De récents événements nous révèlent, s'il en était encore besoin, les usages des portables et des réseaux sociaux dans la promotion, la mobilisation et l'exécution coordonnée d'opérations collectives : braquages, manifestations de rue, réunions festives, propagations de rumeurs, etc.

Des gouvernements annoncent des mesures policières, en réaction tardive aux dangers ressentis de désagrégation sociale.

Ces mesures sont peut être adaptées à l'éradication d'effets destructeurs du contexte actuel, elles ne sont pas à la hauteur des risques à venir.

En effet, demain, un degré bien supérieur dans le pire sera franchi, ce sont de nouvelles hordes de monstres effroyables que la société virtuelle pourra créer chaque semaine.

Nous connaissons la capacité de la nature humaine à créer de tels monstres. Et nous savons aussi que les gros monstres voraces et affreux, qui poussent des cris horribles, ne sont pas les plus dangereux. Le danger ne vient pas des innovations techniques, il vient de nous-mêmes.

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L'enfer délectable en variété infinie

Par exemple, c'est un enfer délicieux que nous offrirait un type de réseau social, par la transposition des méthodes de la télé-réalité sur des valeurs "club" avec un type d'organisation inspiré des univers ludiques ! On peut en imaginer des variantes à l'infini.

Par l'exploitation de l'esprit de compétition et de son alter ego l'esprit de conformisme, en procurant l'impression d'une liberté de création infinie à l'intérieur d'une discipline sécurisante, des sociétés virtuelles bien construites offriraient une palette d'éthiques et de vies symboliques aux êtres humains. Cette exploitation systématique apporterait automatiquement ses risques d'excès, d'abord par l'asservissement de quelques pauvres âmes immergées, ensuite par la fissuration galopante des fondements éthiques de la société réelle, dont les quelques principes universels pourraient alors disparaître complètement pour laisser place à des combinaisons temporaires et locales d'éthiques des sociétés virtuelles dominantes.

Histoire de me faire comprendre, je donne une illustration, en quelques lignes, d'un tel "enfer sympa" de société virtuelle, une forme organisée de compétition individuelle et de réalisation collective. (NB. Je signale en passant que ce nous appelons le "monde économique" représente une anticipation d'un univers virtuel destructeur de la société réelle, mais ses caractères de monstre primaire apocalyptique sont actuellement trop pesants pour une simple illustration, et la prise de recul vis à vis des points de vue habituels exigerait un effort trop considérable).

L'accès au "club" est réservé aux membres, répartis en plusieurs niveaux. Pour passer au niveau supérieur, il faut réaliser des exploits afin d'accumuler un nombre de points et bénéficier d'une "promo club". Un exploit, c'est une scénette jouée en groupe sur un lieu public par des membres du club. La réalisation de l'exploit doit avoir un caractère particulièrement déplacé ou offensant sur le lieu public considéré; l'exploit doit être exécuté rapidement et sans laisser de trace indélébile, en présence d'un public non prévenu. Tout membre ayant le niveau requis peut être sollicité par le club pour participer à un exploit en cours de définition ou créer soi-même un scénario d'exploit d'après des éléments de scénarios proposés par le club. Un exploit exige la participation de plusieurs membres, et sa réalisation doit être authentifiée par les enregistrements vidéos des portables "logit club" de chaque membre participant, en vue d'être publiée sur le site Web du club en synthèse choc - les meilleurs exploits de la semaine, sélectionnés par des membres choisis au hasard, apportent un supplément de points à chaque participant en fonction de son rôle. Les membres du club sont anonymes, dissimulés par un pseudo sympa, de sorte qu'on ne sait pas avec qui on va réaliser un exploit. Le club sert d'agence de voyage, car les exploits peuvent se dérouler n'importe où dans le monde. On dit qu'au niveau supérieur, les exploits peuvent comporter une partie privée complètement débridée, que la compétition y est tellement intense que les perdants le payent parfois de leur vie, mais ce sont probablement des légendes. Toutefois, certains se débrouillent pour ne jamais atteindre le niveau supérieur, au prétexte qu'ils trouvent leur satisfaction dans les exploits du niveau juste en dessous. De toute façon, on peut s'amuser à parier sur la réalisation de tel scénario en projet, ou sur la montée de tel membre du club à un échelon supérieur....

La technologie disponible ne permet pas encore l'instrumentation d'un tel club, pas dans les détails qui feront la différence avec le moyen-âge technique actuel, mais on y arrivera, c'est certain (observez par exemple sur http://www.clubic.com/, semaine après semaine, les ressorts à l'oeuvre et leurs productions). En revanche, l'organisation, les règles du jeu social... peuvent paraître déjà banales, donc autant dire qu'elles s'imposeront d'elles-mêmes, sauf qu'il ne s'agira pas seulement d'un jeu sans conséquence sur la vie des gens ni sur la société réelle. Comment ne pas voir que la participation d'un individu à un tel club ne pourrait être que définitive, et que ce type de club pourrait être décliné à l'infini afin de pouvoir répondre à l'ensemble des penchants (auto-) destructeurs de l'humanité ?

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Fin de la société ou renaissance ?

Il est certainement possible de résister aux effets réels des puissances infernales des créations sociales virtuelles à venir, et même mieux, de les utiliser pour refonder une société réelle.

A l'intérieur des sociétés virtuelles, la résistance se fera naturellement par la relativisation de leurs règles arbitraires par les participants eux-mêmes, et à l'inverse, dans la société réelle, par l'acceptation réfléchie de règles sociales éthiques universelles. Autrement dit, il s'agira de rediriger sur les sociétés virtuelles toute la puissance imaginative de contestation et de tricherie de la nature humaine, en utilisant leur propre moteur de négation de la société réelle, au profit de cette société réelle. Cela ne pourra fonctionner, évidemment, que si la société réelle représente autre chose qu'un monde imaginaire parmi d'autres, autre chose qu'un théâtre aménagé, que si la société réelle existe comme un fondement vital qui mérite d'être défendu.

Pour cela, il sera indispensable de créer des sociétés virtuelles d'intérêt général : voir par exemple le libre de Dominique Perry-Kollo sur la transmission des compétences personnelles à l'ère numérique (http://cariljph.free.fr/).