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Tag - Anthropologie

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dimanche 25 mars 2012

Le retard théorique sur la transmission des compétences à l'ère numérique

Quelque part, Paul Valéry aurait dit :

Lorsque deux êtres humains croient se comprendre,

c’est généralement le résultat heureux d’une erreur.

Dans ce blog, nous imaginons comment surmonter la barrière de l'incompréhension entre les personnes, notamment au travers des vraies sociétés virtuelles, que nous considérons comme de nouveaux espaces de l'esprit. Cependant, nous ne croyons pas que l'établissement de la compréhension entre deux êtres humains soit toujours une source de bonheur, c'est là un autre sujet, et d'ailleurs la citation ci-dessus semble restreindre ce bonheur à la seule impression de se comprendre...

Parmi les causes des mauvaises communications entre les citoyens ordinaires, il faut mentionner l'oppression mentale exercée par les personnalités de toutes sortes, véritables savants ou faussaires. Les media nous gavent de leurs pensées façonnées, leurs oeuvres puissantes et même leurs déjections de l'instant sur tous les sujets d'actualité. Consciemment ou non, par l'obligation de tenir leur rang et de préserver leur place, ces privilégiés endorment la matière grise de leurs contemporains dans la résignation ou l'admiration béate, étouffent la contestation par la tétanie suicidaire des opposants potentiels dans un décor de leurres insignifiants, sous couvert de références savantes ou de représentations convenues de leurs positions sociales supérieures. C'est un abus de pouvoir.

En revanche, il reste au citoyen ordinaire la possibilité de comparer les écrits d'experts qui ont pris le temps et le risque de mûrir leurs pensées. En voici deux, qui ont un rapport avec notre sujet principal, la transmission des compétences à l'ére numérique, ou dont on attendrait qu'il en aient un.

Comment les traditions naissent et meurent (la transmission culturelle) par Olivier Morin, Odile Jacob, octobre 2011

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Anthropologie des savoirs par Nicolas Adell, Armand Colin, Collection U, Sciences humaines et sociales, 2011.

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Incroyable mais vrai : ces ouvrages relevant tous deux des sciences humaines sur des sujets a priori parents, sont quasiment disjoints, même pour une grande partie de leurs bibliographies.
Autre constat : malgré les ambitions transdisciplinaires des ouvrages, on peut s'étonner de l'absence ou du traitement plus que sommaire d'auteurs majeurs sur la nature et la transmission du savoir et des comportements individuels et collectifs, tels que Karl Lorenz, Igor Pavlov, ou Maurice Halbwachs, en comparaison d'auteurs visiblement de référence obligée. Question de mode ?

En synthèse, de notre point de vue, le premier ouvrage est une thèse de doctorat qui n'aborde pas les questions de la transmission de compétences à l'ére numérique. Le second ouvrage, en revanche, exprime sa vocation pédagogique; après une synthèse découpée en grands thèmes sociologiques, il tente de rendre compte des nouvelles questions de la "société de l'information" à venir, évidemment en restant dans le concert des communications et publications officielles de personnalités ou d'experts reconnus, mais c'est déjà çà.

A côté de tels ouvrages de référence, il existe une littérature d'émotion de terrain sur les nouvelles technologies, à partir de l'observation enthousiaste du comportement des jeunes nés au berceau avec l'ordinateur puis avec le smartphone puis avec la tablette, à la fois cobayes et précurseurs, consommateurs et concepteurs du monde à venir... A l'opposé, il existe une littérature de dénonciation des technologies nouvelles. Ces deux sortes d'ouvrages ne débouchent sur rien de concret, parce qu'ils sont soit des écrits d'informaticiens, soit des écrits littéraires, dont des publireportages à la chaîne. La séparation des disciplines littéraires et scientifiques constitue une barrière d'incompréhension entre leurs discours respectifs, mais elle instaure hélas aussi la limite de la compréhension du monde par chaque discipline.

samedi 10 décembre 2011

Le Web, instrument de viol mental

Des manifestations de méfiance surgissent çà et là à propos des "réseaux sociaux", sur la confidentialité des données individuelles et les excès du ciblage publicitaire.

Cette campagne détourne notre attention en se concentrant sur des détails techniques et de petites maladresses plutôt que de s'attacher aux vrais dangers.

Car les risques de fuite d'informations personnelles et les matraquages publicitaires ne sont que des imperfections de façade, à côté de l'énorme machine médiatique d'asservissement des esprits alimentée par les éléments statistiques recueillis dans les "réseaux sociaux" et au travers d'autres "services" offerts par divers bienfaiteurs de l'humanité.

C'est dans l'arrière cour qu'est installé le monstre, qu'il se nourrit et nous exploite.

Comme participant à un réseau social, vous fournissez quelques informations d'identité. Vous savez bien qu'un minimum est suffisant pour vous placer dans une catégorie statistique correspondant à vos motivations fondamentales. Par exemple, rien qu'en connaissant votre adresse approximative (qu'un automate astucieux peut vérifier automatiquement par recoupement, n'en doutez pas une milliseconde), on peut dire si vous vivez au milieu des richards ou des pauvres. Ce jeu de devinette de cour d'école primaire est diversifié à l'échelle planétaire, avec des moyens colossaux, pour vous cerner en tant qu'individu statistique, chaque jour de plus en plus précisément selon vos catégories factorielles.

Evidemment que vos activités sur le Web sont suivies, et que vos centres d'intérêt sont observés ! Et en détail, si vous ne prenez aucune précaution : combien de temps vous passez à regarder quelles pages, sur quels contenus vous avez cliqué, à quelle heure, à partir de quel endroit, etc.

Peut-être constatez-vous que vous recevez de plus en plus de publicité ciblée. S'il vous plaît, ne soyez pas dupes de votre propre irritation : ces attentions pataudes sont les résultats de l'activité inoffensive du monstre, celle qui "dialogue" avec vous et dont les imperfections, finalement, vous rassurent. D'ailleurs, les maladresses et les défauts techniques abondamment signalés sont faits pour vous distraire. Les dénonciations de ces défauts participent à l'entretien de l'illusion; ces discours sont là pour faire "humain", d'autant plus que leur vacarme est savamment amplifié par les inquiétudes des incompétents et des naïfs.

Répétons-le, c'est à l'arrière plan que se développe le vrai danger, celui dont on ne parle pas.

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En effet, par l'exploitation statistique de masse sur les activités individuelles de millions d'individus et de groupes, "on" peut ajuster presque en temps réel les instruments des campagnes de manipulation lancées dans les medias, les messages et les dosages des propagandes dans les différents medias, pour la meilleure "efficacité".

A côté de cela, l'anticipation romanesque du Big Brother semble complètement désuète. C'est qu'actuellement, le viol psychique est aussi permanent qu'imperceptible et la pression d'asservissement mental s'exerce par des messages démultipliés entre divers canaux de diffusion.

Cela fait déjà bien longtemps que l'exploitation statistique massive d'arrière plan constitue le principal revenu officieux de plusieurs grandes sociétés "indépendantes" de services sur le Web. Justement, les techniques mathématiques et informatiques d'extraction des données pertinentes est cousine de celle des moteurs de recherche... Pourquoi sinon croyez-vous que ces acteurs du Web ont besoin de centraliser leurs traitements de fond ? Pourquoi sinon sommes-nous invités à sacrifier au mythe du génial jeune créateur d'entreprise individuelle parti de rien, alors qu'à l'évidence, le succès requiert d'emblée des investissements gigantesques ?

Cela fait bien longtemps que les agences, officines, think tanks, instituts, services spéciaux, qui sont à la fois les financiers et les clients de ces machineries statistiques, sont passés à la phase active de la manipulation des esprits, après une phase expérimentale de quelques années. Contrairement aux propagandes d'avant l'ère numérique qui visaient la manipulation des masses, il s'agit d'une manipulation multimedia et multidimensionnelle, diversifiée à destination des individus. De plus, grâce aux nouvelles technologies, les effets de cette manipulation sont observés presque instantanément, ce qui permet la rétroaction en boucle rapide d'ajustement coordonné, et tout ceci dans la durée et dans la permanence de la pression médiatique.

A quoi est-ce que cela leur sert, à ces puissances d'arrière cour, de manipuler nos esprits constamment ? Par exemple, dans l'actualité 2010-2011, considérez le niveau d'hallucination qu'ils ont inoculé et continuent d'entretenir chez les économistes et les dirigeants bien pensants sur le "problème de la dette étatique" (pour une désintoxication accélérée voir par exemple http://www.atterres.org/)... Cherchez d'autres exemples dans vos propres domaines de compétence, ou récapitulez simplement la liste des affirmations bidons et des dogmes crevés récemment mises à jour dans les domaines que vous connaissez... Imaginez le nombre et l'ampleur des manipulations encore à l'oeuvre pour vous diriger comme consommateur, comme électeur, comme être vivant dans vos actes et vos pensées, de la crèche au cimetière. C'est cela qu'ils font : nous maintenir dans l'état d'esprit convenable, déterminer les effets de nos pulsions fondamentales, disperser toute tentative de réflexion, égarer toutes formes d'opposition, afin que les puissances bénéficiaires prospèrent.

Comment résister au niveau individuel à cette forme d'esclavage ? Autant poser carrément la question autrement : peut-on s'évader même temporairement, à notre époque, du système médiatique et informatique ?

A titre individuel (notons-le tout de suite, c'est tout différent en action collective), il ne servirait pas à grand chose de manifester notre désapprobation de la domination de ce système par quelques puissances aliénantes dissimulées. Car notre révolte serait récupérée et instrumentalisée, comme celle de tant d'artistes et de groupes asociaux. Il est évident que la méthode d'assimilation progressive des résistants frontaux est au point, que les instruments sont prêts, et qu'il existe plusieurs processus bien rodés de solution, dont l'éventail s'étend de l'élimination physique pitoyable au boom de la survalorisation marchande d'une idole décérébrée.

Tout au contraire, faisons chacun comme si de rien n'était, comme si nous ne nous doutions de rien... mais de moins en moins souvent, de moins en moins longtemps, avec de moins en moins d'attention, afin de libérer notre esprit pour des récréations hors système, peu à peu.

Considérez vos opinions spontanées et vos décisions impulsives comme des effets manipulatoires du monstre, prenez du recul. C'est beaucoup moins difficile qu'une cure de désintoxication, parce qu'aucune réaction de sevrage n'est à craindre. Au contraire, vous découvrez comment les productions du système médiatique s'agglutinent à partir de canaux différents de diffusion, pour vous impressionner en vue d'effets plutôt grossièrement calculés de pensée-réflexe. Vous discernez peu à peu la diversité factice de l'unanimité bien pensante, le cadrage personnalisé de la vie physique et mentale des personnes normalisées, par l'abrutissement de leur mental et sa substitution par des automatismes.

Même si vous êtes tenté de réagir à la pression, de fuir sa logique hallucinatoire, n'en faites rien, laissez le monstre croire qu'il vous tient dans son maillage gluant. Jouissez de votre détachement amusé, imaginez plutôt comment amener d'autres personnes à reconquérir individuellement leur liberté de pensée.

Ne répondez pas aux enquêtes d'opinion d'aucune sorte : avant même que l'on ne vous déploie un argumentaire, ignorez-le ou dites simplement que vous ne répondez à aucune enquête. Ne dites pas "par principe", sinon vous serez repéré, ils ont une case pour cela.

En revanche, vous pouvez participer aux actions collectives les plus variées pour démasquer, ridiculiser, décrédibiliser la machine à gaver les esprits. Mais si vous parvenez à tuer dix dogmes idiots, si vous écrabouillez vingt évidences préfabriquées, la machine en créera cent autres dans d'autres dimensions factorielles. Vous aurez perdu votre temps et votre énergie si vous ne profitez pas de votre victoire partielle et momentanée pour dénoncer la mécanique à produire les stupidités. Souvenez-vous que c'est cette machine qu'il faut détruire, que vous n'y parviendrez jamais seulement en détruisant ses productions.

Au total, c'est le surgissement d'une liberté non anticipée qui peut perturber le monstre et, à dose massive, le tuer. Ne ratez pas les instants bien réfléchis du "NON".

Le monstre sera détruit lorsque suffisamment de gens auront admis son existence et qu'ils auront compris comment et pourquoi ils ont été violés.

lundi 3 octobre 2011

La netiquette, vous connaissez ?

La netiquette, à l'origine, c'était un ensemble de règles de bonne conduite dans les échanges entre usagers sur Internet. Elle est apparue au début de la popularisation de l'Internet, à l'époque où n'existaient couramment, pour l'interaction entre les usagers, que l'email, les groupes de discussion (Usenet) et le chat (IRC).

NB. En fait, depuis cette époque, les innovations techniques sur Internet sont minimes; ce qui a changé, c'est le niveau d'"emballage" pour l'utilisateur (par exemple dans les réseaux sociaux), et la centralisation de services fournis et des exploitations statistiques en arrière plan par quelques quasi-monopoles.

A l'origine, la netiquette était plutôt une "nethique" du respect de l'autre illustrée de quelques exemples, que chacun était invité à interpréter ou transposer en toutes circonstances.

En 1995, la netiquette s'est développée dans un document RFC 1855, Netiquette Guidelines, d'une vingtaine de pages.

En plus des anciennes règles générales de bonne conduite, on y trouve des instructions d'emploi, des conseils d'utilisation, des injonctions à caractère juridique, des avertissements informatifs, des interdits typographiques, etc. Selon la catégorisation coutumière des informaticiens, l'ensemble est réparti en chapitres et paragraphes définis par les variétés techniques d'échanges (one to one, one to many, real time, etc.) et les rôles (utilisateur, administrateur).

Au total, l'utilisateur novice ou expérimenté peut y picorer les éléments qui pourraient l'intéresser. Malgré la pertinence du contenu, l'exploitation du document exige une curiosité tenace, et un bon niveau de tolérance au déséquilibre entre les généralités et les directives spécifiques. Les premières sonnent forcément creux en regard des secondes, qui ressortent minuscules en retour.

De notre point de vue et au-delà de la forme, cette netiquette est un bon témoin de l'impasse logique et des confusions conceptuelles régnantes, lorsqu'on se contente de projeter l'imaginaire et les valeurs de notre société directement sur un champ technique pris comme un absolu.

Cette netiquette est faussement universelle. Elle est imprégnée d'une conception particulière de l'être humain et d'une vision spécifique de la bonne société. On voit bien que cette netiquette ne peut s'exprimer que d'une manière négative, surtout par des restrictions et des interdits tous azimuts, par rapport à une utilisation supposée générique d'outils élémentaires, quels que soient les buts des utilisateurs à travers l'usage de ces outils. Des valeurs morales et des modèles éthiques sont implicites, même si leurs croyances et leurs dogmes sont sans rapport direct avec les finalités concrètes des actions à réaliser.

Pour nous, une véritable netiquette ne peut être universelle, elle est au contraire complètement spécifique à une société virtuelle donnée. Elle définit en détail une discipline d'interaction sur le Web dans chaque circonstance précise, dans le cadre de cette société. Elle dit comment et pourquoi s'établit une interaction élémentaire et la suite des interactions. Cette netiquette est donc évidemment par nature différente, par exemple, dans un réseau social consacré à la promotion de professionnels, dans l'utilisation par un particulier du service web d'une administration fiscale pour une déclaration de revenus, dans une discussion sur un forum consacré à un thème philosophique, etc.

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Nous renvoyons aux autres billets du blog ainsi qu'à notre ouvrage sur la transmission des compétences personnelles à l'ère numérique (http://cariljph.free.fr/). Nous avons tenté d'y expliciter comment peut être construite l'étiquette d'une société virtuelle donnée, et comment on peut l'appliquer dans la vie courante en fonction des seules finalités de cette société, indépendamment de choix de valeurs morales.

Dans ces conditions-là, à savoir celles d'une société virtuelle à finalités limitées, c'est l'étiquette qui libère l'intelligence et crée les conditions de l'entendement, en portant les finalités de la société. Dans ces conditions-là, l'étiquette ne nécessite aucune référence à l'éthique ni à la morale. A l'évidence, rien n'oblige à imposer "notre" société à des sociétés virtuelles dont les finalités sont comparativement étroites.

Nous défendons la thèse "anthropologique" que l'étiquette, au sens utilitaire où nous l'entendons, est un fondement social scandaleusement ignoré en comparaison de constructions d'apparences plus immédiates comme le langage, ou en comparaison des constructions complexes de l'imaginaire social. Cette thèse nous semble particulièrement bien répondre au besoin de création de sociétés virtuelles au-delà des simulacres flatteurs du Web actuel, grossièrement ineptes en regard de l'univers des possibles.

Nous ne prétendons pas réformer les sciences sociales, seulement montrer qu'il existe un champ ouvert à l'expérimentation et à la création. C'est bien de créations sociales entièrement nouvelles sur le Web qu'il s'agit. Et c'est pourquoi par ailleurs il faut une loi commune sur ce nouveau pouvoir de création.

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