Il semble que l'arrivisme soit passé de mode, du moins dans sa version dopée, surmultipliée, hyperactive et tapageuse.
C'est une autre sorte de personnages que l'ouvrage de Corinne Maier "Petit manuel du parfait arriviste" (Flammarion, 2012) nous décrit. Si gentiment que beaucoup pourront s'y reconnaître sans douleur excessive.
Justement, n'y-a-t-il pas erreur sur la cible ? Le "parfait arriviste" de Corinne Maier se caractérise plutôt comme un conformiste profiteur qu'un assassin calculateur. Plutôt comme un parasite adroit qu'un gagneur impitoyable. Au final, cet arriviste est un être ordinaire, substituable à un autre semblable, même sa famille, sa maison, ses façons de vivre et de penser. Il s'est fondu dans la foule des petits malins besogneux des villes et des banlieues. Rastignac a muté en Séraphin Lampion. L'arrivisme est devenu un phénomène de masse. En analysant froidement le comportement du "parfait arriviste", on constate qu'il cherche d'abord à se protéger, comme s'il y avait encore quelqu'un à l'intérieur.
On retrouve notre contemporain, familier des grandes organisations, déjà si bien observé dans Bonjour Paresse (Editions Michalon, 2004).
Même comme arriviste, il est bidon.
Le Manuel du parfait arriviste apporte un élément de preuve a contrario qu'il y aurait grand intérêt dans nos sociétés à promouvoir une forme constructive et commune d'arrivisme, dans laquelle chacun chercherait à exploiter les autres dans ce qu'ils ont de meilleur, au point que chacun ne pourrait espérer réussir sans servir les autres en vue de leurs propres avancements, donc pas seulement en "renvoyant l'ascenseur" aux seuls semblables que l'on cherche à se ménager, mais en agissant comme intermédiaire intelligent entre les autres. Cet arrivisme universel ne peut plus se réduire à une discipline d'ascension sociale individuelle (sauf cas pathologique), son ambition est bien plus vaste, c'est une manière de vivre en société pour le développement continu de la valeur humaine. Par définition, l'arriviste constructif est un être social dont la fréquentation profite à tous, multidimensionnel, polymorphe, avide de compétence. Chacun est l'arriviste de l'autre dans une société naturellement transactionnelle...
Ici, attention aux confusions. Comme un livre ne suffirait pas à les dissiper, résumons. Un arrivisme constructif universel est à l'opposé d'une renaissance morale, d'une doctrine rafistolée du mérite individuel, d'une extension conceptuelle de l'économie. L'arriviste véritable échappe forcément à tout cela. On ne la lui fait pas. Sinon, il est mort. Dans une société matérialiste, il peut survivre comme une sorte d'artiste faussaire, vacciné contre la flatterie et les honneurs, nullement impressionné par les apparences rigoureuses des transactions monétaires. Dans une société de castes, c'est un révolutionnaire actif et persévérant. On ne dira jamais assez le mal qu'ont fait à l'humanité certaines interprétations "darwiniennes" des évolutions sociales; les livres de Corinne Maier en traduisent le ridicule et la vacuité dans leur domaine. Comme mythe fondateur, celui de l'homme universel est préférable, il oblige à distinguer le siècle des Lumières de celui de Louis XIV - une prise de conscience pour beaucoup, car la réalité demeure que nous en sommes encore bien en deçà dans de nombreux pays et que la réaction est puissante dans les autres, voir l'actualité du monde.
En pratique, pour développer un arrivisme constructif, il n'est nul besoin de nouvelles tables morales, ni d'un code éthique adapté, ni d'une découverte psy, ni d'un marché de la valeur humaine (horreur ! Pourtant, cette monstruosité-là ne serait pas une innovation historique). Pire, ces créations zombies nous replongeraient assurément dans plusieurs décennies de ténèbres. En revanche, il est indispensable de créer une nouvelle étiquette sociale adaptée au développement de l'arrivisme universel, et cette création-là est une véritable innovation sociale, qu'il sera plus facile de faire émerger sur un Web social que dans la vraie vie. Voir nos propositions dans les billets précédents de ce blog, merci.