Voici, pour une fois, un billet d'actualité locale.

Pour un déconfinement de la société

La seule perspective d'une épidémie nouvelle, contre laquelle n'existe aucun remède et sur laquelle on ne sait rien (même pas à ce jour comment elle se propage), fait que toute notre société s'est mise à l’arrêt pendant plusieurs semaines début 2020, à part les services de santé et quelques fonctions vitales.

Il semble qu'au total les pertes humaines potentielles soient faibles, si on les évalue brutalement en pourcentage de la population totale. Même si ce n'était pas finalement le cas, la vulnérabilité de notre société "démocratique moderne" apparaît proprement terrifiante, déjà pour quelques pourcents d'écart à son ordinaire, lorsque la cause de cet écart relève de l'étrange ou de l'inimaginable. La société "démocratique moderne" se révèle, à cette occasion, plus instable que les anciennes sociétés historiques, dans son fonctionnement physique et encore plus dans son mental.

A l'écoute forcée des médias, nous pouvons apprendre à distinguer les vrais scientifiques des notables imbus, à faire la différence entre les durs à la tâche et les représentants de leurs propres intérêts, entre les tristes et les faiseurs de frisettes.

Nous pouvons constater la péremption des plus bavards de nos experts en économie nationale et internationale, dont le modèle de référence se limite à la comptabilité pour le petit commerce et à la gestion des monnaies de pièces fondues en métaux précieux.

Nous pouvons constater le vide des usages d'Internet dans la vie démocratique.

Nous pouvons constater les distorsions de nos médias de grande diffusion, notamment à l'occasion de pseudo débats, et par l'invasion sur certaines chaînes de très élaborés pseudo reportages à visée de réclame publicitaire ou de désinformation.

Nous pouvons observer les maladresses de nos dirigeants dans les incertitudes, avec l'apparition inévitable de goulots d'étranglement multiples à gérer en double organisation centralisée et locale, pour l’alimentation en matériels et en produits sanitaires, puis pour la remise en fonction de quelques secteurs d’activités. Le niveau de science logistique de nos dirigeants n'atteindrait-il même pas celui du magasinier – connaissent-ils l’existence d’une branche des mathématiques consacrée à la gestion des files d’attente ? Les statistiques sanitaires publiées ne permettent pas de comprendre les différents flux et processus autour des centres de soins et encore moins à l’intérieur, sans aucune possibilité d'appréhension de la gestion des ressources rares dans l’ignorance des temps d’attente et de passage. Ce n’est certainement pas à notre intelligence que s’adressent les médias en nous diffusant quotidiennement le cumul des décès et le cumul des hospitalisations depuis la date de début du comptage. Sommes-nous condamnés à l’attitude hystérique d'un conducteur d'automobile qui fixerait son rétroviseur par peur de ce qu'il découvrirait devant lui par une vue d’ensemble ? Alors, c’est évident, « tout devient possible »….

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C'est pourtant la maîtrise d'une science logistique qui a permis de construire les sociétés humaines, de surmonter leurs environnements parfois difficiles, de réaliser de grands projets (aussi de grandes folies), dans la pesanteur du monde physique et dans les approximations du réel, du social et de l'humain. C'est pourtant cette science-là qui est la base de la vie physique et fonctionnelle de toute société humaine - mais certes pas directement à la base de ses "grandes idées".

Osons constater que nos sociétés modernes ont oublié leurs bases pratiques et que les besoins associés de finalités concrètes en termes de vie quotidienne ont été enfouis au prétexte de leur supposée banalité - par compensation magique, les concepts en couples de jumeaux ennemis, tels que résilience et complexité, recouvrent la misère de la pensée.

Osons constater que nos sociétés modernes, dans la dynamique confortable des progrès industriels par l'usage des ressources énergétiques naturelles, reposent encore sur d'antiques croyances et principes imprescriptibles y compris dans les directions que prennent leurs prétendues technologies de pointe. Les débats d'idées engraissent le sommeil de nos esprits ; ce sont des spectacles sans enjeu, confinés au commentaire sans fin de l’actualité en l’absence d’une expression de finalités propres de nos sociétés. Les échanges ne peuvent que se rétracter au seul énoncé des intouchables croyances et principes qui représentent nos fondements sociaux – quelques mots en vrac y suffisent. Qui osera observer les diverses méthodes rhétoriques d’évasion devant les incohérences entre ces certitudes exclusives profondes et réputées communes, d'autant plus imbriquées et grossières ?

Notre nature humaine aurait-elle tellement changé dans la modernité qu'une société humaine puisse survivre sans expliciter ses finalités propres, comme si elle pouvait se tenir sur des fondations artificielles, par l'exercice de virtualités issues directement de ses croyances de référence ?

Nos « valeurs » qui font automatiquement « sauver des vies » sans demander l'avis des intéressés, quel que soit le coût pour la société et quelles que soient les séquelles des survivants, de quelle illusion de sagesse absolue sont-elles les produits ? La noblesse inconditionnelle de ces « valeurs » ne pourrait-elle plus s’affirmer que par le mépris des tâches banales d’organisation et des compétences correspondantes, autrement dit par l’ignorance de la pratique de ces valeurs ? Pourquoi la pratique de ces valeurs sanctuarisées serait-elle tenue hors de portée de la décision du citoyen ordinaire de la même façon que, par exemple, les grands projets de travaux publics ? Pourquoi toutes les décisions vraiment importantes sur nos vies seraient-elles prises sans consultation du peuple citoyen par ailleurs pourtant si chèrement éduqué ? Qui peut encore défendre, dans les nations de tradition démocratique, le maintien de l'équilibre présent entre responsabilité du peuple et compétence des dirigeants - autrement dit entre irresponsabilité confortable du peuple et spécialisation étroite des notables dirigeants et de leurs entourages ?

Osons constater que l'héritage mental profond des croyances dans nos sociétés, autrefois facteur de stabilité (temporaire) et de sentiment de puissance (face aux « barbares »), les rend dangereusement fragiles, en substitution de finalités pratiques assumées.

Osons constater que notre époque est celle du conflit entre l’intérêt général des sociétés humaines et nos croyances, nos grands principes, nos droits imprescriptibles, nos vérités fondamentales (réputés stables localement et plus respectables que les personnes) – ces sanctuaires mentaux abritent les simulacres de justification des actions collectives, et les enferment de fait dans un conditionnement mental devenu criminel envers toute vie sur notre planète.

Tous ces thèmes étant déjà développés dans d'autres billets de ce blog, ils ne sont ici rappelés que pour leur pertinence en regard du besoin d'un grand déconfinement de nos sociétés humaines.

La science - fiction comme instrument de libération mentale

Les événements planétaires des prochaines années causeront des pertes localement bien au-dessus de quelques pourcents, quels que soient, par exemple, les "progrès" dans la conquête de la planète Mars ou le développement de l'Intelligence Artificielle, tant que l'humanité sera soumise au monde physique.

C'est évidemment sur les sciences sociales et les sciences dites appliquées (dont la logistique) qu’il faut porter l’effort, pour actions immédiates, dans la nécessité de réduire notre dette physique vis à vis de la planète.

Dans cette entreprise, sur quelles références pouvons-nous nous appuyer ?

Volontairement, fuyons les oeuvres consacrées comme porteuses de lumière : leurs citations répétées leur ont donné trop de pesanteur et les seuls noms des auteurs déclenchent des appréciations réflexes binaires.

Dans l'instant, évitons aussi, au privilège de la légèreté indispensable à une approche de sujets vraiment sérieux, les ouvrages monumentaux qui tentent de nous donner une profondeur et une étendue de la vision dans un format académique.

Les livres d'histoire seraient a priori les meilleurs candidats, mais à part des ouvrages romancés consacrés à tel ou tel épisode, ils passent vite sur les périodes douloureuses de notre pauvre humanité, ou alors c'est pour leur donner un sens, autrement dit parler d'autre chose. C'est très ennuyeux les morts entassés, les souffrances répétées, l'absence de remède et la désespérance, l'effondrement progressif de la société et de ses valeurs construites, le surgissement des substituts, la soumission brutale de notre vie physique à l'animalité, à la crasse et à l'isolement, le sursaut mental dans les imaginaires de gloire et de revanche minables. Mais c’est le sujet à traiter !

De fait, les archéologues sont les seuls à s'intéresser à notre humanité ordinaire mais à l'échelle des millénaires, alors que nous n'avons pas un siècle en délai de préavis avant que notre planète ne nous donne brutalement congé en cas de prolongation de notre appropriation abusive et de nos dégradations irréparables.

Pour exciter notre capacité d'imagination face à l'inimaginable, il nous reste la littérature et la filmographie dite de science - fiction. L'évidence de cette source référentielle n'est plus une originalité, puisque nous sommes à présent de toute façon projetés en science-fiction dans notre réalité. Dans l’actualité d’une menace virale inconnue, le terme science - fiction perd son caractère auto contradictoire.

Une difficulté d'exploitation des oeuvres de science-fiction comme sources référentielles réside dans l'obligation d'y rechercher les correspondances pertinentes mais forcément partielles avec notre actualité, ce qui exige l'effort d'un pas de côté. Dans leurs contextes de création, les critiques sociales implicites d’une époque dans un lieu donné s’appuient en contre point sur une expression forcément « datée » de valeurs et principes éthiques de référence. Ce décalage bien apparent dans les œuvres de science – fiction est favorable à la distanciation. Sous cet angle, les oeuvres un peu anciennes de science - fiction sont plus exploitables, d’autant plus que les oeuvres récentes ont tendance à s'auto caricaturer sur le modèle de matchs entre le Bien et le Mal, leur contenu original de science - fiction se réduisant à un assemblage de thèmes recyclés dans des décors et costumes en conception assistée par analyse factorielle.

A titre d'exemples, ce billet est illustré des pochettes de couverture de deux films en DVD : l'Invasion des profanateurs (version 1978) et Soleil vert (1973).

L'intérêt présent de l'Invasion des Profanateurs n'est pas perceptible dans son titre. L'analogie avec une invasion virale devient évidente dès que le processus d'invasion se dévoile comme une reprise de chaque corps humain pendant son sommeil par un hôte extra planétaire qui en fait une sorte de néo humain zombie (on retrouve le développement d'une idée semblable dans de nombreuses autres œuvres, notamment les premières séries Stargate). Dans le film, l'organisation mise en place par les envahisseurs incarnés en néo humains présente des similarités avec celle de nos périodes de confinement (puis déconfinement en fonction des capacités des centres de conversion). L'une des scènes les plus marquantes rassemble des néo humains figés sur place, gueules grandes ouvertes (mais ils pourraient aussi bien porter un masque de protection), montrant du doigt des aborigènes égarés, en saturant l'atmosphère d'un cri d'alarme à haute fréquence. Au-delà des correspondances scénaristiques et esthétiques, les questions suscitées par ce film pourraient être :

  • comment détecter qu'un dangereux agent nouveau est dispersé partout dans l'atmosphère, avant qu'une partie de l'humanité ne présente des symptômes graves de maladie... avant que toute l'humanité ne soit de fait condamnée ?
  • comment organiser des mesures de sécurité sanitaire sans bloquer toute vie sociale, quand toute la population dispose de moyens modernes de télécommunication ?
  • comment assurer le strict respect de mesures de sécurité sanitaire, par la prescription, par une surveillance, par une pression sociale ?
  • comment assurer que les personnes "guéries" n'ont pas été irrémédiablement dégradées à partir d'un certain stade ou durée de traitement, et qui pourra en juger pour quelles décisions préventives sous quel contrôle ?

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Soleil vert est souvent cité comme un film prémonitoire des dérives vers une société autoritaire en cas de surpopulation planétaire. On peut y trouver matière à des questions encore plus actuelles, par exemple :

  • ne devrait-on pas, dans nos vénérables Constitutions (ou équivalents), citer comme crime d’Etat la diffusion de mensonges portant préjudice à la société dans son ensemble ou l’une de ses composantes, y compris par rétention volontaire d’information, y compris par l’absence de reconnaissance d’une erreur, à l’exclusion de toute forme de censure ?
  • dans un monde fini qui se dégrade encore plus à chaque instant du fait des activités humaines, comment ne pas explicitement renoncer aux grands principes d'humanité lorsqu’ils s’opposent à l’intérêt général planétaire ?
  • qui pourrait être chargé de définir l'intérêt général planétaire, avec quel mandat, à partir de quelle "réalité", celle des experts ou celle des gens ordinaires ?
  • en quoi un régime de "démocratie représentative" serait-il plus pertinent pour faire respecter l'intérêt général planétaire qu'une oligarchie de manipulateurs ou qu'une dictature affirmée ?
  • comment surmonter l'incompatibilité logique entre certaines actions à faire réaliser dans cet intérêt général et les "simplifications traditionnelles" qui nourrissent l'esprit des gens ordinaires : en ouvrant le champ mental des populations, par exemple, par une transition vers une forme de démocratie directe, ou en planifiant centralement l’effraction (mentale) et le viol (mental), au risque d’un blocage social imprévisible ?

Pour une reconfiguration destinale

Environ 97,5 % de la population humaine ne se pose jamais aucune question fondamentale relative à la société, dans l'excuse des tâches quotidiennes et dans la commodité de son auto manipulation en espérance d'une forme vague d'ascension victorieuse.

Au cours de l'épidémie planétaire actuelle, il est déjà apparent que le petit nombre de personnes qui se poseront de "bonnes questions" (dont celles qui ne peuvent jamais recevoir de réponse absolue) dans le vacarme des désinformations, seront vite confortées dans les haines et les enthousiasmes de circonstance diffusés par les canaux de communication de leurs pays et confessions. La reprise de leurs activités d’avant l'épidémie sera ressentie par eux comme une libération, pour laquelle ils accepteront des sacrifices dans le sens des émotions collectives.

On ne peut pas espérer que d’éventuelles successions de catastrophes entrecoupées d’intermèdes calmes finiraient par provoquer un sursaut de conscience solidaire globale entre des populations survivantes, plongées dans la stupeur avant le repli dans leurs traditions et les diverses formes cérémonielles de reconstitution des groupes sociaux pendant les pauses entre les cataclysmes. Ce serait toujours à la fois trop tard et trop tôt.

Par contre, à l’occasion d’un choc planétaire relativement isolé et de faible ampleur, l’opportunité pourrait être saisie d’un redéploiement de notre sens destinal implicite commun, celui qui tient ensemble nos diverses croyances opératoires au moins depuis les époques historiques pour le seul grand « bien » de l’espèce humaine. Un petit pas de côté, un grand pas pour l’humanité : conservons nos valeurs et nos croyances, réinterprétons-les dans la construction de l’intérêt général planétaire – donc pas seulement celui de l’espèce humaine - en finalités et actions prioritaires. Nous savons très bien opérer ce genre de bricolage physico – psycho - social, nous avons toujours su faire, même aux époques historiques, en petit à de multiples occasions où notre espèce n’était que localement en péril. C’est une caractéristique de l’être humain.

Le basculement initial du sens destinal peut être simplement exprimé par analogie avec un scénario de science – fiction. A ce moment du film, par un retournement dans le scénario, nous nous découvrons en Monstres immatures et désordonnés, mais efficaces ravageurs de surface grâce à nos machines. Il reste seulement 3 minutes sur la bobine en cours, mais le film dans sa totalité s’étend à l’échelle multi millénaire de la tectonique des plaques, une particularité de la planète qui lui donne une éventuelle ultime capacité de régénération autonome d’une biologie de surface. Ce n’est qu’un passage, tout ira bien à la fin. Quelqu’un voudrait prouver le contraire ?