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Tag - Ergonomie

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lundi 22 décembre 2014

Magie presse - bouton

Autrefois, mais il n'y a pas si longtemps, les cabines des ascenseurs dans les immeubles portaient une affiche prévenant que l'accès était interdit aux enfants de moins de 15 ans non accompagnés.

Aujourd'hui, on peine à imaginer de quoi ces époques révolues voulaient se protéger.

Un enfant de 3 ans (ou moins), accompagné de ses (grands) parents en extase devant les capacités extraordinaires du petit, appuiera sur le bouton de l'étage, après avoir été si nécessaire soulevé à bonne hauteur par l'un des adultes. Pourtant, les ascenseurs ne tombent pas en panne plus qu'autrefois et les erreurs d'étage ne sont pas plus fréquentes.

Ce qui a changé dans nos sociétés "évoluées" (c'est-à-dire avec immeubles et ascenseurs), en quelques dizaines d'années, est donc plus subtil et plus profond que l'interdiction d'interdire.

Ce qui a changé, ce n'est certainement pas non plus l'émancipation enfantine. L'enfant-roi se vit comme la projection en bas âge de l'adulte farci d'une puissance imaginaire. L'enfant-roi, doublement instrumentalisé, sait dire à ses parents quels jouets il veut, et aussi précisément comment les acheter. Car la question d'argent, c'est un truc d'adulte, avec le fric au distributeur presse - bouton des banques. "Ah non, là attention, ce n'est pas un jeu" dit l'adulte, "OK ?". Trop tard ! Pour l'enfant - roi élevé dans la vie comme un jeu, les petites histoires font la religion du réseau des copins, et les anciennes religions sont des thèmes de jeux de rôles.

EnfantPill.jpg Une variante extrême de l'enfant - roi, celle de l'enfant - soldat - gosse - de - riche - high - tech, fait l'actualité, révèlant au passage combien la durée de l'enfance mentale s'est récemment plus vite allongée que la durée totale de la vie (en moyenne, bien entendu) dans certains pays. Ce qui différencie ce nouveau type d'enfant - soldat par rapport au standard historique né dans la guerre et la misère, ce ne sont pas les ressorts mentaux de sa dérive mais l'environnement physique du processus d'embrigadement mental, par le truchement de ce qu'on appelle communément les NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication). Ce constat technique devrait jeter un doute sur le caractère intrinsèquement bienfaisant des NTIC. Bien entendu, on ne devrait pas généraliser cette interrogation sur les NTIC à partir de tels cas pervers, mais plutôt à partir des innombrables preuves éclatantes des effets auto hypnotiques des engins "high tech" : regardons-nous dans les rues des grandes villes, dans les transports en commun, au bureau, en privé... Imaginons un instant que ces engins projettent leurs utilisateurs dans un espace parallèle, avec nos faces d'émoticones en touches d'humanité, ce serait de la science-fiction ou une interprétation à peine romancée de la réalité ?

Voici donc enfin ce qui a vraiment changé pour nous tous : c'est le choc de l'abstraction du presse - bouton sur notre cerveau d'homo sapiens.

Avant la "révolution numérique", avec les machines et jusqu'aux appareils à transistors, chaque bouton ne commandait qu'une seule chose, comme l'étage dans l'ascenseur.

Le chaînon intermédiaire dans la chaîne évolutive informatique des machines presse boutons, il existe encore, c'est le distributeur de boissons et de friandises ! Les possibilités de choix sont devenues tellement multiples et variables qu'il faut recourir au codage des produits, cependant toujours avec les vrais produits en vue directe au moins au stade final. Faible niveau d'angoisse, repos immédiat de l'esprit à l'obtension du produit, sauf quand on s'est trompé ou quand la machine déraille - remarquons alors l'universalité des mimiques humaines envers la machine.

Avec la "révolution numérique", nous avons franchi un grand pas dans l'abstraction. Le grand nombre des possibilités de combinaisons presse - boutons, par exemple en parcourant les menus d'une tablette tactile, et le remplacement des objets par des images ou des idées, nous imposent des pointes de saturation intellectuelle - non, ne me dites pas que votre puissant esprit vous permet de penser à autre chose en même temps, je sais bien que vous ne faites pas attention à moi et encore moins à ce que je dis pendant que vous tapotez sur votre engin... Face à cette surcharge répétée, par renoncement simplificateur et compensation analogique (une mécanique mentale de la conceptualisation), jaillit l'idée théorique d'un pouvoir infini à notre disposition, merveilleux, immersif, irrésistible, d'autant plus que nous ne savons en utiliser qu'une toute petite partie. En termes simples, nous concilions le dérisoire et l'enchantement, c'est magique !

Vous trouvez étrange ce rapprochement entre notre relation individuelle à la révolution numérique et la pensée magique ? N'est-ce pas au contraire franchement banal, en réalité ? N'est-ce pas plutôt que le raisonnement magique est (re)devenu la norme, en parallèle de la "révolution numérique" presse - bouton ?

Regardez donc avec une attention critique les clips publicitaires des derniers bidules informatiques ou, mieux, écoutez vraiment pour une fois n'importe quelle déclaration ou discours de savant ou de politique ! Vous constaterez que ce discours suppose qu'il suffit d'appuyer sur quelques boutons (ou, en variante plus virile, d'actionner les bons leviers) pour que l'Humanité devienne sage, pour que la Croîssance revienne avec deux chiffres précis après la virgule, pour que l'Univers se plie aux théories de la Physique, etc. Non, cette résurgence de la mentalité magique n'est pas seulement imputable aux simplifications des prises de parole dans les médias, ce sont les manifestations brutes d'une très antique façon de penser, au tout premier degré et sans nuance, qui nous imprègne tous - ou alors nous faisons vraiment bien semblant.

Résumons.

Face aux décisions civilisatrices à prendre dans les 20 ans pour l'avenir de la planète, n'est-il pas indigne de nous laisser abrutir par une pseudo "révolution numérique", simple évolution du presse - boutons, vecteur d'une pensée magique passivante ?

Alors qu'une vraie révolution numérique, construite et ouverte, nous donnerait les moyens d'une citoyenneté responsable, les moyens du partage d'intelligence à valeur ajoutée pour tous... Il n'existe aucune difficulté technique, mais les puissants qui ont peur de perdre leurs privilèges, les parasites et les suivistes, les tenants de certitudes fatalistes de diverses obédiences... sont tous contre, ce qui fait du monde, mais pas du meilleur. En revanche, quelques formes nouvelles de construction sociale adaptées aux sociétés virtuelles sont à inventer. Voir par ailleurs dans ce blog, merci.

mardi 5 mars 2013

Le logiciel libre, une liberté pour qui, pour quoi ?

Définition trouvée dans Wikipedia version française : "Un logiciel libre est un logiciel dont l'utilisation, l'étude, la modification et la duplication en vue de sa diffusion sont permises, techniquement et légalement. Ceci afin de garantir certaines libertés induites, dont le contrôle du programme par l'utilisateur et la possibilité de partage entre individus." Voir aussi http:/www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html et notamment le lien vers les termes prêtant à confusion.

Le but ici n'est pas de critiquer le logiciel libre, encore qu'on trouvera dans ce billet un ramassis d'observations parmi les plus piquantes jamais écrites sur le logiciel libre d'un point de vue souvent oublié, celui de l'utilisateur et celui de l'informaticien "proche des utilisateurs". Notre but est d'évoquer une dimension à notre avis insufisamment développée du logiciel libre, à savoir la création de nouveaux services aux utilisateurs. A preuve, on en proposera une réalisation urgentissime.

Par avance, pour légitimer notre démarche, rappelons que dès les débuts du mouvement du logiciel libre, l'idée de nouveaux services aux utilisateurs était présente, et qu'elle a produit des réalisations. Voir par exemple http://www.gnu.org/encyclopedia/free-encyclopedia.html à l'origine de Wikipedia.

En tant qu'utilisateur, je reconnais mon immense dette au logiciel libre. Pas seulement pour l'ivresse de l'évasion au grand air, au lieu de rester vautré sur les canapés moelleux des grandes fabriques. Clairement, je fais des économies financières considérables en utilisant une suite bureautique libre, un lecteur libre multimedia (y compris radios web, tnt, dvd tous formats évidemment), un anti virus libre, un système fondé sur GNU/Linux, et avec un navigateur libre j'évite probablement une partie de l'espionnage sur le Web, etc.

penguin_640.png C'est presque négligemment que je mentionne GNU/Linux, du fait que l'on trouve d'excellentes distributions conviviales faciles à installer et à utiliser. En passant, j'en profite pour un avertissement : ignorez les articles pour ou contre Linux, et spécialement ceux qui font croire ou laissent penser à la nécessité de passer en ligne de commande pour maîtriser un système GNU/linux; tout cela est dépassé depuis au moins 5 ans. Il n'existe plus, à l'encontre de GNU/linux pour l'utilisateur, qu'un seul argument "sérieux" : celui des jeux vidéo, et encore seulement dans la mesure où ils font appel aux toutes dernières cartes graphiques et aux drivers associés (voir http://winehq.org).

Et les distributions de GNU/Linux ne sont plus depuis longtemps des curiosités que l'on est invité à tester en parallèle d'autres systèmes, elles sont robustes et entretenues. J'utilise encore, parce que c'est mieux qu'une tablette pour ce que j'ai à faire, un netbook Eeepc 4G Asus de première génération, sur lequel j'ai installé dès l'origine un système XUbuntu 8.04 (avril 2008); je reçois encore (02/2013) des mises à jour de sécurité bien que cette version d'Ubuntu ne soit plus officiellement soutenue depuis longtemps (mais les versions remplaçantes sont trop encombrantes pour mon vieux netbook).

La réalité brute, c'est qu'actuellement le logiciel libre est partout et qu'il a tiré le progrès des dernières années dans de nombreux domaines, bien que d'une manière parfois souterraine pour l'utilisateur. Pour être objectif, cet effet d'entraînement n'a pas toujours été le résultat d'une supériorité technique ni d'un enthousiasme spontané. La menace de l'émergence d'une concurrence gratuite a pu motiver certains logiciels propriétaires à proposer des versions libres d'usage courant de leurs produits. En tous cas, les utilisateurs de réseaux sociaux et de tablettes doivent le savoir : leurs outils magiques n'existeraient probablement pas sans le logiciel libre.

Maintenant, on devrait s'interroger :

  • pourquoi est-ce que le mouvement militant du logiciel libre a si bien réussi ?
  • pourquoi cette réussite est-elle méconnue ?
  • quels sont les besoins de renouvellement pour que cette réussite puisse continuer ?

Je n'aborde ici que les deux derniers points, faute des connaissances nécessaires pour relater correctement l'histoire contemporaine - pour cela, je renvoie à Wikipedia et à R. Stallman.

Le logiciel libre reste méconnu du grand public parce qu'en pratique, l'utilisateur confond logiciel libre et logiciel gratuit. Le terme "free software" est d'ailleurs porteur d'ambiguité, puisque "free" signifie libre mais aussi gratuit. De plus, il existe des logiciels gratuits qui ne sont pas des logiciels libres et inversement les logiciel libres sont souvent distribués en version binaire gratuite directement installable sur les systèmes courants. Bien entendu, l'utilisateur peut faire la différence en lisant la licence d'utilisation jointe au logiciel ou celle qui s'affiche lors de son installation; sinon, il peut la lire sur le site Web du logiciel ou de la fondation qui l'a produit. Autrement, il n'existe, pour l'utilisateur final, aucune différence entre un logiciel libre et un logiciel gratuit.

Donc, une réponse correcte à la question ci-dessus posée à propos de la méconnaissance du logiciel libre serait :

  • l'utilisateur peut savoir qu'il utilise un logiciel libre,
  • mais c'est à travers un texte à caractère juridique, plutôt répulsif ou difficile à interpréter,
  • et de toute façon, cela n'a aucune conséquence pratique immédiate pour cet utilisateur.

Clairement, il manque quelque chose comme un logo témoin de l'adhésion à la philosophie du mouvement du logiciel libre, un signe de "liberté égalité fraternité", et pas seulement de conformité avec un type de licence. Pourquoi pas une signature palmée ou une trace de pas de manchot ? A l'opposé, les sites Web de fondations de logiciels libres qui affichent leur liste de soutien par des sociétés à gros bénéfices flouteraient plutôt l'image du logiciel libre, au lieu qu'une présentation légèrement différente pourrait la renforcer.

Bref, les informaticiens ne sont pas des commmunicants, et dans un monde sans pitié, ils se font rouler.

Concernant les besoins de renouvellement du mouvement du logiciel libre, en tant qu'informaticien "proche des utilisateurs", les déficits à combler me semblent évidents. Autant j'apprécie la puissance des outils libres destinés au développement ou à l'environnement d'exécution des logiciels d'application, autant je m'interroge sur le dynamisme créateur de ces outils, qui me semble pris dans une spirale de répétition plutôt que vers l'innovation.

En résumé :

  • je suis las de refaire l'apprentissage de chaque nouvelle branche des logiciels piliers libres PHP, Python, Apache, etc tous les 18 mois environ (je ne parle pas de versions successives, mais bien de familles de versions, chacune avec ses propres règles de paramétrage et avec ses propres exigences de compatibilité avec les autres piliers libres, et plus subtilement encore avec le système hôte, à découvrir dans des contributions éparpillées à l'intérieur de forums techniques - et concernant les bogues, en particulier les bogues de régression, c'est encore pire si c'est possible...)
  • je suis effaré de lire les annonces de publication de logiclels de plateformes collaboratives dont les fonctions sont reproduites à l'identique depuis des années et nécessitent un paramétrage très professionnel pour fonctionner tant bien que mal
  • alors que des réseaux sociaux, qui n'ont rien inventé techniquement, pèsent des milliards de dollars et passent pour des bienfaiteurs de l'humanité.

MM. et dames du logiciel libre, vous tournez en rond, on vous tond la laine sur le dos, et en plus, vous avez mieux à faire !

penguin_whitix.png Par exemple, il serait urgent de créer un ensemble de logiciels permettant à l'utilisateur "ordinaire" de créer son propre site Web d'interaction sociale, localement chez lui ou proche de chez lui, en conformité avec les principes d'architecture décentralisée du Web, afin que l'utilisateur conserve la maîtrise physique de ses informations personnelles, de la nature et du contenu de ses interactions. Autrement dit, si quelqu'un ou quelque chose veut de quelque manière accéder à ces informations personnelles, historiques et natures d'interactions, contenus échangés, etc. l'autorisation explicite du propriétaire sera nécessaire et selon les conditions d'usage que ce proprétaire aura imposées.

Non, les logiciels libres existants ne répondent pas, en l'état, à ce besoin et même en assemblant plusieurs logiciels existants, on sera loin du compte. Car il ne s'agit pas de fabriquer un milllième générateur de site web ou de plate forme collaborative vaguement spécialisée. Il s'agit de redonner à l'utilisateur sa place sur le Web, comme personne humaine. En revanche, il n'est nul besoin de rechercher une performance technique permettant un nombre élevé de connexions simultanées, il est au contraire préférable d'instaurer une forme de rationnement maîtrisé au travers d'automatismes d'administration bien pensés en parallèle avec la conception.

Tentons d'ébaucher ce que doit pouvoir faire l'utilisateur ordinaire d'un tel logiciel :

  • créer, tenir à jour son site Web, sur sa machine pour les mises au point du site), le publier automatiquement en parallèle sur le Web dans son espace personnel alloué par son fournisseur d'accès
  • distinguer explicitement, dans son site Web, les éléments rendus visibles aux moteurs de recherche (les autres ne l'étant pas, par défaut)
  • entretenir un profil public de ses centres d'intérêt et de sa propre présentation personnelle
  • pouvoir temporairement mettre son site Web hors ligne et annoncer une date/heure UTC de remise en ligne; éventuellement programmer un calendrier de mise hors ligne / remises en ligne
  • trouver de nouveaux correspondants par l'intermédiaire des moteurs de recherche, moyennant par exemple une forme de préfixage automatique spécifique à ce type de site des thèmes d'intérêt déclarés dans le profil public
  • dialoguer avec de nouveaux correspondants potentiels, leur donner accès éventuellement indivuduellement à des parties privées du site
  • définir des types de correspondants afin de dire, dans son site Web, quels éléments seront visibles de quels types de correspondants
  • adopter des correspondants, les affecter à un type défini de correspondants (sans que cela soit obligatoire, le typage n'étant qu'une facilité en vue de la définition des interactions)
  • de sa propre initiative ou sur proposition périodique programmée, traiter les demandes de contact, commentaires et messages reçus
  • de sa propre initiative ou sur proposition périodique programmée, traiter les abonnements informatifs requis par les correspondants adoptés (informations d'évolution du site)
  • tenir une (petite, simple) conférence à distance avec des correspondants individuellement choisis parmi les correspondants répertoriés
  • créer des zones temporaires de mise à disposition de photos, textes, vidéos à l'intention de correspondants individuels, éventuellement alimentées à partir d'appareils portables
  • créer des forums-chats temporaires de correspondants individuels en interaction textuelle asynchrone (tout message d'un correspondant apparaît chez les autres en temps quasi réel mais les correspondants ne sont pas forcément en ligne simultanément)
  • etc,

Vous voyez l'idée, au-delà de cette énumération très perfectible ? Pensez aux besoins d'interactions, via des sites web personnels décentralisés, entre les membres d'une famille éclatée sur plusieurs continents dont certains voyagent, avec en parallèle des interactions avec des collègues de travail sur des affaires multinationales (pas trop confidentielles) et en parallèle des interactions avec des correspondants divers sur des thèmes d'intérêt, par exemple le bricolage en plomberie. L'ensemble logiciel doit permettre à un utilisateur ordinaire de tenir conjointement ces trois genres d'interactions d'une manière simple et transparente, avec une administration conviviale aussi automatisée que possible. J'insiste sur deux points. Premier point : du point de vue de l'utilisateur, l'identité des correspondants n'est certainement pas définie de la même manière dans les trois genres d'interactions; ce n'est pas un détail à traiter seulement au niveau des affichages ou de l'ergonomie des interactions. Deuxième point : le souci de la facilité d'emploi par un utilisateur ordinaire doit concerner l'administration du site Web autant que les autres fonctions; cette administration doit donc être conçue en parallèle avec les autres fonctions et pouvoir influer sur la conception de ces autres fonctions. Il est de loin préférable de fabriquer un logiciel simple en réalisation rapide dans les trois genres d'interactions plutôt que de multiplier des fonctionnalités génériques au risque de mal les intégrer à l'utilisation de l'ensemble. Une autre suggestion : commencer par une réalisation qui servirait de démonstration de notoriété, par exemple un mini serveur administrateur de données personnelles, destiné aux smartphones ?

"Liberté égalité fraternité" des utilisateurs du Web, c'est encore possible ! Mais il est plus que temps pour la réalisation de la conception originelle du Web et le support d'une forme d'intelligence répartie, au lieu de la multiplication des services centralisés et des abus manipulatoires en arrière plan qui en découlent fatalement (il n'est nul besoin d'imaginer une théorie du complot pour s'en rendre compte, il s'agit d'une conséquence mécanique).

Ah oui, n'oublions pas : comment va-t-on financer le développement, la maintenance, les évolutions, etc ? Quelques idées : collecte(s) publique(s) de fonds, abonnement payant (modeste) des utilisateurs à un service d'échange d'expérience et discussion des évolutions à réaliser, intéressement d'organismes internationaux d'échanges culturels, intéressement des agences gouvernementales en charge de la préservation des données privées, de la protection de l'enfance, etc. Il sera très instructif de voir qui sera contre. Il y aura certainement des surprises dans les deux sens, pour et contre ce projet, pour sous condition inacceptable et contre pour motifs à courte portée, notamment du fait que l'équilibre actuel entre les puissances du Web, l'écoulement des flux de trafic et la répartition des bénéfices ne satisfont pas tous les acteurs.

samedi 1 septembre 2012

Pour un Web de la conversation à objectif (2)

Merci par avance de votre indulgence, et si ce n'est déjà fait, de bien vouloir relire auparavant le premier billet sur le même sujet.

Car nous pénétrons un territoire mental peu fréquenté ces derniers temps dans l'histoire humaine...

Pour parler vraiment avec les autres, il faut apprendre à leur parler de soi et à ne pas leur parler de soi. Tous les professionnels de la parole le savent. La difficulté naturelle traduite par ce paradoxe existe dans toutes les cultures, y compris les moins individualistes. Ainsi, on peut se parler pendant des heures sans rien se dire, c'est d'ailleurs la plupart du temps ainsi, pour des milliers de raisons propres à chaque culture. Dans un autre registre, l'art des trafiquants de la parole pour gruger leurs interlocuteurs repose sur un déséquilibre contrôlé des termes du paradoxe, très souvent au centre de leur maneuvre.

Voyons comment construire les éléments d'une étiquette à la hauteur de ce paradoxe, dans le cadre de référence présenté dans le premier billet sur le même sujet.

Le format d'un billet oblige à une effroyable simplicité. Tant mieux.

Mettons-nous donc dans la tête d'un participant en train de concevoir la rédaction de sa prochaine intervention, dans le cours des interactions de la conversation.

Je peux si nécessaire commencer mon intervention par la communication d'un niveau de ''quant à moi'". Je le fais par une couleur d'annonce.

TREFLE.JPG Trèfle. Mes traits culturels de comportement, auxquels j'ajoute mon interprétation de l'étiquette commune d'interaction (ce qui me permet de m'exprimer pendant l'élaboration de l'étiquette elle-même et ensuite sur son respect)


CARREAU.JPG Carreau. Mes projets en cours, mes activités planifiées personnelles dans ma vie



COEUR.JPG Coeur. Mes construits mentaux, théories, croyances, le sens que je donne à certains mots (tout cela peut-être avec incohérences et approximations)


PIQUE.JPG Pique. Mon jardin secret, je ne sais pas vraiment ce qu'il y a dedans, mais je sais dire quand on le piétine, et on ne touche pas !


Toujours, je donne un signal d'intention :

Proposition.jpg Je fais une proposition, une déclaration



Accord.jpg J'exprime un accord



Desaccord.jpg J'exprime un désaccord



Developpe.jpg Je souhaite un développement, une comparaison




Pause.jpg j'exprime un refus, je demande une pause


...

Ensuite, je dis sur quoi ou qui porte mon intention, par une suite de références (en cliquant sur des tableaux ou listes, je n'ai pas à taper les références ci-dessous et inversement le contenu de ces références s'affiche automatiquement en popup) :

$ numéro ou alias : un participant (si je ne précise pas, c'est moi)

~ numéro : le thème de conversation portant ce numéro dans le répertoire des thèmes communs ou le répertoire des propositions d'un participant (alors j'ajoute le $ du participant)

{ numéro : la règle de politesse portant ce numéro dans le répertoire des règles de politesse d'interaction dans l'étiquette commune

\> numéro : la règle de cheminement portant ce numéro dans le répertoire des règles de cheminement entre les thèmes dans l'étiquette commune

\# un élément extérieur (url par exemple)

Je peux insérer du texte, par exemple lorsque je détaille une proposition. Après un signal d'intention négative, je peux enchaîner une proposition dans mon intervention.

C'est simple, non ? On peut enfin dire poliment que l'on propose de revenir à un thème précédent, que l'on est profondément vexé et que l'on se retire, et on n'a plus à répéter 100 fois la même proposition pour qu'elle soit entendue.

Evidemment, l'étendue et la nature des règles de politesse dépendent principalement du contexte et de l'objectif. Dans notre proposition, on aligne tous les participants sur une seule description à quatre niveaux générique. Il est clair qu'on peut avoir plus d'imagination et définir plus précisément ces niveaux en rapport avec un objectif donné, surtout si les protagonistes interagissent dans un contexte étroit. Attention, cependant de ne pas particulariser des types de participants. Le fait que les protagonistes aient des intérêts et des priorités différentes (niveau 3) n'en fait pas des êtres étrangers les uns aux autres dans la conversation, sinon la définition de l'objectif commun de cette conversation est par avance compromise (ceci est une évidence pour tout diplomate expérimenté...). En effet, le principe égalitaire de la conversation n'implique évidemment pas l'identité des personnes, mais seulement l'égalité d'application des règles convenues entre eux.

En parallèle, les règles de cheminement peuvent être plus ou moins fournies; elles dépendent principalement de l'objectif et des thèmes (voir l'exemple de la discussion entre un acheteur et un vendeur de bien industriel, billet "Pas de dialogue sans étiquette !"). Notons que même dans notre proposition minimaliste, il est facile d'exprimer le refus devant une insistance gênante sur un thème.

Ce que nous avons esquissé avec nos moyens du bord, mais du fait de la généralité du cadre de référence choisi et malgré toutes les imperfections, est néanmoins un projet d'étiquette-mère universelle. Ce qui signifie : il appartient à chaque communauté d'élaborer l'étiquette qui convient, à partir de cette étiquette-mère-ci... ou d'une autre.

Faisons un rêve : dans quelques années, tous les engins informatiques personnels auront un clavier étendu de "caractères d'étiquette" ou offriront son équivalent via un tableau de sélection affiché par leur système d'exploitation. Et des professionnels plus doués en ergonomie que les auteurs de ce billet s'intéresseront enfin à l'interface d'humain à humain, et des chercheurs compétents (tandis que leurs collègues disputeront de mille microthèses) expérimenteront des étiquettes d'interaction sociale et enfin des ingénieurs imagineront comment les réaliser simplement (notamment en trouvant comment, à l'intérieur des conversations sur le Web, dépasser la contrainte "universelle" paralysante des liens URL univoques non datés et rigidement typés), et tout ceci circulairement....

Sinon : rien.

lundi 11 juin 2012

Pas de dialogue sans étiquette !

Ce billet est sans rapport avec les élections législatives en cours. Cependant, il concerne notre avenir social.

Entendons par dialogue une forme de relation sociale entre des personnes qui cherchent un accord au travers de ce dialogue. L'accord est à comprendre dans un sens très général. Comme son analogue musical. l'accord peut être banal ou original, final ou transitoire, etc.

Entendons par étiquette un ensemble de conventions communes qui permettent aux protagonistes de dérouler leur dialogue. Et considérons la capacité de créer une étiquette et de la partager comme une caractéristique humaine plus large que celle du langage, adaptable à tous media, génératrice de toute forme d'expression sociale. Enfin, préférons "étiquette" à "code", car ce dernier terme véhicule l'idée d'une contrainte d'application automatique (jusqu'à l'enfermement mental et physique individuel), alors que l"étiquette suppose une invitation, souvent associée à une connotation ludique - il s'agit bien du jeu social.

Remarque en passant. "Le code d'ouverture du coffre est sur l'étiquette". Cette expression, où "code" et "étiquette" sont pris dans leurs acceptions banales, peut sembler contester les définitions proposées. On peut cependant y discerner une confirmation : le code est bien ce qui enferme et contient, alors que l'étiquette reste à l'extérieur et rend maître du code !

Illustrons nos définitions par un exemple de la vie des entreprises, celui de la négociation entre un acheteur et un vendeur, tel qu'elle est présentée dans un ouvrage de référence "Acheter avec profit, guide de négociation de l'acheteur professionnel" par Roger Perrotin et Pierre Heusschen (Editions du Moniteur, 1989). Il s'agit de créer les conditions d'un accord entre un acheteur et un vendeur sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation : prix, conditions de paiement, délai de livraison et de réapprovisionnement, garantie de qualité, emballage, services associés, conventions d'échanges informatisés, calendrier des prévisions de besoins, etc, etc. L'accord résultera d'une négociation sur chacun des critères objectifs connus du vendeur et de l'acheteur; ces critères sont objectifs parce qu'ils sont déterminés par la nature du produit ou de la prestation dans le contexte de la négociation. Chacun des protagonistes connaissant l'entreprise de l'autre, il peut classer ces critères objectifs en fonction de sa propre marge de négociation et, sur un autre axe, de la marge de négociation qu'il suppose chez l'autre. Il obtient alors un tableau de classement croisé qui lui présente les critères objectifs sur lequels la négociation promet d'être difficile (ceux pour lesquels la marge de négociation de l'un et de l'autre est faible), à l'inverse des critères peu conflictuels et parmi ces derniers, des critères "jokers" importants pour l'un des protagonistes mais pas pour l'autre. Une bonne tactique de l'acheteur consiste alors à conduire la négociation de case à case sur ce tableau dans un ordre qui lui permette à la fin d'obtenir un accord global satisfaisant (ce qui peut nécessiter le constat provisoire d'un blocage, d'où l'utilité d'une réserve de "jokers" pour redémarrer).

La personnalité de chacun des protagonistes intervient à double titre : dans la détermination du cheminement sur le tableau et dans l'expression (formules de politesse, questions ouvertes/fermées, types d'objections ou argumentaires et manières de les exprimer, etc). Cette potentialité de complexité foisonnante peut être réduite dans un cadre commun de référence : typologie des styles d'acheteur et de vendeur, caractérisation des tendances inefficaces des uns et des autres, ensemble minimal de règles de l'empathie transactionnelle dans ce type de négociation. Il devient alors possible pour chacun des protagonistes de mettre en oeuvre une tactique adaptée, d'éviter les situations de blocage ou de les résoudre.

Au total, ce qui est décrit dans ce guide de négociation, c'est une étiquette au sens défini en introduction. Si le cours réel de la négociation révèle des affrontements inattendus entre l'acheteur et le vendeur, par exemple du fait d'erreurs d'évaluation des marges de négociation ou du fait d'évolutions imprévues des styles de négociation adoptés, alors d'autant plus, cette étiquette sera le recours commun, parce qu'elle permet à chacun simultanément de percevoir la nécessité des ajustements, leur nature et leur portée souhaitables, puis de conduire leur réalisation dans un cadre commun - à ce titre l'étiquette est constitutive du métier des protagonistes dans leur relation conflictuelle. Clairement, même et surtout dans un contexte déterminé par la recherche d'un objectif précis, l'étiquette n'est pas le décor ni l'ustensile du dialogue, mais sa méthode.

IMG_3727.jpg

En généralisant juste un peu, les catégories de composants d'une étiquette de dialogue à objectif se dégagent :

  • référentiel des types de protagonistes en vue du dialogue pour l'objectif global poursuivi (ex styles d'acheteur et de vendeur)
  • référentiel d'affichage de la progression du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex tableau croisé des critères selon leur criticité pour chacun des protagonistes)
  • règles de cheminement du dialogue pour atteindre l'objectif global poursuivi (ex passage sur les cases à faible niveau de conflit jusqu'à obtenir un équilibre permettant, en conservant quelques jokers, de traiter les cases plus conflictuelles)
  • règles de préservation de l'empathie pour la continuation ou la reprise du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex comportements à éviter, comportements déclencheurs d'accords minimaux)

Notre ouvrage sur la transmission des compétences à l'ère numérique (voir le lien "Essai sur un web alternatif") contient une proposition d'étiquette adaptée à la transmission des compétences personnelles, évidemment bien différente de celle de la négociation entre acheteur et vendeur. Cependant, on y retrouve les catégories de composants listées ci-dessus. Ce n'est pas étonnant, il s'agit de fondamentaux méthodologiques, une analogie avec la musique concertante peut être éclairante.

Dans tous les cas, la mise en oeuvre sur le Web d'une étiquette de dialogue à objectif implique, par nature, la création d'une société virtuelle spécifique.

Pour ce faire, à l'évidence, le Web actuel doit être dépassé. Ce Web-là est devenu un jouet hypnotiseur à prétention universelle, instrumentalisé par les marchands et les manipulateurs. Les emoticones d'état d'âme, les réseaux sociaux banaliseurs, les services outilleurs de propagandes, les encyclopédies de l'instantané, les clics d'achats faciles par carte bancaire, les traductions automatiques ineptes, la netiquette en bouillie pour chat, et in fine la déclaration universelle des droits de l'Homme... : pauvreté de la socialisation sur le Web actuel, faiblesse de ses fondements techniques, misère de ses idéaux. Hélas, "le media est le message" comme disait un prophète du village planétaire, et nos savants se perdent dans ses détails insignifiants et ses oripeaux.

Le Web des innovations sociales reste à inventer, pas comme un miroir ni une extension du monde réel, mais comme l'espace des sociétés virtuelles en tant que nouveaux territoires du monde réel. Scandale : c'est possible ! Avec "dialogue" et "étiquette"...

mercredi 31 août 2011

Notre Web échomatique

Il se dit que les réseaux sociaux du Web abritent un foisonnement des idées, des débats passionnés, et qu'ils peuvent accélérer des révolutions.

La simple répercussion de rumeurs et la propagation de mots d'ordre, en échos automatiques, donnerait la même production.

D'ailleurs, constatons, même dans les blogs de réflexion écrits en français, l'évolution machinale de la langue des commentaires. L'orthographe est celle d'un automate correcteur à partir d'une reconstitution phonétique ignorant le contexte. La syntaxe est celle d'un rap enroué. C'est bien que la redondance du contenu permet de tout supporter sans difficulté.

Oua l'or on sait mâle con prix.

Dans notre Web des échos, il manque un emoticon pour dire "je suis d'accord mais je le dis à ma façon", et un autre emoticon pour dire son opposition, avec insultes de saison.

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De même, l'art des grands résonateurs de l'actualité sur le Web n'est qu'arrangement et reprise. Leur technique de composition est la comptine en kyrielle, enchaînant des nouvelles du jour avec des mots d'ordre choisis dans le stock des propagandes en cours, selon un modèle de présentation pris parmi les standards de leur milieu.

Or, toutes ces productions, premières et secondes, pourraient être confiées à des automates intelligents. En effet, elles ne requièrent que trois fonctions actives : découper, substituer, recoller. Avec une mémoire réduite à l'actualité, une alimentation en arguments publicitaires, quelques modèles de départ, un zeste de logique probabiliste pour la créativité, hop, le logiciel nous fait la chronique du jour et les commentaires en prime !

Si le message est différent du media, alors le message, c'est que nous nous prenons pour des machines.

vendredi 19 août 2011

Pour une théorie générale des sociétés virtuelles du Web

Voici un billet ambitieux. Heureusement, le format du blog oblige à la concision.

De quoi parlons-nous, au fait ?

Tout d'abord, sur la "différence" entre société virtuelle et société réelle, nous considérons :

  • que les sociétés virtuelles existent depuis l'aube de l'humanité, "la" société réelle comprenant naturellement de nombreux éléments virtuels plus ou moins réalisés
  • que l'apport le plus important des technologies Web est de nous donner la capacité de réaliser des sociétés virtuelles aisément
  • qu'une société virtuelle repose sur l'équivalent d'une constitution étatique spécifique comprenant des règles de fonctionnement, une discipline
  • qu'une société virtuelle se concentre sur des finalités pratiques qui seraient inatteignables ou difficilement atteignables hors de cette constitution, de ces règles, de cette discipline particulières
  • qu'une société virtuelle est plus qu'un jeu, plus qu'un instrument, plus qu'un media; c'est une composante de la société réelle
  • que la réalisation de multiples sociétés virtuelles représentera une évolution de "la" société humaine

Ne confondons pas société virtuelle et utopie; une société virtuelle ne vise pas à devenir "la" société, ni à l'évasion hors de "la" société.

Ne confondons pas société virtuelle et monde imaginaire, ou univers parallèle. Bien qu'un monde imaginaire puisse être très organisé et très réel au travers de son influence sur le comportement des humains, la société virtuelle s'en distingue par plusieurs caractéristiques :

  • elle prend "la" société et l'humanité existantes, puis ses évolutions, comme des données imposées
  • elle est entièrement tendue vers la réalisation de ses propres finalités pratiques dans le monde réel.

Ne confondons pas finalités et valeurs. Une finalité est un objectif à réaliser, dans un délai mesurable (exemple : reconvertir l'agriculture française à l'écologie) ou en continu (exemple : transmettre les compétences personnelles). En soi, une finalité ne véhicule aucune valeur. Dans la société, l'opération de choix des finalités relève de la politique; mais une finalité, c'est le contraire d'un discours fumeux; la réalisation d'une finalité doit être atteignable et les moyens concrets, les étapes pour y parvenir doivent pouvoir être définis.

Dans l'histoire, les exemples les plus évidents de sociétés virtuelles réalisées, ce sont les sociétés de compagnons artisans de métiers, en particulier ceux qui ont contribué à la construction des grands ouvrages de leur époque. Plus récemment, on retrouve les caractéristiques de sociétés virtuelles dans les équipes de grands projets novateurs ou transformateurs de la société, de l'environnement, etc. Concernant le Web, des expériences récentes telles que social Planet (http://www.social-planet.org/) ou Friend Of A Friend (http://www.foaf-project.org/ dans une interprétation plutôt informaticienne), entretiennent la flamme dans les ténèbres bruyantes des fausses solutions promues par les batteleurs.

Pourquoi si peu de réalisations ?

Ce qui empêche l'émergence des sociétés virtuelles sur le Web :

  • l'absence de référentiels d'intérêt général maintenus comme tels sur le Web (en gros, il s'agit de : dictionnaires et encyclopédies versionnées, collections de journaux)
  • la trahison des technologies du Web, au profit d'un réseau consacré prioritairement au trafic commercial à partir de serveurs centralisés (le "Web 2" = un concept marketing), les rares services d'intérêt commun servant de pots de miel aux fins d'analyses statistiques à destination marchande et à des fins manipulatoires
  • le confinement de l'ergonomie à l'utilisation individuelle d'ustensiles, au lieu d'envisager même modestement la création de modes d'expression nouveaux entre des personnes
  • le pouvoir normalisateur des quasi-monopoles de l'informatique, axés sur l'optimisation de leur puissance et de leur profit
  • la tétanisation des "moutons électriques", automates humains jouisseurs drogués d'émotions, tous conformés aux mêmes stéréotypes de réalisation de soi
  • l'incompétence de la plupart des penseurs littéraire à comprendre la technique dans ses aspects pratiques
  • l'incapacité de la plupart des scientifiques à l'expression d'une pensée réfléchie en l'absence de certitude formelle
  • l'influence persistante de courants intellectuels dogmatiques, ignorant les changements rapides du monde (la radio date des années 40, la télévision des années 50, mais l'explosion de la population humaine et le début de la catastrophe écologique, qui sait les dater...)
  • l'abscence de convergence entre l'intérêt général et le modèle d'une société régie par l'économie monétaire (exemple : les brevets en comparaison de la gratuité des idées)
  • la difficulté, en régime démocratique (autrement, la question ne se pose pas), de légitimer une définition de l'intérêt général dans un contexte et pour un futur propre à l'action (voir le vide de la plupart des "programmes" politiques en termes de finalités concrètes)
  • etc, etc

Plus que tout cela, il existe un déficit de réflexion des sciences sociales sur ce qui fait "la société" dans les situations et contextes de notre vie courante.
Car voici les démarches intellectuelles très fréquentées, très respectables par ailleurs, dont nous n'avons PAS besoin dans notre démarche de création de sociétés virtuelles :

  • la réflexion sur "la" société humaine, ou sur les sociétés en tant qu'entités autosuffisantes par la combinaison floue de logiques identitaires et de ressorts universels
  • l'analyse psychologique de l'inconscient collectif
  • l'enquête des motifs transcendants de la société
  • la modélisation historique transverse à découpes thématiques (jeux, medias, sexualité, gestion budgétaire,...)
  • la réflexion politique, en particulier lorsqu'elle prétend se fonder sur des valeurs.

Considérons plutôt la relation sociale de la vie courante comme l'expression d'une étiquette (qui peut dépendre des personnes, du lieu, du moment, de l'environnement, etc) et admettons comme hypothèse de travail que les interactions sociales reposent sur des comportements physiques et mentaux quasi-mécaniques. A ce stade de dépouillement, osons même gommer le mot "quasi".... Alors, nous nous libérons de nos pesanteurs mentales d'individus noyés dans "la" société et nous pouvons alors envisager de construire de vraies sociétés virtuelles sur le Web, à finalités limitées, afin de réaliser concrètement ces finalités-là.

Alors, les valeurs sociales, l'identité personnelle, l'inconscient, même le langage... ne sont PAS à considérer comme donnés a priori dans la constitution d'une société virtuelle. La liberté dans la création de l'étiquette sociale adaptée à chaque société virtuelle doit être totale, afin que la société virtuelle puisse être entièrement tendue vers ses finalités propres. Notre essai sur la transmission des compétences personnelles à l'ère numérique (http://cariljph.free.fr/) est sans doute le premier à traiter cette constitution complètement pour son sujet.

Sinon, la malédiction "le message, c'est le media" écrase tout, et le Web marchand prend toute la place !

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Tentative de classification et d'illustration

Dans un but de recherche théorique prospective, ce serait une erreur fondamentale de classer les sociétés virtuelles du Web autrement que par leurs finalités. En effet, c'est la finalité de chaque société virtuelle qui fonde sa convention constituante originale, comprenant ses règles de fonctionnement spécifiques (comment on s'inscrit, comment on s'en va), la discipline particulière imposée aux membres, etc, en pratique incarnées dans une étiquette sociale. Quel est le champ des finalités possibles, comment en déduire les éléments adéquats à placer dans la convention constituante ? Telles sont les questions à traiter; c'est un immense terrain vierge pour les sciences sociales...

En revanche, une classification par type de constitution, par type de fonctionnement, par type de discipline, peut servir d'aide au diagnostic des maladies des sociétés virtuelles. Par exemple, si le coeur de la constitution n'est qu'un répertoire de valeurs-doudoux et de mots d'ordre de propagande, si la discipline implique un formatage des esprits, si les règles de fonctionnement asservissent les personnes.. alors on peut dire que la société virtuelle examinée est non seulement contraire à l'intérêt général mais monstrueuse. On pourra se reporter à l'exemple imaginaire (pas pour longtemps, hélas) esquissé dans un billet précédent, associant l'enfer et le paradis dans son titre.

Un premier facteur différenciant des sociétés virtuelles est la durée de vie, autrement dit la durée estimée de réalisation de la finalité ou des finalités. Un deuxième facteur, le degré d'universalité des finalités. Un troisième facteur le niveau d'externalité des finalités par rapport au Web. On peut certainement en trouver d'autres...

Concernant la durée de vie, une société virtuelle à durée de vie réduite s'assimile à une équipe de projet créée pour de grands travaux dans les organisations ou les méga-entreprises. Profitons de cette analogie pour faire comprendre la nécessité d'une convention constituante de toute société virtuelle et pour éclairer l'étendue nécessaire de la liberté de création des éléments de cette constitution, y compris et surtout concernant le langage et les modes d'interactions. En effet, tous ceux qui ont vécu plusieurs années à temps plein dans une équipe de grand projet savent ce que veut dire concrètement le terme de culture d'un projet; sinon, ils découvrent lorsqu'il doivent faire retour à la vie "normale" à la fin du projet, ou pire lorsqu'ils sont reconvertis vers un autre projet en cours de route, à quel point ils vivaient "dans un monde à part". C'est que la culture spécifique d'un projet donné ne sert pas seulement à créer la maison commune des participants venus de plusieurs métiers et horizons, ne sert pas seulement à créer des réflexes, systématiser des façons de faire que l'on considère comme efficaces dans le cadre du projet. Il s'agit bien de la création d'une structure sociale au plein sens du terme, où l'identité des membres est définie par le projet, où la langue parlée est celle du projet, presque incompréhensible pour de nouveaux arrivants (l'affirmation que la langue de travail est l'anglais est une approximation grotesque), où une éthique commune régit sur mesure ce qui peut ou ne peut pas être fait par tel ou tel membre, où des expressions, des tics, sont devenus des déclencheurs coutumiers de recueillement, de rire, de mobilisation etc, etc.... Ce sont là des faits d'expérience, qui vont bien au-delà de ce que décrivent les manuels de gestion de projet (non pas que ces manuels soient défaillants, ils restent au niveau de la théorie et de la technique pure). Que se mélangent dans cette culture des éléments incidents dans l'histoire du projet et des éléments fondamentaux issus des finalités du projet, c'est une évidence. D'ailleurs, il est souvent dommage qu'une partie des seconds soient découverts en chemin dans les projets réels : voici encore un sujet d'études...

Nous ne développerons pas d'argument spécifique à l'axe particularisme / universalité. Il est grossièrement évident que des finalités qui ne concernent qu'une partie de l'humanité sont a priori plus faciles à traduire dans une société virtuelle, mais il est tout aussi évident que cette facilité peut être un piège.

Le troisième facteur, celui du niveau d'extrusion des finalités, traduit la différence entre une société virtuelle dont la finalité unique serait un produit sur le Web (par exemple une encyclopédie nourrie de contributions multiples), par rapport à une société virtuelle où le Web serait purement instrumental (par exemple, une association de randonneurs parcourant zone géographique précise). Ces deux cas extrêmes sont probablement insatisfaisants par rapport à l'ambition générale d'une société virtuelle, mais il peuvent servir à caractériser des types de conventions constituantes.

C'est pour quand ?

Espérons que nos travaux sur les sociétés virtuelles faciliteront prochainement la publication d'un best seller par un auteur célèbre ou l'apparition de la thèse lumineuse d'un nouveau génie du siècle, pour que les éléments nécessaires au changement social majeur par la réalisation des sociétés virtuelles soient connus, correctement exprimés et développés.... Car nous n'en avons pas la capacité.

C'est certainement plus important pour l'humanité que la connaissance de l'univers galactique et plus crucial pour son avenir, face aux périls qui la menacent, qu'une invention miraculeuse supplémentaire.

Dans cet espoir, nous nous permettons de renvoyer le lecteur curieux à notre essai sur la transmission des compétences personnelles à l'ère numérique (http://cariljph.free.fr/) et aux autres billets du blog.

mercredi 3 août 2011

Du progrès en ergonomie ?

Les appareils de photographie numérique sont concurrencés par les téléphones portables. Les photographies prises par ces derniers sont considérées par beaucoup d'utilisateurs comme bien suffisantes en qualité, d'autant plus que leurs fichiers informatiques sont d'emblée adaptés à la publication telle quelle sur le Web.

Il existe probablement un autre argument au succès des portables : celui de la stagnation ergonomique des appareils de photo numérique.

J'utilise assez régulièrement deux appareils de photo numérique de générations différentes.

Mon premier appareil se distingue par son zoom optique facteur 10, son petit écran orientable... mais ses batteries rechargeables sont d'un modèle spécifique, heureusement que l'on trouve des batteries compatibles à moins de 15 euros sur le Web à la place des batteries d'origine 10 fois plus cher sur le marché libre.

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Mon second appareil est tout récent, tout numérique, tout plat, tout petit et poids plume, tout de même avec un zoom optique 3x.

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A l'évidence, l'aspect du premier engin fait ringard en comparaison du nouveau. De loin, on le prend pour une caméra, à cause de son gros nez qui abrite son optique plus élaborée.

Mais, du point de vue de leur utilisation, les deux appareils sont très voisins :

  • - ils ont un mode automatique qui permet de tout faire, de la photo de paysage à la photo de fleur en détail
  • - ils nécessitent un minimum d'apprentissage pour la manipulation courante de boutons de fonctionnalités voisines
  • - ils utilisent l'écran pour des dialogues similaires de réglage de l'appariel ou de parcours des photos enregistrées.

Les différences sont ailleurs :

  • - le premier appareil dispose d'un plus grand nombre de boutons fonctionnels alors que le second concentre les fonctions sur et autour de quelques boutons
  • - un manuel papier complet est livré avec le premier, un manuel simplifié sur papier et un manuel complet sur cdrom avec le second
  • - un driver spécifique est nécessaire pour le premier sous Windows (mais pas sous Linux), alors que le second fonctionne avec un driver standard (sous XP et +) sans installer aucun des logiciels spécifiques livrés sur le cdrom
  • - 760 g contre 180 g
  • - photos à 180 dpi contre 72 dpi dans les modes courants, malgré seulement 3 mégapixels contre 14 mégapixels (mais qu'est-ce que cela peut bien signifier à l'échelle humaine ?)
  • - ...

Les questions d'un utilisateur "normal", alors que plus de 10 ans séparent les deux engins, seraient plutôt les suivantes :

  • - pourquoi les manuels sont-ils encore un mélange d'essentiel et d'accessoire, sans jamais fournir aucun exemple de photo numérique que l'on peut réaliser avec ces appareils ?
  • - pourquoi les informations techniques sont-elles de moins en moins explicites, même celles qui intéresseraient l'internaute utilisateur ?
  • - pourquoi, malgré l'augmentation des capacités de mémoire embarquables, ne peut-on pas consulter le manuel complet directement sur l'écran de l'appareil ?
  • - pourquoi n'existe-t-il aucune aide intégrée en cours d'utilisation, avec possibilité de choix de la profondeur de cette aide selon le niveau d'expertise ?
  • - pourquoi les questions d'ergonomie sont-elles traitées secondairement en rapport à des innovations technologiques (écran tactile, vision 3D, etc.) ?
  • - etc.

NON, je ne souhaite pas que mon appareil de photo numérique dispose un jour d'une liaison Internet, d'un GPS, d'un agenda, etc. C'est pourtant bien ce qui va se passer, fatalement, si la stagnation ergonomique persiste. Et alors, tout aussi fatalement surviendra l'évolution de l'appareil de photo numérique comme témoin rapporteur intelligent de nos exploits sur commande, mis en scène dans de sympathiques compétitions organisées à l'intérieur de réseaux sociaux par des clubs de tous bords.... A côté de ce futur-là, celui de Big Brother, c'était de la rigolade.