Que voyons-nous sous l'appellation de révolution numérique ?

Un gigantesque développement des télécommunications interindividuelles. Merveilleux, n'est-ce pas ? Nous voyons bien chaque jour à quel point ce progrès participe à la reconnaissance entre les peuples, à la bonne entente entre les personnes, à l'ouverture à l'autre. C'est plutôt une forme nouvelle de distanciation empathique qui s'installe. La combinaison du conformisme et de la communion dans les défoulements instinctifs évite l'affrontement, mais aussi le dialogue. L'apparence bienveillante obligatoire, la fuite préventive devant l'opposition, l'ignorance de la contradiction, la convenable implication hébétée en face des conflits ouverts, affirment des vertus diplomatiques en voie de généralisation à toute l'humanité. Mais que pourrait être un monde entièrement peuplé de diplomates, quelle serait leur maison, leur responsabilité, pour quoi faire sinon pour préserver leur idée de bonheur égoïste ?

Une grande facilité d'accès à un savoir encyclopédique. "On sait tout sur tout". Oui, mais qu'en fait-on ? Pourquoi, par exemple, l'empreinte écologique de nos sociétés riches ne fait-elle qu'augmenter et pourquoi les peuples démunis le sont-ils de plus en plus ? Est-ce qu'avec nos nouvelles technologies, nous n'avons pas renforcé la tendance à confondre "savoir" et "archive bien tenue", "compétence" et "capacité d'en parler", "volonté de faire" et "alimentation de dossier" ? Pour en rester aux "archives bien tenues", avons-nous pris la mesure de leur incohérence grandissante au fil du temps, de la difficulté croïssante à restituer d'anciens contenus techniquement désuets et devenus parfois incompréhensibles hors de leur contexte originel de lieu, d'époque et de culture ? Ou bien le Grand Projet est-il de retenir une seule encyclopédie de l'instant, en déclarant que rien d'autre n'existe ?

Les réseaux sociaux. Tout a été répété à leur sujet, sauf deux évidences importantes. Premièrement, les réseaux sociaux sont des extensions de la société réelle telle qu'elle est; donc, du point de vue de l'innovation sociale, c'est zéro, un joujou. Deuxièmement, les réseaux sociaux (comme d'autres services aimablement offerts sur le Web) alimentent en arrière plan les sondages de comportements et d'opinions en temps réel qui servent à construire les "événements" et les "inforrmations" diffusés dans l'ensemble des media, et dont l'impact se mesure directement en retour dans lesdits réseaux sociaux. Donc, aucune chance qu'une innovation sociale surgisse de cette grande boucle d'asservissement des esprits.

Les dangers du numérique ? Les risques sur la divulgation de données individuelles, les piratages, etc. sont mis en avant pour qu'on ne parle pas de la grande boucle manipulatoire dont le Web est devenu le creuset. Le lobbying des marchands, qui par ailleurs possèdent la plupart des monopoles du Web, finira par produire un jour l'équivalent d'un droit international des affaires sur le Web, parsemé d'ambigüités et de contradictions pour préserver le business des avocats. Ne serait-il pas plus important de combler le vide béant entre la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et la Netiquette ? Il faudrait pour cela d'abord admettre que les individus sont par nature capables de créations sociales et leur en reconnaître la liberté. Actuellement, nous sommes tous incités à nous fondre dans un Disneyland virtuel "gratuit" universel - il y aurait pourtant de quoi se méfier.

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Une révolution numérique sans création sociale, c'est une révolution en toc, qui masque l'évidence d'une régression sociale au fond. La révolution numérique ne peut être que celle de la création de sociétés virtuelles diversifiées, par l'usage d'une liberté de réalisation d'utopies sociales - nouveauté historique, ces utopies ne présenteraient aucun danger mortel pour "la" société et la liberté de les créer en sociétés virtuelles pourrait donc être reconnue.

La vraie révolution numérique suppose une révolution des sciences sociales de sorte qu'elles deviennent créatrices de lien social, que nous sachions fonder des sociétés virtuelles viables, et les faire vivre avec les règles de fonctionnement et les étiquettes de comportement adaptés. Cette révolution numérique implique un retour à l'architecture décentralisée du Web, au contraire de sa concentration totalitaire sur quelques services centralisés. Cette révolution numérique nécessite la mise en place sur le Web de services communs spécifiques aux sociétés virtuelles, afin d'en permettre le fonctionnement et la pérennité.

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