de Valladolid en 1550 opposa les thèses pour et contre la reconnaissance de l'humanité des indigènes du Nouveau Monde, non seulement l'âme mais un ensemble de droits naturels, les mêmes que ceux des Européens. Elle se conclut par la victoire du oui.

Au 16ème siècle, les états indigènes des Indes océanes, plus tard renommées Amériques, furent vaincus par les conquérants aventuriers venus d’Europe et leurs populations décimées furent soumises sans doute encore plus brutalement que ne le permettaient les lois bibliques de la guerre. A l’époque, on pensait qu’une telle victoire des conquérants sur les indigènes impies n’avait pu être acquise que par volonté divine. Rétrospectivement, on sait que certains conquérants en mauvaise posture avaient employé diverses formes d’armes bactériologiques dont ils connaissaient les effets mais pas le mécanisme, qui ne fut reconnu que beaucoup plus tard comme potentiellement décisif dans les guerres entre populations d’êtres diversement immunisés (la Guerre des Mondes H.G.Wells 1898). Bref, il était osé à l’époque d’affirmer, pour un européen confronté à l’étrangeté des civilisations du Nouveau Monde, que les indigènes possédaient naturellement une âme de pleine qualité humaine, qu’ils devaient donc être traités humainement, pas comme des bêtes, pas comme des esclaves et qu’ils avaient droit à leurs terres à cultiver pour eux-mêmes et que les colons devaient rémunérer le travail de leurs employés indigènes comme ils l’auraient fait en Europe pour n’importe quels serviteurs ou journaliers. Bartolomé de Las Casas osa le dire, l’écrire abondamment, et l’argumenter face à des contradicteurs de renom. Il était l’un des compagnons de la deuxième expédition de Christophe Colomb vers le nouveau continent et fut le premier prêtre ordonné sur place.

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Le scénario du film « La Controverse de Valladolid » compacte la substance de la controverse épistolaire historique et d'autres controverses antérieures dans un affrontement théâtral imaginaire centrè sur la reconnaissance de l'âme des indigènes d'Amérique. Les confrontations sont parfois très animées entre les avocats des thèses opposées afin de convaincre le légat du pape. Les témoins défilent en soutien de l’une ou l’autre thèse, quelques expérimentations croustillantes sont tentées sur des indigènes d'Amérique transportés sur place. A minima, on peut apprécier ce spectacle comme un genre de reconstitution historique, et trouver que certains arguments nous semblent vraiment poussiéreux à présent.

En réalité, cette grande Controverse de 1550 est telle quelle d’une actualité brûlante, mais ce n’est pas apparent tout de suite.

Comme les « indigènes » ont partout été assimilés par la civilisation « moderne », pas seulement les Indiens de toutes les Amériques, mais aussi beaucoup d’autres peuples sans épitaphe, la question d'une reconnaissance de la pleine humanité des indigènes peut sembler périmée, au sens où, quelle que soit la réponse qui fut apportée ou que l’on y apporterait encore à présent, elle n’a eu, elle n’aurait aucun impact économique. Ce sont les colons audacieux, les affairistes et leurs suiveurs qui ont tout gagné. D’ailleurs, dans le film, les arguments exprimés par les colons du Nouveau Monde sont ceux qui nous semblent les plus directs, les plus concrets et porteurs de projets. Ces arguments, on les retrouve exprimés dans les mêmes termes par nos actuels exploitants d’usines d’élevages monstrueux, par nos actuels industriels de l’agriculture hyper intensive, par les plus agressifs des dirigeants d’entreprises exemplaires. Ces arguments expriment les « valeurs » de l’entrepreneur, tellement enracinées dans nos civilisations modernes qu’ils sont implicites dans la plupart des exercices de prévision et se traduisent dans les droits locaux par des privilèges qui ne sont jamais mis en question.

Pourtant, l’Histoire a tranché : cette affaire d’âme universelle en 1550 représentait bien un enjeu planétaire pour l’Humanité.

Tout docteur en explication rétrospective nous dira qu’il était très important que l’Église catholique de l’époque reconnaisse une âme de plein droit aux indigènes d’Amérique, car cette reconnaissance permettait d’étendre aux Amériques tous les éléments de la civilisation européenne, au lieu de maintenir le Nouveau Monde comme une sorte d’appendice maudit. Cette reconnaissance était d’autant plus opportune pour l’Eglise catholique que la profondeur géographique européenne de son autorité se réduisait (en conséquence de la Réforme protestante). Par ailleurs, à la place d’esclaves locaux, les colons d’Amérique pouvaient utiliser la main d’oeuvre encore considérée comme animale, importée des côtes africaines.

Parmi les éléments de la civilisation européenne qui devenaient applicables aux Amériques après la Controverse, il y avait une règle de partage traditionnel des pouvoirs humains dans ce monde : à l’Eglise le soin des âmes et de la culture, au Roi le soin de l’ordre public et de l’extension du royaume, aux gens du peuple et en particulier aux colons entreprenants l’exploitation laborieuse des ressources matérielles et animales. Quelques siècles plus tard, plusieurs grands états, dont des républiques prétendument humanistes, ont exprimé cette structuration avec d’autres mots, tout en maintenant longtemps dans leurs terres lointaines des exploitations ouvertement esclavagistes – ce qui manifestait crûment le décalage de l’équilibre traditionnel en faveur des « entrepreneurs », au péril des âmes, tant que les empires disposaient d’une périphérie extensible. Au cours des derniers siècles et même peut-être depuis la création sociale au néolithique (donc dans toutes les populations actuelles), un principe de structuration simple des pouvoirs dans le monde des humains se serait-il maintenu, malgré les changements dans les croyances, malgré les variations dans la répartition pratique des pouvoirs, malgré l’apparition de prétendus nouveaux pouvoirs, malgré l’illusion unidimensionnelle économique moderne d’un pouvoir humain illimité sur l’univers ? Si ce principe existe en fondement de nos sociétés, n’est-il pas important, pour ce qu’on appelle parfois la cohésion sociale, de respecter ce principe et de savoir comment en adapter les structurations locales ?

Au-delà des banalités géopolitiques et en conscience de notre point de vue condescendant sur les croyances du passé, nous pouvons apercevoir en quoi la Controverse de Valladolid demeure d’actualité : cette Controverse anticipait (pour la première fois dans l’histoire ?) la reconnaissance d’une humanité commune et la responsabilité de cette humanité sur la gestion de sa planète. En d’autres termes, ce fut la première conférence humanitaire mondiale.

Quelles seraient les décisions à prendre par une Controverse de Valladolid actualisée ?

La Révolution Industrielle a domestiqué la puissance mécanique, permettant de remplacer les formes dégradantes d’exploitation de l’être humain par la mise en œuvre de machines. Ne pinaillons pas sur les imperfections de ce remplacement ni sur la signification précise à donner aux « formes dégradantes d’exploitation », car en quelques dizaines d’années, cette Révolution Industrielle entraîne de telles conséquences que nous sommes projetés dans une toute autre période de l’histoire humaine, celle du décalage croissant entre la population mondiale industrialisée et la capacité de la planète à en supporter les ravages, aussi celle d’une Révolution Numérique partiellement dévoyée en machinerie d’asservissement mental des personnes et d’aplatissement des cultures.

Pour une Controverse actualisée, n'essayons pas de généraliser telle ou telle de nos questions d’actualité, par nature insolubles du fait des grands écarts locaux entre les symboles, les déclarations et les pratiques, du fait aussi de l'entretien de la confusion entre leurs interprétations d'une civilisation à l'autre. Une Controverse de Valladolid actualisée devrait traiter globalement la question de la place de l’Humanité dans ce monde, la question d’une Humanité supportable dans ce monde, la question d’une communauté humaine responsable de ce monde.

Comment définir une Humanité commune supportable dans l’état de notre monde et de son évolution inéluctable ? (la déclaration universelle des droits de l’Homme resterait utopique même sur une planète capable de supporter éternellement une population illimitée)

Comment éradiquer l’actuelle imprégnation des esprits et des lois par des valeurs et des modèles de comportement contraires à l’intérêt général planétaire et par quoi remplacer cette imprégnation ? (suggestion : pour ce qui concerne nos esprits, par l’imposition d’une étiquette commune de comportement, adaptable localement)

Comment reprendre la délégation totalitaire de fait abandonnée aux « entrepreneurs », pour quel équilibre mondial entre quels pouvoirs, notamment dans la perspective d’une généralisation des risques de pénuries locales, empoisonnements massifs, épidémies, cataclysmes ? (les actions en justice contre les coupables seraient dérisoires, pour quelle justice quand tout le monde a contribué au massacre – ce sont les pouvoirs sur l’avenir de nos modes de vie qu’il faut en priorité définir et répartir au niveau mondial)

Comment créer la communauté humaine responsable de ce monde, qui serait l’âme de ce monde ? (sur les images de la Terre vue de l’espace, il manque quelque chose si c’est bien la Terre des humains… comme une adresse où se connecter pour lui parler…).

Pour rester dans le cadre d’une « Controverse » analogue à celle qui est proposée ici en référence, c’est probablement cette dernière question qui serait à poser en priorité, en l’exprimant simplement en termes modernes pseudo juridiques « Devons-nous reconnaître une personnalité à notre planète ? ».

Dans l’indifférence des immensités galactiques, osons inventer une âme commune.

La conclusion de cette Grande Controverse actualisée ouvrira la possibilité de placer une borne de l’Histoire humaine, et d’expliquer simplement comment on doit aller au-delà, certainement par différentes évolutions selon les zones géographiques et les civilisations. Ensuite rien ne pourra jamais être figé, ni le modèle de la borne, ni l'idée d’un au-delà (ou de plusieurs), ni les conditions pour que cette idée se réalise, parce qu'il y aura eu des erreurs au départ, parce qu'il y aura des échecs et des découvertes et qu'il faudra, à chaque fois, savoir réagir et s'adapter, en capitalisant les compétences durement acquises. Bienvenue dans un Nouveau Monde de la Révolution Numérique !

Pour un débat du niveau d’une Controverse de Valladolid, les participants devront eux-mêmes faire preuve d’âme, dépasser les paresses mentales qui les font « raisonner » comme des machines au prétexte d’urgences dérisoires, dépasser les préjugés réflexes qui leur servent à oublier leur humble nature, laisser leur smartphone de côté (à l’écart des questions toutes faites ainsi que des appels exigeant une réponse immédiate), ignorer les actualités financières et les pressions... Ces participants devront se débarrasser des bagages culturels de certitudes profondes et de prétentieux témoignages d’une humanité sans limite – ces héritages-là plombent notre intellect, comme autrefois les boulets reliés aux chaînes des bagnards, qu’il leur fallait prendre en mains pour se déplacer. C’est aussi pourquoi il serait imprudent d'attendre que nos plus grands intellectuels construisent un système de pensée adapté, établissent un recueil des citations pertinentes des « penseurs importants » qui l’auront anticipé, produisent une nième interprétation du péché originel dans les religions du Livre, au risque de se satisfaire de la délectation des comparaisons entre leurs exercices critiques respectifs. Certainement leurs productions seront précieuses, mais après la Controverse. En revanche, en l'absence d'une Controverse décisive, la continuation des activités absurdes de nos dirigeants gestionnaires, de nos grands affairistes et de nos conquérants aventuriers produira la résolution de l'antique question de la nature de l'âme par la brutale évidence de son artificialité en matière plastique, juste quelques années avant que se déroulent les ultimes épisodes de la grande compétition mondiale entre les derniers êtres vivants visibles sans microscope, probablement des scorpions du désert, pour quelques traces d'humidité.

lundi 26 mars 2018

De quelques automatismes dans nos processus de décisions collectives et de quelques possibilités de s’en affranchir

Ouverture tragique

Au cas peu probable où vous ne l’auriez pas remarqué, la plupart des propositions développées dans ce blog sont présentées avec une totale naïveté, comme si leur contenu découlait de la plus pure évidence. Un précédent billet s’en est expliqué. En particulier, ce billet-ci traite à sa manière du choix de nos finalités, de nos libertés et servitudes sans aucune référence au « Discours de la servitude volontaire » de La Boétie publié en 1576.

Voici en effet qu’une occasion se présente d’éclairer a posteriori nos propositions concernant la conduite des réunions de décision. Ces propositions sont rappelées en fin de billet.

L’occasion, c’est le livre « Conversations entre adultes » de Y. Varoufakis (publication en traduction française par LLL Les Liens qui Libèrent, 2017).

Les 500 pages du livre sont la relation de l'échec des négociations entre le gouvernement grec et les instances internationales créancières en 2014-2015, principalement dans le cadre de réunions entre décideurs de l’Eurogroupe (dont on trouvera la définition précise dans le livre). Plus précisément, il s'agit de l'échec des propositions successives du gouvernement grec pour se maintenir dans l'espace monétaire de l'euro tout en conservant des perspectives d'assainissement de son économie financière. Le résultat de cet échec est connu : la Grèce reste dans la zone monétaire de l'euro, mais son peuple est ruiné au sens le plus quotidien du terme.

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Dans l’actualité, le livre peut donc se lire comme un témoignage historique, un thriller ou un roman noir.

Pour la postérité, c’est un document de première main sur les automatismes fatals des réunions de grands décideurs.

En effet, le récit est celui d’un historien qui a pris ses distances, heureusement sans théoriser, sans rechercher un impossible détachement en regard du déroulement des opérations ni de leur résultat, car l’auteur est constamment au premier plan en tant que ministre des finances de la Grèce. Ses efforts répétés de mise au point de propositions qu’il espère toujours plus acceptables, ses états d'âme, ses intuitions, ses fiertés et ses regrets, ses relations personnelles avec d'autres décideurs, avec ses collaborateurs fidèles ou non.. sont précisément décrits sans pathos. A la fin, mais sans épanchement, son amertume transparaît face au constat de l’inutilité de ses propositions maintes fois refondues, malgré la reconnaissance ponctuelle de leur pertinence par des personnalités (dont certains membres de l'Eurogroupe en privé), alors que certaines des solutions proposées seront mises en oeuvre par ailleurs au profit d'autres pays que la Grèce.

L’ouvrage ne contient aucune invective contre X ou Y, aucune accusation contre telle ou telle nation ou contre son gouvernement. On n’y trouve pas de grands mots non plus, sauf à la toute fin pour évoquer brièvement un projet destiné à renforcer la démocratie en Europe.

Un résultat encore pire pour la Grèce (et pour l’idée d’une communauté européenne) aurait-il pu être obtenu si la Grèce avait été représentée par un incompétent et si l’Eurogroupe avait été composé de fonctionnaires peureux, ou occupé par une bande de gosses banalement pervers, attendant la récréation pour un cérémonial de punition collective de l’élève légèrement demeuré dont le professeur leur a fait comprendre dans un instant de lassitude qu’il leur faisait perdre leur temps à tous ?

Aucun doute n’est possible. C’est de la grande littérature.

Quelques ressorts de nos fatalités collectives

Prenons donc le livre « Conversations entre adultes » de Varoufakis comme un témoignage des inéluctables fatalités qui se réalisent automatiquement dans toutes nos instances de décision. Ce témoignage sera partagé par beaucoup de gens qui ont vécu ou vivent le même type d’expérience y compris à des échelles modestes. En effet, ce n'est pas seulement sur la Grèce que l'on peut pleurer à la fin, c'est sur notre pauvre humanité, incapable d'inventer une pratique raisonnable de la décision collective, alors que se précipitent les menaces physiques planétaires qui exigeraient des décisions difficiles, comprises et acceptées à tous les niveaux.

Plusieurs ressorts des automatismes de blocage de toute prise de décision collective raisonnée et responsable peuvent être identifiés à partir du livre « Conversations entre adultes » - un titre bien choisi, car le sort des discussions sur le fond y est vite réglé par le jeu des automatismes fatals.

Voici quelques uns de ces automatismes.

Prééminence d’un participant comme secrétaire de réunion (ou quel que soit le titre éventuellement directorial qu'on lui attribue, de toute façon à ne pas confondre avec un personnel d'enregistrement), comme organisateur et conducteur du débat, notamment en charge de la mise en forme des "conclusions" de la réunion (avec un pouvoir supplémentaire de rabotage ou d’élucubration lorsque la même rédaction desdites « conclusions » se destine à la fois aux médias et aux participants). L’imposition d’un roulement de la charge de secrétariat entre les participants fait partie des contre mesures bien connues, mais elle présente des inconvénients par rapport à une désignation définitive (dont celui d’une souvent longue mise au point des conclusions de chaque séance au cours du recueil des remarques et agréments successifs des participants) qui peuvent rendre inacceptable cette pratique, notamment en cas d’urgence, et contribuent à la multiplication des séances.

Réduction du débat à l'expression des représentations des intérêts, au-delà des traits personnels de chacun, qui peuvent dès lors se muer en artifices de rhétorique, et ponctuellement, passer pour des imperfections (bien entendu, ces imperfections peuvent résulter d'un calcul destiné à renforcer une représentation ou en affaiblir une autre, et les meilleurs acteurs, en particulier les meilleurs « représentants », le font naturellement).

Report hors réunion (typiquement dans un cadre personnalisé sur le territoire d'un des personnages) de la communication entre les personnes, sans remise en cause de leurs missions ou convictions propres, car il ne s'agit pas alors forcément de tentatives d'influence dans l’ombre, mais de simples échanges dans le respect de l'autre dans le but de se comprendre, ou a minima de constater les écarts exprimés selon des concepts communs – cette externalisation-là contribue par ailleurs à renforcer la brutalité des représentations en réunion, par l’introduction d’éléments implicites de relativisation des positions exprimées.

Pesanteur dirimante d’une autorité externe, au sens où, de toute façon, cette autorité décidera ce qui doit être décidé en fonction de critères complètement étrangers à ceux de la réunion ; alors, pour la forme, on discute sur des détails, mais dans les faits, pourquoi prendre le moindre risque de devoir assumer la responsabilité d’un résultat quelconque ? Le destin de toute proposition nouvelle est automatiquement de concentrer les énergies négatives.

Clôture dans l’entre soi. Les participants trouvent naturel de s’appeler par leurs prénoms à force de se retrouver, et de reconnaître les tics des uns et des autres… Et puis le club des décisionnaires, de réunion en réunion, devient peu à peu une sorte de secte, au sens où sa suffisance, à propos des questions qu’il doit traiter – et même lorsqu’il s’appuie par ailleurs sur des experts extérieurs - devient un présupposé de fait, une vérité immanente en filiation du présupposé de la supériorité de l’espèce humaine, et en particulier de la supériorité des « meilleurs » sur les autres, tout en conservant, à destination de ceux qui oseraient en douter, la soumission de façade à des dogmes décoratifs, par exemple celui de la valeur absolue de la vie humaine alors qu’on piétine le principe d’égalité qu’il implique logiquement, ou celui de la « démocratie » comme processus de décision collective alors qu’on la refuse tout en l’associant à des pseudo valeurs et des pseudo fondements abusivement qualifiés « démocratiques »… Les sectaires ne peuvent reconnaître leurs erreurs sans se démettre, ni devant leurs pairs ni devant leurs mandants, d’où leur tétanie collective devant toute originalité par rapport aux dogmes de la secte, d’autant plus lorsqu’ils se divisent eux-mêmes par des nuances dans l’interprétation des dogmes ou simplement par intérêt. En résumé, le contexte d’autosuffisance et la présomption élitiste d’infaillibilité qui en découle produisent et entretiennent une restriction mentale collective.

Le constat d’une seule de ces caractéristiques suffit à créer un doute sur l’utilité de telles réunions de décision. Que dire lorsque d’autres caractéristiques négatives s’y ajoutent ! Relisez « Conversations entre adultes » et souvenez-vous des dernières assemblées auxquelles vous avez « participé ».

Comment ne pas s’apercevoir que ces questions relatives aux processus de décision collective, à l’interface entre l’individuel et le social, sont au centre de la production de nos finalités, libertés et servitudes ? Ne serait-il pas urgent de repenser les gestes créateurs des équilibres entre « libertés » et « servitudes » plutôt que de se perdre à discuter de leurs manifestations en référence à des idéaux ? On notera au moins que les quelques dérives ci-dessus identifiées suffiraient à expliquer pourquoi une conduite autoritaire peut être plus « efficace » et par extension pourquoi nos pseudo démocraties, formelles et rouillées, en sont réduites à gérer des affaires courantes et des crises ponctuelles. En effet, ces dérives sont d’autant plus fatales lorsqu’il s’agit de prises de décisions dans l’intérêt général. Les effets de ces dérives sont encore amplifiés lorsque les qualités individuelles à faire reconnaître pour accéder aux instances de décision ont été définies par l’ »Histoire et la Culture », profondément conditionnées par les guerres, les luttes et leur préparation.

Il est évident qu’une conduite de réunion par des professionnels, telle que proposée à la fin de ce billet, serait inapplicable dans les contextes imposés et pour les objectifs souvent vagues de nos hautes instances de décision soumises aux types de défauts ci-dessus décrits. Dans l’état de notre monde, on pourrait même affirmer que les réunions de ces hautes instances ne devraient tout simplement pas être, ou au minimum qu’elles sont de bien peu d’utilité en regard de ce que leur permettraient leurs propres mandats et qu’en conséquence, elles renforcent la création ou la perpétuation de déséquilibres non assumés. Nul besoin d’une conduite trinitaire pour des décisions de modulation des encours en fonction des événements et des pressions d’intérêt, mais peut-être l’expérimentation vaudrait d’être tentée, au moins dans une perspective de perfectionnement de la formation des professionnels d’encadrement, en vue de réunions de décisions plus ambitieuses, un jour ailleurs autrement.

Rien qu’humains contre plus rien d’humains

A l’échelle mondiale, les instances décisionnaires dont nous avons besoin sont celles qui pourront faire élaborer et faire appliquer, globalement pour la planète et localement en cohérence, des scénarios réalistes d’évolution raisonnée, inspirés du rapport Meadows actualisé en 2004, sur la base d’une stratégie globale planétaire de survie des civilisations humaines (qui devront nécessairement s’adapter dans l’intérêt général planétaire).

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Ces instances n’existent pas. Ce qui se répète dans nos actualités ne leur laisse aucune perspective de création : les promotions de dirigeants à vie, la réélection des mêmes aux postes éminents (bien entendu par dévouement pour éviter pire), le repli des nations sur leurs propres intérêts de court terme dans leurs rêves de grandeur, la soumission des masses à l’exploitation des affects et au harcèlement mental par les offres de distractions, la virtualité flagrante des « droits de l’Homme » invoqués dans les discours et les ouvrages. Par-dessus ou en fondement de tous ces obstacles, s’enracine un tabou pesant, qui résiste à la révélation de la monstruosité des dégradations infligées par l’espèce humaine à sa propre planète. Ce tabou bloque la conversion mentale indispensable pour affronter la réalité du parasitisme exercé par l’humanité sur la planète, encore plus pour envisager les mesures à la hauteur. Ce tabou, c’est l’obsolescence de la singularité de l’espèce humaine et de ses valeurs imaginaires d’autopromotion.

Cependant, l’infrastructure technique universelle existe pour le développement de telles instances. Il suffirait d’une erreur d’un exécutant quelque part, en interprétation d’une directive creuse d’une grande organisation internationale dans la nébuleuse de l’ONU, et alors peut-être l’occasion pourrait être exploitée… Mais il faudra plus qu’une nième version de réseau social universel pour l’échange des idées, même dans le respect de conditions d’utilisation sympathiques, même à l’abri des scrutations des mercenaires au service d’entreprises de manipulation.

Au plan des cultures et des mentalités, pouvons-nous espérer qu’une science sociale soit construite dans l’urgence, afin de décrire les techniques nécessaires pour faire évoluer nos sociétés à partir de leur état présent vers un avenir possible à seulement 50 ans, ensuite soutenable dans la durée ? Quels ont été les déclencheurs des évolutions de nos civilisations humaines dans les quelques derniers siècles : les révoltes contre une oppression au nom de certaines valeurs contre d’autres valeurs, les soulèvements derrière puis contre les audaces des derniers grands conquérants, les exemples de personnalités exceptionnelles, la diffusion rapide de marchandises et de services par le libre jeu du Marché, les avancées de la Science et de la Technique (avec l’accélération de deux guerres mondiales), la quasi gratuité des ressources énergétiques par l’exploitation de ressources pétrolières et gazières (sans laquelle aucun Progrès ni technique ni social n’aurait été possible), sans oublier les innombrables rafistolages opérés dans l’ombre par de petits génies pour rectifier des méfaits ou des inexactitudes afin que rien ne change sauf les apparences ou inversement selon les circonstances… L’énumération est incomplète. Peu importe : n’a-t-on pas suffisamment fait l’expérience des divers déclencheurs d’évolutions et analysé les labeurs moins brillants qui ont rendu ces évolutions possibles (ou ont permis d’en pérenniser largement les conséquences) pour en connaître les travers et les fatalités – et surtout pour en apprécier l’inadaptation criante sur une planète en rétrécissement accéléré, à moins de viser l’extinction à grande vitesse ou de cultiver des espérances miraculeuses ?

On devrait depuis longtemps avoir constitué un savoir sociologique qui permettrait de « faire autrement ». Ce n’est pas le cas. Pourquoi persister à entretenir nos rêveries héroïques, par exemple celle du combat pour la Liberté et le Progrès (en réalité pour le confort par la consommation effrénée des ressources naturelles), au lieu de développer notre capacité à faire un choix raisonné des libertés et des servitudes compatibles avec une survie acceptable de nos civilisations ?

Conjecture : en partant de l’état du monde politique et sociologique, stable depuis un bon siècle, le seul ressort démocratique actuellement opératoire pour « faire autrement » sans augmenter la dégradation planétaire passerait par une révolte contre nous-mêmes, contre certaines de nos convictions profondes, de nos aspirations et de nos conventions sociales, rien que pour permettre l’acceptation d’un renoncement à une partie de notre confort physique et mental. D’ailleurs, il n’est pas évident qu’un tel renoncement prometteur d’inconforts et de déchirements, surtout si ce renoncement en restait au stade d’une commune contrition face aux réalités des menaces physiques identifiées, éviterait le déclenchement d’une guerre de tous contre tous en multiples formes plus ou moins ritualisées – la découverte d’une relation à la fois conflictuelle et réciproque entre la violence à soi-même et la violence contre les autres remonte loin dans le passé, à la naissance de beaucoup de religions. Où sont les gens compétents pour nous faire prendre du recul ? Qui les fera écouter ? Constatons le gaspillage de nos grands penseurs et de nos grands créateurs, obligés de s’affairer pour rester dans la lumière artificielle des projecteurs médiatiques, de se réfugier dans l’animation de mouvements d’idées séculaires, de philosopher sur les possibilités de dépassement de notre humanité…

Comment échapper au destin « humanesque » de notre humanité dérisoire sur son piédestal ?

Une réponse rationnelle serait la mise en place d’une démocratie d’humbles citoyens planétaires, rien qu’humains mais collectivement capables de décisions difficiles afin d’arbitrer entre des choix d’avenir, et collectivement capables de préserver la reconnaissance des erreurs éventuelles pour les redresser.

Sinon, à défaut d’une solution démocratique universelle responsable, peut-on raisonnablement anticiper une évolution globalement positive dans le « sens de l’Histoire », par exemple par la compétition entre des pouvoirs autocratiques capables d’imposer des mesures salvatrices ? Pour le moment, l’avenir qui se dessine dans les actualités diffusées par nos médias est une période d’affrontements entre grandes nations incarnées par des personnages enfermés dans leurs rôles de chefs dominants, et entre gangs internationaux de toutes sortes bien présents à l’intérieur des équipes autocratiques. La neutralisation d’abord seulement médiatique de toute limitation opératoire de l’arbitraire de ces pouvoirs est déjà presque partout bien engagée. Par le libre jeu des automatismes historiques habituels, on peut donc parier que ce monde saura réaliser, au plus dans quelques dizaines d’années, diverses formes d’extermination des « populations excédentaires », constatées sans compromission en résultat du libre jeu du Destin ou orchestrées pour de bonnes raisons sinon de bonnes causes. On maintiendra en servitude les opérateurs que l’on n’aura pas encore su remplacer par des machines intelligentes. Parallèlement, on traitera les résiduels en masses de robots biologiques totalement manipulés, constituées en réserves strictement contrôlées de sujets de jeux et distractions, accessoirement comme capital génétique à préserver pour un temps. Peut-être même que, dans certains pays, ces mutations sociales pourront se réaliser sans grand changement dans la grille des programmes de télévision et sans aucune interruption du fonctionnement des réseaux sociaux sur Internet.

Pour la définition de processus libératoires

« Conversations entre adultes » mériterait d’être considéré comme un grand livre d’humanité pour tous les temps, pour les mêmes raisons que « La guerre du Péloponnèse » de Thucydide qui date d’environ 2500 ans avant notre époque. A la suite de son modèle antique, cet ouvrage d’historien nous décrit un engrenage toujours actuel des fatalités humaines dans les instances décisionnaires, par le jeu d’automatismes régressifs collectifs. Ces automatismes ont été autrefois mal apprivoisés par l’invention de la rhétorique - une discipline destinée aux élites spécifiquement pour le cadre des débats publics, unique invention de l’humanité (dans sa variante occidentale) depuis le néolithique pour tenter de maîtriser collectivement les processus de choix de nos finalités, libertés, servitudes, à l’évidence insuffisante pour maîtriser la sauvagerie au-delà de la cité ou de la nation, bien au contraire du fait même de sa nature… A notre époque, les facteurs régressifs bien connus qui bloquent de l’intérieur ou au contraire précipitent malencontreusement tout processus collectif de décision douloureuse sur le long terme, seraient techniquement complètement surmontables. Au lieu de cela, nous semblons bien partis pour rejouer une suite similaire à celle de l’histoire antique racontée par Thucydide ou l’une de ses multiples répétitions jusqu’à notre époque, cette fois-ci à la plus grande échelle possible et sans la ressource d’un arrière-plan d’espaces et de peuples disponibles pour une renaissance.

Dans cette perspective, il devrait sembler urgent de consacrer quelques efforts à la conception de processus décisionnels collectifs adaptés aux technologies courantes et compatibles avec nos fonctionnements mentaux génériques.

Dans ce blog, on trouvera des propositions.

Rappel des propositions concernant la conduite des réunions de décision dans un contexte démocratique (au sens minimal où les participants se reconnaissent égaux dans le cadre de ces réunions), avec quelques précisions et reformulations en réponse à quelques écueils signalés dans ce billet : externalisation de la conduite de réunion, répartition de la conduite entre trois personnes professionnelles (soumises à une charte leur imposant, entre autres, une totale discrétion), en gros selon un principe trinitaire, la première pour faire respecter les règles et la progression vers les objectifs, la seconde pour faire s’exprimer l’expérience et l’intelligence de chaque participant, la troisième pour forcer le débat ainsi que l’expression des points de vue en dehors des ornières… Peu importe que la répartition des rôles trinitaires soit imparfaite dans la pratique, ces rôles étant par nature à la fois complémentaires et antagoniques, du moment que la réunion entre les participants ne se transforme pas en champ d’affrontement entre les éléments de cette trinité, ou, à l’inverse en un trop brillant exercice de collaboration productive entre ces éléments. D’où l’importance d’une autorité professionnelle de référence, capable de juger après coup, sur la base d’une consultation des participants et du rapport établi par les professionnels de la conduite trinitaire, si la réunion a produit quelque chose en regard de ses objectifs (sous-entendu objectifs de justification de décisions difficiles), si une autre réunion peut être reprogrammée en vue de poursuivre l’effort, si oui avec quelles recommandations susceptibles d’apporter une meilleure progression vers les objectifs, etc. De toute façon, il ne peut s’agir que de détecter des défauts flagrants sur le moment pour tenter de les corriger par la suite. Dans cette discipline, la définition de l’excellence ne peut être conçue dans l’absolu, la recherche d’une forme de perfection ne peut être que relative aux personnes rassemblées et aux objectifs. Toute grille de « Quality Control » au-delà des aspects logistiques serait une absurdité, comme toute prétention à une normalisation du déroulement des débats, comme toute sélection automatique des professionnels sur la base d’un cursus universitaire ou d’une procédure de certification – ou alors, osons affirmer que nos choix de décisions seraient « mieux » exécutés par des robots à partir d’une série de sondages et d’analyses des données et que ces choix pourraient être « aussi bien » acceptés par la population que les interprétations des tirages aléatoires et des illuminations des devins et chamanes d’autrefois ! Au contraire, il s’agit ici d’assumer nos prérogatives humaines avec détermination en toute conscience de nos limites, sans oublier qui nous sommes, que tous nous avons des ascendants que nous trouverions très frustes si nous pouvions remonter le temps, mais que nous leur devons tout, à commencer par notre nature…. Toute prétention à l’absolu serait dérisoire. En conséquence, le cadre général et le calendrier des réunions de décision doivent être conçus pour que les « erreurs » de décisions (c’est-à-dire les décisions à remettre en cause) puissent être reconnues, notamment par l’inadaptation de leurs motifs, et que les modifications raisonnablement nécessaires puissent être recherchées.

mardi 22 août 2017

Au pas de miracle

Actualité de la Grèce antique

En quoi notre monde moderne, dans ses structures économiques et géopolitiques mises à la bonne échelle, diffère-t-il de l'antiquité des cités grecques indépendantes, rivales, commerçantes dans un monde globalisé… ?

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L’ouvrage « L’énigme grecque » de Josuah Ober (La Découverte, 2017, traduction française de « The Rise and Fall of Classical Greece », Princeton University Press, 2015) peut être lu comme le développement méthodique de cette analogie.

L’ouvrage s’appuie sur les études archéologiques et historiques récentes de la Grèce antique, pour tenter de comprendre pourquoi et comment les populations du monde grec antique ont pu développer tant d’éléments originaux de civilisation et les diffuser sous diverses formes d’abord dans leur monde méditerranéen puis au-delà, en les faisant vivre et rayonner bien après leurs quelques siècles de puissance politique.

L’une des thèses principales de l’ouvrage est que les cités du monde grec antique étaient amenées, pour diverses raisons culturelles et économiques, à se spécialiser dans le cadre d’un « Grand Marché » de l’époque, avec la mer comme canal principal d’échanges rapides (pour l’époque). D’où une « efflorescence » économique et culturelle du monde grec antique. Les recherches récentes confirment par ailleurs la prospérité d’une partie importante des familles grecques et même d’une population plus large d’étrangers résidents et de « non libres » – niveau de prospérité à comprendre dans l’absolu, à peine atteint de nouveau en Grèce moderne après plusieurs périodes historiques défavorables (sans parler de la période actuelle de régression).

Dans le domaine politique, l’ouvrage offre de nombreux sujets de réflexion et d’approfondissement à propos des fondements de la démocratie et de sa mise en œuvre, illustrés d’exemples historiques de l’antiquité grecque « efflorescente ».

On y retrouve quelques fondamentaux de toute démocratie authentique :

- équilibre entre les fonctions des instances citoyennes, celles des instances de « sages », et les tâches confiées à des experts - équilibre non figé définitivement, évoluant à l’expérience,

- instanciation directe du peuple en soi (c’est à dire de chacun soi-même) dans les instances citoyennes,

- automatisation de la sélection des citoyens appelés à contribuer aux instances citoyennes, de manière que chaque citoyen s’attende à être sélectionné plusieurs fois dans sa vie dans divers niveaux d’instances,

- régulation des débats, formation des citoyens à la parole publique,

- reconnaissance et encouragement au développement des compétences individuelles exercées par chaque citoyen au cours de sa vie professionnelle de cultivateur, artisan, commerçant, marin, artiste,...

- implication personnelle de chaque citoyen dans des tâches d’intérêt général dans le cours normal de sa vie sociale (dont l’entraînement militaire et son propre apprentissage de la démocratie),

etc.

Dans le monde grec antique, « la » démocratie idéale n’existe pas. Même lorsqu’une cité définit ses instances démocratiques à partir d’un modèle, il s’agit toujours d’une adaptation locale. D’autant plus lors des périodes critiques, ou à la suite d’une guerre civile. Athènes ne fut pas la seule cité démocratique. Ses institutions et leur pratique ont évolué dans le temps.

Dommage que ces gens n’aient pas inventé Internet ! Ou pas dommage, car peut-être alors, si leur Internet avait évolué comme l’actuel, il ne nous resterait rien de leur civilisation ?

Divers miroirs de la grande histoire

Dans son élan explicatif du rayonnement de l’antiquité grecque par un « Grand Marché » comme cadre d’une « destruction créatrice » et d’une « réduction des coûts de transaction » - comment ne pas reconnaître l’expression des doctrines de l’expansion économique par la libre concurrence – l’ouvrage de Josuah Ober repère les avantages relatifs d’un régime démocratique par rapport aux régimes élitistes dans la double capacité démocratique à préserver l’indépendance de chaque cité et à la développer économiquement, en favorisant un haut niveau de motivation des citoyens, à la fois en tant que contributeurs volontaires d’une force militaire offensive et défensive de leur cité, et individuellement en tant que contributeurs à son développement.

A l’opposé, l’univers de l’empire perse, bien que culturellement et économiquement très évolué, paraît statique, découpé en potentats locaux intermédiaires du pouvoir central.

Tout cela est bien beau, mais le processus de « destruction créatrice » à l’intérieur du monde grec antique tel qu’il nous est reconstitué se décrit par des guerres opportunistes et des conflits dont les ressorts paraissent plutôt minables déjà bien explicitement dans les récits des historiens antiques. Josuah Ober tente à chaque fois d’interpréter les actes de « destruction créatrice » comme les résultats de calculs locaux ou comme les résultantes de chocs géopolitiques – avec la Perse comme super puissance militaire et financière, alternativement envahissante au premier plan ou comme partenaire d’alliances variables en arrière plan en fonction de ses propres intérêts. L’ouvrage propose ainsi quelques définitions de mécanismes d’affrontement, et même une modélisation des paramètres et de la logique des décisions prises par les acteurs historiques dans leurs stratégies d’expansion et dans leurs tactiques militaires.

Au total, les diverses tentatives d’explication de l’énigme grecque développées par l’auteur sont éclairantes mais pas décisives même prises ensemble : analogie avec l’écologie de colonies de fourmis autour d’un étang, modélisation informatique des décisions locales, analogies à une économie de marché moderne y compris par certains éléments d’économie monétaire, mise en évidence du travail en profondeur des idées démocratiques et de leur supériorité tactique…

Ce qui est bien expliqué dans l’ouvrage de Josuah Ober, c’est que le « miracle grec antique » a bénéficié de la conjonction de processus politico économiques favorables. L’auteur n’oublie pas mais place de fait au second plan les singularités culturelles du monde grec athénien antique qui ont fondé et entretenu son « efflorescence » malgré les tentatives spartiates d’étouffement. Il reste qu’il est difficile d’expliquer pourquoi tant de productions du « miracle grec » nous apparaissent maintenant comme si elles avaient été conçues gratuitement pour la seule gloire de l’humanité. Illusion d’optique de notre part certainement. Mais aussi choc en retour par la révélation de certaines pauvretés de notre époque.

Le livre du Professeur Ober se concentre sur sa vision explicative globale de l’énigme grecque par le « Grand Marché », complétée par diverses modélisations et analogies. Sans doute l’auteur considère que ses lecteurs se tourneront naturellement vers d’autres ouvrages pour approfondir les singularités à la base du « miracle grec» que son approche ne peut qu’effleurer. Il est dommage qu’il n’y incite pas explicitement (sauf dans les notes et parcimonieusement). Au contraire, il soumet ponctuellement le lecteur à quelques excès d’enthousiasme explicatif par des théories récentes.

milovenu.jpg Par exemple, à propos du célèbre dialogue entre les Athéniens et les Méliens (habitants de l’île de Mélos, celle de la « Vénus de Milo ») pendant la guerre du Péloponnèse, l’ouvrage d’Ober prétend expliquer le résultat fatal pour les Méliens de cet affrontement oratoire par un défaut d’évaluation de leur situation, en faisant référence à la théorie des perspectives de l’économie comportementale….

Le lecteur normalement paresseux risque de manquer quelque chose d’important pour sa compréhension du « miracle grec » s’il se laisse éblouir par la modernité revendiquée d’une telle « explication » !

A l’origine, Thucydide, l’historien de l’époque, a consacré une bonne dizaine de pages de son chapitre sur la seizième année de la guerre du Péloponnèse, au détail de la tentative ratée de négociation entre les représentants du corps expéditionnaire athénien sur l’Île de Mélos et les notables locaux. Pour ces derniers, le contexte était menaçant mais pas forcément désespéré, sachant que l’île avait déjà été envahie et sa campagne saccagée dix ans plus tôt par une précédente expédition athénienne, qui s’était ensuite retirée en laissant la cité intacte, sans doute à la fois par manque de détermination, peut-être aussi faute de pouvoir maintenir sur place un effectif important. Rétrospectivement, l’« erreur » des Méliens face à une nouvelle invasion est d’avoir sous-estimé la capacité des Athéniens à tenir le siège de leur cité avec une troupe réduite pendant plusieurs mois jusqu’à ce qu’un traître leur ouvre une porte – d’autres cités insulaires ont gagné le même pari. En tous cas, le dialogue de la négociation tel qu’il nous est rapporté par Thucydide ne doit pas être considéré comme un morceau de bravoure d’opéra comique entre des représentants de la force brute face à des représentants d’un droit à la neutralité paisible (liberté revendiquée plutôt que droit ?), mais comme l’un des sommets d’une oeuvre consacrée à l’étude minutieuse des engrenages générateurs des guerres, comment s’augmente l’intensité des affrontements et comment s’étend leur champ d’action, en toute logique et en toute raison humaine.…

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On trouvera par ailleurs, par exemple dans un recueil de séminaires de Cornelius Castoriadis (Thucydide, la force et le droit, Editions du Seuil, 2011, vers le milieu du volume), une présentation de cet épisode célèbre entre Athéniens et Méliens. On comprendra pourquoi la négociation ratée a mérité l’attention de générations d’historiens (dont probablement Machiavel). Le texte de Thucydide reste d’actualité à travers les siècles. En plus, on trouvera, dans le recueil ci-dessus référencé, une réflexion sur les ressorts du « miracle grec » athénien tel qu’il fut analysé par ses contemporains. C’est un complément dans l’exploration de l’énigme grecque pour mieux apprécier la dimension et l’apport original de l’ouvrage de Josuah Ober.

Miracle ou pas miracle

Revenons au fond. Comment expliquer la simple possibilité d’apparition de Platon, d’Aristote et tant d’autres à la suite de Socrate ou contre Socrate ? Et comment expliquer les autres, moins connus ou ignorés, qui les ont précédés, puis ceux qui ont permis cette suite et l’ont prolongée ? Par quels canaux de transmission de l’époque ?

Mêmes questions, encore plus évidentes, pour les architectes, ingénieurs, mathématiciens, médecins, artistes, artisans de l’époque du « miracle grec »... N’avons-nous pas oublié quelque chose dans le domaine de la transmission et du développement des compétences, malgré les performances de nos systèmes éducatifs, malgré Internet, malgré la pertinence argumentée de nos diverses théories de la communication et de l’apprentissage ?

Concernant la création d’institutions démocratiques, ne serait-il pas opportun de vraiment expliquer comment des Solon et des Clisthène ont pu inventer et mettre en pratique les réformes qui ont fondé les institutions démocratiques dans certaines cités de la Grèce très antique, localement et des centaines de fois ? De quelles circonstances ont-ils bénéficié, sur quels soutiens se sont-ils appuyés, quelle expérience préalable leur a été utile, quelle progression ont-ils suivie dans la mise en oeuvre ? Car il est impossible d’imaginer qu’ils n’aient rencontré aucune opposition ! En plus, c’était à une époque où l’écriture était rare, certainement encore plus la capacité de lire… Justement, l’intelligence de l’écoute, le respect de la parole et des nuances, l’encouragement à la réflexion individuelle dans le concret, l’acceptation d’un devoir d’effort personnel, l’organisation du débat public pour qu’il soit productif ne seraient-ils pas des éléments fondateurs d’une démocratie authentique, à retrouver d’urgence ? Le coeur du « miracle grec » ne serait-ce pas la création d’un système de décision collective – si on préfère, une institution de l’exercice de la liberté collective - qui était aussi le principal incubateur des intelligences et des compétences individuelles ? Qu’est-ce que cela nous dit en retour sur nos sociétés prétendument avancées qui consacrent tant d’efforts à réguler (ou à étouffer sous diverses doctrines pesantes) leur conflit interne sui generis entre les libertés individuelles et la contrainte collective (ou leurs avatars) ?

Concernant le maintien de la paix dans le monde, ne serait-il pas utile d’approfondir les raisons historiques de la non destruction de la cité d'Athènes et de la non déportation de sa population, alors qu'Athènes était vaincue et occupée à la fin de la guerre du Péloponnèse, et alors qu'il n'existait à l'époque rien d'équivalent à notre ONU, mais sans doute "quelque chose" de plus fort et de plus spécifique que les concepts génériques abstraits de ce que nous appelons le droit international - un « quelque chose » que nous ferions bien, chacun de nous individuellement, de réinventer et de travailler pour notre survie un jour à venir ? Pourquoi, à l'inverse de quelques exceptions historiques, la tendance naturelle d'évolution des cités états indépendantes semble être soit leur intégration sanglante dans un empire soit leur anéantissement intégral par mise sous cocon ou destruction physique ? Les ruines des cités mayas témoignent pour nous d’un autre avertissement que celles des cités de l’antiquité grecque.

Poser ces questions de cette façon, c’est rechercher concrètement les possibilités de notre avenir en échappant provisoirement au confort mental de notre supériorité moderne factice et en sortant de notre cadre contemporain de « Grand Marché à bas coût de transaction » autour d’un Net dévoyé, où tout le monde tend à s’assimiler aux mêmes modèles en miroir, au point que l’on croit pouvoir faire l’économie de se comprendre, et que l'on s’entraîne à faire l’économie d’exister.

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Car la plus grossière des « erreurs de perspective » nous est imposée par nos dirigeants politiques, nos grandes entreprises et tant d’institutions et d’organismes soucieux de notre bien-être par une saine gestion financière. Ils nous bombardent de slogans prétendument progressistes du genre « tous ensemble pour le développement », alors que notre planète se détruit chaque jour un peu plus, au point que des régions entières sont devenues inhabitables et que des espaces océaniques se stérilisent. Qu’importe, chacun doit s’activer à augmenter son poids sur une Terre qui se ratatine ! Grotesque provocation d’une « destruction créatrice » géante – un carnage définitif.

Donc, c’est bien un changement de civilisation du genre du « miracle grec » qu’il nous faut, ou son équivalent dans d’autres cultures, afin de recréer un système de décision collective responsable de notre destin planétaire, et pouvoir de nouveau développer notre humanité.

On a su faire.

Il est urgent de nous pencher sur les cendres historiques de ce « miracle grec », et d’activer notre cerveau d’humble hominidé pour en imaginer quelques étincelles dans le présent.

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