Notre science économique est un marginalisme : on raisonne sur des tendances, des dérivées, des accélérations, des variations d'agrégats, avec, en arrière plan, un ensemble de théorèmes sur l'existence d'un équilibre optimum théorique. La croyance dans la convergence vers cet équilibre optimum dans le monde réel complète l'arsenal mental du marginaliste diplômé.

Cette présentation sommaire traduit une aberration logique. Ce n'est pas le plus grave.

Le marginalisme a pris la forme d'une démence sénile.

Aucun type de raisonnement globalisant "à la marge" ne peut plus être pertinent à notre époque. En effet, il est banal de déclarer que nous vivons désormais dans un monde physique fermé, mais la réalité est que ce monde physique se ratatine : effets cumulés du pillage de la planète par les révolutions industrielles et les guerres, accroîssement de la population humaine, limitation physique des capacités d'extraction du pétrole et des minerais de plus en plus sale et dangereuse, découverte par les peuples "laissés pour compte" d'un mode de vie dispendieux des biens communs, destruction des variétés et sites naturels insuffisamment résistants, etc. Ce que les modèles économiques considèrent comme des externalités devient primordial pour chacun de nous localement et dans notre vie prochaine.

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Exemple de raisonnement économique marginaliste (retraduit en langage courant, parmi diverses considérations savantes sur l'évolution des taux d'intérêt au cours d'une chronique radiophonique) : "je dis qu'une averse fait baisser le niveau des flaques d'eau; en effet, après la pluie, il y a toujours du soleil...". Ce qui caractérise le marginalisme, c'est un pseudo raisonnement à partir d'un détail savamment présenté, en remplaçant les conditions aux limites par une référence taboue, comme le "principe de subsidiarité", ou par une profession de foi comme le "retour à l'équilibre" alors que par ailleurs on parle de "dynamisme des marchés" et de "liquidité de l'économie". Dans de telles conditions d'incohérence, le détail originel du raisonnement peut être faux du moment qu'il est modélisé mathématiquement ou pourrait l'être.

Autrement dit, c'est un raisonnement de fou. Malheureusement, la folie n'est pas la seule source de cet acharnement irrationnel. Citons au moins la propagande réfléchie pour la "croïssance" au profit d'intérêts privés, ainsi que les nombreuses manifestations de l'égoïsme frénétique.

Malgré cela, le pseudo raisonnement marginaliste pullule "à droite comme à gauche". Il faut faire croire aux électeurs que la politique et la stratégie consistent à orienter quelques leviers de commande, qu'il s'agit seulement d'être un bon gestionnaire. A ce compte là, tous nos gouvernants sérieux, tous nos dirigeants compétents, nous pouvons les remplacer par un cabinet comptable et par un contrat de syndic de copropriété des biens communs. Voilà une belle économie, et vive la démocratie citoyenne !

Même dans les programmes politiques soucieux de l'avenir, les "solutions" économiques restent imprégnées d'un marginalisme atterrant. Exemple : la proposition de taxer les revenus du capital financier au niveau de ceux du travail ; cette mesure est censée rapporter des dizaines de milliards dans les caisses de l'Etat : comment en pratique et pour combien de temps ? Sur le fond pourrait-on dire, pourquoi taxer les revenus du capital financier seulement au niveau du travail et pas 5,87 % de plus par exemple, y-aurait-il un tabou là derrière ?

Un retour aux fondamentaux de l'économie s'impose d'urgence : voir le billet à propos du blog de Paul Jorion.

Remarque finale. Il y aurait une thèse à faire sur le mode de pensée en marginal, le comportement en citoyen marginal, la création en artiste marginal, etc. Mais, ce serait une thèse marginale de plus... Sauf si elle s'intéressait enfin à la fondation d'une existence humaine non marginale.