Billet rédigé à propos de "Je me souviens" de G. Pérec, récemment réedité : profitons-en pour saluer l'opportunisme des éditeurs, si attentifs aux intérêts des lecteurs potentiels des générations du baby boom d'après la guerre 1939-45, probablement avec une traduction en chinois, en application de leurs plans marketings trimestriels d'ouverture aux marchés d'avenir.
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En vérité, cela me rend furieux de lire ces petites phrases en brochette qui commencent toutes par "Je me souviens".
Ce type m'impose sa propre démarche, pas à pas, selon son rythme à lui, tout en me disant ce que je dois regarder et ressentir à chaque instant.
Si nous étions dans une passe dangereuse en haute montagne, et s'il était mon guide, et que je sois sujet au vertige, je comprendrais. Mais là, dans l'exercice de sa litanie en rap anomique, ce tortionnaire m'oblige à détruire mentalement mes univers et mes jouets d'enfance, un par un, par démembrations aléatoires, pour y substituer les débris des siens.
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"38
Je me souviens d'être tombé sur la tête dans la cour de récréation sans savoir comment. "

Et tu t'es senti tout chose, mais personne ne s'en est aperçu, et cela ne t'a pas posé de question ?
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La colle UHU et les Carambar existent toujours : comment communiquer le souvenir de sensations d'antan face à la réalité présente ?
Il faut plus que de la littérature et de la mathématique.
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Photo220.jpg La colle épaisse blanchâtre en jolis tubes jaunes rigides imprimés en noir, les enfants du demi-siècle la considéraient comme une nouveauté; on en mettait beaucoup trop, alors cela ne collait pas bien ou pas du tout, et l'odeur se répandait.
Il existait aussi à l'époque une marque de colle liquide en tube qui a disparu depuis. Elle était bien plus forte, et son odeur bien plus agressive, dangereuse on pouvait le croire.
Puis sont apparus massivement les autocollants, les rubans adhésifs, le velcro, les surfaces adhérentes. Et enfin la numérisation, qui a dématérialisé tant d'objets à coller, ainsi que leurs albums, écrins et supports.
A l'échelle de la société, les grands collages ensemblistes (lutte des classes, pratique religieuse, etc) ont perdu leur permanence, remplacés par des collages d'arrangements d'occasion, au gré des modes et des manipulations. En revanche, les institutions d'agglutination à la poursuite du bonheur personnel, courriers du coeur, clubs de vacances, réseaux sociaux... ont prolifèré.

Et toi, tu voudrais me fixer au sparadrap du capitaine Haddock ? Et tu tiens à me dire que tu te souviens de l'odeur de la colle UHU ? D'accord, j'en parlerai à mon chien.
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Moi, je sais pourquoi j'ai oublié.