Quelque part, Paul Valéry aurait dit :

Lorsque deux êtres humains croient se comprendre,

c’est généralement le résultat heureux d’une erreur.

Dans ce blog, nous imaginons comment surmonter la barrière de l'incompréhension entre les personnes, notamment au travers des vraies sociétés virtuelles, que nous considérons comme de nouveaux espaces de l'esprit. Cependant, nous ne croyons pas que l'établissement de la compréhension entre deux êtres humains soit toujours une source de bonheur, c'est là un autre sujet, et d'ailleurs la citation ci-dessus semble restreindre ce bonheur à la seule impression de se comprendre...

Parmi les causes des mauvaises communications entre les citoyens ordinaires, il faut mentionner l'oppression mentale exercée par les personnalités de toutes sortes, véritables savants ou faussaires. Les media nous gavent de leurs pensées façonnées, leurs oeuvres puissantes et même leurs déjections de l'instant sur tous les sujets d'actualité. Consciemment ou non, par l'obligation de tenir leur rang et de préserver leur place, ces privilégiés endorment la matière grise de leurs contemporains dans la résignation ou l'admiration béate, étouffent la contestation par la tétanie suicidaire des opposants potentiels dans un décor de leurres insignifiants, sous couvert de références savantes ou de représentations convenues de leurs positions sociales supérieures. C'est un abus de pouvoir.

En revanche, il reste au citoyen ordinaire la possibilité de comparer les écrits d'experts qui ont pris le temps et le risque de mûrir leurs pensées. En voici deux, qui ont un rapport avec notre sujet principal, la transmission des compétences à l'ére numérique, ou dont on attendrait qu'il en aient un.

Comment les traditions naissent et meurent (la transmission culturelle) par Olivier Morin, Odile Jacob, octobre 2011

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Anthropologie des savoirs par Nicolas Adell, Armand Colin, Collection U, Sciences humaines et sociales, 2011.

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Incroyable mais vrai : ces ouvrages relevant tous deux des sciences humaines sur des sujets a priori parents, sont quasiment disjoints, même pour une grande partie de leurs bibliographies.
Autre constat : malgré les ambitions transdisciplinaires des ouvrages, on peut s'étonner de l'absence ou du traitement plus que sommaire d'auteurs majeurs sur la nature et la transmission du savoir et des comportements individuels et collectifs, tels que Karl Lorenz, Igor Pavlov, ou Maurice Halbwachs, en comparaison d'auteurs visiblement de référence obligée. Question de mode ?

En synthèse, de notre point de vue, le premier ouvrage est une thèse de doctorat qui n'aborde pas les questions de la transmission de compétences à l'ére numérique. Le second ouvrage, en revanche, exprime sa vocation pédagogique; après une synthèse découpée en grands thèmes sociologiques, il tente de rendre compte des nouvelles questions de la "société de l'information" à venir, évidemment en restant dans le concert des communications et publications officielles de personnalités ou d'experts reconnus, mais c'est déjà çà.

A côté de tels ouvrages de référence, il existe une littérature d'émotion de terrain sur les nouvelles technologies, à partir de l'observation enthousiaste du comportement des jeunes nés au berceau avec l'ordinateur puis avec le smartphone puis avec la tablette, à la fois cobayes et précurseurs, consommateurs et concepteurs du monde à venir... A l'opposé, il existe une littérature de dénonciation des technologies nouvelles. Ces deux sortes d'ouvrages ne débouchent sur rien de concret, parce qu'ils sont soit des écrits d'informaticiens, soit des écrits littéraires, dont des publireportages à la chaîne. La séparation des disciplines littéraires et scientifiques constitue une barrière d'incompréhension entre leurs discours respectifs, mais elle instaure hélas aussi la limite de la compréhension du monde par chaque discipline.