Un "smart grid", c'est un réseau de distribution d'électricité qui utilise des technologies informatiques pour optimiser la production et la distribution afin d'assurer l'équilibre entre l'offre et la demande.

C'est pour le moment un concept. Mais, il est à l'ordre du jour, pour répondre au développement attendu des productions locales d'énergie électrique (centrales géothermiques, chaudières à compost, panneaux solaires, éoliennes, etc. ), et du côté de la consommation, au développement des véhicules électriques.

En effet, on conçoit bien que l'on puisse économiser la construction de centrales de production d'énergie électrique, voire même envisager la réduction du parc existant, si l'on parvient à utiliser intelligemment toutes les nouvelles formes de production d'énergie. Le besoin d'"intelligence" augmente du fait que les nouveaux types de production seront dispersés et par nature intermittents (sauf la géothermie), et que les consommations des véhicules électriques (nulles tant que les batteries ne sont pas mises en charge) seront elles aussi intermittentes. Certes, on pourra créer des capacités de stockage d'énergie (par exemple des châteaux d'eau remontant le fluide lors des périodes d'excédent de production) ou utiliser la charge disponible des batteries des véhicules électriques, mais seule une prévision correcte permettra l'équilibrage entre l'offre et la demande dans la durée.

Que voilà donc un beau projet d'optimisation !

Différentes stratégies d'optimisation ont été élaborées par des organes compétents. En simplifiant beaucoup, les deux stratégies extrêmes envisagées sont :

  • une régulation centralisée au moyen d'algorithmes intelligents
  • une plate forme centrale de trading où viendraient constamment se confronter et s'ajuster les offres et les demandes prévisionnelles, aux prix d'équilibre déterminés par une concurrence libre et non faussée

Diverses combinaisons de ces stratégies et de nombreuses variantes sont possibles, notamment par la décentralisation vers des micro-réseaux locaux gérés par des agrégateurs. Plusieurs projets pilotes urbains, alimentés par des subventions importantes, sont en cours ou dans les cartons. Dans tous les cas, les développements informatiques et les technologies Internet y prennent une place importante, malgré que les optimisations développées risquent de s'avérer purement théoriques car ces projets pilotes utiliseront des matériels au stade du prototype industriel et se fonderont sur des hypothèses prospectives.

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Il est donc encore temps de se demander si le problème est bien posé ! En effet, on ne semble jamais remettre en cause le modèle économique associé à des capacités de production indéfiniment ajustables à la demande, alors que nous nous précipitons vers un bouleversement majeur du fait de la raréfaction des sources d'énergie non renouvelables et de leur disqualification en regard d'exigences vitales, et que, de plus, il faudra faire face à une augmentation importante de la demande globale en conséquence de la transition au véhicule électrique (chaque véhicule consomme en gros l'équivalent d'un foyer).

Une finalité naturelle serait de fournir un minimum vital des besoins énergétiques de chacun, avec le maximum de confort pour chacun, avec des possibilités de suppléments de fourniture à l'occasion et en fonction de l'investissement solidaire de chacun.

Dès lors, on devrait :

  • raisonner en termes de rationnement intelligent plutôt qu'en recherche d'un équilibrage entre offre et demande comme si cette dernière pouvait toujours être couverte à condition d'y mettre le prix et de respecter ses prévisions
  • responsabiliser le consommateur (particulier ou établissement industriel) sur l'expression de ses besoins en quantités et pour quelles horaires, en lui fournissant les éléments de décision pour que ses choix soient réalisables et impactent le moins possible ceux des autres
  • motiver le consommateur à se comporter en stockeur d'énergie potentiellement redistribuable (au moins, pour un particulier, dans la batterie de son véhicule électrique) et en producteur capable de déplacer ses propres priorités de consommation pour le bien commun

Alors, le coeur des algorithmes informatiques à développer ne serait plus le trading en vue d'un équilibre pseudo optimum mais l'aide à la décision du consommateur sur la quantité et le moment de sa consommation d'énergie, et l'incitation du même consommateur à contribuer au financement d'installations granulaires de production et de stockage, dans le contexte d'une pénurie globale physiquement insurmontable. Dans ce cadre, le point d'équilibre théorique dans un marché de concurrence libre ne présente aucun intérêt. Ce qui devient vital et permanent, c'est que l'on ne doit jamais, sauf catastrophe (par exemple pour alimenter une intervention de pompiers), avoir recours à la centrale électrique de réserve qui brule du gaz dans des turbines génératrices. Les algorithmes logiciels servent alors à faciliter le réglement en douceur des situations imprévues (par exemple vague de froid), et la qualité du dialogue avec les consommateurs-producteurs-stockeurs devient de première importance, et le premier facteur de cette qualité c'est de s'appuyer clairement sur des finalités connues et acceptées.

En poussant cette logique à l'extrême, on pourrait se débarrasser complètement de la fiction d'économie marchande de l'énergie électrique dont le prix évoluerait à tout instant en fonction d'une multitude de paramètres, pour passer à une économie de redistribution en situation de pénurie, où l'énergie électrique n'aurait pas de prix ou un prix conventionnel fixe assorti d'un prix complètement dissuasif en cas de comportement individuel néfaste (mais la seule vraie dissuasion resterait le délestage sélectif !). En parallèle, il faudrait établir une répartition des investissements de production et de distribution ainsi que des frais de fonctionnement, en cohérence avec les objectifs de responsabilisation et de motivation du consommateur. En tous cas, les modèles de calcul du prix optimum de facturation de l'énergie électrique par une régie publique, élaborés dans les années 60, ne s'appliquent plus.

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Quelle que soit la vision économique de référence, il est clair que des infrastructures de production et de stockage d'énergie électrique devront être créées près de l'usager et chez l'usager, que l'usager devra être responsabilisé sur sa consommation propre et que l'usager devra adopter un comportement solidaire (sinon, nous aurons une répartition de la capacité de production-stockage équivalente à celle de la protection contre les explosions nucléaires, entre ceux qui possèdent un abri atomique privé peu utilisé et les autres qui se débrouilleront avec les infrastructures publiques). Il existe certainement plusieurs chemins pour y parvenir, mais le plus court sera le meilleur. Il paraît déraisonnable d'espérer découvrir ce chemin en prolongement d'une amorce existante ou moyennant quelques aménagements subsidiaires. Au contraire, il semble nécessaire d'envisager à la fois la rupture technique et économique dans la fourniture et la consommation d'énergie, et simultanément la réforme des comportements sociaux des consommateurs-producteurs-stockeurs.

Et alors, à l'évidence, les mirages des nouvelles technologies informatiques et des algorithmes secrets, les fumées d'encens du principe de subsidiarité, ne sont pas des éléments de réponse bien solides ni suffisants.

En revanche, quel bel exemple d'authentique société virtuelle à créer !