Des manifestations de méfiance surgissent çà et là à propos des "réseaux sociaux", sur la confidentialité des données individuelles et les excès du ciblage publicitaire.

Cette campagne détourne notre attention en se concentrant sur des détails techniques et de petites maladresses plutôt que de s'attacher aux vrais dangers.

Car les risques de fuite d'informations personnelles et les matraquages publicitaires ne sont que des imperfections de façade, à côté de l'énorme machine médiatique d'asservissement des esprits alimentée par les éléments statistiques recueillis dans les "réseaux sociaux" et au travers d'autres "services" offerts par divers bienfaiteurs de l'humanité.

C'est dans l'arrière cour qu'est installé le monstre, qu'il se nourrit et nous exploite.

Comme participant à un réseau social, vous fournissez quelques informations d'identité. Vous savez bien qu'un minimum est suffisant pour vous placer dans une catégorie statistique correspondant à vos motivations fondamentales. Par exemple, rien qu'en connaissant votre adresse approximative (qu'un automate astucieux peut vérifier automatiquement par recoupement, n'en doutez pas une milliseconde), on peut dire si vous vivez au milieu des richards ou des pauvres. Ce jeu de devinette de cour d'école primaire est diversifié à l'échelle planétaire, avec des moyens colossaux, pour vous cerner en tant qu'individu statistique, chaque jour de plus en plus précisément selon vos catégories factorielles.

Evidemment que vos activités sur le Web sont suivies, et que vos centres d'intérêt sont observés ! Et en détail, si vous ne prenez aucune précaution : combien de temps vous passez à regarder quelles pages, sur quels contenus vous avez cliqué, à quelle heure, à partir de quel endroit, etc.

Peut-être constatez-vous que vous recevez de plus en plus de publicité ciblée. S'il vous plaît, ne soyez pas dupes de votre propre irritation : ces attentions pataudes sont les résultats de l'activité inoffensive du monstre, celle qui "dialogue" avec vous et dont les imperfections, finalement, vous rassurent. D'ailleurs, les maladresses et les défauts techniques abondamment signalés sont faits pour vous distraire. Les dénonciations de ces défauts participent à l'entretien de l'illusion; ces discours sont là pour faire "humain", d'autant plus que leur vacarme est savamment amplifié par les inquiétudes des incompétents et des naïfs.

Répétons-le, c'est à l'arrière plan que se développe le vrai danger, celui dont on ne parle pas.

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En effet, par l'exploitation statistique de masse sur les activités individuelles de millions d'individus et de groupes, "on" peut ajuster presque en temps réel les instruments des campagnes de manipulation lancées dans les medias, les messages et les dosages des propagandes dans les différents medias, pour la meilleure "efficacité".

A côté de cela, l'anticipation romanesque du Big Brother semble complètement désuète. C'est qu'actuellement, le viol psychique est aussi permanent qu'imperceptible et la pression d'asservissement mental s'exerce par des messages démultipliés entre divers canaux de diffusion.

Cela fait déjà bien longtemps que l'exploitation statistique massive d'arrière plan constitue le principal revenu officieux de plusieurs grandes sociétés "indépendantes" de services sur le Web. Justement, les techniques mathématiques et informatiques d'extraction des données pertinentes est cousine de celle des moteurs de recherche... Pourquoi sinon croyez-vous que ces acteurs du Web ont besoin de centraliser leurs traitements de fond ? Pourquoi sinon sommes-nous invités à sacrifier au mythe du génial jeune créateur d'entreprise individuelle parti de rien, alors qu'à l'évidence, le succès requiert d'emblée des investissements gigantesques ?

Cela fait bien longtemps que les agences, officines, think tanks, instituts, services spéciaux, qui sont à la fois les financiers et les clients de ces machineries statistiques, sont passés à la phase active de la manipulation des esprits, après une phase expérimentale de quelques années. Contrairement aux propagandes d'avant l'ère numérique qui visaient la manipulation des masses, il s'agit d'une manipulation multimedia et multidimensionnelle, diversifiée à destination des individus. De plus, grâce aux nouvelles technologies, les effets de cette manipulation sont observés presque instantanément, ce qui permet la rétroaction en boucle rapide d'ajustement coordonné, et tout ceci dans la durée et dans la permanence de la pression médiatique.

A quoi est-ce que cela leur sert, à ces puissances d'arrière cour, de manipuler nos esprits constamment ? Par exemple, dans l'actualité 2010-2011, considérez le niveau d'hallucination qu'ils ont inoculé et continuent d'entretenir chez les économistes et les dirigeants bien pensants sur le "problème de la dette étatique" (pour une désintoxication accélérée voir par exemple http://www.atterres.org/)... Cherchez d'autres exemples dans vos propres domaines de compétence, ou récapitulez simplement la liste des affirmations bidons et des dogmes crevés récemment mises à jour dans les domaines que vous connaissez... Imaginez le nombre et l'ampleur des manipulations encore à l'oeuvre pour vous diriger comme consommateur, comme électeur, comme être vivant dans vos actes et vos pensées, de la crèche au cimetière. C'est cela qu'ils font : nous maintenir dans l'état d'esprit convenable, déterminer les effets de nos pulsions fondamentales, disperser toute tentative de réflexion, égarer toutes formes d'opposition, afin que les puissances bénéficiaires prospèrent.

Comment résister au niveau individuel à cette forme d'esclavage ? Autant poser carrément la question autrement : peut-on s'évader même temporairement, à notre époque, du système médiatique et informatique ?

A titre individuel (notons-le tout de suite, c'est tout différent en action collective), il ne servirait pas à grand chose de manifester notre désapprobation de la domination de ce système par quelques puissances aliénantes dissimulées. Car notre révolte serait récupérée et instrumentalisée, comme celle de tant d'artistes et de groupes asociaux. Il est évident que la méthode d'assimilation progressive des résistants frontaux est au point, que les instruments sont prêts, et qu'il existe plusieurs processus bien rodés de solution, dont l'éventail s'étend de l'élimination physique pitoyable au boom de la survalorisation marchande d'une idole décérébrée.

Tout au contraire, faisons chacun comme si de rien n'était, comme si nous ne nous doutions de rien... mais de moins en moins souvent, de moins en moins longtemps, avec de moins en moins d'attention, afin de libérer notre esprit pour des récréations hors système, peu à peu.

Considérez vos opinions spontanées et vos décisions impulsives comme des effets manipulatoires du monstre, prenez du recul. C'est beaucoup moins difficile qu'une cure de désintoxication, parce qu'aucune réaction de sevrage n'est à craindre. Au contraire, vous découvrez comment les productions du système médiatique s'agglutinent à partir de canaux différents de diffusion, pour vous impressionner en vue d'effets plutôt grossièrement calculés de pensée-réflexe. Vous discernez peu à peu la diversité factice de l'unanimité bien pensante, le cadrage personnalisé de la vie physique et mentale des personnes normalisées, par l'abrutissement de leur mental et sa substitution par des automatismes.

Même si vous êtes tenté de réagir à la pression, de fuir sa logique hallucinatoire, n'en faites rien, laissez le monstre croire qu'il vous tient dans son maillage gluant. Jouissez de votre détachement amusé, imaginez plutôt comment amener d'autres personnes à reconquérir individuellement leur liberté de pensée.

Ne répondez pas aux enquêtes d'opinion d'aucune sorte : avant même que l'on ne vous déploie un argumentaire, ignorez-le ou dites simplement que vous ne répondez à aucune enquête. Ne dites pas "par principe", sinon vous serez repéré, ils ont une case pour cela.

En revanche, vous pouvez participer aux actions collectives les plus variées pour démasquer, ridiculiser, décrédibiliser la machine à gaver les esprits. Mais si vous parvenez à tuer dix dogmes idiots, si vous écrabouillez vingt évidences préfabriquées, la machine en créera cent autres dans d'autres dimensions factorielles. Vous aurez perdu votre temps et votre énergie si vous ne profitez pas de votre victoire partielle et momentanée pour dénoncer la mécanique à produire les stupidités. Souvenez-vous que c'est cette machine qu'il faut détruire, que vous n'y parviendrez jamais seulement en détruisant ses productions.

Au total, c'est le surgissement d'une liberté non anticipée qui peut perturber le monstre et, à dose massive, le tuer. Ne ratez pas les instants bien réfléchis du "NON".

Le monstre sera détruit lorsque suffisamment de gens auront admis son existence et qu'ils auront compris comment et pourquoi ils ont été violés.