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Tag - Dialogue

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mercredi 24 octobre 2012

Arriviste ? Bidon, oui !

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Il semble que l'arrivisme soit passé de mode, du moins dans sa version dopée, surmultipliée, hyperactive et tapageuse.

C'est une autre sorte de personnages que l'ouvrage de Corinne Maier "Petit manuel du parfait arriviste" (Flammarion, 2012) nous décrit. Si gentiment que beaucoup pourront s'y reconnaître sans douleur excessive.

Justement, n'y-a-t-il pas erreur sur la cible ? Le "parfait arriviste" de Corinne Maier se caractérise plutôt comme un conformiste profiteur qu'un assassin calculateur. Plutôt comme un parasite adroit qu'un gagneur impitoyable. Au final, cet arriviste est un être ordinaire, substituable à un autre semblable, même sa famille, sa maison, ses façons de vivre et de penser. Il s'est fondu dans la foule des petits malins besogneux des villes et des banlieues. Rastignac a muté en Séraphin Lampion. L'arrivisme est devenu un phénomène de masse. En analysant froidement le comportement du "parfait arriviste", on constate qu'il cherche d'abord à se protéger, comme s'il y avait encore quelqu'un à l'intérieur.

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On retrouve notre contemporain, familier des grandes organisations, déjà si bien observé dans Bonjour Paresse (Editions Michalon, 2004).

Même comme arriviste, il est bidon.

Le Manuel du parfait arriviste apporte un élément de preuve a contrario qu'il y aurait grand intérêt dans nos sociétés à promouvoir une forme constructive et commune d'arrivisme, dans laquelle chacun chercherait à exploiter les autres dans ce qu'ils ont de meilleur, au point que chacun ne pourrait espérer réussir sans servir les autres en vue de leurs propres avancements, donc pas seulement en "renvoyant l'ascenseur" aux seuls semblables que l'on cherche à se ménager, mais en agissant comme intermédiaire intelligent entre les autres. Cet arrivisme universel ne peut plus se réduire à une discipline d'ascension sociale individuelle (sauf cas pathologique), son ambition est bien plus vaste, c'est une manière de vivre en société pour le développement continu de la valeur humaine. Par définition, l'arriviste constructif est un être social dont la fréquentation profite à tous, multidimensionnel, polymorphe, avide de compétence. Chacun est l'arriviste de l'autre dans une société naturellement transactionnelle...

Ici, attention aux confusions. Comme un livre ne suffirait pas à les dissiper, résumons. Un arrivisme constructif universel est à l'opposé d'une renaissance morale, d'une doctrine rafistolée du mérite individuel, d'une extension conceptuelle de l'économie. L'arriviste véritable échappe forcément à tout cela. On ne la lui fait pas. Sinon, il est mort. Dans une société matérialiste, il peut survivre comme une sorte d'artiste faussaire, vacciné contre la flatterie et les honneurs, nullement impressionné par les apparences rigoureuses des transactions monétaires. Dans une société de castes, c'est un révolutionnaire actif et persévérant. On ne dira jamais assez le mal qu'ont fait à l'humanité certaines interprétations "darwiniennes" des évolutions sociales; les livres de Corinne Maier en traduisent le ridicule et la vacuité dans leur domaine. Comme mythe fondateur, celui de l'homme universel est préférable, il oblige à distinguer le siècle des Lumières de celui de Louis XIV - une prise de conscience pour beaucoup, car la réalité demeure que nous en sommes encore bien en deçà dans de nombreux pays et que la réaction est puissante dans les autres, voir l'actualité du monde.

En pratique, pour développer un arrivisme constructif, il n'est nul besoin de nouvelles tables morales, ni d'un code éthique adapté, ni d'une découverte psy, ni d'un marché de la valeur humaine (horreur ! Pourtant, cette monstruosité-là ne serait pas une innovation historique). Pire, ces créations zombies nous replongeraient assurément dans plusieurs décennies de ténèbres. En revanche, il est indispensable de créer une nouvelle étiquette sociale adaptée au développement de l'arrivisme universel, et cette création-là est une véritable innovation sociale, qu'il sera plus facile de faire émerger sur un Web social que dans la vraie vie. Voir nos propositions dans les billets précédents de ce blog, merci.

samedi 14 juillet 2012

Etre banal ou pas, avec ou sans les interactionnistes

"Mais enfin, voyons, ce que vous dîtes est complètement banal et en plus, vous vous enfermez dans un point de vue technique, lisez donc les sociologues interactionnistes !".

Ce billet répond à cette critique et précise notre démarche.

NB. Wikipedia dit à peu près tout sur les "interactionnistes" en moins d'une page. Ce sont des universitaires du Nouveau Monde de diverses disciplines qui ont consacré une grande partie de leurs recherches à l'étude des interactions entre les personnes. Il est certainement comparativement injuste de les réduire à un entrefilet, ils appartiennent, avec d'autres, à une longue tradition à laquelle on pourrait même rattacher "notre" René Girard. En tous cas, les productions de ces universitaires ont largement nourri notre propre réflexion, même si nous avons pris une autre direction, comme on va le voir.

Le fait est que, avant d'écrire une seule ligne, nous avons dévoré des ouvrages de la mouvance interactionniste (au sens large), dont la plupart des traductions disponibles en collection de poche des merveilleux Gregory Bateson, Paul Watzlawick, Edward T. Hall. Plus tard, nous avons parcouru plusieurs livres d'Erving Goffman, dont celui qu'il a consacré aux rites d'interaction.

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Ces ouvrages accumulent les démonstrations de l'impossibilité du dialogue interpersonnel à travers le Web, y compris en communication instantanée avec vidéo !

Que nous disent-ils en effet ? Que chaque personne joue son rôle social, lequel détermine, avec le contexte, sa ligne de conduite au cours de ses interactions avec d'autres personnes. Et notamment que les paroles des acteurs n'auront pas le même effet selon le positionnement réciproque dans l'espace, l'attitude, le rythme, la hauteur et l'intonation, le plissement des lèvres, le battement des paupières, etc, etc, etc, etc.

Notons que tout cela est parfaitement exact, mais encore dramatiquement incomplet, notamment pour les raisons suivantes d'observation courante :
- en société, dire sert beaucoup à ne pas dire, et c'est probablement la répartition entre dit et non dit qui définit en grande partie les interactions non verbales; mais, encore au-delà, les apparences sont aussi celles des absences;
- peut-être ce qui est le plus important pour un animal qui observe deux humains en interaction verbale, c'est la variation de leurs odeurs et d'autres caractéristiques subtiles au cours du processus; ce n'est pas parce que les facultés sensorielles de l'espèce humaine se sont relativement émoussées au cours des âges, que ces variations ne doivent pas être étudiées;
- tout à l'autre bout de la planète, il existe une société vraiment bizarre où les gens se parlent d'une manière bien curieuse; mais, comme la terre est ronde, cet autre bout du monde se révèle assez proche de notre voisinage immédiat et alors nous sommes bien obligés de constater qu'il nous est très difficile d'enquêter "objectivement" sous le regard des autres, sauf si nous prenons le risque préalable d'une théorisation de nous-mêmes adaptée aux finalités de notre démarche.

Pour esquisser une critique, sans rien retirer par ailleurs au mérite de ces auteurs ni à l'intérêt de leurs réflexions :
- il auraient du s'informer des découvertes récentes sur le comportement animal (éthologie) et sur le conditionnement humain, cela leur aurait évité des errements théoriques assez inutiles sur l'inné et l'acquis;
- ils auraient du s'intéresser à l'informatique théorique, cela leur aurait évité de sous-estimer les capacités intrinsèques des machines, dont celles de la mécanique humaine;
- ils auraient du s'inquiéter de l'imprégnation de leur démarche par leur propre culture, au lieu de valider le pseudo axiome "le message, c'est le media" à force d'exemples canalisés par cette culture particulière.

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Bref, par rapport à notre sujet, les ouvrages des interactionnistes constituent un mélange d'observations détaillées, d'analyses pertinentes, et de réflexions (certaines de ces réflexions pourraient toutefois relever du carnet de route d'une famille Fenouillard de Californie), qui vont plutôt à contre sens de ce que nous tentons de faire, malgré l'apparence de généralité convaincante véhiculée par ces ouvrages.

Notre propre réflexion vise la création de sociétés virtuelles sur le Web, absolument pas dans le cas général, mais bien au contraire sous un ensemble d'hypothèses volontairement restrictives :
- sociétés à finalités et conventions publiques impliquant une adhésion,
- définition des personnes et de leurs interactions en fonction des seules finalités,
- interactions de longue durée entre les personnes et répartition des interactions dans le temps, éventuellement en dialogues pas forcément synchrones.
- etc.

Peut-être ce sont là des hypothèses de "petits techniciens", mais elles permettent certainement la création d'entités sociales nouvelles à partir d'une théorisation relativement simple, tandis que les réflexions à prétention générale produiront une infinité de thèses analytiques fondées sur leurs présupposés implicites.

lundi 11 juin 2012

Pas de dialogue sans étiquette !

Ce billet est sans rapport avec les élections législatives en cours. Cependant, il concerne notre avenir social.

Entendons par dialogue une forme de relation sociale entre des personnes qui cherchent un accord au travers de ce dialogue. L'accord est à comprendre dans un sens très général. Comme son analogue musical. l'accord peut être banal ou original, final ou transitoire, etc.

Entendons par étiquette un ensemble de conventions communes qui permettent aux protagonistes de dérouler leur dialogue. Et considérons la capacité de créer une étiquette et de la partager comme une caractéristique humaine plus large que celle du langage, adaptable à tous media, génératrice de toute forme d'expression sociale. Enfin, préférons "étiquette" à "code", car ce dernier terme véhicule l'idée d'une contrainte d'application automatique (jusqu'à l'enfermement mental et physique individuel), alors que l"étiquette suppose une invitation, souvent associée à une connotation ludique - il s'agit bien du jeu social.

Remarque en passant. "Le code d'ouverture du coffre est sur l'étiquette". Cette expression, où "code" et "étiquette" sont pris dans leurs acceptions banales, peut sembler contester les définitions proposées. On peut cependant y discerner une confirmation : le code est bien ce qui enferme et contient, alors que l'étiquette reste à l'extérieur et rend maître du code !

Illustrons nos définitions par un exemple de la vie des entreprises, celui de la négociation entre un acheteur et un vendeur, tel qu'elle est présentée dans un ouvrage de référence "Acheter avec profit, guide de négociation de l'acheteur professionnel" par Roger Perrotin et Pierre Heusschen (Editions du Moniteur, 1989). Il s'agit de créer les conditions d'un accord entre un acheteur et un vendeur sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation : prix, conditions de paiement, délai de livraison et de réapprovisionnement, garantie de qualité, emballage, services associés, conventions d'échanges informatisés, calendrier des prévisions de besoins, etc, etc. L'accord résultera d'une négociation sur chacun des critères objectifs connus du vendeur et de l'acheteur; ces critères sont objectifs parce qu'ils sont déterminés par la nature du produit ou de la prestation dans le contexte de la négociation. Chacun des protagonistes connaissant l'entreprise de l'autre, il peut classer ces critères objectifs en fonction de sa propre marge de négociation et, sur un autre axe, de la marge de négociation qu'il suppose chez l'autre. Il obtient alors un tableau de classement croisé qui lui présente les critères objectifs sur lequels la négociation promet d'être difficile (ceux pour lesquels la marge de négociation de l'un et de l'autre est faible), à l'inverse des critères peu conflictuels et parmi ces derniers, des critères "jokers" importants pour l'un des protagonistes mais pas pour l'autre. Une bonne tactique de l'acheteur consiste alors à conduire la négociation de case à case sur ce tableau dans un ordre qui lui permette à la fin d'obtenir un accord global satisfaisant (ce qui peut nécessiter le constat provisoire d'un blocage, d'où l'utilité d'une réserve de "jokers" pour redémarrer).

La personnalité de chacun des protagonistes intervient à double titre : dans la détermination du cheminement sur le tableau et dans l'expression (formules de politesse, questions ouvertes/fermées, types d'objections ou argumentaires et manières de les exprimer, etc). Cette potentialité de complexité foisonnante peut être réduite dans un cadre commun de référence : typologie des styles d'acheteur et de vendeur, caractérisation des tendances inefficaces des uns et des autres, ensemble minimal de règles de l'empathie transactionnelle dans ce type de négociation. Il devient alors possible pour chacun des protagonistes de mettre en oeuvre une tactique adaptée, d'éviter les situations de blocage ou de les résoudre.

Au total, ce qui est décrit dans ce guide de négociation, c'est une étiquette au sens défini en introduction. Si le cours réel de la négociation révèle des affrontements inattendus entre l'acheteur et le vendeur, par exemple du fait d'erreurs d'évaluation des marges de négociation ou du fait d'évolutions imprévues des styles de négociation adoptés, alors d'autant plus, cette étiquette sera le recours commun, parce qu'elle permet à chacun simultanément de percevoir la nécessité des ajustements, leur nature et leur portée souhaitables, puis de conduire leur réalisation dans un cadre commun - à ce titre l'étiquette est constitutive du métier des protagonistes dans leur relation conflictuelle. Clairement, même et surtout dans un contexte déterminé par la recherche d'un objectif précis, l'étiquette n'est pas le décor ni l'ustensile du dialogue, mais sa méthode.

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En généralisant juste un peu, les catégories de composants d'une étiquette de dialogue à objectif se dégagent :

  • référentiel des types de protagonistes en vue du dialogue pour l'objectif global poursuivi (ex styles d'acheteur et de vendeur)
  • référentiel d'affichage de la progression du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex tableau croisé des critères selon leur criticité pour chacun des protagonistes)
  • règles de cheminement du dialogue pour atteindre l'objectif global poursuivi (ex passage sur les cases à faible niveau de conflit jusqu'à obtenir un équilibre permettant, en conservant quelques jokers, de traiter les cases plus conflictuelles)
  • règles de préservation de l'empathie pour la continuation ou la reprise du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex comportements à éviter, comportements déclencheurs d'accords minimaux)

Notre ouvrage sur la transmission des compétences à l'ère numérique (voir le lien "Essai sur un web alternatif") contient une proposition d'étiquette adaptée à la transmission des compétences personnelles, évidemment bien différente de celle de la négociation entre acheteur et vendeur. Cependant, on y retrouve les catégories de composants listées ci-dessus. Ce n'est pas étonnant, il s'agit de fondamentaux méthodologiques, une analogie avec la musique concertante peut être éclairante.

Dans tous les cas, la mise en oeuvre sur le Web d'une étiquette de dialogue à objectif implique, par nature, la création d'une société virtuelle spécifique.

Pour ce faire, à l'évidence, le Web actuel doit être dépassé. Ce Web-là est devenu un jouet hypnotiseur à prétention universelle, instrumentalisé par les marchands et les manipulateurs. Les emoticones d'état d'âme, les réseaux sociaux banaliseurs, les services outilleurs de propagandes, les encyclopédies de l'instantané, les clics d'achats faciles par carte bancaire, les traductions automatiques ineptes, la netiquette en bouillie pour chat, et in fine la déclaration universelle des droits de l'Homme... : pauvreté de la socialisation sur le Web actuel, faiblesse de ses fondements techniques, misère de ses idéaux. Hélas, "le media est le message" comme disait un prophète du village planétaire, et nos savants se perdent dans ses détails insignifiants et ses oripeaux.

Le Web des innovations sociales reste à inventer, pas comme un miroir ni une extension du monde réel, mais comme l'espace des sociétés virtuelles en tant que nouveaux territoires du monde réel. Scandale : c'est possible ! Avec "dialogue" et "étiquette"...

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